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11 février 2007

Glané dans la presse littéraire.

Le Figaro littéraire du 8 février.
Interview croisé de Richard Millet et Jean-Marc Roberts, auteurs-éditeurs, l'un chez Gallimard et l'autre chez Stock.

Jean-Marc Roberts déclare :
" Je suis (…) pessimiste sur notre époque qui est antilittéraire. Le pire ce sont les blogs : non seulement les gens ne lisent plus mais ils ne vivent plus. Interdisons les blogs !"
Oser affirmer : "interdisons les blogs", c'est scandaleux ! On ne peut pas laisser passer ces cris d'orfraie !
Les blogueurs apprécieront, notamment ceux qui font partager leur passion de la lecture…
La liberté d'expression est un droit inaliénable.

Qu'un éditeur pense cela est extrêmement inquiétant. On se croirait chez les soviets, ou sous n'importe quelle dictature…
De fait, J.M. Roberts voit monter avec les blogs la marée de libertés et de talents qui vont inéluctablement l'engloutir, entamer ses privilèges d'auteur-éditeur.
Ces blogs sont d'un démocratique ! Pouah !
Bien fait.

Et son homologue gallimardien de définir l'écrivain véritable : "celui qui a un monde, pas celui qui fait un "coup" pour avoir sa photo sur un livre"
"Faire un coup" n'est pas dans les pouvoirs d'un écrivain, que je sache, s'il n'est pas comme R. Millet également éditeur ! Il y aurait à discuter sur "les mondes " des auteurs-éditeurs de Gallimard, j'ai des exemples…

Et de s'étonner, avec la candeur de ceux qui ont totalement perdu le sens des réalités : "Savez-vous que dans les banlieues, le mot "intello" est devenu une insulte ?"
Ma chère ! Faut sortir ! Il n'y a pas que dans les banlieues ! C'est totalement has-been.
La fièvre "antilibérale" qui saisit lesdits intellos ces temps-ci est-elle en train de tourner à la lutte contre les libertés… ?

17:25 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : littérature, société, arts, culture. |  Facebook | |  Imprimer | |

07 février 2007

Un grand pas pour l'humanité...

Mes amis, je crois que mon site est OK. (cf. ci-dessous pour l'url)
Je compte sur le "testing" des blogueurs pour me faire toutes remarques utiles.
Merci à Jean-Louis du coup de pouce (j'ai pas pu faire ce qu'il m'a dit mais ça m'a aidé quand même)
Si vous saviez comme on se sent content d'avoir fait son petit site... avec les liens, les infobulles, tout ça... comme les grands webmasters !
Et l'avantage, c'est que je peux le modifier comme je veux, Ah,Ah !
J'arrose ça et, allez, tiens, je trinque avec vous !

20:15 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : blog, vie quotidienne, journal intime, de tout et de rien, littérature, société, politique |  Facebook | |  Imprimer | |

errata : essayez avec ce nouveau lien :

http://www.editionstuttiquanti.com

09:55 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) |  Facebook | |  Imprimer | |

Y a-t-il un pro du FTP sur ce blog ?

Je voulais que mon site soit tout bien fini avant d'en parler ici, mais j'ai un problème dont l'hébergeur se fout complètement maintenant que j'ai réglé mon hébergement.
Mon Pb est le suivant : certaines illustrations sont invisibles (sans rapport avec le poids) et quelquefois même toutes disparaissent.
Pour être plus précise : j'ai engrangé mes images dans le même dossier que les pages de mon site et j'ai transferé le tout avec FTP FileZilla.
Questions : dois-je enregistrer les images invisbles sous un autre format (elles sont en JPEG)
Est-ce que je peux transférer une image sans faire le transfert de la totalité de mon site ?
Enfin bref, si quelqu'un a une solution, je suis tout ouïe, comme dit mon poisson rouge.
mon site se trouve ici : http://www.editionstuttiquanti.com

09:50 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : tous les tags |  Facebook | |  Imprimer | |

06 février 2007

Promis, plus de "noircitude"...

medium_l_ange_en_surf.jpg
Allez, on oublie tout !
Surfons avec l'ange !

22:30 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

Où est la fermière ?

medium_image_d_ecole_2.2.jpg
      Cette bonne femme exagère, elle se planque au moment où on veut lui rendre visite. Pour trouver cette fermière, il faut retourner l'image ou modifier son regard, remettre en question nos automatismes intellectuels, annuler notre faculté à créer des ensembles visuels, les déconstruire pour les assembler différemment. Voir autrement. C'est un exercice mental gratifiant parce qu'on finit toujours par retrouver cette fichue fermière.

    
La recherche de la chose cachée par déconstruction du visible ne fonde-t-elle pas le principe même de la psychanalyse ?
     Justement...

Dans la série... L'idée du jour...

 Justement je cherche dans l'image de ma vie où se cache l'enfant que j'étais. Mon enfance est en mille morceaux. Mille bouts de miroir brisé que je projette de reconstituer. Pas pour me mirer et m'admirer. Je me fiche de mon nombril.  Je veux savoir pourquoi la petite fille que j'étais a été étouffée et remplacée par une autre, pas intéressante, moche, moins intelligente, embêtante, souillon, étourdie, qui ne se tenait pas droite et qui ne dépliait pas les genoux en marchant. Je veux tenter l'exploration de la malfaisance, affronter l'insoutenable désamour, me rembourser de la casse.

 

 

 

15:30 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook | |  Imprimer | |

05 février 2007

semaine 6

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Cette image pour 10 bons points...
à l'école primaire, en 1989 !

18:45 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |

24 janvier 2007

L'an neuf a déjà quelques rides...

  medium_folie.jpg La bourrasque a soufflé dans ma vie fin 2006 et elle n’a pas faibli…


    D’abord les faits : une mère hospitalisée d’office, atteinte d’une « névrose psychotique » selon les psys HP et qui est devenue une sorte de réacteur à neutrons de haine, un père frappé par un cancer de l’estomac avec une tumeur grosse comme un œuf, parents qui avaient fêté en grandes pompes et en grande forme en août dernier leurs noces de diamant)
     Mais les faits sont loin de rendre compte des rapports familiaux que cette situation induit. Car chacun dans l’entourage et dans la fratrie joue un rôle (et semble prisonnier de son rôle) en fonction de ce qu’il est, de ce qu’il a vécu, de ses propres traumatismes et, concernant les frères et sœurs, de sa place dans l’affect parental. Confronté aux maladies mentale et physiologique de nos parents, pas un de nous n’éprouve les mêmes sentiments, ne ressent les mêmes émotions et ne raisonne de la même façon.
     Je peux ainsi affirmer aujourd’hui, à la lumière de ce double drame humain, que les enfants et les petits-enfants d’une famille n’ont pas les mêmes parents ni grands-parents. La maladie de mes parents révèle de façon exacerbée la nature du rapport qu’ils ont entretenu avec leurs descendants et leur entourage, y compris les idéologies qu’ils ont cultivées (voire imposées). Si la maladie mentale revêt un statut à part, je sais néanmoins que la haine et le narcissisme exprimés aujourd’hui par ma mère affleuraient déjà dans son comportement (sur ce blog, conférer le billet « Dame Suzeraine » copié-collé du réel). De même, le vieil homme malade, mais debout, en rémission sinon en guérison, accepte comme un dû le dévouement sacrificiel d’une de ses filles – pas moi mais ma sœur, conséquence logique de leur complicité d’avant…
     Malgré cela –  ces tragédies humaines qui nous confrontent de plein fouet avec la mort, la maladie, la souffrance, le mal-être existentiel –  il faut vivre et travailler, et je suis plongée  dans les re-re-re-lectures d’épreuves de textes qui vont incessamment  voir le jour… la maison d’édition est quasiment bâtie… le site est sur le point d’apparaître sur la toile… Mais je vous reparlerai de tout cela dans les prochains jours.
    
Malgré cela, j'accepte une danse et une coupe pour célébrer, même tardivement l'an neuf !!

14:50 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature, société, psy, etc. |  Facebook | |  Imprimer | |

23 décembre 2006

Joyeux Noêl

medium_moto.jpgVive le vent, vive le vent…
     L'air joyeux déferle des haut-parleurs dans la galerie marchande.  Elle pousse son chariot dans la bonne humeur générale. Comme dans les téléfilms américains, les gens pleins d'allant et d'entrain irradient de joie, d'amour du prochain, en lançant joyeux Noël à tout va, sous la valse soyeuse des flocons de neige en polystyrène pendus à des fils… 
    …Les caissières de supermarché ont toutes des bonnets rouges bordés de blanc et dans l'alignement des vingt caisses, tous ces petits capuchons rouges, c'est gai,  le pompon va et vient quand elles enregistrent les codes barres. Elles sont souriantes, c'est la moindre des choses, n'est-ce pas ?
     On mérite bien un peu de joie, non ?
     Mais n'oublions pas tous ces morts partout dans le monde avec leurs cortèges de chagrins ! Tous ces êtres humains fauchés par les séismes, les raz-de-marée mais aussi par les guerres, le terrorisme, les massacres à la machette, les criminels… tous ces hommes tués par d'autres hommes.
     Oh là là ! Quelle horreur ! Dire que les humains sont capables de telles cruautés ! Ils ont passé la rétrospective des grands évènements de l'année à la télé… Tous ces cadavres, c'est épouvantable ! Inouï ! On n'a jamais vu ça. Jamais ! On vit une époque insensée. Heureusement, la tradition de Noël, la trêve des confiseurs, ça fait un break. Il faut bien arrêter de souffrir de temps en temps. C'est un peu comme si la main qui tient le sabre contre ta carotide était soudain paralysée par un sortilège… Le monde se met en pause.
     Disons qu'on peut enfin souffler. 
   C'est pour ça, quand on voit toutes ces décorations enluminées dans la galerie marchande, ces rennes tirant des traîneaux, ces guirlandes, ces bonhommes de neige en plastique éclairés de l'intérieur, ces petits automates primesautiers, on se sentirait presque redevenir un enfant, éternel et protégé…
     Même si c'est une affaire de marketing et de gros sous, ces décorations lumineuses font oublier l'épouvantable réalité. C'est un peu l'antidote de la souffrance, des guerres, des séismes et des otages bien que, franchement, on ne peut pas vraiment compatir sur tout.
     Qu'à force d'en voir, on deviendrait blasé. Franchement… Blasé des horreurs, naturellement, pas des décorations… En voyant ces reportages, on sort de ses gonds. Si on s'écoutait, on fermerait le poste. Mais il faut bien s'intéresser aux autres. On serait bien content que des gens pensent à nous si ça nous arrivait à nous aussi. Enfin, on ne sait pas… Peut-être qu'on n'est pas consolé de son malheur de passer aux infos. 
     Ce qu'il y a aussi, c'est qu'on a sa vie, ses occupations, ses soucis. Justement, elle a loupé des pans entiers de la rétrospective télé à cause du bruit du batteur. Avec la préparation des blancs en neige pour sa mousseline. Pour le réveillon, elle a prévu des aumônières d'escartefigues flambées et des galinettes aux raisins. Ils en ont marre de la bûche glacée. C'est difficile de trouver un dessert léger quand on est gavé… Une salade de fruits mandarines-kiwis-goyaves, ça passe bien. Avec trois doigts de rhum agricole… 
   Il faut dire aussi qu'on a déjà trop de problèmes personnels à résoudre pour être complètement disponibles à tout le malheur du monde.
     Parfaitement, elle aussi, elle a ses problèmes. On ne s'en douterait pas, elle ne se plaint jamais, elle n'en parle à personne… mais elle en a marre, re-marre et plus que marre…
     Elle repère une petite table libre à la sandwicherie, sous le palmier en plastique.
     Ouf ! Quelle chaleur dans cette galerie…Un thé citron, merci.
     Elle garde un œil sur son caddy plein.
     Si seulement elle ne se sentait pas si seule. Chacun a sa vie, d'accord,  et les amies, mieux vaut garder certaines distances si on veut rester bien ensemble. Mais chez soi, quand même ! On devrait se sentir écoutée, aimée… Eh bien, non ! Ils sont tous assistés, ils se laissent porter, ils considèrent que son plus grand bonheur à elle c'est de les rendre heureux, ils trouvent tout naturel qu'elle se mette en quatre pour entretenir leur petit cocon et le pire, c'est l'autre jour quand ils lui ont sorti qu'elle vivait par procuration… Non seulement, elle leur consacre tout son temps libre mais on se moque d'elle, on la prend pour une pauvre fille qui n'a d'autres ressources que de vivre à travers eux… et ils ne lèveraient pas le petit doigt, ils ne se rendent pas compte, parfois elle n'en peut plus… Elle est littéralement leur bonniche… La bonniche, oui ! Il n'y a pas d'autres mots. Elle aurait tellement besoin d'être soutenue, comprise, de parler à quelqu'un… Voilà : comprise. Qu'ils reconnaissent ce qu'elle fait pour eux !
     En ce moment, elle est complètement déprimée… l'envie de pleurer qui la prend sans prévenir… par exemple, à l'instant, si elle se retenait pas…
     Chaque Noël, c'est la même chose, elle en attend tellement… Une vraie gamine… Il n'y a pas de honte à l'avouer, elle ressent toujours une déception, un regret, la fête n'est jamais aussi féerique qu'elle l'avait espérée… Elle tombe de haut… La vérité, c'est qu'elle a tout à assumer, faire plaisir au mari, aux enfants, aux parents, aux beaux-parents, aux grands-parents, ça fait un paquet de monde, ils ont tous besoin d'elle… Pas un seul moment à soi. Ils téléphonent pour trois fois rien, il faut faire toutes les courses, choisir des cadeaux, deviner ce qui fera plaisir à chacun, cuisiner des petits plats, tout bien astiquer pour que la maison étincelle, orner le sapin, accrocher des étoiles, des boules brillantes, acheter les cadeaux, les emballer, aller chercher les uns, conduire les autres, laver ci, repasser ça… Et, au dernier moment, être au mieux de sa forme, pomponnée, lumineuse, parfumée… d'une humeur charmante.
     Elle est piégée parce qu'elle les aime et que si elle ne fait pas tout ça, ils ne l'aimeront peut-être plus… Du coup, la joie de Noël, c'est pour les autres. Ce n'est pas étonnant qu'elle ressente une petite frustration… 
    En somme, le Père Noël, c'est elle !
    Ça serait à refaire…   Elle n'est pas loin d'envoyer tout balader ! Un jour, c'est sûr, elle enverra tout balader et ils vont voir ce qu'ils vont voir ! Il vont cesser d'y croire au Père Noël !  Ah ça oui !  Ils en feraient une tête si elle annonçait le soir du 24 endives jambon blanc !  Pas de sapin, pas de chocolats, pas de déco… "Désolée mes chéris, mais j'avais un boulot urgent à finir…" Genre de truc qui ne risque pas de se produire, vu qu'elle quitte le bureau à pile moins une pour être là quand ils rentrent, pour que la maison soit éclairée, accueillante.
    
