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Place du Palais, feuilleton, épisode n°11

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Place du Palais
Episode n° 11


Les personnages principaux sont trois copines tourangelles :
- Pénélope Forest, 34 ans, célibataire, elle a des petites amourettes mais son cœur bat en secret pour un beau Québécois, à peine entrevu, Jonathan Brûlebois. Elle habite Quartier Velpeau, elle travaille au Musée des beaux-arts ; ses parents habitent aux Prébendes.
- Armelle Chamotte, 36 ans, est potière d’art, mariée avec François, musicien, fils d'un people gay. Ils ont une fille, Lou, 11 ans. Ils habitent à la campagne, près de Saché.
- Romane Franjeux, 40 ans, divorcée, est psychothérapeute, son cabinet se situe rue Bernard Palissy, elle a un fils Alex, 19 ans, mannequin, une fille, Laura, 16 ans, boulimique et rebelle, une mère bigote ; sa demi-sœur, Floriane, maman d’un petit Tom, perdue de vue de puis des années, vient de refaire surface.

Dans l’épisode précédent : Pénélope et Armelle, parties aux champignons en forêt de Chinon avec Lou et Tom, se sont perdues ; et les enfants ont mystérieusement disparu...

  Pendant que François Chamotte essaie d’entrer en contact avec un agent technique de l’ONF, sa femme Armelle et Pénélope errent dans le sous-bois comme des âmes en peine. Leurs mains en porte-voix, elles hèlent sans discontinuer les enfants qui se sont bizarrement volatilisés. Elles cherchent le moindre indice susceptible de les mettre sur une piste, passent au peigne fin la zone où elles les ont aperçus pour la dernière fois près d’un chêne couché par la tempête.
  L’énorme souche de cet arbre qui leur sert de repère a creusé une profonde cuvette en basculant et offre au regard un imbroglio impressionnant de racines prises dans la boue séchée.
  Un moment plus tôt, fasciné par cette même souche, par cet entrelacs tentaculaire, Tom a imaginé qu’il se trouvait devant la cachette des monstres invisibles de l’espace : quand ils sont fatigués de voleter incognito parmi les humains (dont ils butinent les émotions pour aller les régurgiter dans la tête des robots extraterrestres) c’est ici qu’ils viennent se reposer. Il a même repéré par où ils entrent – une fente obscure sous la souche – en lâchant un caillou qui s’est abîmé dans les profondeurs.
  — Hé ! Lou ! j’ai trouvé une grotte. Viens voir !
  Lou s’est libérée d’une ronce en déchirant son vieux K-way pour accourir.  
  C’est alors qu’emporté par un éboulis de terre et de cailloux, Tom a glissé sous la souche. En se précipitant pour le retenir, Lou a été entraînée à son tour...

*

  Désespérée, Armelle piétine le sous-bois, s’accroche aux ronces ; elle s’égratigne le visage et cela suffit pour faire déborder le chagrin qu’elle contenait jusqu’à présent. Les larmes ruissellent. Sa Lou chérie, cette petite bombe de bonheur sur pieds, et le petit Tom, déjà si éprouvé par sa vie, où sont-ils ? Qu’a-t-il pu leur arriver ? Elle contourne un buisson pour se rapprocher de Pénélope et partager son angoisse.
  — Et si un sadique les avait enlevé à quelques mètres de nous sans qu’on se doute de rien, après les avoir assommés ou endormis ? En forêt, on croise parfois des types qu’on n’a pas entendus ni vus s’approcher...
  Elle se laisse choir sur le tronc de l’arbre abattu, la figure dans les mains.
  — Pénélope, tu crois quoi, toi ? hoquète-t-elle.
  — J’ai tendance à faire confiance à ta fille, Lou est une telle battante. Elle ne se laisserait pas enlever sans se défendre, crier et ficher un sacré bocson. J’ai pensé à un piège, un piège à bête sauvage, soit un grand trou recouvert de branchages, soit un filet accroché dans les arbres, mais on tourne depuis près de deux heures dans le secteur où ils se trouvaient et... rien. On ne voit rien... C’est insensé, quasi paranormal...

