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Place du Palais, feuilleton: épisode 14

 

nuage-rose.jpg Les personnages principaux sont trois copines tourangelles :
- Pénélope Forest, 34 ans, célibataire, elle a des petites amourettes mais son cœur bat en secret pour un beau Québécois, à peine entrevu, Jonathan Brûlebois. Elle habite Quartier Velpeau, elle travaille au Musée des beaux-arts ; ses parents habitent aux Prébendes.
- Armelle Chamotte, 36 ans, est potière d’art, mariée avec François, musicien, fils d'un people gay.
Ils ont une fille, Lou, 11 ans. Ils habitent à la campagne, près de Saché.
- Romane Franjeux, 40 ans, divorcée, est psychothérapeute, son cabinet se situe rue Bernard Palissy, elle a un fils Alex, 19 ans, mannequin, une fille, Laura, 16 ans, boulimique et rebelle, une mère bigote ; sa demi-sœur, Floriane, maman d’un petit Tom, perdue de vue de puis des années, vient de refaire surface.

Séduite par Jonathan, Pénélope était entrée dans une phase de dépendance sexuelle qui la privait de ses facultés critiques. Même si elle enregistrait ici ou là des contradictions dans ce que lui racontait son amant ou si quelques réflexions bizarres la surprenaient parfois, elle les balayait, les effaçait de son cerveau, elle ne voulait pas en tenir compte. En marchant dans la rue, le nez en l’air, le sourire extatique, ou en attendant son tour pour acheter son sandwich du midi, elle se répétait dans sa tête : « c’est mon homme, mon mec à moi, je lui plais, il m’aime, la vie est formiiiidable...»  Un voile de mariée ondulait déjà à l’horizon.

Elle n’en revenait pas qu’une fille comme elle ait un amant comme lui : un vrai intello (pas du tout évaporé), qui plus est bien foutu et, en plus, surdoué de l’amour physique. Avant lui, elle ne savait pas qu’on pouvait prendre son pied à ce point-là.

Jusqu’ici, elle n’avait été qu’une grande gourdasse de la baise. La honte.

Oui ! Il l’avait révélée à elle-même, on pouvait même carrément dire qu’il l’avait métamorphosée – extraite de sa chrysalide, pour reprendre la métaphore rebattue du papillon. Pas étonnant qu’avant, elle ne fût pas tellement portée sur les relations sexuelles, tout au plus se satisfaisait-elle de la reconnaissance de ses fugaces compagnons, généralement très fiers de leurs performances bof-bof. Tandis que maintenant... ses sens vibraient la journée entière des jouissances de la veille, comme un feu mal éteint sous les cendres...

L’esprit ailleurs, elle s’égarait dans sa propre ville, se trompait en rendant la monnaie quand elle vendait les cartes et les ouvrages du Musée, mais les gens – comme s’ils pressentaient par on ne sait quelle mystérieuse empathie que Cupidon voletait dans les parages avec ses petites ailes, son petit carquois et ses petites flè-flèches – souriaient avec indulgence au lieu de rouspéter. Il lui arrivait de penser que si tous les gens du monde étaient repus d’amour, les relations humaines deviendraient idylliques. Cette vision chloroformée d’un paradis sur Terre sans pommier ni serpent lui lissait les traits, donnait à son teint un velouté de pêche, à ses gestes des grâces d’odalisque, à son regard un flou rêveur...

Leur liaison durait maintenant depuis un mois. Et depuis un mois, Pénélope voguait sur un nuage rose. Elle passait le week-end avec Jonathan, dans le gîte qu’il louait à la campagne face au golf de Touraine, et il venait la retrouver en ville une ou deux fois dans la semaine.

Mais ce soir, patatras !

Le nuage rose s’est désagrégé brusquement, comme une cible ennemie explosée par un missile.

 

Alors que la neige recouvrait la ville d’une moelleuse couette blanche, et qu’ils étaient serrés l’un contre l’autre dans le canapé rouge de Pénélope devant les infos à la télé – ambiance cocooning, musique-bougies-encens-bières-chips – Jonathan annonce soudain :

— Le prochain week-end, j’vais rejoindre mon pote Phil, à Lille.