D'un autre côté…
     Leur faire de la peine, un jour de Noël, elle n'a pas le cœur à ça, au fond. Consacrer un peu de son temps aux siens dans ces moments-là, c'est dans l'ordre des choses. Un jour, les enfants seront partis, ça va arriver bien assez vite et elle aura alors tout le temps pour elle. Ce n'est pas à proprement parler un grand sacrifice, faut pas exagérer, elle n'est quand même pas mère Térésa…
     Il faut être positif, donner du bonheur aux gens, elle l'a lu, l'autre jour dans une revue, elle était d'accord, ça maintient en forme. Un peu de générosité, c'est une goutte d'eau et les gouttes d'eau font les rivières. L'effet boom-rang du bien : vous le faites et il vous revient pour vous renforcer. Vrai ou faux ? Elle choisit d'y croire cette année encore…
     Vive le vent, vive le vent d'hiver…
     Quoi ! Déjà cette heure-là ! Allez, debout, cocotte...
     Eh ! Qu'aperçoit-elle ? Cette pyramide dans l'allée ? Des Truffes d'Argent... Des truffes  d'Argent  à ce prix-là ! Ma foi… Elle pourrait en mettre quelques unes sur des coupelles dorées pour décorer la table, sur les jolies coupelles dorées qu'elle a dénichées à La Petite Maison pour trois fois rien. Ça lui fait penser… Il lui manque des bougies torsadées et elle a encore un cadeau à trouver, un vase… une imitation Gallé… Au Patio peut-être… La vitrine est si réussie avec ces ruissellements de lucioles...
    
Ah ! Noël ! Quelle gaieté !

11:00 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, journal intime, société, psychologie |  Facebook | |  Imprimer | |

04 décembre 2006

Parano

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 Entre ses sourcils, sur son front, des petites rides entrecroisées forment une grille. Il a le teint brouillé. Sa bouche est amère. Ce n'est pas qu'il n'est pas dans son assiette, ce sont les autres qui le tuent à petit feu. Il estime qu'on l'empêche de respirer, carrément de vivre. En partant, comme en rentrant chez lui, maintenant, il ferme le portail. Il ne veut pas être dérangé.  D'ailleurs, il ne veut voir personne. Déjà, la famille, ça vous bouffe suffisamment, et si les amis s'en mêlent, il ne reste pas beaucoup de liberté. Les Machins, c'est tout juste s'ils ne décident pas tout à votre place. Ils s'immiscent dans votre vie, vous devenez leur hochet, vous êtes des bouche-trous quand ils ne savent pas quoi faire de leur peau.
Il n'embrasse pas sa compagne aujourd'hui, il sent venir un herpès. Il abaisse ses grandes paupières et le petit grillage de ses rides est plus accusé. Il incline la tête, il évoque un saint martyr. Puis il argumente longuement, Unetelle est une vraie saloperie. Le mot saloperie revient sans arrêt. Il n'y a pas d'autres mots pour décrire cette saloperie. Sa compagne le laisse vider son sac et quand même, au bout d'un moment, elle stoppe la logorrhée, elle suggère qu'on laisse Unetelle où elle est, qu'on passe à autre chose. Elle en a un peu marre qu'Unetelle soit leur sujet de conversation numéro un. Cette interruption le suffoque. Son regard fixe soudain la perturbatrice, prunelles fouineuses. C'est exaspérant d'entendre une chose pareille. Il hausse la voix, il va changer de pièce. Il est vraiment abattu qu'elle le prenne ainsi, il se sent seul, désespéré. Tellement désespéré qu'il en chialerait. Il change de pièce, il est obligé de forcer le ton, de crier presque…  bien sûr, vous, vous vous en fichez, vous vous lavez les mains, plif ! plaf ! Vous folâtrez avec impudence dans les facilités de l'existence mais heureusement qu'il y a des gens comme moi, oui, désolé ! perspicaces, qui voient les choses venir de loin, pour empêcher les catastrophes. 
Il vaque à ses occupations et les portes claquent, les objets sont maniés bruyamment, à l'occasion il marmonne. Plus tard, en face de sa compagne, dès qu'il croise son regard, il pousse un petit gémissement puis frotte son visage avec ses mains. Il passe ses mains sur ses yeux tout en parlant. Il explique pourquoi l'ingérence des autres, leur immixtion, est nuisible ; il reprend tous ses arguments, un peu penaud, désolé d'avoir raison et que ça gêne tout le monde qu'il ait raison. Mais il est lucide, tellement lucide qu'il a tort, tort d'avoir raison avant tout le monde. Il fait mine de se débarbouiller avec ses mains, il finit par se décoiffer, ses cheveux sont maintenant hérissés comme ceux d'un savant fou. Peut-être ne s'adresse-t-il pas spécialement à elle lorsque, les mains en visière, il explique que les gens sont tous des ordures. Qu'en ce moment, les gens n'ont qu'un but : abuser de vous. On vous humilie sans arrêt. On exige votre attention, on vous soutire des conseils, on vous bouffe votre temps et après, on ne pense plus à vous, c'est comme si vous n'existiez plus. Les gens sont mauvais. De vraies saloperies. C'est pour cela qu'il est agacé. Il faut le comprendre. Il y a de quoi perdre patience. Et quand il dit ça, il n'invente rien, c'est la vérité ; heureusement qu'il se tient sur ses gardes, sinon qui sait ce qu'ils deviendraient, bouffés aux mites, ruinés, ah.
Elle éprouve l'envie perfide de lui demander s'il met sa main devant ses yeux parce qu'elle l'éblouit ou bien parce qu'elle offre un spectacle trop affligeant. Ce serait de la provocation et ces jours-ci, il n'a pas le sens de l'humour. Elle sait bien que les mains sur les yeux ou pas, en ce moment précis, il ne peut pas la voir. Peut-être même, ne peut-il pas la sentir.

10:37 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, journal intime, société, psychologie |  Facebook | |  Imprimer | |

30 novembre 2006

Les carpistes

medium_carpe.2.png 

  Assis sur une banquette automobile de récupe, sous une bâche verte tendue entre les sapins en retrait de la rive, ils sont si bien camouflés dans leurs treillis que je ne les aurais pas vus si je ne les avais entendus, s'il n'avaient échangé, exceptionnellement, quelques phrases.
  À cause de la bise d'est, ils se sont éloignés du lac pour se mettre à l'abri du bosquet. Ils ont rabattu leurs capuches sur leurs casquettes polaires, leurs mains protégées de grosses moufles sont glissées dans la poche ventrale de leurs blousons kakis, bruns et noirs. Ils ont de grosses bottes fourrées. Ils restent immobiles et paraissent confortablement frigorifiés.
  Ils pêchent.
  Leur activité préférée c'est la pêche à la carpe. Et pourtant, aujourd'hui, ils n'ont pas la tête à ça, ils sont déconcentrés, ils parlent et… contre toute attente, ils font bâche commune.
  C'est précisément ce que je trouve bizarre, cette promiscuité inhabituelle, cette subite entente. Il y a trois jours, ils s'ignoraient encore… Je n'avais pas prévu cela.
  D'habitude, ils se tiennent solitaires, chacun sous son grand parapluie vert foncé.  Indifférents aux joggers qui contournent le lac, aux canards colvert et aux mouettes, ils couvent des yeux leur batterie de trois ou  quatre gaules ultra légères, équipées des derniers progrès technologiques, alignées sur un chevalet. Ils ont l'air enfermés presque butés chacun dans son silence, ni gais ni tristes, dans l'attente paisible du signal sonore de la carpe mordant à l'hameçon. Quand cela arrive, tous les trente-six du mois, j'ai déjà vu qu'ils la décrochent, la pèsent avant de la rejeter à l'eau, calculant à quel poids ils en sont, combien de kilos de carpes ils ont attrapés depuis le début de la saison… et ils le marquent sur un calepin. Le rouquin costaud m'avait paru plus fiable, à cause de son manque total d'expression, c'était à lui que je projetais de demander s'il se sert quelquefois de la barque amarrée au ponton devant.
 
En approchant, je perçois mieux le son de leurs voix. Ils parlent tranquillement. Il n'y a aucun énervement, aucune fébrilité dans leur ton, au contraire. Ils dialoguent à voix sourde comme dans une antichambre de grand malade, bien qu'ils soient dehors par 3°.  Ils ont une façon de pousser les mots comme ces fermiers d'autrefois qui mâchaient longuement en silence ce qu'ils avaient à dire et n'en laissaient émerger que la partie la plus impersonnelle… Et, à l'instar de ces fermiers d'antan, ils n'ont pas de portables ou bien les ont déconnectés. Ils ne veulent pas être dérangés.
  En petite foulée, je passe devant eux. Je n'ai pas l'habitude de courir, je souffle comme une locomotive. Pour quelle raison se parlent-ils aujourd'hui ? Ce sont pourtant bien les deux pêcheurs habituellement distants d'une centaine de mètres et que je vois faire parfois quelques pas pour activer la circulation de leurs jambes. Malgré leurs chauds vêtements, je les reconnais. Pour contacter mon rouquin, je devrai attendre.
  Je poursuis mon jogging, en traînant les pieds, en réfléchissant.  Ont-ils rompu leur silence à l'occasion d'une grosse prise et décidé de mettre leur matériel en commun ?  Ont-ils fondé la première coopérative des moyens de pêche en lac artificiel ?  L'un d'eux, subitement ruiné, aura dû vendre son matériel et est accueilli par l'autre ?   Ou bien son matériel  coûteux a été volé ?  On pencherait pour l'hypothèse de la solidarité carpiste de préférence à l'éveil d'une sympathie spontanée si on considère leur totale absence de curiosité pour autrui.
 
Ces types ont toujours fait partie du paysage, ni jeunes ni vieux, retraités des chemins de fer ou de l'armée, pensionnés ? Il me semble que je les ai toujours vus : j'habite un des pavillons jumelés sur la rive opposée, un petit lotissement séparé du lac par un coin pique-nique boisé, un parking et la route. Pour aller au boulot, à l'usine, je coupe par le pont japonais qui enjambe la partie rétrécie du lac, c'est comme ça que je le ai repérés. Je ne les ai jamais salués faute de croiser le moindre regard, ils sont toujours dans leur bulle, étrangers aux enfants, aux chiens, aux mères guidant leurs poussettes sur le chemin de falun, aux gallinules caquetant dans les roseaux et même aux ragondins qui les narguent…
  Ils ont bien une femme, un toit, ces hommes, quand même.  Je me suis demandé à quoi ils pouvaient bien penser des heures entières… J'ai mis ça sur le compte de leur paresse, c'est quand même le meilleur moyen d'échapper aux tâches ménagères, au bricolage, au jardinage… Ce n'est pas moi qui leur jetterait la pierre, si j'avais su…
  Pour s'incruster là, au même endroit et depuis si longtemps,  avec tant de persévérance, je les ai soupçonnés d'être un peu poètes, comme moi (j'écris des poèmes pendant la pause casse-croûte). Leurs regards glissent sur les miroitements de l'eau, sur les bâtonnets scintillant de lumière, ils ont la vision d'un grand ciel tendu de nuages roses comme des draps qui claquent dans la bise… et je me demande s'ils ne sont pas quand même un peu sensibles à la beauté de ce paysage, s'ils ne composent pas des vers derrière leurs  grosses figures renfrognées Ça ne se voit pas sur la tête des gens qu'on est poète.
 
Mais n'allons pas inventer n'importe quoi… Ils ont plutôt l'air balourds, étrangers aux merveilles de la nature.
  Ce regroupement dans les sapins loin des gaules reste une énigme…
  Finalement, ça m'a traversé l'esprit qu'il fallait avoir une famille rudement pénible pour passer des après-midi entiers là, quasiment sans bouger, sans fumer, sans picoler…
  C'est probablement notre point commun. J'ai décidé d'entrer en contact, de les sonder un peu… Puis d'aborder mon cas. D'abord, ça peut soulager de parler.
  Mon cas, c'est simple et c'est compliqué à la fois : c'est  ma femme. C'est à dire la Kommandantur… au début, elle m'a appâté, elle a bien choisi ses plombs, elle a utilisé des jolies mouches bien brillantes, elle a fait la mignonne, la gentille, elle m'a asticoté, titillé, elle a joué la pauvre petite mal aimée et moi, j'ai sauté dans le costume du brave grand sauveur… À partir de là, elle m'a habilement convaincu que toutes mes relations étaient néfastes, nuisibles pour notre charmant petit couple… Et elle m'a mis le licol… Je m'éreinte et ce n'est jamais suffisant… Elle se fâche puis pleure, ce qui me fend le cœur et je promets… toujours plus. Je ne sais plus comment faire pour reprendre ma liberté. Maintenant qu'elle me sent rétif, elle emploie les grands moyens… elle me fait peur… Je n'ai pas honte de l'avouer… J'ai peur quand elle me regarde avec ses grands yeux fixes agrandis par ses verres d'hypermétrope, quand elle souffle comme un taureau par ses grandes narines noires et avides, quand elle me foudroie de son regard d'aigle pour me faire prononcer exactement les mots qu'elle veut entendre ou quand elle abaisse ses paupières frémissantes pour signifier que ce que je dis l'insupporte, quand elle fait trop de bruit ou pas assez, quand elle brandit des couteaux, lance des assiettes… Et quand elle dit que si je pars elle me tue…
  Au deuxième tour de jogging, je dépasse le bosquet,  je ralentis l'allure, épuisé. J'utilise le banc public pour accomplir de pseudos étirements et je tends l'oreille… Simple curiosité… Je veux savoir si je peux compter sur eux… Et, discrètement, je me rapproche pour entendre leur dialogue.
  Le gros rouquin explique : 
   – Une semaine sur deux, elle rentre par le dernier bus qui dessert le quartier, elle descend à l'arrêt Château vert à environ 22 heures et elle coupe par une ruelle où se trouve un ancien puits communal…
  – La mienne se rend chaque jeudi à un cours de calligraphie,  de 20 à 22 heures.  À la demie, elle traverse la voie ferrée par la grande  passerelle qui relie le quartier neuf au boulevard Marat.
 
– J'ai déjà sectionné le cadenas de la plaque de protection du puits cachée  sous le chèvrefeuille. 
 