*

  Dès que Tom reprend conscience, il appelle sa maman ; sa voix résonne lugubrement et il se met à sangloter. Lou l’entend et se dirige vers lui à quatre pattes. Ils ignorent combien de temps s’est écoulé depuis leur roulé-boulé qui les a estourbis. L’obscurité n’est pas totale, un rayon lumineux tel une fine lance fluorescente entre par la brèche d’où ils ont dégringolé. Plus loin, apparaît un rond clair, comme l’extrémité d’un entonnoir : ils se trouvent dans un souterrain. En serrant Tom dans ses bras, en le berçant, Lou se réconforte elle-même. Elle a charge d’âme et cette responsabilité l’empêche de paniquer.
  Tandis qu’elle réfléchit au moyen de sortir de là, un bruit sourd leur parvient.
  — Écoute, chuchote-t-elle, j’entends quelque chose...
  — Moi aussi... J’ai peur...
  — Je ne veux pas entendre ça ! ordonne Lou, à voix basse mais d’un ton pète-sec. Allons voir de plus près, tu n’as qu’à me tenir la main.
  Muselé par l’autorité de sa cousine, Tom se laisse emmener et se tient à carreau. La galerie n’est pas très haute et Lou est obligée de se courber. Ils ont l’impression de progresser dans le ventre d’un énorme python. Puis ils parviennent dans un espace plus vaste, une sorte de salle troglodytique, donnant sur l’extérieur ; quand ils aperçoivent la nature, les arbres et la lumière, ils s’étreignent de joie, silencieusement, en trépignant.
  — Chut ! fait Lou. Restons prudents, y a quelqu’un...
  En fait, ils se trouvent dans une cave : il y a de vieux fûts et tout un bazar hétéroclite. Soudain, leur parviennent de lointains grognements d’ours et, plus distinctement, à mesure que « ça » se rapproche, un marmonnement grincheux, un mâchouillement de paroles indistinctes et menaçantes.
  — Y a un bonhomme, souffle Tom.
  Ils ont à peine le temps de se dissimuler dans une enclave de la paroi lorsque, venant de dehors, apparaît dans le contre-jour un abominable géant, gros, déguenillé, barbu, chaussé de bottes et coiffé d’un chapeau aux bords gondolés. Il pénètre dans la cave en chaloupant, en se raclant la gorge d’une façon effrayante, crache, jure, saisit sa hache, une grosse bûche, et vlan ! fend la bûche d’un seul coup. Il empoigne les morceaux de bûche et les jette sur un tas en poussant un soupir aussi puissant qu’un soufflet de forge.
  — Ces putains de mômes, Han ! nom de Dieu ! Sale engeance ! éructe-t-il.
  Les deux enfants blottis l’un contre l’autre tremblent comme des feuilles. L’ogre saisit une deuxième bûche et vlan ! abat sa hache, mais il a senti quelque chose, il est troublé, lève la tête avec suspicion et frappe à côté de la bûche. Il pousse alors un juron tonitruant à faire rentrer sous terre tous les renards de la forêt et, respirant fort avec des claquements de langue, il se dirige vers le fond de sa cave, ses petits yeux enfoncés dans les bourrelets de ses paupières furètent dans tous les coins...
  — Ça sent la chair fraîche par ici, criaille-t-il.
  Il les voit et s’immobilise, massif comme un gorille, jambes et bras écartés, pour les empêcher de s’échapper.
  — Ah ! Ah ! Ah ! Je m’en doutais ! Je vous tiens, sacrés flibustiers ! Amenez-vous au grand jour, Ventre saint gris ! J’ai une surprise pour vous ! hurle-t-il en les attrapant chacun sous un bras, comme des ballots de linge sale. 

*

Entre temps...
  L’homme est un bûcheron solitaire bien connu des forestiers. Les ONF avaient donné des instructions précises à François Chamotte pour trouver l’individu dans sa masure en lisière de forêt, bâtie contre le coteau. « Il connaît chaque parcelle de bois comme sa poche, il vous guidera » lui avait affirmé l’agent technique.
  Une fois le bûcheron déniché dans son antre isolé, François l’avait accompagné jusqu’à la fameuse souche qu’Armelle lui avait signalé au téléphone, pensant avec justesse qu’elle servirait de repère ; elle venait d’ailleurs de trouver un petit bout de plastique jaune accroché à une ronce qui provenait du K-way de Lou.
  Reliés téléphoniquement avec les deux femmes, le bûcheron et François les avaient rejointes. Elles étaient tétanisées par l’angoisse. Le forestier les avait rassurées tant bien que mal, en vérité plutôt mal que bien, attirant leur attention sur un éboulis qui s’était produit sous la souche :
  — Ça m’arrive de trouver des bestioles dans ma cave qui tombent de là, avait-il bougonné dans sa barbe rousse et emmêlée. Ce chêne est tombé parce qu’il a poussé sur du vide, j’dois l’déhoupper bientôt... Y avait tout un réseau de souterrains dans c’te forêt qui se sont éboulés les uns après les autres... J’suis quasi certain que vos mioches sont dans ma cave à l’heure qu’il est... P’t’être ben même un peu sonnés... Allons-y !

