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feuilleton Place du Palais, épisode n° 18

Place du Palais

épisode n°18

 Pénélope remplissait un sac de supermarché avec les affaires qu’elle voulait emporter, des choses qu’elle avait toujours laissées dans son ancienne chambre sans trop savoir pourquoi – parce que la confortable maison des parents était encore sa succursale, parce qu’elle n’avait pas encore coupé le cordon. Jusqu’à présent, une part d’elle-même demeurait toujours chez ses parents.

Pour la première fois, elle se trouvait moins bien chez eux que dans sa modeste petite maison, elle se sentait incongrue, déplacée, mal à l’aise et, c’est la première fois aussi qu’elle supportait aussi mal le comportement de Marcelline possessif, envahissant ; sa mère l’avait agacée, lui avait paru étouffante. Elle prenait enfin conscience qu’elle devait assumer sa vie, tailler sa route comme une grande ! « À trente ans, ma vieille, il est grand temps ! » se fustigea-t-elle.

Elle fourra dans le grand sac en fibre de maïs recyclable son mémoire de fin d’études en histoire de l’art qui lui avait valu un beau 15/20 sur « Le bleu en peinture, de Fra Angelico à Klein» ainsi que son album des autoportraits de Van Gogh, elle en avait plus d’une dizaine ; jamais peintre ne s’était autant servi de lui-même comme modèle !

Anima-Peluche-souris-blanche-5323.jpgElle remportait aussi sa colonie de souriceaux, fabriqués dans toutes les matières, en peluche, en celluloïd, sa grosse souris-coussin en velours ou le mini-mulot taillé jadis par son père dans un bouchon de liège...

Elle fourra aussi dans son sac un déguisement de diablotin avec les cornes rouges lumineuses en serre-tête qui lui rappelait une certaine fête et... un premier baiser !

Elle se doucha, s’habilla avec ses vêtements à peine sortis du sèche-linge. Dans le miroir de la salle de bain, elle scruta son visage de face et de trois-quarts, en fronçant et en étirant la bouche. Elle se jugea potable. En appliquant une crème hydratante, elle se dit que c’était exactement ce qui lui convenait, cet adjectif de « potable » : la fille à potes, la bonne copine, celle dont personne ne tombe dingue amoureux, celle dont les mecs se lassent...

Quel était le secret des autres filles, celles que les hommes ne fuient pas ?

Comment faisait Armelle ? Armelle était un cas, elle et François se connaissaient depuis le lycée, ils n’avaient même pas l’air de faire des efforts pour se plaire, et leur couple fonctionnait au quart de tour. Ils se chipotaient souvent mais même leurs disputes semblaient motivées par l’envie de consolider leur entente. Ce que Pénélope admirait le plus chez eux, c’était leur fidélité. Ou, apparemment, du moins, l’absence manifeste de tentations extraconjugales. On avait l’impression qu’ils se faisaient totalement confiance et que l’un comme l’autre avait à cœur de ne pas trahir cette confiance, mais le plus fort, c’est qu’ils ne semblaient pas se forcer. François s’adressait à toutes les femmes comme à des sœurs ou des cousines... Et pareil pour Armelle, elle se comportait avec les autres hommes comme s’ils étaient asexués. Cette façon de se comporter leur réussissait, ils avaient beaucoup d’amis, faisaient souvent la fête et leurs relations n’étaient pas troublées par des relents de jalousie ou de méfiance...

« C’est trop beau pour être vrai, ça cache des trucs » avait commenté Marcelline Forest un jour que Pénélope lui avait dressé ce tableau idyllique du couple Chamotte.

Maintenant, Pénélope comprenait pourquoi sa mère avait été aussi négative à leur sujet. Il y avait certainement longtemps que la pauvre ne croyait plus à la fidélité conjugale, et  pour cause ! L’amour, les choses belles et simples, ça restait du domaine des contes de fée.

Sa mère...

Il était temps d’aller lui dire au revoir. Pénélope la savait contrariée par son attitude : je viens, je pars, je cherche refuge dans le giron maternel mais je veux être traitée en adulte... Oui, elle comprenait qu’elle avait abusé ! Elle ne lui en tenait pas rigueur, au contraire : elle reconnaissait s’être comportée comme une fille gâtée, immature. Sans pour autant imaginer que sa mère se sente abandonnée, désespérée, au point de vouloir en finir. L’amour que sa mère avait toujours éprouvé pour elle lui paraissait une vraie assurance-vie. L’égoïsme de l’enfant inconditionnellement aimé l’autorise à croire que les péripéties de son existence suffisent à faire le bonheur de ses parents, sont leur principale raison de vivre et que le reste des évènements, y compris à l’échelle de la planète, ne sont que roupie de sansonnet.  Qu’importe, au fond, l’infidélité de papa, qu’importe ta solitude, puisque j’existe, puisque ma vie remplit la tienne...

Elle frappe à la porte de la chambre où sa mère s’est cloîtrée tout à l’heure. La chambre d’amie devenue la sienne au fil des années. Sa mère en avait fait une jolie pièce à dominante rose, aux tissus à fleurs, délaissant la chambre conjugale austère, marquée par le lourd mobilier hérité de sa belle-famille... 

Sa mère ne bronche pas. Sa mère boude ! Elle tourne doucement le loquet, voulant jeter un œil... mais la porte est fermée à clé.

— Maman ! Ouvre-moi... Il faut qu’on parle... Je m’excuse de t’avoir vexée... Oui, j’admets m’être comportée en gamine trop gâtée... Allez ! Viens m’ouvrir !

Toujours pas de réponse. Pas le moindre craquement de parquet, pas le moindre souffle. Ce silence est anormal. Marcelline ne tient jamais si longtemps sans dire un mot...

frapper, porte, Pénélope tambourine, hausse le ton, maintenant elle est inquiète. Et si sa mère avait avalé des cachets pour dormir ? En prend-elle habituellement ? C’est dangereux, ces trucs là... Comment faire ? Comment ouvrir sans esquinter les boiseries ?

Elle a une idée... Il lui semble que les clés des trois chambres sont interchangeables... Elle se précipite, arrache la clé de son ancienne chambre, siccote* la serrure pour repousser la clé qui l’obture de l’intérieur et ouvre...

Marcelline git sur la courtepointe aux pivoines, inanimée, le visage et les mains  d’une blancheur de porcelaine.

 

à suivre... 
Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
Tous droits réservés
 


*« on siccote en attendant l’heure, on rafistole, on bricole... » Maupassant, Les sabots.

* Siccoter : s’occuper à des petits riens, ne pas faire grand-chose. NDA

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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