– Il n'y a pas de protections anti-suicides sur la passerelle. Le Paris Toulouse passe à 40. 
  – Voici un cadenas identique… pour remplacer l'autre. Et ça, c'est son portrait… Vous la reconnaîtrez…
  – Les parapets sont hauts mais vous êtes costaud et elle est poids plume… regardez, c'est elle sur la photo… 
  – Dans la soirée du 8, je me ferai remarquer par mes questions sur le tri des déchets  au conseil municipal…
  – Le 10, j'anime la  soirée loto au profit des orphelins, salle des fêtes…
  Je m'en doutais mais je m'en doutais ! Il y a de ces coïncidences, franchement ! J'ai vraiment le chic pour flairer les trucs louches…  C'est bon, je reviendrai demain avec la photo de la kommandantur… Ils l'ont peut-être déjà vue puisqu'elle vient lancer du pain dur aux canards. Elle a ses habitudes. Le soir,  pendant le téléfilm, elle sort toujours fumer des cigarettes…
 
Le lac est profond, les alentours sauvages, surtout la nuit… Une barque peut glisser sans bruit sous le pont japonais. 
 En tout cas, moi, le 12 comme chaque semaine, je serai à la réunion des Poètes Anonymes.  
 Et personnellement, le puits ou la passerelle, ça m'est égal. On peut se rendre service, ça mange pas de pain. 
 Demain, ne pas oublier de leur demander si les carpes sont carnivores…

16:13 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, nouvelle, polar, société, psychologie |  Facebook | |  Imprimer | |

16 novembre 2006

Suzeraine

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   L'octogénaire descend l'escalier d'un pied princier, une main pendante au bout du bras replié, dans une tunique de soie sauvage, avec ses trois rangs d'ambre, son brushing d'un blanc neigeux et ses extravagantes lunettes d'actrice.
  
Elle aborde les dernières marches en lâchant la rampe, un peu comme si elle se lançait d'une carlingue pour un saut en parachute, fixant sa fille d'un œil d'aigle, sa fille unique, une rondelette sexagénaire qui paraît craindre sa chute. L'inquiétude de sa fille froisse son amour-propre.
   Pendant une fraction de seconde, l'octogénaire vacille sur la dernière marche et sa fille alarmée ébauche un geste pour l'empêcher de se fracasser sur le carrelage. Miracle, sa mère a retrouvé de justesse son centre de gravité. La fille pousse un discret soupir et retourne dans la cuisine.
   En retrouvant une hasardeuse stabilité, la mère pince sa fine bouche fardée et allonge le menton entre ses bajoues. Consciente du risque, elle est d'autant plus fière d'être encore si alerte à quatre-vingts ans, moins balourde que sa fille tellement plus jeune ! C'est pénible de lire l'inquiétude dans les yeux de cette fille couarde toujours prête à se faire peur, à croire que sa mère pourrait flancher, une mère si élégante, sans excès de poids, que sa fille devrait bien imiter, ses rondeurs sont tellement vulgaires.
   Victorieuse… La fille constate, au maintien rengorgé, que sa mère est victorieuse. Elle applique la méthode Coué. C'est une méthode en vogue chez elle depuis quelques mois. Elle multiplie ces petits défis, montrant sa force ou son habileté. J'y arriverai et j'y arrive. Toute tentative d'assistance est perçue comme une humiliation et foudroyée d'un regard hostile. 
   Elle n'a aucun point commun avec les octogénaires de sa connaissance, ces vieilles toupies racornies avec leurs cannes qui s'écoutent trop, c'est évident, enfin, voyons, elles se plaignent tout le temps, on dirait qu'elles sont en sucre, mais elle, non. Pas une douleur ! Elle n'est pas bancale comme cette pauvre Lucette, elle peut descendre les marches avec des talons hauts comme à vingt ans.
   Ça la chiffonne que sa fille puisse penser qu'elle pourrait s'affaler, perdre son altière allure, affaiblie par l'âge, vieille. Elle va marquer le coup…
   Elle tourne à petits pas autour de la table de la cuisine, à l'affût d'une petite mortification. Quelque chose dans l'allongement du nez où glissent imperceptiblement ses larges lunettes tarabiscotées ainsi que le froncement à la fois sévère et ennuyé des sourcils indiquent que madame le procureur cherche des preuves pour étayer son réquisitoire… Il y a bien cette manie de couper trop de pain, de remplir les corbeilles comme dans un vulgaire restaurant pour routiers mais c'est un reproche éculé.  Soudain,  une opportunité ! De l'inédit ! Elle plonge son regard dans le saladier d'un air offusqué comme si un crapaud y batifolait et lance d'une voix  interloquée :
   – Et tu mets de la moutarde, maintenant, dans la salade !
   La fille se justifie :
   – J'ai l'habitude… enfin… c'est automatique, je ne me rappelais plus que tu n'en mets pas, toi.
   La mère renverse une de ses mains dans la paume de l'autre, comme pour retourner et aplatir la réponse de sa fille, tout en crispant un coin de la bouche, et elle ajoute :
   – Hum… C'est comme cette lubie de vouloir utiliser absolument du vinaigre de vin, vous en faites des histoires, chez toi, avec l'assaisonnement.
   Elle soulève un verre : 
   – C'est propre ou c'est sale, ça ? On avait ces verres-là à l'apéritif ? D'habitude, je mets les autres, les pieds carrés. Ceux-là sont trop fragiles.
   – Je les ai essuyés très doucement. J'ai fait très attention, je sais que tu y tiens.
   – Peut-être mais l'un d'eux a été ébréché… Il faudra les transporter de l'autre côté, je ne les range pas avec  les carrés… Vous surveillez le rôti ?  Il faut éteindre le four !  Où avez-vous mis  la saucière ?   Le rôti sera trop cuit.  Qui le coupe ? Il faut le servir maintenant  et la purée qui va prendre au fond… Vous me faites du joli travail… 
   La fille fait la sourde oreille à l'emploi du vous pluriel qui la relègue dans un anonymat dévalorisant puisqu'elle est seule à gérer ce déjeuner ; elle précise malgré tout calmement qu'elle doit distribuer de nouvelles assiettes  avant d'emporter le rôti… La mère fait entendre un petit clappement impatient.
   – Je croyais que c'était déjà fait…
   – Écoute, maman… retourne t'asseoir avec les autres, tout va bien… laisse-moi faire… cesse de te tourmenter…
   Cesse de tourner dans cette cuisine, tu me tapes sur les nerfs,  poursuit-elle dans sa tête. Elle fait passer son inexprimable message de révolte dans une tonalité légèrement indisposée, juste une pointe de mauvaise humeur, pour recaler leurs rapports sur un chantage tacite : elle restera complaisante et dévouée  à condition que sa mère cesse d'être acrimonieuse.
   Dans la voix un peu essoufflée de la fille, empesée d'un soupçon d'agacement, la mère sent planer la menace d'être remise en place pourtant, intérieurement, elle s'en amuse… si sa fille croit qu'elle est du genre à obtempérer pour lui faire plaisir, elle se méprend… Entre parenthèse, sa fille est d'une patience ! Jamais elle n'en supporterait le quart. Et cette sotte ne sait pas qu'elle la provoquait délibérément, qu'elle attendait  l'avertissement implicite pour suspendre ses remarques. Il n'y aurait nul plaisir à gagner une partie sans résistance. Maintenant, elle retient ses piques à seule fin de garder la main dans le jeu de poker de leurs relations, pour faire le pli grâce à son atout gagnant : les complexes de sa fille, semés dans l'enfance, cultivés au cours de son adolescence… elle sait exactement comment faire réagir sa fille et jouer avec ses sentiments.
   La fille s'est décarcassée depuis deux jours, elle est à cran de se faire houspiller comme une vulgaire bonne à tout faire.  L'amertume commence sa sourde érosion mais ses minables soubresauts de rébellion ont les relents de la culpabilité. Comme une sauce délicate qu'il faut monter à température sans faire bouillir, la mère sent la limite qu'il ne faut pas dépasser pour préserver l'allégeance filiale… pour garder sa fille-lige dans sa dépendance.  Après avoir suffisamment soufflé le froid, elle va maintenant souffler le chaud … En se montrant affectueuse - et ce n'est pas bien difficile de pencher la tête en souriant et en tripotant le col de sa fille, en complimentant son ensemble informe de Monoprix - aujourd'hui comme il y a cinquante ans, elle sait qu'elle abattra toutes les défenses de cette grosse gourde perpétuellement en manque de reconnaissance…
   Elle fait  réagir sa fille comme une marionnettiste. C'est un pouvoir fantastique qui la plonge dans une euphorie bienfaisante. La mère est persuadée que cette euphorie est un facteur de longévité.
   Alors, elle sourit affectueusement à sa grande chérie, elle fait durer le sourire qui fait rebondir ses joues rosies par la satisfaction comme des petits coussinets froncés aux coins de la bouche, en exhibant sa parfaite dentition. Même l'ardoise de ses cernes paraît atténuée et elle regarde sa fille droit dans les yeux. Et la fille si prévisible sourit à son tour, croyant voir frémir le drapeau blanc de la paix, de la gratitude et de l'amour maternel… Elle ne perçoit pas la noire contraction des pupilles.
   – Oh ! Si tu savais comme je me sens bien aujourd'hui !
   – Tant mieux, maman.
   La voix de la fille chante. Elle est ravie du bien-être de sa mère, elle interprète cela comme le remerciement implicite de son dévouement. Elle interrompt le rinçage d'une assiette et regarde sa mère avec tendresse. Elle aimerait tellement la serrer dans ses bras et lui donner un baiser si elle n'était pas toujours si hautaine.
   – La seule chose bien embêtante,  surtout pour toi, ma pauvre chérie, précise sa mère, c'est que j'ai quelquefois ces coups de barre… Ces jours derniers j'étais tellement flagada, j'ai eu bien peur de ne pas pouvoir profiter de vous tous, mais c'est formidable comme je me sens si bien. Vraiment très bien. C'est incroyable. Quelle chance !  
   La fille glisse les assiettes sales dans le lave-vaisselle sans entendre  le "grâce à toi" qu'elle attendait… En revanche le mot "flagada" s'est déposé dans son tympan comme une alluvion… Elle a de ces mots, sa mère, quand même, elle exagère un peu. Pas étonnant qu'elle soit en forme puisque c'est elle, la fille, qui est venue la veille pour tout préparer, tout organiser, qui l'avant-veille a fait tous les achats… qui surveille les cuissons, découpe le rôti, débarrasse à mesure, récure les gamelles, sert à table
   Pour être de bonne foi, objective, ne pas reprocher ses propres actes à  sa mère, la fille admet avoir proposé ses services de bon cœur, sachant combien sa génitrice est heureuse de réunir toute la famille sous son toit. C'est si dur pour elle de se voir vieillir, de renoncer à certaines activités surtout quand on a été tellement triomphante, toujours parfaite, classe, au-dessus du lot.  Faire plaisir à sa mère est un juste retour des choses… C'est bien le moins qu'elle pouvait faire de se libérer ces derniers jours pour préparer la réunion de famille, ici, sur le territoire maternel.
   – Va t'asseoir, maman, ne te fatigue pas inutilement, je suis là pour t'aider.
   – Mais tu m'agaces ! Je ne suis pas fatiguée. Je me sens en pleine forme. D'ailleurs, je suis bien contente, tout le monde a l'air heureux, ma table était bien jolie, l'entrée parfaite… Tes frères passent un bon moment, ça se voit, et tes belles-sœurs sont adorables… Ton mari claironne, comme d'habitude, j'ai la tête en compote… Mais ça, on ne le changera pas !
   La mère pourrait rester assise parmi les autres puisque sa fille unique s'affaire, emporte les assiettes sales, rapporte les assiettes propres, le rôti tranché, les petites purées de légumes, allume le chauffe-plats, sert les convives et,  tout au long du déjeuner, guettant, prête à s'éjecter de sa chaise dès qu'elle perçoit chez sa mère l'intention de se lever.  En supervisant le déjeuner, sa mère déprécie son rôle et dénature ses motivations : ce qu'elle fait par amour des siens est réduit au devoir filial, à la tâche d'une servante.
   La fille fait pourtant tout ce qu'elle peut. Elle n'a qu'un souhait, voir sa mère contente d'être entourée, secondée, acceptant sa gentillesse simplement, tout simplement... ronronner... Ce serait un petit moment de bonheur… un vrai moment de bonheur de pouvoir partager avec sa mère la complicité de cette réunion, de l'avoir réussie ensemble…
   Ensemble ? Quelle idée ! Associer sa fille à la réussite de cette journée serait un coup de canif dans l'embarcation, la voie d'eau du pouvoir absolu, une reddition. Ce serait prendre le risque de lui rendre sa confiance en elle-même, d'être obligée de subir ses conceptions et ses goûts tellement quelconques ! Ici, elle est chez elle, elle est la maîtresse de maison, sa pauvre chérie a beau faire, elle ne lui arrivera jamais à la cheville, elle n'a pas son charisme, le sens des choses, le goût aussi sûr, l'art de recevoir. Toute la famille le reconnaît : c'est ici, sous son toit, sous sa houlette, que les réunions atteignent une sorte de perfection, qu'elles sont le plus réussies. Uniquement parce qu'elle sait organiser et déléguer. D'ailleurs, la seule fois où la famille s'était regroupée chez sa fille - on ne sait plus pourquoi… une idée stupide - on avait eu froid, il y avait des courants d'air partout, on avait attrapé des bronchites, tout le monde avait l'air guindé, même ses frères ne se sentaient pas à l'aise, alors qu'ici, ils sont comme chez eux. Non, il faut le reconnaître, sa fille est très loin de savoir mettre les petits plats dans les grands avec cette élégance… Ils le disent tous, leur mère a le don pour ça, elle a l'œil à tout, rien ne lui échappe.
   Comme prise de nausées, la mère a stoppé devant les assiettes sorties à l'avance et pose l'index sur la pile en s'exclamant :
   – Qui a sorti ces petites assiettes ? Je ne sais plus qui me les avait offertes ? Ah ? C'est toi ? Je préfère les roses. Ces fourchettes à gâteau en corne ne supportent pas le lave-vaisselle ! Où as-tu mis le plat rond ? Là ? Ce n'est pas sa place…
   Les commentaires maternels, les petites sentences, les remarques, sont autant de petites gifles. La fille s'affaisse, elle est lasse. Fatiguée des caprices, des coquetteries, des humeurs de sa mère. Aujourd'hui, elle est dans l'état d'esprit d'envoyer tout promener, sa mère et ces réunions de famille, depuis trois jours qu'elle s'y consacre, qu'elle se fait rabrouer… alors qu'elle aurait pu profiter de ce long week-end pour se changer les idées, partir ailleurs avec son mari qui le lui propose chaque année, à la mer, à la montagne, en vacances.
Mais c'est trop tard, sa mère lui semble un peu trop frêle, si fragile, un peu plus vieille. Ce n'est quand même pas maintenant que la fille va contester ce qu'elle a accepté depuis toujours… Et si c'était la dernière fois ? on ne sait jamais. Remettre sa présence en question, après tant d'années, refuser son aide, reviendrait à commettre un matricide en quelque sorte. 
   Ou alors, il aurait fallu réagir plus tôt, renoncer aux grandes tablées toujours si bien ordonnancées par une mère en majesté. Il aurait fallu flairer le futur piège,  être  très tôt consciente que derrière les fastes et les ors des réceptions familiales, il y avait une intention de soumettre ses sujets, de gouverner sa famille d'une poigne de fer, il aurait fallu prendre conscience qu'elle était, la fille, déjà, au service d'une VIP, de son altesse…
   Il aurait fallu… rien qu'à penser cela, elle en frémit : il aurait fallu être celle entre tous qui prendrait la responsabilité de briser une famille. Quel prétexte eût été suffisamment valable pour justifier un tel massacre ? Et quel exemple pour de jeunes enfants de voir une famille carrément désossée ! Quel précédent pour leur conduite future !  Ses frères l'auraient regardée comme une pestiférée. Elle ne peut pas aujourd'hui, pas plus qu'autrefois, se rendre coupable d'abandon, de rejet, de trahison.
   Maintenant, la fille lève son verre de champagne comme les autres, ils se congratulent tous, se sourient,  elle les aiment bien et elle ne fera pas de vagues. Elle a été éduquée comme ça, programmée pour cela, complexée pour cela… Sa présence, son soutien, est un dû. Elle devrait entrer dans son crâne de moineau, une fois pour toute, qu'il ne s'agit pas de son bon plaisir à elle mais de celui de sa mère. Elle devrait s'empêcher de croire qu'elle peut échapper à cette dette.
   Assise au bout de la table, l'octogénaire préside sa tablée, le sourcil froncé, l'air impatient, l'exclamation acerbe. Avec un peu de chance, elle deviendra centenaire. Jusqu'à son dernier souffle, chaque année, ils viendront ici, sa fille assurera la réception, la mère présidera et fera tomber le couperet de ses sentences sur sa fille octogénaire. Suzeraine. Jusqu'à son dernier souffle.