 *

  Lou et Tom, emprisonnés sous chaque bras du géant, gigotent comme deux beaux diables. En sortant de la cave, l’homme lance d’une voix de stentor :
  — Bingo ! Qu’est-ce que j’vous avais dit ?
  Quand Lou, la tête en bas, aperçoit son papa et à sa maman, sa figure noircie de crasse s’illumine d’un grand sourire et, avec ses doigts, elle forme le V de la victoire.
  L’épouvantable bûcheron, qui n’en est pas moins homme, les dépose avec des précautions inattendues (dignes du Kong de C. Cooper libérant Ann) aux pieds des parents Chamotte, qui se jettent sur les enfants, les embrassent, les tâtent, les triturent, les serrent, les ébouriffent, les étouffent.
  — Emmenez moi ça loin d’ici où je fais un malheur ! grasseye le géant. Les mioches, c’est pas mon truc. La prochaine fois je les ferai griller comme des cochons !
  — Je vous prie ! Ils sont assez choqués comme ça ! reproche Armelle.
  — J’espère bien ! Et que ça leur serve de leçon ! Allez ouste ! Bonsoir.

 *

Les Chamotte, chacun au volant de sa voiture, se suivent en raccompagnant Pénélope chez elle. Adultes et enfants sont tous dans un état d’épuisement physique et nerveux tel qu’ils s’effondrent dans le canapé, les fauteuils et sur le tapis.
  Pénélope, qui a glissé sur les coussins du canapé, la nuque cassée par le dossier et les jambes allongées en compas, prend la parole, d’un ton las :
  — Est-ce que vous êtes d’accord pour un débriefing de notre aventure devant une platée de spaghettis ?
  L’idée insuffle un semblant d’énergie au petit groupe.
  — Après une douche... suggère Armelle, fripée de fatigue. Les enfants ressemblent à des ramoneurs savoyards... Tu veux bien qu’on utilise ta salle de bain ?
  — On va se laver, viens, dit Lou à Tom, jouant les petites mamans.
  — Laissez-moi préparer les spaghettis, je suis un spécialiste, se vante François en se mettant debout avec bonne humeur. Tu as prévenu Marcelline que vous étiez sains et saufs ? demande-t-il à Pénélope.
  — C’est fait, tu penses bien ! Et Floriane ? Quelqu’un a des nouvelles ?
  — Au fait ! Elle est peut-être encore chez sa chère mère...
  — C’est à deux pas d’ici. On lui propose de passer ?
  — OK. Je m’en occupe, dit François en extirpant son mobile de sa poche.
  — Tu es la providence même, François chéri, fait Armelle en embrassant et en enlaçant son mari qui compose le numéro de Floriane.
  Pénélope s’éclipse et revient avec une bouteille au contenu jaune paille, trois verres. En enfonçant le tire-bouchon, elle annonce avec un petit clignement des yeux :
  — C’est bon pour ce qu’on a... Coteau du Layon...
  — Excuse-moi, Pénélope, l’interrompt François, masquant le micro du mobile : Floriane est encore chez sa mère, Romane est allée la rejoindre, les deux sœurs sont sur le point de partir ensemble, je leur dis de passer ici ?
  — Bien sûr !
  Il raccroche et demande :
  — Est-ce qu’on dit à Floriane qu’on a perdu les enfants en forêt ? Vous pensez qu’elle pourra le supporter ?
  — Est-ce qu’on a le choix ? interroge Pénélope. Les enfants vont se charger du récit, tu peux me croire !

à suivre...
Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
Tous droits réservés

 

 

 

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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