Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Place du Palais, feuilleton, épisode n° 2

J’ai repris le collier la semaine dernière mais j’ai encore la tête en vacances, précisément sur une plage de l’Atlantique où j’ai passé une petite semaine avec mon amie Armelle et sa fille Lou, huit ans ; elle m’a hébergée dans le mini appart’ qu’elle et son mari François possèdent dans une barre d’immeubles face à l’Océan. Armelle s’y installe chaque année dès juillet pour vendre ses poteries sur les marchés des environs proches. Le studio était rempli de compotiers, coupes et coupelles, plats et assiettes, pots et gobelets qu’il fallait enjamber avec précaution. Tous les ans, François la rejoint pour les week-ends en attendant de prendre ses congés. Je dormais sur la banquette du couloir, Armelle et Lou occupaient le clic-clac.

Il suffit que je ferme les yeux et j’y suis encore, à la plage. 

... La mer bleue semble bombée comme une énorme couette scintillante ourlée d’écume qui progresse doucement sur le sable chaud ; le vent nous ébouriffe et nous rend un peu sourdes mais on entend quand même les criaillements impérieux des mouettes. Entre mes cils, j’aperçois des cerfs-volants virevolter nerveusement dans le ciel bleu... avant de sombrer dans une sieste légère. Quand je m’éveille, éblouie, assaillie par le brouhaha de la foule et du déferlement rapproché des vagues, Armelle et Lou sont parties nager...

Le premier jour je n’osais pas me mettre en maillot, au milieu de tous ces corps hâlés et massés par les rouleaux. Je me trouvais grosse, molle, blafarde. Armelle m’a remonté le moral en me disant que je suis appétissante, juste un peu ronde, que c’est elle qui devrait faire des complexes parce qu’elle est trop sèche... Elle est gentille, même si c’est faux, ça m’a requinqué. Toute la semaine, j’ai alterné baignade sportive et bronzage. Allongée, la tête dans le creux de mes bras, j’entendais presque le grésillement de ma graisse en train de fondre comme une louchée de saindoux dans une poêle à frire. Et je dois avouer qu’à la fin de la semaine, amincie et brunie, j’arrivais à me supporter. Si bien que je me suis récompensée en m’achetant un petit ensemble en lin soldé dans la rue piétonne...

Sur la plage, comme ailleurs, les gens reprennent toujours l’emplacement de la veille et la même petite tribu s’installait quotidiennement près de nous. La mère, cinquante balais, liftée, bijoux clinquants, drap de bain Lanvin ; sa fille, la trentaine désabusée – liane pâle, lunettes de soleil en serre-tête – faisait des sudokus sous le parasol vert et blanc, tandis que l’enfant, un garçonnet de quatre ou cinq ans cherchait maladroitement à intégrer les équipes de constructeurs de château de sable qui le repoussaient comme un intrus.

Un homme les accompagnait... En short et chemisette, ses grands pieds dans des tongs. Un beau mec, selon mes critères... Un visage taillé à coups de serpe, une tignasse de poney, des yeux renfoncés, attentifs, et de rares sourires asymétriques. À quelque chose près, dans nos âges (Armelle a trente-sept ans, trois ans de plus que moi). Chaque jour, il transportait les sacs de jeux de plage, les fauteuils pliants et le parasol. Le sherpa de ces dames. Une fois, il est resté pour aider le petit garçon à renforcer un barrage de sable avant l’arrivée d’une grosse vague, mais généralement il repartait aussitôt pour ne revenir les chercher qu’en fin d’après-midi. Il ne se baignait pas, ne s’allongeait pas au soleil, n’échangeait que quelques mots polis avec les deux femmes... Mais il fallait voir la manière dont il s’adressait à elles ! Avec quelle sollicitude et quels petits rictus craquants ! Et dire qu’elles n’avaient même pas l’air de se rendre compte des charmes de leur chevalier servant !

Moi, quand je vois un homme trop séduisant, je pense que toutes les nanas doivent le draguer à mort et comme je ne veux pas faire partie du troupeau, je renonce à tenter ma chance. J’ai peut-être tort, mais tant pis. Les beaux mâles avec les belles filles, les choux avec les choux et les oranges avec les oranges. Et moi, dans le camp des gens qui ont une « beauté intérieure » ! C’est tout. Pourtant Armelle m’a dit que je faisais tellement d’effort pour paraître indifférente que l’effet produit fut exactement inverse : dès qu’il apparaissait sur la plage avec son petit barda, il me cherchait des yeux...

— Tu veux dire qu’il nous cherchait des yeux... surtout toi, la belle Armelle...

— Arrête ! Je te dis qu’il t’avait repérée, toi, l’appétissante Pénélope.

Il faut dire que le deuxième jour, un coup vent a renversé leur parasol mal arrimé, qui a roulé vers moi et nous l’avons rattrapé ensemble, le sherpa et moi. Il s’est excusé, il a dit que ça pouvait être très dangereux, un pied de parasol. Il avait l’air si désolé que j’ai ri comme une bécasse. Il m’a vraiment regardée avec une petite lueur de connivence, je ne dirais pas sensuelle mais presque... J’ai refoulé vite fait cette idée, il y a à peu près une fille super top au mètre-carré sur cette plage, pas de fantasmes inutiles.

Bon, les vacances ont une fin, je suis rentrée à Tours, j’ai tapissé la chambre de ma nouvelle petite maison (c’était au programme de mes vacances) et j’ai repris le travail... J’avais (presque) oublié l’incident du parasol quand Armelle m’a rappelée, pas plus tard qu’hier soir. Elle vient de rentrer à son tour ; cette année, elle a fait un bon chiffre avec ses poteries, elle est contente...

Et elle a eu des renseignements sur le sherpa en se liant avec madame Lifting...

Jonathan est Québécois. C’est une grosse tête. Après un doctorat de physique, avant d’intégrer l’université comme chercheur, il a pris une année sabbatique pour connaître l’Europe, il a passé un mois à Paris comme jeune homme au pair, puis une dizaine de jours au bord de la mer, dans la famille voisine de nos serviettes de plage. Pendant que ces dames se doraient la pilule sur la plage, il discutait halieutique avec les pêcheurs sur le port ou étudiait l’histoire de la Vendée à la médiathèque. Fin août, il a regagné son pays.

Exit Jonathan.

C’est pas mal, Jonathan, comme prénom, je trouve... Je me rappelle ce petit bouquin, cette histoire symbolique (un peu trop téléphonée et un peu trop simpliste et c’est pour ça que je m’en souviens, évidemment !) de Jonathan Livingston le Goéland... Se pourrait-il que ce Québécois soit, lui aussi, marqué par son prénom ? S’échappant du clan pour suivre sa propre voie ? Voyageant, étudiant, cherchant à se surpasser ? En quête de la vérité sous l’apparence des choses ?

N’exagérons pas, tout de même... ma petite Pénélope, tu t’égares.

Toujours est-il que j’ai, désormais, une bonne raison de broder mon ouvrage... Qui sait ? Reverrai-je un jour le beau Jonathan ?

 

à suivre...

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.