 

© Claudine Chollet, Masques et Bergamasques

 

20:00 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, nouvelles, société, famaille, psychologie |  Facebook | |  Imprimer | |

10 novembre 2006

A quel moment ça dérape ?

medium_botero.jpgPersonne n'a encore pris l'initiative de l'enterrer. Certains  voudraient lui offrir des funérailles solennelles tandis que d'autres préfèreraient un enterrement à la sauvette, furtif, sans fleurs ni couronnes, comme s'il ne servait à rien de dramatiser cette ultime péripétie, comme s'il fallait très vite tourner la page.
Pourtant, il devient urgent d'embaumer sa dépouille raidie, gonflée, ridicule et pitoyable comme un nu de Botero… Défunte depuis peu, elle se décompose et pue… bien qu'ils fassent comme s'ils ne sentaient rien.
Ils sont tous là, les quatre couples, réunis pour un dernier hommage, évoquant le passé.
Elle était de toutes les réjouissances.
Ils n'osent pas exprimer l'ambivalence de leurs sentiments, faite de regrets et de soulagement,  regrets de ces moments de liesse où ils s'amusaient comme des fous, dansaient, chantaient, osaient les pires jeux de mots, les plaisanteries les plus idiotes, où ils se défoulaient sans complexe… et puis le soulagement d'échapper à l'ambiance pesante des derniers temps, pendant sa longue maladie, quand ils allaient la chercher, l'incluant dans leur cercle en dépit de son hémiplégie, feignant de croire que leur compagnie allait la prolonger, la ressusciter –  et se forçant à plaisanter…
Un couple a quand même convié les autres durant le deuil, à la bonne franquette, comme avant, quand elle était encore parmi eux ! Mais ils ont beau faire, sans elle, la magie n'opère plus, leurs réunions n'ont plus d'attraits, le vin ne les enivre plus, leurs rires sonnent faux. Sans elle, les conversations tournent en rond, laborieuses, les rires sont forcés, mécaniques. Ils en viendraient presque – qui l'eût cru ? –  à faire tourner les guéridons pour appeler son esprit. 
Au tout début, quand elle était entrée dans leur petite bande, ils avaient été aussitôt happés, pris par son charme, ils s'étaient sentis comme rajeunis, ils avaient retrouvé la gaieté et l'insouciance… Enjouée, chaleureuse, coquine, elle avait soufflé un air neuf, vivifiant et rendait le rire contagieux… Ils riaient d'un rien !  Tout redevenait possible, les relations humaines s'avéraient simples, ils étaient bien ensemble, la vie repassait ses plats, leur redonnait une seconde chance : le goût des parties de tennis, des tours en vélo, des barbecues, des flirts, du rock and roll…

Grâce à elle, ils avaient formé une petite communauté informelle, comme un petit village virtuel, où chaque couple habitait sa petite maison dans la prairie. Leur semaine de travail accomplie, ils allaient se rendre visite, apportaient la soupe à partager, le gâteau encore chaud, le vin, les légumes du jardin… comme des mormons délurés !  Il ne leur serait pas venu à l'idée de changer d'habits pour ces retrouvailles, ils n'étaient jamais en représentation, ils étaient eux-mêmes, chacun avec ses défauts, ses qualités…
Quand elle était encore parmi eux, personne n'avait d'ascendant sur quiconque, nul n'était sentencieux, chacun se moquait bien de connaître les revenus des autres, comment ils votaient, où ils passaient leurs vacances. Personne ne rendait de compte à personne. Aucune ingérence. Une liberté totale. Une trêve dans les soucis de leurs vies professionnelles et familiales.
Avec elle, ils étaient heureux, ils étaient gais, ils se sentaient à l'abri des violences, des turpitudes et des mesquineries du monde entier. Sa présence les préservait, les enveloppait d'une sorte de bulle protectrice.
Et puis elle les a quittés, elle est morte.  L'amitié - puisque c'est d'elle qu'il s'agit -  a péri, implosé.
Ci-gît l'amitié qui avait mis dans leurs vies les paillettes de l'insouciance et les tintements clairs du triangle…
Une amitié qui a fait un flop, une amitié qui a éclaté comme un gros ballon soudain réduit à quelques centimètres carrés de caoutchouc déchiré.
Ils continuent quand même à se rencontrer sans elle mais ils sont devenus sinistres. Ils se mettent en scène, se théâtralisent, chacun dans un rôle convenu : la rigolote et le râleur, la charmeuse et le juge, l'expert et la critique, l'intellectuelle et le bourru. Ils se caricaturent lamentablement en croyant manier la dérision que leur amitié savait exactement doser pour engendrer les rires sans vexer.  Ce n'est plus drôle.
Ils éprouvaient alors les uns pour les autres une affection que la camaraderie ne fait qu'effleurer. Il y avait entre eux des liens de fratrie. 
L'amitié, c'est la fratrie sans les liens du sang.
Ils ont beaucoup de mal à l'enterrer, ils voudraient qu'elle ressuscite et ils la secouent en vain, ils voudraient retrouver le paradis perdu, les vertes prairies de l'innocence, quand ils croyaient encore qu'un destin  bienveillant  avait conduit leurs pas vers leur imprévisible rencontre, juste pour les rendre plus forts, pour leur donner confiance, rendre leurs vies plus joyeuses.
Ils s'étaient acceptés tel quel. Avec leurs énormes différences. Plus ou moins cabossés par la vie, un peu gueules cassées. Ils avaient ressentis l'euphorie de n'être plus tout seul à subir les coups de Jarnac de l'existence.
Ils avaient mis ce qui leur pourrissait la vie dans un grand sac collectif, ils s'étaient entraidés pour le ficeler bien serré et c'est ainsi qu'ils avaient découvert l'insouciance, la légèreté de vivre.
Cette amitié paraissait inoxydable, une relation choisie, voulue, désirée, de celle qu'on espère garder jusque dans le grand âge, tranquillement, sans se croire obligé, sans faire de manières. Une amitié sans contrainte, qui va et vient au gré des disponibilités, des nécessités, des déboires et des joies de chacun.
Mais qui a dérapé.

À quel moment ça dérape, une amitié ?
Ce qu'on sait, c'est qu'à un moment donné, ils se sont crus obligés de s'inviter par politesse et  d'accepter les invitations par convention… quand ils ne les déclinaient pas sous un faux prétexte.
Leurs plaisanteries devinrent prévisibles, pesantes, amidonnées… 
Pour sauver l'ambiance, ils agrandirent le cercle, comme on rajoute du petit bois sur un feu pour le ranimer,  comme on procède à une transfusion pour régénérer l'organisme, conviant des relations extérieures dans l'ignorance des symptômes de la désamitié qui les rongeait.
On peut trouver bien des causes à cette décrépitude : l'un d'entre eux aurait compromis l'équilibre de leur insouciante communauté en se posant en chef, s'ingérant petit à petit dans leur existence, exigeant des explications, des justifications, et pour la première fois s'est instauré entre eux un insidieux quant-à-soi, cette réserve muette sur quoi fleurit les rancœurs. Une des femmes se serait mise à dévaloriser systématiquement les autres pour se faire valoir. Un des couple aurait travesti sa véritable raison d'entrer en amitié, en quête d'une alternative sexuelle mais affligé par la puérile insouciance du petit cercle, écœuré d'avoir déployé tant de séduction en vain, il serait à la recherche d'aventures plus exotiques.
Il se peut que l'amitié ait fondu naturellement comme beurre au soleil, réduite à une petite flaque d'huile. Quoi qu'il en soit, ils se sont lassés de leurs sempiternelles plaisanteries, de leurs opinions rabâchées, de revoir toujours et trop souvent les mêmes têtes.
Leurs gaillardes plaisanteries leur ont paru soudainement inconvenantes, leurs tenues vestimentaires se sont progressivement guindées. Chaque rencontre a pris des allures d'assemblée générale, avec rapport d'activités, calendrier des rencontres, compte-rendus et solde des comptes.  L'amitié était condamnée, sa mort inéluctable… 
Maintenant qu'elle est bel et bien enterrée et ses anciens amis dispersés, chacun prétend ne rien regretter.
Les amitiés cassées forment le terreau des amitiés futures et constituent un utile contingent de destinataires aux cartes humanitaires de l'Unicef, chaque début d'année.

© 2005, Claudine Chollet, Masques et Bergamasques

09:40 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Littérature, journal, arts, société |  Facebook | |  Imprimer | |

06 novembre 2006

blogautiste

Depuis le temps que je n’ai rien écrit dans ce blog, je ne sais plus par quoi commencer. Dix fois par jour, j’ai envie de confier à ce journal public (à vous donc, et parmi vous certains que je connais bien - proches, amis et/ou bloggeurs - ce que je vis actuellement et ce qui occupe présentement une grande part de mon psychisme mais voilà !  Je m’autocensure.
Confrontée à la maladie des uns, à la folie des autres, au mépris, à la manipulation, au chantage sentimental, aux certitudes coulées dans le bronze, etc.,  je me suis découverte pourvue d’une vision à infrarouge de l’âme humaine. Ah ! J’allais oublier : je perçois également quelques pépites de sincérité, de probité, d’amour de l’humanité… mais autant vous l’avouer, c’est rare.
Je vous le dis, avec humour mais je le dis quand même, en hommage aux séries B des années 80, j’ai l’hypophyse  « bionique » !
Malheureusement, il est impossible d’exposer attendrissements et colères, rébellions et douleurs affectives, sans mettre en scène les protagonistes qui suscitent ce type de réactions passionnelles. Si la loi autorise le masque du pseudonyme, elle ne les rend pas méconnaissables pour autant. Comment exprimer les dilemmes où vous plongent certains proches sans les mettre en cause ? Je me trouve dans l’incapacité de choisir entre mon profond besoin de communiquer et le respect dû aux personnes.
Ainsi suis-je devenue autiste… blogautiste !
Je peux toujours créer un nouveau blog, anonyme, caché. Soit. Aussi bien jeter une bouteille à la mer. Échanger avec des destinataires ciblés, complices, virtuellement amicaux qui vous connaissent déjà un peu, c’est tout de même l’essence même de la communication.
Tout n’est pas perdu cependant.
(schling !*)
Il me reste la fiction. La création. Car ce que je vis, subis, ressens n’est pas propre à ma petite personne. D’autres que moi, vous peut-être, vous certainement, vivez des situations similaires, vous êtes stressés et autistes sur certains sujets sensibles.
La littérature déniche l’universel qui est en chacun de nous, comme disent les critiques littéraires dans tous leurs papiers.
Donc…
Donc priorité à la littérature.
Mon prochain article sera une nouvelle…


 

18:20 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, de tout et de rien |  Facebook | |  Imprimer | |

22 septembre 2006

assiduité : pourrait mieux faire !

Un peu laborieuse cette rentrée, j'ai du mal à tenir ce blog, ayant toujours autre chose de plus urgent sur le feu ! Et pourtant, je déteste perdre le contact, sentir mes visiteurs s'éloigner... Alors, je me demande si je ne vais pas tenir le journal de mes activités, même si j'embête des gens avec mes histoires...Pour commencer, je dois faire face à un méchant bug qui m'a effacé Notepad++ où j'avais converti avec beaucoup de peine (et grâce aux judicieux conseils du "site du zero") les textes de mon futur site en html... Par chance je les avais sauvegardés dans un autre dossier sous l'intitulé facétieux de "converti par bibi" ce qui, semble-t-il, les rend récupérables... Mais à l'heure de l'heure d'aujourd'hui, je suis incapable de remettre la main sur un téléchargement de notepad...  j'attends ma voisine qui devrait venir dépanner la gourdasse informaticienne que je suis...
Bon, la preuve qu'on peut communiquer avec pas grand chose !

A part ça, j'ai répondu à une lettre de mon fils aîné. Ce ballot m'avait laissée tombée et j'étais bien triste, et puis ô, miracle ! il m'a écrit une lettre pleine de bonnes nouvelles... Même si je pense qu'il a été briefé par son frère - un p'tit gars super, le frère,  je suis hypercontente et voilà, j'ai répondu, et croyez-moi, c'est pas facile de retenir les sentiments pour parler des choses ordinaires comme des gens civilisés...

Ma maison d'édition prend forme, je vous raconterai ça en commençant pas de commencement dans une catégorie spéciale, elle est inscrite au RC, mais l'imprimeur n'est pas encore désigné, je voulais auparavant convertir tous mes textes en PDF pour connaître le nombre de pages exact et avoir conçu la maquette des couvertures, chose faite, je vous laisse sur ce suspens haletant !

Salut les hautetfortins ! Moamem.

16:25 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, vie quotidienne |  Facebook | |  Imprimer | |

05 septembre 2006

Tordons le cou à l'expression "du coup" !