Pénélope se redresse, fronce les sourcils, interloquée :

— On avait dit qu’on irait ensemble voir l’expo Monet...

— Ben, c’est pas possible.

Pénélope se rebiffe :

— C’est dégueulasse ! tu aurais pu me prévenir ! J’ai acheté les billets de TGV et j’ai galéré pour avoir deux entrées VIP pour le Musée d’Orsay...

Jonathan se met debout sans un mot, ratisse ses cheveux, empoigne sa grosse veste de velours doublée de polaire écossaise, l’enfile tranquillement et fait rouler ses épaules comme un catcheur. Il se dirige vers la porte, tourne le loquet, sous les yeux médusés de Pénélope qui ne comprend rien à rien... Ne devait-il pas rester ce soir ?

— Ça veut dire quoi, ce petit manège ? demande-t-elle.

Il lève sur elle des yeux inexpressifs, cale ses poings dans ses poches :

— Rien. J’en ai marre. C’est tout.

— Marre de quoi ? De moi ?

« Idiote » pense-t-elle, au moment où elle prononce ces deux petits mots qui trahissent sa culpabilité génétique et elle se reprend :

— Marre de notre liaison ?

— De notre vie de merde. Tu t’es vue, dans ce canapé, à végéter ? Tu crois qu’ça peut durer ? Tchao. J’te laisse. On s’rappelle un de ces quatre.

Il remonte son col et traverse le jardinet. Pénélope bondit sur le seuil.

— Eh ! Attend ! On peut parler, non ?

Il lève un bras et s’éloigne en laissant les empreintes de ses souliers dans la neige, il passe dans le cône de lumière du réverbère où s’agitent les flocons et disparaît au coin de la rue...

Le beau Jonathan, le sextoy de madame, vient de planter dans son cœur le poignard de l’hostilité et de la désillusion. De grosses larmes jaillissent et roulent sur ses joues non plus fraîches et rebondies mais molles et bistres, elle rentre et referme sa porte, frigorifiée et toute recroquevillée. Elle se sent moche et pitoyable comme un chaton mouillé.

Dans son salon, tout ce que son regard englobe à cet instant lui semble grotesque, absurde, idiot : elle éteint les bougies, pince le bâtonnet d’encens, et s’effondre sur la couverture encore bouchonnée dans le canapé, enlace un coussin et hurle dedans son chagrin, sa déception...

Peu à peu, elle se calme, la colère fait une petite place à la réflexion. Qu’est-ce qui a cloché ? Qu’est-ce qui ne va pas chez elle pour être plaquée comme ça ? Elle pense qu’elle doit secréter une sorte de Baygon qui fait fuir les amoureux comme des cafards... Que devrait-elle changer ? Devrait-elle être plus douce, plus gentille, plus ambitieuse, moins perso ?

Elle cherche en elle la cause de cette rupture imprévisible, il ne lui vient pas à l’esprit que Jonathan ait pu provoquer la scène de sang-froid et perverti leur relation rien que pour son plaisir...

Et, pendant qu’elle se morfond, il descend l’avenue de Grammont au volant de son quatre-quatre qui reflète des premières illuminations de Noël et dont les pneus font gicler la neige fondue.

Il évalue le temps qu’il faudra à Pénélope pour encaisser le coup, pour panser ses plaies, pour que sa colère retombe, qu’elle commence à le regretter et, enfin, qu’elle le rappelle : deux semaines ? Peut-être trois, avec son esprit d’escalier...

Il sourit, il s’amuse, il a semé la graine de la soumission qui germera ou non, il en prend le risque, il pense que le terrain est favorable. Pénélope est un bon coup, une jolie petite souris avec laquelle on doit pouvoir s’amuser si on ne l’abime pas trop...

Oui ! Le diable a gagné sa première manche... 

à suivre...
Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
Tous droits réservés 

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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