L'expression "du coup" se propage actuellement comme un virus et contamine toutes les conversations.
C'est une contrefaçon du mot de liaison "par conséquent", qui a les apparences de l'articulation logique mais occulte un chaînon de l'argumentation pour obtenir l'approbation d'autrui.
C'est en réalité un outil de manipulation intellectuelle.
L'expression "du coup", utilisée à propos de faits ou d'idées souvent dérisoires, est un syllogisme qui se prévaut de l'accord implicite de l'interlocuteur.
Ex : ces articles étaient en soldes, du coup j'en ai pris trois...
Dans cet exemple, il n'y a pas de relation de cause à effet entre l'affirmation et l'action. Le "du coup" suppose l'interlocuteur convaincu de la légitimité de ces achats. En réalité, celui emploie ces mots vise à se faire plébisciter : en obtenant l'approbation de l'interlocuteur, il fait comme s'il obtenait sa bénédiction pour tous ses actes.
Observez l'emploi de ces mots : vous constaterez qu'ils permettent de faire l'économie d'un raisonnement, de rebondir sur l'absence de contestation, pour se prévaloir d'une légitimité à penser ou à agir.
Pour ces raisons, ce  sont les personnes qui ont la plus haute opinion d'elles-mêmes qui abusent de cette expression.
Certes, nous sommes tous touchés plus ou moins par cette contagion, mais ne nous laissons pas terrasser par l'épidémie, et combattons le "du coup" !

12:08 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (161) | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer | |

04 septembre 2006

Contente de retrouver mes webfriends...

Merci à vous qui m'avez laissé des petits mots amicaux.
Ouais, j'ai bossé, mais y a encore du boulot !
Vous savez pas ? Ce we j'ai reçu le 2ème prix de la nouvelle décernée par la bibliothèque de St-Gilles-Croix-de-Vie. Première participation à ces concours : on est couvert de cadeaux ! Réception hyper chaleureuse : hôtel, restaurant, chèque, fleurs, livres offerts... visites de maisons d'écrivains... et des gens vraiments passionnés.  J'ai rencontré d'autres auteurs sympathiques... Certains ont leurs nouvelles lues sur : bonnenouvelle.net... site destinés aux non-voyants : à découvrir !
Je me suis baignée dans une mer à 20° sous un petit carré de ciel bleu, juste au-dessus !

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Et vous ? Quoi de neuf ?

09:35 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer | |

05 juillet 2006

interruption provisoire de mon blog

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        A tous mes visiteurs, fidèles ou occasionnels, j'annonce la trêve estivale de ce blog. Une intervention chirurgicale suivie de réeducation mobilisent (un peu) mon énergie... Je me concentre aussi sur un site d'auteur, un vrai, qui verra le jour en septembre et j'envisage la création d'une maison d'édition dont je dois définir les objectifs... J'ai un bouquin (un Polycarpe) à finir pendant l'été... Bref ! On se retrouvera en septembre, tout beaux, tout neufs, avec peut-être une autre approche du blog : plus intime, plus authentique !
Mais je continue à lire mes amis blogueurs !
A bientôt.

Summertime par Mary Cassatt

09:30 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, *de tout et de rien* |  Facebook | |  Imprimer | |

25 juin 2006

Pas si fort que ça

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La bonté s'exerce dans la spontanéité, la méchanceté avec préméditation. C'est pourquoi dans un premier temps le méchant emporte la bataille ; mais la bonté bafouée anticipe sa revanche pendant que le malveillant se grise du sentiment de sa supériorité et, finalement, perd la guerre.

 

19:27 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer | |

20 juin 2006

éducation

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Les enfants adulés comme des petits rois reprocheront inéluctablement à leurs parents de ne pas leur fournir le royaume dû à leur rang et les considèreront fautifs d'une promesse non tenue ; l'héritage aussi mince soit-il est attendu comme une juste compensation : ainsi les enfants gâtés n'éprouvent de la reconnaissance  pour leurs pères et leurs mères qu'une fois ceux-ci trépassés.

10:48 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer | |

13 juin 2006

connivence

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                 La connivence est à la relation humaine ce que les bulles sont au champagne, un pétillement  qui fait oublier la médiocrité du vignoble ; la connivence repose sur un fugitif sentiment d'entente, elle procure la brève euphorie d'être reconnu, compris : c'est un toast porté à l'esprit.

20:10 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature |  Facebook | |  Imprimer | |

09 juin 2006

Nous irons tous au paradis...

L'Eden est une projection figurative de la félicité pour le chrétiens. Aujourd'hui, la religion ferait plus d'adeptes si les prêtres distribuaient des bons de réduction pour les produits du paradis ou promettaient la gratuité des jacuzzis divins.

20:37 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Littérature |  Facebook | |  Imprimer | |

06 juin 2006

Enfance

La vie n'est pas une projection cinématographique qui, en marche arrière, fait rapetisser les plantes, reculer les piétons, jaillir le plongeur vers la planche où il trouve un  équilibre miraculeux ou assembler les morceaux d'un cristal brisé. Aucune colère, aucun discours, aucune résilience n'ont le pouvoir de recoller les débris d'enfance, cette porcelaine d'une finesse et d'un laiteux exquis : nous passons notre existence sur un tas de gravats.

20:23 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | |  Imprimer | |

01 juin 2006

Paradoxe

 

L'île Utopie

 

On est toujours fondé à exprimer de matérialistes préoccupations. Sont superficiels, par voie de conséquence, ceux qui invoquent l'absolu ou l'utopique. Pourtant, quand  les matérialistes accroissent leur niveau de vie, l'humanité progresse avec les seconds.

 

 

18:35 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (7) |  Facebook | |  Imprimer | |

30 mai 2006

Les dominants...

      

      La vie en société deviendrait agréable si l'instinct de domination était éradiqué du génome humain ; elle restera infernale tant que les dominants seront majoritaires, guerroieront entre eux et pratiqueront le prosélytisme pour asservir la minorité.

15:00 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (7) |  Facebook | |  Imprimer | |

25 mai 2006

Les aventures de Polycarpe -24ème épisode


LE VIEUX LOGIS
 
CHAPITRE XXIV
 
Terminus ! Tout le monde descend !
Ici s'achève le premier volume de la série des Polycarpe
Sur une petite fiesta amicale…
 
 

Plus tard, chez Basile, Polycarpe s’étonna des aveux inattendus de Chimène. Mais celui-ci brandit une feuille de carnet déchirée, recouverte d’une grande écriture hérissée, tracée au crayon de bois, qu’il tenait de Berouette.

- Après avoir découvert ce mot laissé par sa mère avant son départ en fourgon, Berouette voulait se pendre haut et court ! Je suis arrivé à temps !

Il lut :

 
 Berouette, je me rends. Fais pas d’histoires. T’as qu’à noyer les chats. Apporte-moi des bonbons menthe réglisse la pie qui chante quand tu viendras me voir. Ça sera sûrement pas pire que l’hospice. Et je vais enfin vivre aux frais de la princesse. D’ailleurs, j’en ai marre de me cailler dans les troglos. Ta mère.
 

L’incarcération de Chimène et l’aveu de son forfait, constituaient un événement à l’échelle du canton et resserrait, du moins momentanément, les liens entre les habitants de la commune qui s’interpellaient, discutaient beaucoup.

Il n’était pas rare d’entendre ronfler les tracteurs, aux remorques chargées de paille, arrêtés au point mort en pleine rue, le temps pour leurs propriétaires d’écluser des petits gorgeons en bavardant avec les riverains.

Quelques chaises avaient fait leur apparition sur les trottoirs, dans l’ombre des maisons, propice aux causettes. Si bien que des randonneurs fourvoyés par mégarde à Rochebourg, appréciant cette exceptionnelle convivialité, réservaient un « buffet campagnard » chez Basile pour y amener leurs amis. Lesquels découvraient avec ravissement la boutique d’Imogène, qui vendait maintenant, en sus du miel et du pain d’épices, des bouquets de fleurs séchées et les ouvrages au point de croix de Pélagie Ducoin.

 

Le vendredi qui précéda l’inauguration de sa cuisine, Polycarpe, en pyjama, ses demi-lunes sur le nez, était en train de faire le mot croisé du Nouvel Echo, en buvant son café matinal lorsqu’il reçut la visite à l’improviste de Flora. Regorgeant d’énergie, dans un accoutrement vaguement sportif, encombrée de chiffons et de produits de nettoyage, elle se planta au milieu de la pièce, eut un regard circulaire appréciant les transformations :

- Très réussi. Où planquez-vous votre escabeau ?

- Flora ! Quelle mouche vous pique ?

- Nous sommes le 3 août ! annonça-t-elle, comme si Polycarpe avait perdu toute notion temporelle.

- Et alors ?

- Je suis révulsée par vos carreaux chaque fois que je passe devant chez vous ! Vous n’allez pas recevoir vos amis et votre famille dans cette porcherie !

- Holà ! Minute papillon ! Je petit-déjeune. Un café ?

- Tout à l’heure, à la mi-temps !

Elle se mit à astiquer les vitres. Dans l’impossibilité de traînasser plus longtemps, il alla se vêtir décemment et  entreprit de laver mollement le sol à grands coups de serpillière.

C’est à la mi-temps décrétée par Flora, alors qu’ils étaient assis devant une tasse de café, que Lily appela depuis la gare, avant de prendre l’Eurostar. Elle et Witson avaient prévu de faire étape à mi-chemin chez des amis et d’arriver le lendemain, pile pour la réception.

Il passa le reste de la journée sur un petit nuage, dans la perspective de revoir Lily. Et put enfin s’offrir une grasse matinée, le lendemain, sans aucun risque d’être dérangé par une Flora en mal de nettoyage.

 

Vers quatorze heures, le jour J, Calamity descendit de Bourrache, sa jument pie, et accrocha la longe à l’anneau séculaire du logis.

- Je viens proposer mon aide et prendre les instructions ! lança-t-elle en entrant. Oh !... Je vous dérange ! Est-ce que vous méditez ?

Polycarpe oscillait d’avant en arrière en se tenant la cheville, assis par terre. Il tourna la tête vers la jeune femme et lui décocha une œillade pitoyable.

- Je viens de me tordre la cheville, en ratant la marche du jardin.

- Montrez-moi... Elle enfle à vue d’œil !

Il se mit laborieusement debout et sautilla à cloche-pied vers une des chaises qui entouraient la grande table, en ruminant dans sa barbe.

- Je vais annuler ma réception, soupira-t-il, en paraissant souffrir le martyr.

- Ah, non ! Impossible ! se récria Calamity. Je vais chercher de quoi vous soigner. Pendant ce temps, établissez la liste des choses dont vous avez besoin. Nous viendrons vous donner un coup de main, Imogène et moi. Vous vous contenterez de nous donner des ordres. À tout de suite !

Polycarpe se souvint de la canne qu’il avait aperçue dans le débarras. Il alla la chercher en sautillant puis claudiqua à la recherche d’un papier et nota ce qui lui manquait pour recevoir une quinzaine de personnes. La veille, il avait déjà fait provisions de boissons, d’amuse-gueule, de gobelets, d’assiettes en plastique et de nappes en papier, mais il n’avait aucun produits frais. Il joignit deux billets de banque à la liste.

Vingt minutes plus tard, Calamity arrêtait sa Cherokee devant la porte et brandissait une petite cassette métallique comportant une croix rouge. Avec une dextérité d’infirmière, elle massa la cheville, la banda en épi et consigna le handicapé auprès d’une fenêtre, dans son fauteuil, les jambes reposant sur un guéridon.

- Installé de la sorte, votre canne à la main, vous en imposez ! dit-elle.

Elle avait un irrésistible sourire et il fondit sous son regard d’améthyste.

- Je serai de retour vers seize heures, d’ici là : interdiction de bouger. Tenez, ajouta-t-elle, en lui collant dans les mains la télécommande.

Polycarpe attendit le départ de cette belle fille pleine de vitalité, si amicale, pour asséner un poing rageur sur le bras du fauteuil. Désœuvré, il visionna sans passion la grande migration des gnous dans le sud africain.

Se rappelant qu’il devait appeler le curé de Soutrain, il boitilla à la recherche de l’annuaire et composa le numéro du presbytère. Un voix, légèrement nasillarde répondit immédiatement :

- Démosthène à l’appareil. Que puis-je pour vous ?

Polycarpe se présenta et tenta de résumer son histoire à l’essentiel avant de poser la question cruciale :

- Quelle était l’origine des documents découvert dans les galeries ?

- Il s’agissait de deux lettres. Plutôt récentes, datées des années quatre-vingt, je crois… Voulez-vous confirmation ? Des courriers administratifs apparemment sans intérêt particulier…excepté sans doute pour la personne qui les a cachés ! Je les conserve ici, dans le placard de la sacristie, par acquit de conscience… À l’occasion, passez les examiner !

- Je suis actuellement handicapé par une entorse, précisa Polycarpe.

- Quand vous irez mieux, alors… Je vous ai aperçu devant chez vous l’autre jour, monsieur Houle.

- La prochaine fois, n’hésitez pas, présentez-vous, je vous accueillerai. Mais ne vous faites pas d’illusions : je suis une ouaille définitivement égarée…

- Ça ! J’ai l’habitude, fit-il, avec un fatalisme enjoué.

 

Calamity fit son retour en milieu d’après-midi en compagnie d’Imogène. Il observa leur dextérité à garnir des plats, les recouvrir et les entasser dans le frigo, à disposer le matériel sur les nappes en papier, organisant la réception en deux temps, trois mouvements. Elles se moquaient de son air taciturne qui, soudain, s’effaça lorsque, vers dix-huit heures,  Lily s’encadra dans l’entrée, dans une pose de toréador, une jambe en avant, un bras en l’air.

- Papycarpou ! C’est nous !

Et elle accompagna son exclamation d’un sonore pas de claquettes.

- Voici ma fille ! annonça-t-il, en riant de ses extravagances. Lily, je te présente mes amies !

Lily cingla vers elles, en faisant valser une large jupe à pois tout en dénouant un foulard qu’elle fit claquer. Puis elle se figea,  tourna sur elle-même en admirant la grande pièce d’un œil plissé par une ironie génétique avant de conclure :

- C’est magnifique ! 

Elle picora gaiement les joues des deux femmes, puis fonça ensuite, avec une expression de tendre commisération, vers son vieux papa immobilisé :

- Qu’est-ce que c’est que cette canne ! Et ce bandage ! Ne me dis pas que tu as fait une chute !

- Hélas, si.

Elle lui tapota la main et s’assit sur le repose-pied avec un soupir de théâtre, trahissant une compassion superficielle si drôle qu’il en riait tandis que Zorba et Jacobine entraient en se bourrant de coups.

- Les enfants ! gronda Lily. Ils sont déchaînés. Venez embrasser votre grand-père.

Ils se frottèrent les joues en grimaçant.

- Tu piques, Papycarpou.

- C’est quoi, cette barbe ! s’étonna subitement Lily. Ça ne te rajeunit pas ! N’est-ce pas Witson ?

Witson passait la porte en tenant le petit sac à main de Lily comme un filet à provisions. Polycarpe pensa que son gendre ressemblait de plus en plus à une otarie : il en avait la mollesse, l’ampleur et le côté inoffensif. Mais Polycarpe ne sous-estimait pas sa remarquable intelligence.

- J’ai garé la voiture devant le pub, dit-il, en offrant sa main au blessé. Un problème, Papycarpou ?

- Rien de grave. Salut Witson.

- On peut visiter ? demanda Lily, depuis le hall.

Tandis que Lily et les enfants galopaient de pièce en pièce, Witson s’intéressa aux travaux réalisés, friand de détails techniques, en décapsulant sa première bière. Polycarpe se sentait en harmonie avec son gendre.

Une heure plus tard, Gix fit une énigmatique entrée, en éclaireur, laissant le reste de la troupe des invités massée à l’entrée. Il s’assura que Polycarpe, en patriarche, trônait, entouré de sa descendance, avant de faire entrer la famille Boubou, Basile et Calamity, Pierre et Rosemonde de Touche, Évariste sans sa Félicité, Petit Lu et sa Maryline, les Sarrasin, Imogène, Flora et Jésus. Puis  il aida Mama à poser délicatement sur le sol une grande et mystérieuse chose enveloppée d’un tissu.

- Un. Deux. Trois ! Cadeau ! scandèrent-ils avec un bel ensemble.

Mama dévoila son œuvre. Tous s’exclamèrent de surprise et Polycarpe béa d’admiration.

Le tableau représentait une salle médiévale éclairée depuis le fond par une fenêtre aux larges rebords qui déversait un flot de lumière sur une jeune femme, évanouie sur un carrelage à damiers, dans un bouillonnement de jupons blancs dévoilant le haut de ses bas.

- Ma vision ! Version érotique ! jubila-t-il. Il est vraiment magnifique. Merci à tous et portons un toast à Mama ! Je suis très touché…

- Allons dans le jardin boire un verre, lança Lily.

En s’approchant de Papycarpou, clopinant vers le jardin, elle le questionna avec sévérité, comme s’il passait son temps à faire de séniles excentricités :

- Tu as des visions, maintenant ?

- Il se passe ici des choses fantastiques, dit-il à sa fille en lui décochant un sourire sibyllin, captant Marie Bulu au passage pour une affectueuse  et reconnaissante accolade.

- Mama, c’est somptueux !

 

Witson et Gix transportèrent le fauteuil de l’éclopé sous le cerisier. De son poste d’observation, Polycarpe put détailler la jolie vendeuse du 7 sur 7 de Bux qu’Évariste, en éventuel beau-père, essayait de sonder. Il vit que Witson, passionné de mécanique et de vieilles voitures, avait découvert en Petit Lu, son interlocuteur de la soirée, que Lucie Sarrasin papotait vivement tricot avec Flora en grignotant près du buffet. Calamity, Lily et Mama riaient facilement tandis qu’elles tartinaient des petits sandwichs. Les jeunes enfants Boubou et les petits Witson semblaient se démultiplier, apparaissant et disparaissant, dans une sarabande effrénée. Gix discutait avec Sarrasin et Pierre de Touche des imposteurs infiltrés dans les ONG, tandis que Basile veillait à maintenir un bon niveau de vin dans les verres, escorté de Rosemonde qui présentait des croquembouches avec d’ondulantes attitudes.

Polycarpe se demandait combien de temps Imogène allait naviguer de groupes en groupes, avec cette fébrilité suspecte, avant de venir près de lui. Elle s’approcha enfin, lui apportant une assiette de petits canapés et un verre de pétillant.

- Qu’avez-vous, Imogène ? demanda-t-il. Je vous trouve bizarre.

- J’ai remarqué quelque chose, en allant dans votre salle de bain.

Polycarpe piqua sa canne dans l’herbe, avec contrariété. Il y avait un joli foutoir de vêtements sales et bouchonnés.

- Que faisiez-vous dans ma salle de bain ?

- Une retouche de maquillage.

- Ah ! dit-il, en examinant son visage, sans voir de différence.

- J’ai remis du rouge, précisa-t-elle.

- Mais bien sûr ! s’adoucit-il.

En la découvrant soudain lumineuse, il lui sourit :

- Et que s’est-il passé ?

- Dans la grande chambre, Jésus et Muguette… Ils font l’amour.

- C’est trop mignon ! s’exclama-t-il, soudain joyeux. Voyez-vous, Imogène, parfois, je regrette cet âge-là. Pas vous ?

- Eh ! bien... Auriez-vous forcé sur la sangria, Poly ?

 
                                                                               FIN

19:50 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |

22 mai 2006

Les aventures de Polycarpe - 23ème épisode

LE VIEUX LOGIS

CHAPITRE XXIII

L'avant-dernier chapitre et la vérité éclate !

Deux surprises l’attendaient quand il rentra au logis. Les meubles de cuisine n’étaient pas posés. Mais il n’eut pas le loisir de s’appesantir sur le problème : Imogène sanglotait, la tête enfouie dans ses bras, effondrée sur la table.

- Imogène ! Que s’est-il passé ?

Polycarpe se précipita et lui saisit l’épaule. Elle releva son visage tuméfié avec l’intention de parler mais les sanglots affluèrent.

- Avez-vous mal quelque part ?

Elle fit non puis oui de la tête.

- Il y a eu un problème avec Tradimod, s’inquiéta Polycarpe.

Elle fit oui puis non de la tête.

Il rapprocha une chaise et souleva le menton de la pleureuse.

- Allons ! Expliquez-vous. Pourquoi ce gros chagrin ?

- C’est Anatole, hoqueta Imogène.

Était-elle informée des fredaines du bouilleur de cru ? Embarrassé, Polycarpe se mit en quête de la boîte de Kleenex d’un air affairé et la posa devant son amie.

- Qu’y a-t-il avec Anatole ? Vous a-t-il fait une scène à cause de la boutique fermée ? Est-il venu ici ?

Elle aspira un « Voui » et raconta d’une voix flageolante qu’Anatole avait découvert le carton « Fermé pour congés » sur la porte de la boutique. Interloqué par cette initiative hardie, il avait révolutionné le voisinage pour la retrouver et, pour finir, avait débarqué au logis. En la découvrant au milieu du chantier, il avait piqué un coup de sang.

- Et puis, ajouta-t-elle, bonjour la discrétion, il gueulait comme un âne : tout le pays en a profité ! Je n’ai pas pu en placer une. Si les gens avaient des doutes, ils savent maintenant que je suis dépensière, frivole, fumiste, idiote, une « pauvre fille », une « connasse »… et j’en passe.

- Une bonne explication, c’est ce que vous vouliez, non ?

- Une discussion, pas une engueulade !

Le malotru avait retourné la situation : c’était maintenant elle la coupable.

- Voulez-vous boire quelque chose ?

Il se dirigea machinalement vers l’ancien emplacement du frigo.

- Ils l’ont déplacé contre le mur d’en face, dit-elle, avec un petit rire misérable.

- C’est mieux, dit-il, quand vous riez.

Il décapsula deux panachés et repéra deux chopes parmi la vaisselle en vrac sur la table. Assoiffé depuis des heures, il but d’un trait. Elle avait cessé de pleurer et glissait ses doigts dans ses cheveux en les rassemblant derrière sa tête. Soudain, l’air résolu, elle résuma son infortune :

- Anatole m’a dit qu’il y avait une autre femme dans sa vie, qu’avec elle, c’était un vrai sentiment. Et patati et patata. C’est la perle rare. Il veut divorcer.

- Et l’exploitation, les vignes, les ruches ?

- Pff ! Il laisse tout en plan, sauf les ruches. Il a trouvé un emploi de maître de chai à la coopérative.

- Eh, bien ! Voilà une affaire rondement menée ! Votre plan de secours n°2, réacteurs à fond avec survol acrobatique, a bel et bien foiré, Imogène !

- Je me demande bien qui c’est, cette pouffiasse.

- S’il a trouvé une chaussure à son pied d’égocentrique goujat barbu, plaignez plutôt la nouvelle chaussure.

Elle lui jeta un œil en coin.

Il ne voulait pas s’apitoyer. L’amour-propre d’Imogène était probablement plus froissé que ses tièdes sentiments. Polycarpe en aurait mis sa main au feu : Imogène ne succomberait pas au désespoir.

Et puis, il redoutait les épanchements. Il se rappelait trop bien une certaine réflexion : « Il y a une part d’égoïsme à trouver une oreille attentive » et s’était juré de n’être plus jamais se prêter aux confidences.

- Ne précipitez rien. Vous allez rouvrir votre boutique, continuer comme par le passé à vendre le miel d’Anatole et quand il sera parti roucouler ailleurs, vous réintégrerez votre belle maison. Pour le reste, vous aviserez le moment venu.

Le ton détaché, voire subtilement sec, d’un Polycarpe déterminé à ne pas finir oreille complaisante, décida Imogène à se lever de sa chaise et à se diriger vers la porte. Elle avait l’élégance de ne pas insister : il en fut tout attendri et dut se frotter le nez pour masquer d’intempestives dilatations de narines.

- À bientôt, Poly, dit-elle d’une voix encore enchifrenée par les débordements lacrymaux. Ah, au fait, vos ouvriers seront là demain matin à huit heures trente. Ils ont passé la journée à refaire l’installation électrique. Elle n’était pas aux normes. Vous allez les entendre râler, je vous préviens : vos murs ne sont pas rectilignes et votre sol n’est pas horizontal !

Après le départ d’Imogène, il alla s’effondrer dans son fauteuil-paon, dehors,  épuisé après cette journée mouvementée.  Il était dix-huit heures et la chaleur ne mollissait pas. Il se captiva pour le ballet d’un merle peu farouche qui sautait autour de lui comme mû par un petit ressort et son regard tomba sur une revue, abandonnée par Imogène, à la page d’un test qui portait en bandeau une question fondamentale : « Êtes-vous nymphomane ? ». Il ramassa le journal et se mit en quête de ses lunettes loupes, appâté par le titre, pour lire les petits caractères.

À la question : « De quelle héroïne de roman vous sentez-vous la plus proche ? Madame Bovary ? Mrs Dalloway ? Ou Léa ? » Imogène avait coché Mrs Dalloway. Cette réponse woolfienne lui convenait, révélant le côté à la fois original et racé de sa personnalité. Sa curiosité attisée, il passa à la deuxième question : « Qu’est-ce qui vous fascine d’abord chez un homme : sa beauté  ou son intelligence ? »  Elle avait fait une croix devant « sa beauté » ! Il envoya promener le journal avec mépris.

Il se sentait poisseux et ses vêtements lui collaient à la peau. Il monta prendre une douche, en profita pour rafraîchir ses piteuses bouclettes à coups de ciseaux, étonné du vague look de baroudeur que lui conférait sa barbe qu’il n’avait pas rasée ce matin.

Voulant se sentir à son aise, il enfila des vieux knickers à soufflets et un large tee-shirt. La désobligeante réflexion que Muguette s’était autorisée, un jour, à propos du ridicule des socquettes avec des shorts et des sandales lui revint en mémoire tandis qu’il luttait avec une socquette rétrécie, mais il persévéra, en grommelant que se formaliser des apparences était un signe d’arriération mentale aussi évident que de primer la beauté sur l’intelligence !

 

 Enfin revigoré, évoluant dans la fragrance citronnée de son eau de Cologne,  il descendit la rue du Château sur son Solex, en direction du café de Basile à qu’il voulait raconter les dernières péripéties du fait divers rochebourgeois.

En apercevant les ouvriers agricoles, ceux qui venaient tous les jours boire un bock après le boulot, y compris Berouette, en train de griffonner des feuilles, sur le bar, dans une pose concentrée et dans un silence religieux, il eut un choc.

- Vous tombez bien, Polycarpe, fit Basile à voix basse, en venant à sa rencontre. Aujourd’hui, c’est interro écrite. Un proverbe juste, écrit sans faute : pastis gratis ! Voulez-vous retourner le poulet dans le four et l’arroser ? Je les surveille, ils sont capable de copier !

- Vous êtes un révolutionnaire, Basile ! Ici, le client fait sa bouffe pendant que l’aubergiste alphabétise les masses laborieuses.

Basile eut un rire sonore en se frottant les mains.

Dans la cuisine surchauffée, le poulet grésillait dans le four. Malgré les torchons dont il s’était muni pour attraper le plat, il se brûla. Il retourna la bête sur son bréchet, l’arrosa de son jus, renfonça la lèchefrite et revint dans la salle du café en soufflant sur ses doigts au moment où Basile offrait sa tournée. Ce dernier posa un verre devant Polycarpe. Il félicitait ses troupes.

- C’est bien, les gars. Prochain objectif : les citations ! Contrôle en décembre.

Il trinqua avec Polycarpe :

-  Calamity est partie voir sa famille. Comme il me restait une vieille volaille dans le congélateur...

- La toque au Gault et Millau, c’est pas gagné, Basile.

Ils prolongèrent la soirée dehors, en commentant les derniers événements,  autour d’un vieux Vouxy.

 

Les jours suivants, Polycarpe abattit un travail de romain. Il mettait les bouchées doubles dans la perspective de l’arrivée de Lily et de l’inauguration de sa cuisine restaurée qu’il voulait faire coïncider. En dépit des fenêtres grandes ouvertes et des volets tirés, la chaleur figeait l’atmosphère. Il n’y avait pas un courant d’air. Pendant que les techniciens de chez « Râleurs and Co » montaient et calaient les meubles, dans la partie ouest de la cuisine, intégraient l’électroménager, opéraient les divers branchements, fixaient les éléments de rangement et posaient les roulettes des tiroirs, Polycarpe passait les poutres au Bondex, debout sur son échafaudage, dans l’autre moitié de la pièce.

À la fin de la semaine, les aménagements achevés, les ouvriers partis, Polycarpe put enfin tranquillement juger du résultat hybride, entre rustique et moderne : il en fut satisfait. Les paillasses et les éléments épurés d’un rosé mat s’harmonisaient plutôt bien avec la pierre brute des murs et les anciennes dalles de terre cuite. Les grosses poutres paraissaient soyeuses sous l’enduit chêne clair.

Il entreprit de loger tout le bataclan de casseroles, de cocottes, de poêles et de passoires dans ses nouveaux placards, fonctionnels et spacieux, puis commença à ranger les produits alimentaires  relégués dans le corridor sur des étagères de fortune, lorsqu’il fut interrompu par le téléphone.

Il reconnut instantanément la voix de Mama.

- Poly, avez-vous vu le fourgon de la police passer devant chez vous ?

- Non ! Quand ?

- Il n’y a pas cinq minutes. Il est garé aux troglodytes. Savez-vous ce qui se trame ? Je vois d’ici Chimène sortir de chez elle entre deux flics, ils la font monter dans le panier à salade... Ils démarrent. Ils vont repasser devant chez vous.

Polycarpe s’approcha de la fenêtre.

- En effet, les voici... Ils sont passés.

- La croyez-vous coupable de l’agression d’Iseult ?

- Non, Iseult s’est poignardée elle-même...

- Pas possible !

- Je suis allé la voir à l’hôpital. Elle n’a fait aucune difficulté pour expliquer son geste et décide de retirer sa plainte contre Ulysse. Elle prétend que Chimène l’a manipulée. Il me semble, mais sous toutes réserves, qu’elle était sincère... Par ailleurs,  j’ai découvert que Chimène avait un vieux compte à régler avec le juge, ce qui m’a été confirmé par Sarrasin. Il est probable que Chimène ait voulu se venger du juge et brouiller les pistes en utilisant le dérangement mental de cette pauvre Iseult...

- La vieille toupie est coriace, même si c’est elle qui a assassiné le juge,  ils n’auront jamais ses aveux.

- C’est probable !  En tout cas Ulysse va s’en tirer... Nous avons la preuve qu’il n’y est pour rien.

- Vous avez œuvré en faveur d’un innocent. Félicitations, Poly.

- Il n’y a pas de quoi me décerner la palme, si Jaco n’avait pas retrouvé l’oignon du juge, et si Petit Lu n’avait pas eu peur des fantômes, je n’aurais rien soupçonné de toute cette histoire.

Au moment où Polycarpe prononçait ces mots, son cuir chevelu frémit comme la robe d’un cheval piquée par un taon. Il eut l’impression d’un pétillement à la racine des cheveux. Il n’avait pas approfondi la question des papiers retrouvés dans le souterrain. Il remisa cette question en se promettant s’appeler le curé un de ces jours.

- Allô ! Poly, êtes-vous là ?

Il s’ébroua. Chassa cette question secondaire de son esprit et dit :

- Je pense que nous devrions offrir la montre à Jaco.

- C’est à Ulysse de décider, non ?

- Bien, nous lui demanderons. Mama, avez-vous parlé avec Imogène ?

- Je suis au courant, dit-elle. Imogène connaît maintenant l’identité de sa rivale.

- Gertrude Riboit avait donc vu juste !

- La miss Prêchi-prêcha n’a pas intérêt à se pointer dans les parages, c’est moi qui vous le dit.

- Que pariez-vous ? Tout se passera bien, Constance libère Imogène d’une union boiteuse... d’ailleurs, la séparation était déjà consommée. À mon avis, les choses sont plus claires.

- D’accord, d’accord, mon cher Poly, ce point de vue vous arrange, fit-elle, d’une voix de gorge chargée de sous-entendus.

- Je m’insurge contre ce petit air de ne pas y toucher, Mama !

- Nous en reparlerons, Poly ! Je dois vous laisser, je suis sur une carafe et les reflets changent avec la lumière...

Elle raccrocha. Il fronça les sourcils. Que voulait-elle dire ? Entre Imogène et Anatole, ça ne gazait pas, ça avait cassé, c’était logique, point à la ligne. En quoi ce point de vue l’arrangeait-il ? Il faisait preuve de la plus totale objectivité dans cette affaire.

Il fourra le riz, les pâtes, la farine dans les placards,  en ne cessant de se répéter qu’il était un homme de bon sens, parfaitement objectif et qu’il ne voyait pas en quoi la rupture des Cordet pouvait l’arranger !

- De quoi je me mêle, à la fin ! marmonna-t-il. 

Basile et Mama étaient peut-être de mèche ! L’un n’avait-il pas déclaré qu’Imogène le draguait ? L’autre sous-entendait maintenant que la séparation des Cordet l’arrangeait... Ils étaient, ni plus ni moins, en train de le jeter dans les bras d’Imogène. Il allait faire cesser ces élucubrations à la première occasion.

Imogène était et resterait une amie, en tout bien, tout honneur !

 

Il effectua les dernières retouches au plafond pendant le week-end et le lundi, l’armoire arriva. Il passa une bonne partie de sa journée à la bichonner. Il aspira la poussière dans les moindres recoins, la désinfecta d’un gros chiffon imbibé d’alcool à brûler, la frotta avec une laine d’acier numéro zéro, afin de ne pas l’agresser, fit resplendir les ferrures, l’encaustiqua et la plaqua contre le mur face à la cheminée, les pieds calée sur des planchettes. 

Dès lors, il ne lui restait plus qu’une dernière chose à faire : la cerise sur le gâteau !  Accrocher au centre du plafond le lustre ancestral qui l’avait accompagné sa vie entière.

Il traîna le grand carton où il était remisé, depuis l’autre pièce du rez-de-chaussée puis, l’ouvrit.

 

Cet inclassable machin avait éclairé la salle à manger de ses grands-parents, qui le tenaient eux-mêmes de leurs ascendants,  avant de pendre de façon saugrenue dans l’appartement de ses parents. Quand il s’était marié, il l’avait reçu en cadeau. Mais, trop lourd, trop large, trop haut, trop imposant, trop rococo, il rétrécissait invariablement les pièces où il était suspendu par de grosses chaînes. Sa partie centrale, composée de bronze et de verre soufflé - conçue pour contenir le pétrole  où plongeait une mèche réglable par une manette à vis - semblait le résultat hybride d’un samovar et d’un ostensoir. Il s’ébouriffait de six torsades à breloques dorées dont la fonction originelle, de supports à chandelles, avait depuis longtemps été adaptée à l’électricité et qui comportaient des coupelles de chacune  trois douilles. Jamais de sa vie, Polycarpe n’avait vu briller les dix-huit ampoules ensemble.

Il fora son plafond pour y insinuer un robuste piton bascule et, en apnée, accrocha la baroque suspension.  Dans cette demeure, elle allait étinceler de tous ses feux ; elle retrouvait les volumes pour lesquels elle avait été conçue, à l’instar, sans doute, du fameux fauteuil-paon où il s’enfonça.

Épuisé, éprouvant un fulgurant sentiment de solitude, pour la première fois depuis son arrivée au logis, il se laissa glisser dans une vénéneuse mélancolie.

Dont il fut sauvé in extremis trois quarts d’heure plus tard par des coups frappés aux carreaux. Il reconnut immédiatement la silhouette d’Ulysse Côme derrière les vitres.

- Bonsoir, monsieur Houle, dit-il.

Il avait perdu son « Bonjour-Ça va ? » dans la bataille et son visage était défait.  Il tendit à Polycarpe une grande et lourde boîte enveloppée de papier rouge.

- Vous tombez bien, jeune homme, dit Polycarpe, l’air encore absent. Un bon vieux coup de blues.

Ulysse le regarda avec attention et lui envoya une familière bourrade à l’épaule.

- Il y a belle lurette qu’on m’a dit que je tombais bien, je ne regrette pas d’être passé. Je voulais vous saluer avant mon départ, et vous remercier.

- Alors, mes états d’âme s’accommoderont de vos remerciements et du cadeau.

Il déchira le papier, pendant que, hochant du chef, Ulysse découvrait les nouveaux aménagements. La boîte avait un couvercle à tirette et contenait un jéroboam de saint-émilion.

- Magnifique, Ulysse !

La poche droite de la veste du jeune homme se mit à égrainer les premières notes de Everybody needs somebody.

- Excusez-moi, dit-il, en dépliant son portable. Bonsoir, Aline. 

Polycarpe entreprit la recherche de verres et d’alcool dans ses placards à choix multiples. Soudain, Ulysse émit une joyeuse onomatopée. Puis il échangea quelques paroles sibyllines et de tendres au revoir avec son interlocutrice, avant de refermer son appareil.

- C’était mon avocate, Me Néa-Bonnefoi.

Polycarpe haussa un sourcil intrigué. L’ex-prévenu eut un petit frétillement des jambes, comme pour donner du mou à l’étoffe de son pantalon, et lâcha d’un air blasé :

- Ces quelques jours de détention nous ont permis de... disons : sympathiser. Nous avons des tas d’affinités... Je lui ai confié le dossier juridique de « Manors Planes Export », ma société. Au fait, elle vient de m’apprendre à l’instant que Chimène Crucheau a avoué le meurtre de Cornu.

- Comment ? Déjà ?

Ils trinquèrent à la liberté retrouvée par Ulysse et à la résolution de l’affaire.

 

 

12:02 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

17 mai 2006

Elue à la SGDL...

Je n'ai pas l'habitude de me vanter mais quand même : je suis élue déléguée des adhérents aux AG de la Société des Gens de Lettres ! ça la fait, non ?
Je prendrai bien une autre petite coupe, n'est-ce pas Sin ?
Je vous raconterai...

19:14 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | |  Imprimer | |

16 mai 2006

Entendu sur Europe 1

Si France Inter vous fait avaler votre café de travers (cf. Rony and Co) moi, ce matin, c'était mon thé, sur Europe 1 (oui, c'est beauf et c'est moins chic d'écouter Europe 1 mais en ce moment, c'est ce que j'écoute) donc, commentaire à propos d'une statistique : "les femmes au foyer ont plus de risques de devenir obèses que les wonderwomen (sic) parce qu'elles ont tendances à finir les plats qu'elles servent à leurs maris et leurs enfants" ! Je passe sur les autres détails...
C'est sympa d'opposer les femmes au foyer  - qui lèchent les gamelles ! - aux "wonderwomen"...  supposées efficaces et belles, comme dans les pubs ! 
C'est drôle, on dit pas si les mecs qui boivent de la bière devant le foot à la télé ont plus de chance de devenir obèses que les jeunes cadres dynamiques habillés chez Boss...

18:49 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (10) |  Facebook | |  Imprimer | |

15 mai 2006

Les aventures de Polycarpe - 22ème épisode

 

LE VIEUX LOGIS

CHAPITRE XXII

où le jeu du portrait chinois démaque l'assasin du juge

 

 

Iseult écrivait sur une petite table placée sous la fenêtre quand il entra dans la chambre particulière qu’elle occupait au dixième étage. Elle avait le bras gauche en écharpe et la manche de son peignoir était glissée dans la ceinture. Le renflement, à la hauteur de l’omoplate, indiquait le pansement sur sa blessure. Elle se retourna lentement et laissa tomber de ses doigts le stylo bille sur le bloc griffonné.

- Ce n’est pas vous que j’attendais, dit-elle, hautaine, en déchirant la cellophane d’une boîte de bonbons qu’il venait d’acheter à la boutique de l’accueil.

Polycarpe encaissa la remarque sourire en coin, en faisant du regard le tour de la chambre peinte en vert pâle, aperçut les flèches de la cathédrale par les vitres supérieures qui n’étaient pas en verre dépoli. Il alla respirer l’entêtant parfum d’un lys piqué dans un magnifique bouquet de fleurs sur la table de nuit, en mettant discrètement en marche le dictaphone glissé dans la poche de sa chemisette, puis s’approcha d’elle.

- J’ai quelque chose à vous demander. Je voulais vous parler.

- De quoi encore ? De mon agression ? C’est une épidémie : tout le monde veut l’entendre : le médecin, les flics, Pierre et maintenant vous.

Elle agita au bout de son pied une mule décorée d’une houppette.

- Vous avez porté plainte, c’est normal qu’on vous pose des questions... Au fait, vous accusez Ulysse à tort concernant la mort de Cornu : Ulysse ne l’a pas tué.

Elle fit son museau de petite souris.

- De quoi vous mêlez-vous ?

- J’ai la conviction que vous accusez Ulysse par jalousie ou par dépit. Vous n’acceptez pas son indifférence. Quand vous avez compris que j’habitais le logis et qu’il était définitivement parti, vous avez cherché comment vous venger, le briser. Faire de lui un meurtrier était habile, mais ça ne tient pas debout, Iseult.

Il la provoquait sciemment.

- Ah-ah ! rit-elle, sans gaieté. Que pouvez-vous savoir de mes relations avec Ulysse ? Lisez-vous dans le marc de café ?

- Vous saviez que votre belle-sœur avait une liaison avec Ulysse et qu’ils étaient ensemble au moment où Cornu est mort. Si vous maintenez votre plainte, leur liaison sera étalée au grand jour et votre frère sera malheureux. Il vous aime beaucoup. C’est lui, n’est-ce pas, qui vous a apporté ce bouquet ?

Elle poussa un petit soupir plaintif.

Polycarpe se laissa choir sur le bout du lit qui avait l’élasticité d’un trampoline et il rebondit légèrement.

- Je croyais qu’Ulysse m’aimait, geignit-elle.

- Non, vous saviez qu’il ne vous aimait pas, ce qui était intolérable pour une jeune fille capricieuse et gâtée. Et vous n’alliez jamais au logis : quand nous avons discuté tous les deux au Bux’s Truck, vous m’avez menti sur toute la ligne. Vous m’avez raconté que vous faisiez la lecture à Cornu. C’était faux et archi-faux. Le vieillard avait une vue excellente et lisait pendant ses insomnies. Cependant, vous deviez justifier votre présence, ce jour-là, exceptionnellement,² chez le juge après avoir été vue...

- J’étais cachée sous un plaid.

- Je viens vous demandez de retirer votre plainte.

- En quel honneur ? Pour faire libérer Ulysse ? Qu’est-ce qu’il est pour vous ? Comment fait-il pour entortiller tout le monde ?

- Il ne m’entortille pas. Mais on n’envoie pas les gens en prison parce qu’ils ne vous aiment pas. C’est tout.

- De toute façon, il m’a poignardée dans le dos. La preuve, je ne suis pas là par hasard.

« L’expression - poignardée dans le dos - est à double tranchant » ironisa Polycarpe en son for intérieur.

- Seulement blessée. Un acte manqué en quelque sorte. Vos psy auront de quoi faire... Mais laissons cette histoire de poignard... Il était une fois une jeune personne qui se trouvait au logis et qui inventa le prétexte de la lecture pour justifier sa visite. En conséquence, ou bien elle a tué Cornu, ou bien elle protége le criminel, en dénonçant un faux coupable.

- Vous oubliez une troisième alternative : Cornu était peut-être mort naturellement !

Elle lui donna soudain l’impression de vouloir se prêter complaisamment à ce jeu de rôle improvisé.

Il décida de poursuivre l’expérience, en la désignant à la troisième personne, sans la brusquer.

- D’accord, dit-il. Dans ce cas, que faisait-elle au logis et pourquoi, découvrant un cadavre, n’a-t-elle pas appelé des secours ou donné l’alerte ?

Elle pinça les lèvres et tripota son stylo, en réfléchissant.

- Bonnes questions. Sans doute n’aura-t-elle pas remarqué qu’il était mort quand elle est venue relancer Ulysse jusque chez lui, au moment où le bouffon est arrivé avec son Halloween...

- Le bouffon a déclaré ne pas avoir remarqué de traces de pas, alors qu’il pleuvait des cordes : elle était donc là depuis au moins une heure, le temps que les empreintes sèchent.

- Sauf si elle est venue par le souterrain. N’oublions pas qu’elle connaît bien les souterrains.

- Autant pour moi, reconnut Polycarpe. Quelque chose reste cependant obscur : le cadeau du Perfescope. Si elle ne rendait pas service au vieillard en lui faisant la lecture, Cornu n’avait pas de raison de lui offrir cet objet.

- On peut imaginer qu’elle l’ait pris en pensant à la collection de son frère, en sachant qu’elle pourrait le négocier et récupérer ainsi de l’argent de poche, puisqu’elle est sous curatelle et qu’on surveille toutes ses dépenses !

- D’autant que, Cornu étant mort, il ne s’en apercevrait pas.

- Exactement.

- Mais elle ne savait pas qu’il était mort. Le croyait-elle seulement endormi ?

- Elle n’a pas eu le temps de se poser la question, aussitôt dérangée par le bouffon.

- Donc, elle a attendu que le bouffon parte avant de se saisir de l’objet. Qu’a-t-elle fait de la couverture sous laquelle elle se cachait ?

- Cornu n’en avait plus besoin puisqu’il était mort.

- Elle savait donc, à cet instant, qu’il ne respirait plus.

- En effet. Elle a heurté son fauteuil et il a basculé tout d’une pièce comme un macchabée, confirma-t-elle, sans sourciller.

- Et ensuite ?

- Elle est donc repartie par le souterrain, avec le Perfescope, mais n’a pas donné l’alerte de peur d’être accusée d’assassinat.

- Ça se tient, capitula Polycarpe.

Iseult balançait toujours sa houppette au bout de son pied et tortillait une mèche dans sa nuque avec un petit air futé.

Il l’observa tout en se demandant comment l’amener à dire la vérité.

- On peut admettre que Cornu est bien mort naturellement. Et que par la suite, elle a dénoncé Ulysse pour d’autres raisons : jalousie, revanche, désespoir...

- Exactement.

- Elle peut donc retirer sa plainte.

- Elle le pourrait.

Malgré l’incroyable franchise de cette fille, quelque chose troublait Polycarpe, pourquoi jouait-elle au chat et à la souris. Était-elle impliquée, oui ou non ? À quel degré de maladie mentale était-elle atteinte ?

Iseult se leva et vint s’appuyer au bout du lit contre les barreaux et se pencha au-dessus de Polycarpe en plissant les yeux.

 -  Mais on peut aussi se demander quelle mouche l’a piquée, pourquoi elle est venue, le jour de la mort de Cornu précisément, alors qu’elle ne venait jamais au logis. Est-ce qu’on l’y a poussée ?

Polycarpe passa plusieurs fois les mains dans ses cheveux, l’œil brillant. « Ça y est, pensa-t-il, elle se lâche, elle est prête à tout avouer, par orgueil puéril ! »

- C’est une question piège, mais bigrement intéressante, lança-t-il avec fougue. Qui donc serait susceptible de pousser notre jeune personne à pénétrer au logis à ce moment-là et pourquoi ? Si cet individu fomentait l’intention de lui faire découvrir le cadavre, c’était bel et bien dans l’intention machiavélique de la faire accuser d’un meurtre qu’il aurait commis lui-même. Suis-je sur la bonne piste ?

Polycarpe avait soudain très chaud. Sa pression artérielle avait sûrement bondi de plusieurs millibars. Il se rendit dans le cabinet de toilette s’asperger d’eau et déplia un Kleenex pour essuyer son visage apoplectique.

- Voyez ! Quand vous le voulez, vous êtes perspicace ! dit-elle, en se moquant de lui, inversant les rôles, semblant mener l’investigation.

- À vrai dire, j’ai bien des doutes à propos d’une certaine personne, tenta-il, timidement.

- Et laquelle, d’après vous?

À la lueur enfantine de défi qu’il perçut dans le regard de la jeune psychotique, il sut qu’il devait rester dans le domaine ludique, pour obtenir des confidences.

- Ta-ta-ta, vous d’abord. Si c’était un auteur dramatique, que diriez-vous ?

- Trop facile. Corneille.

- Si c’était un personnage célèbre ?

- Madame soleil.

- Si c’était une plante ?

- Une endive ou bien une truffe... quelque chose qui mûrit sous la terre.

- Si c’était un animal ?

-  Je dirais un chat ou une taupe.

- OK. L’individu auquel nous pensons tous les deux, et que nous appellerons madame Bonaventure, aurait donc manipulé notre héroïne pour la faire pénétrer au logis.

- Vous brûlez, monsieur Houle.

-  Il fallait néanmoins un terrain favorable, on ne « pousse » pas les gens sans un minimum de consentement. Il fallait que chacune d’elles ait un mobile à agir. Ou bien que leurs mobiles convergent, s’additionnent. Voyons... Est-il concevable qu’elles se soient liguées pour faire accuser Ulysse qui profite de la mort de Cornu ? J’élimine cette option. Il aura fallu plus d’un an et une déception amoureuse pour que notre jeune personne le dénonce. À mon avis, l’idée d’impliquer Ulysse est survenue plus tard.

- Vous refroidissez légèrement. Mais seulement en partie. Ne croyez-vous pas que la jeune femme aurait pu avoir du ressentiment contre le vieux bonhomme ? C’est plausible, non ? Cornu aurait pu monter le bourrichon d’Ulysse contre elle...

- Alors que madame Bonaventure avait précisément un vieux compte à régler avec le juge.

- Allégation oiseuse ! Qu’en savons-nous ?

- Nous savons. Cependant, cette supposition les rendrait complices ce qui contrecarre l’hypothèse de la manipulation, hypothèse que vous maintenez, Iseult, n’est-ce pas ?

- Je n’entérine pas l’histoire du bourrichon, en effet. J’affirme qu’elles n’étaient pas complices.

- Ah, mais ! Attendez... Sans être complices, il a bien fallu qu’elles se rencontrent ! Imaginons que la jeune personne ait eu envie de connaître son avenir sentimental, elle consulte une cartomancienne...

-  Continuez ! l’encouragea Iseult.

- Elle confie son amertume à madame Bonaventure qui lit dans les tarots le jour et l’heure propices à un « retour d’affection », comme on lit dans les publicités des voyantes. Et qui lui conseille hypocritement d’aller surprendre son amoureux chez lui, par le passage secret, au prétexte que Cornu n’ouvre à personne... Qu’en pensez-vous ?

- Pas mal.

- Notre madame Bonaventure utilise la passion contrariée d’une jeune femme impressionnable et sujette à des hallucinations, pour lui faire découvrir le cadavre et lui suggérer que le coupable n’est autre que celui qui hérite de Cornu.

- Elle attend le retour de la jeune femme à l’entrée du souterrain...

Polycarpe abandonna la fiction pour avoir une explication précise.

- ... Pour s’assurer que vous aviez bien constaté la mort du juge et vous décrire la scène du coussin !

Iseult alla se rasseoir avec une moue boudeuse.

- J’étais sous le choc. Et j’ai gobé les suggestions de Chimène, elle m’a carrément hypnotisée. À force de me raconter la scène dans tous ses détails, j’ai vraiment cru avoir vu Ulysse étouffer Cornu. Il m’arrive encore d’être hantée par cette scène.

- Cependant personne n’a trouvé cette mort suspecte et vous n’avez rien dit.

- J’étais déchirée entre l’idée de la culpabilité d’Ulysse et de son innocence. C’est difficile à exprimer, mais je ne pouvais pas admettre qu’il ait pu tuer dans son propre intérêt, en m’excluant de son plan. Vous allez peut-être me prendre pour une folle …

- Pardi ! murmura Polycarpe.

- …ce n’était pas le fait d’assassiner qui me choquait.

- Ben voyons ! ironisa-t-il.

- C’était le fait d’agir comme si je n’existais pas. J’ai enjolivé le scénario de Chimène : il avait tué Cornu pour hériter et nous en faire profiter tous les deux, pour me soustraire à la curatelle, me libérer et m’emmener avec lui... J’attendais un signe, je suis même allée à l’enterrement du vieil homme pour le voir, pour lui parler. Il m’a évitée, ça m’a cassé le moral et j’ai déjanté. Je me suis retrouvée à Jonques. À ma sortie, le jour où je suis passée devant chez vous, j’ai compris qu’Ulysse était parti sans un mot et qu’il m’avait vraiment laissée tomber. Alors j’ai ressorti la version de Chimène.

- En y ajoutant un épisode mélodramatique : l’agression dans la chambre rouge !

- Il fallait un élément déclencheur pour justifier ma dénonciation tardive.

- Au point de vous mutiler vous-même !

- Ce n’est pas aussi douloureux qu’on croit ! Et j’avais pris des précautions : j’avais désinfecté le coupe-papier.

Consterné par cette intelligence capable d’engendrer les pires inepties, Polycarpe fit quelques pas en rond au bout du lit.

- Chimène va m’étriper si je la dénonce... J’ai peur d’elle, monsieur Houle.

- Ne dénoncez personne. D’ailleurs, vous ne l’avez pas vue faire. Contentez-vous de retirer votre plainte.

Elle brandit le bloc à lettres sous le regard de Polycarpe.

- J’étais en train d’écrire à mon frère quand vous êtes arrivé. Je lui expliquais  que les choses se télescopent dans ma tête. Avec vous, j’y vois plus clair. Vous savez vous y prendre. Un peu comme Zück. D’ailleurs, je l’attends, il doit venir me chercher, je sors de l’hôpital aujourd’hui.

- Zückervit est donc une vraie personne ! Votre frère ne le connaît pas. Il ne sait même pas que vous êtes fiancée !

- Je ne suis pas fiancée ! Qui vous a dit ça ?

La mâchoire de Polycarpe s’affaissa. Il n’eut pas le temps de réagir : une infirmière fit irruption dans la chambre accompagnée d’un personnage costaud, en blouse blanche, aux traits épais dont le sourire semblait indélébile, plaqué sur son visage comme un trait horizontal.

- Zück ! Déjà ! Mais je ne suis pas prête.

- Je vais attendre dans le couloir, dit l’homme. Magnez-vous.

Il s’approcha de Polycarpe et lui donna une poignée de main en souriant d’un seul côté du visage, comme un type rescapé d’une attaque cérébrale.

- Zückervit, infirmier psy à Jonques. Mademoiselle fait de fréquents séjours chez nous.

- Enchanté, Zück ! déclara Polycarpe, en secouant la main de l’infirmier dans un élan de grande sympathie.

Il se sentait euphorique et aurait volontiers embrassé ce sacré vieux Zück, qui tombait à pic maintenant qu’il avait agi pour la libération d’un innocent emprisonné, évité les déballages d’adultère. Il effectua un pas chassé vers la porte.

- Je ne vous retarde pas, je m’esquive ! dit-il.

Il fit un signe de la main à la vicomtesse qui disparaissait dans le cabinet de toilette, empressée de se préparer à partir pour Jonques comme s’il s’agissait d’un lieu de villégiature.

- À très bientôt, Iseult ! N’oubliez pas de retirer votre plainte !

- À plus, monsieur le pyrrhonien ! dit-elle, sur un ton frivole.

 

De retour dans sa voiture, Polycarpe rembobina la cassette, vérifia qu’elle était audible puis l’éjecta du dictaphone. Il appela les renseignements pour connaître le numéro de l’hôtel de police où il obtint un rendez-vous avec Sarrasin.

Les locaux, fraîchement surgi d’un terrain autrefois occupé par un concessionnaire automobile, en périphérie de Chassac, avaient une forme de porte-avions en Plexiglas surmontés d’une visière géante qui semblait avaler les visiteurs. On lui indiqua que l’ascenseur qui desservait les numéros impairs de l’aile C était au milieu gauche de l’axe B. Il se sentit supérieurement intelligent en parvenant sans se perdre devant la porte 1515. « Opération Marignan » pensa-t-il, en frappant.

 

- Salut, vieux ! Quel bon vent ?

Depuis la partie de pêche, Sarrasin était devenu familier. Il avait bondi pour accueillir Polycarpe et lui désigna un des sièges de moleskine à roulettes avant de sautiller derrière son bureau qui supportait un ordinateur, une lampe et une statuette tenant du César et du trophée sportif. Dans un costume crème à fines rayures sombres, chaussé de souliers bicolores, l’inspecteur de police judiciaire, alias Michou, en imposait plus qu’au bord de la Gourmette. Polycarpe lui résuma ses conjectures concernant la mort de Cornu. Il lui remit la cassette et la coupure de presse retrouvée par Petit Lu.

Sarrasin tapota aussitôt sur son clavier et attendit l’apparition des informations, un des sourcils remonté d’un cran en produisant des bop-bop de poisson rouge avec sa bouche.

- À propos, la fille poignardée, la sœur de votre ami de Touche… J’ai jeté un œil sur l’enquête : on a de gros doutes, c’est une récidiviste de l’automutilation…

 Soudain, il tomba en arrêt devant l’écran et lustra ses moustaches du pouce et de l’index.

- Chimène Crucheau. Née en 1931. Condamnée en 1960 pour proxénétisme hôtelier à deux ans de taule. Ah ! ah... Le magistrat était Corbeau. La maquerelle régnait sur une demi-douzaine de filles au Petit Napperon Rouge, hôtel fermé et probablement vendu pour régler une amende de deux cent cinquante mille francs. À l’époque, ça faisait une somme !

Il croisa les doigts et s’accouda sur son sous-main.

- La vengeance est un plat qui se mange froid et souvent avarié. Vous avez bien fait de venir, Polycarpe, la piste Crucheau est intéressante. J’en parlerai aux collègues en charge du dossier. À part ça, quoi de neuf ? Ah, au fait, nous irons prochainement à Rochebourg : c’est un fameux coin de pêche !

- J’envisage de planter ma crémaillère prochainement. Je compte sur vous deux. Et Gix, naturellement !

Ayant refilé à Sarrasin la patate chaude de l’affaire Cornu qui l’obsédait depuis des semaines, Polycarpe prit congé.

- À bientôt, vieux ! dit Sarrasin.

Et ce qualificatif de « vieux » lui vrilla les méninges jusqu'à sa sortie du bâtiment.

à suivre...

09:28 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |