Place du palais, feuilleton, épisode n° 6
ZOOM sur les personnages :
Trois copines : Pénélope Forest, Armelle Chamotte et Romane Franjeux.
- Pénélope est célibataire, elle a des petites amourettes mais son cœur bat pour un beau Québécois, juste entrevu, Jonathan. Elle habite Quartier Velpeau, elle travaille au Musée des beaux-arts ;
- Armelle est potière, mariée avec François, musicien, fils d'un people gay anonyme, Ils ont une fille, Lou. Ils habitent à la campagne, près de Saché ;
- Romane est psy, son cabinet est rue Bernard Palissy, elle a un fils Alex, mannequin, une fille boulimique, une mère bigote et une demi-sœur, Floriane, perdue de vue de puis des années, qui refait surface, mal en point.
Les trois copines sont au chevet de Floriane, à l’hôpital ; la jeune femme est toujours inconsciente mais, d’après l’équipe médicale, elle peut sortir de sa léthargie d’une minute à l’autre...
Romane guette le réveil de sa demi-sœur, elle pose la main sur son front en prononçant des paroles de réconfort. Pénélope est assise sur la chaise destinée au visiteur ; Armelle s’enfonce dans le fauteuil en skaï.
— Puisqu’on est là, à rien glander, tu pourrais nous parler de cette malheureuse demi-sœur qui sort tout d’un coup de ton chapeau, suggère Pénélope, les coudes calés sur les genoux et le menton dans les mains.
— En somme, on est au chevet d’une inconnue, renchérit Armelle, en faisant apparaître dans sa joue une fossette sarcastique.
— C’est vrai. Mea culpa... C’est que Floriane avait déjà rompu avec ma famille depuis longtemps, bien avant qu’on se connaisse toutes les trois. Elle avait fait table rase de son passé, démarré une nouvelle vie. Après tout, c’était son droit et son choix que je respectais.
Romane cale ses fesses au bord de la table roulante appuyée contre le mur et croise les bras :
— Après un clash mémorable lors une réunion de famille, un jour de Noël, elle n’a plus jamais donné de nouvelles à personne.
En secouant ses cheveux blond vénitien entre ses doigts comme si elle les faisait sécher, Armelle murmure dans un sourire béat :
— Un clash en famille le jour de noël : mon fantasme favori !
Pénélope lui jette un regard surpris, remise dans un coin de sa mémoire cette réflexion désabusée qu’elle se promet d’élucider plus tard : elle n’y manquera pas parce que c’est exactement ce genre de petites démangeaisons relationnelles qu’elle aime gratouiller. Mais, pour le moment, elle s’intéresse au cas Floriane :
— Et alors ? Quel était l’objet du scandale ?
— Un truc sordide. J’en ai eu confirmation par Floriane elle-même, la seule fois où j’ai pu lui parler, après cette scène d’enfer ; elle a accepté un rendez-vous avec moi au Café de la Gare... J’espérais qu’elle accepterait mon aide.
Romane vient s’appuyer au pied du lit, indécise :
— Je ne sais pas si je dois entrer dans le détail, c’est tout de même confidentiel...
— Le toubib a dit de remuer des souvenirs pour la réveiller... Plus elle sera concernée par ce que nous dirons, mieux elle réagira, non ?
— Moui. Bon. Vous connaissez Festen ?
Armelle et Pénélope hochent négativement la tête, les yeux ronds.
— Prix spécial du jury de Cannes 1998, film écrit et réalisé par Thomas Vinterberg. Ce film illustre les dégâts que produisent les secrets de famille. Il relate une fête de famille à l’occasion de l’anniversaire du patriarche. Celui-ci exerce un despotisme masqué sur sa descendance, au nom du prestige de la famille. Tous doivent se féliciter d’appartenir à ce clan exceptionnel, alors même... que le chef de famille avait commis des actes de pédophilie sur l’un de ses fils, autrefois, et l’avait contraint à se taire... Or, le fils martyr rompt la loi du silence et dévoile la vérité lors du banquet... Et c’est un règlement de compte général.
— Ouah ! Et c’est ce que Floriane a fait : révéler un secret de famille ?
Romane plante son regard grave sur ses deux amies, tour à tour, et déclare :
— Mon père a abusé d’elle quand elle était gamine.
— Tu n’en as jamais parlé...
— On peut assumer les tares de sa famille sans les imprimer sur sa carte de visite.
— Ton père qui a donc élevé, si on peut dire, ta demi-sœur ?
— Exactement, elle est née d’un premier mariage. Ce soir-là, au réveillon, elle était pompette et bien remontée. Elle a dit toute la vérité. Ça a fait l’effet d’une bombe. Mon père s’est levé de table, blême, les larmes aux yeux, en disant que jamais personne ne pourrait comprendre l’amour sincère qu’il éprouvait pour Floriane, il a jeté sa serviette et il est sorti en sanglotant.
— Non seulement il n’a exprimé aucun regret mais il s’est trouvé une excuse : il l’aimait ! Quelle horreur !
— Tu as eu de la chance qu’il t’aime moins...
— Ça, oui. Malgré tout, la perversité crée un climat délétère que les enfants ressentent et je suppose que je n’ai pas choisi mon métier par hasard... On n’a plus jamais revu mon père, il a carrément disparu sans rien emporter, une de ces disparitions subites... Il peut se trouver aussi bien aux Bahamas que noyé dans un étang... Mystère. Ma mère ignorait tout de cette histoire et ma sœur se taisait par honte, jusqu’au jour où c’est sorti, lors de ce fameux réveillon de Noël. Mais, patatras, au lieu de soutenir sa fille, de la consoler et d’être un peu gentille, ma mère lui a reproché d’avoir fait cette révélation devant tous les cousins, oncles et tantes, et de causer un scandale le jour sacré de la Nativité... Elle est tellement entortillée dans sa bigoterie que dire les choses comme elles sont, pour elle, c’est blasphémer. De victime, Floriane s’est retrouvée coupable ! La famille a explosé en vol. Voilà.
— Pauvre Floriane... Après le beau-père pédophile, une mère qui la rejette et un mari psychotique, est-ce qu’elle peut s’en remettre, d’après toi ?
— J’espère, je vais l’aider à s’en sortir. Et puis, elle a un enfant, Thomas...
Tout à coup, un murmure leur fait dresser l’oreille :
— Mon garçon, mon petit chéri...
*
Quelques jours plus tard, pâle et triste, enveloppée d’une étole, Floriane découvre son nouvel univers chez les Chamotte.
S’agrippant à la rampe, elle gravit l’échelle de meunier qui conduit aux deux chambres mansardées, celle de Lou et celle qu’Armelle a préparée spécialement pour Floriane. L’endroit est charmant, rustique, avec des poutres, des tomettes, une petite fenêtre habillée de cretonne, une table cirée et un lit en cuivre recouvert d’un antique drap de coton ; sur la table, un petit broc émaillé de fabrication maison contient des dahlias roses.
— C’est bien joli, chez vous... J’ai l’impression de tourner dans un téléfilm sur Maupassant, dit-elle, avec un sourire désabusé et un regard reconnaissant.
— Dans le rôle d’une pauvre fille à la rue, plaisante Armelle.
Elle pose le sac de Floriane sur le lit, un cabas d’hyper marché qui contient ce que Romane et ses amies ont dégoté à gauche et à droite, ou acheté, puisqu’il n’est pas question de remettre les pieds dans l’appartement des rives du Cher au cas où le parano de service monterait la garde. Elles s’assoient sur le lit pour bavarder un instant. Armelle résume la situation :
— Donc, nous savons que l’hôpital a porté plainte contre X pour homicide après l’agression dans ton coma. Dès que tu seras d’aplomb, nous irons au commissariat déposer ta plainte pour séquestration et enlèvement d’enfant, et nous prendrons rendez-vous avec un avocat pour entamer une procédure de divorce. Voilà pour ce qui concerne les actions judiciaires. Parallèlement, nous allons te remettre sur pied, t’aider à trouver un job, à voir ton fils...
La musiquette de son portable accroche dans l’air quelques notes colorées. Elle décroche en terminant sa phrase, chuchotant :
— Pour Tom, Romane s’en charge...
Elle fronce les sourcils, surprise par cet appel auquel elle ne s’attendait pas du tout, celui de... sa voisine de plage. Dans un élan de sympathie, fin août, elles avaient échangé leurs numéros et leurs adresses mail, elles avaient appris à se connaître en bavardant quotidiennement...
— Je ne vous dérange pas longtemps, chère Armelle, je ne fais que ricocher une demande de notre jeune homme au pair, Jonathan, vous vous souvenez ? Il travaille en collaboration avec des enseignants chercheurs en physique de Tours sur les supra conducteurs... Il doit résider à Tours durant l’année universitaire, j’ai pensé que vous pourriez l’introduire dans votre réseau d’amis... Facebook, c’est bien, mais le vrai contact, c’est mieux, n’est-ce pas ?
— Pas de problème ! Ce sera un plaisir.
Sitôt les adresses échangées, Armelle compose le numéro de Pénélope, en clignant des yeux à l’attention de Floriane pour excuser ce nouvel aparté...
*
Pénélope est en train de glisser sous enveloppes des bulletins de souscription en faveur de la collection Richelieu, qui seront expédiés aux institutions et entreprises du département. Elle bâille, la journée n’en finit pas... Elle accueille avec plaisir le signal d’un appel, le petit bourdonnement vibratoire, promesse d’une diversion. « Nouveau message de Armelle » annonce l’écran de son portable : elle clique et lit, totalement abasourdie : « Jonathan débarque à Tours pour un an ». Elle se mord les quatre doigts de la main droite pour contenir une subite crise d’hystérie.
*
Romane a attendu ce samedi, son jour de repos, pour rencontrer la mère complice de Retors, qui séquestre Tom. Elle ne sait pas trop comment elle va s’y prendre pour l’obliger à partager la garde de l’enfant avec Floriane, avant la décision du juge. Mais Tom est son neveu, elle a son mot à dire. Elle se stationne allée des cerisiers à Joué les Tours, devant la villa où réside Rita Retors.
À son coup de sonnette, une femme sévère, les cheveux retenus par un foulard mal noué, apparaît sur la terrasse, les mains sur les hanches, l’air interloqué. Elle scrute l’importune visiteuse en fronçant les sourcils et la bouche arquée comme écœurée. Romane lui trouve une ressemblance avec Stéphane Audran dans un film de Chabrol où elle joue une vieille mère folle et abusive...
— Qu’est-ce que c’est ! aboie Rita Retors.
Romane joue le tout pour le tout :
— Je viens voir Tom, je suis sa tante.
— Jamais entendu parler d’une tante.
— C’est normal, ma sœur et moi, nous sommes fâchées.
Elle a hésité, elle n’a pas employé l’imparfait pour lui laisser croire qu’elles ont un point commun : celui de ne pas piffer la mère de Tom. Et ça marche, du moins pour l’instant, puisque Rita Retors déclenche l’ouverture à distance du portail, observant effrontément la visiteuse qui se rapproche ; Romane sent dans son regard toute l’agressivité d’une femme dédaigneuse, jalouse, complexée, autoritaire, exclusive... bref, la totale !
— Entrez. Asseyez-vous là. Pousse-toi de là, Dora !
Dora n’est pas une poupée, c’est une Chiwawa, décorée d’un col de tulle et d’un nœud-nœud rose entre les oreilles. Aucune trace d’enfant dans la pièce, pas de jouets, pas de livres d’images, pas de petits vêtements, de chaussures... En revanche, il y a de nombreuses photos d’un autre chiwawa dans des cadres luxueux, posées sur les meubles ou accrochées aux murs... Romane ne laisse pas filtrer son inquiétude et tente d’amadouer la maritorne en lui parlant de ses clébards :
— Quel jolie petite chienne... Est-elle affectueuse ?
Déstabilisation de Rita qui abandonne son ton querelleur :
— Ce sont des amours. Je parle toujours de mes deux chéris bien que l’un des deux soit mort, c’est lui, en photo... Kitty... Il nous manque tellement, n’est-ce pas ma Dora ?
La petite chienne relève la tête et gémit. Comme si elle comprenait ce que vient de dire sa maîtresse, et c’est peut-être le cas. Hypocrite, Romane insiste :
— Kitty et Dora... quel adorable petit duo ils devaient faire tous les deux... Aimeriez-vous remplacer Kitty ?
Rita pleurniche.
— Jusqu’à présent, j’hésitais, mais je crois que finalement ça me consolerait.
Romane décide de mentir effrontément... pour la bonne cause :
— Écoutez, Rita – je peux vous appeler Rita ? – j’ai une amie qui cherche une bonne famille pour un petit ange comme le vôtre quand il sera sevré... Voulez-vous l’adopter ?
— Vous voulez dire gratuitement ? s’ébahit Rita.
— Mon amie ne fait pas ça pour de l’argent.
Rita se tamponne les yeux, prête à accepter, Romane saisit l’opportunité :
— La prochaine fois que je viendrai voir mon neveu, je vous donnerai des nouvelles de Kitty Junior, d’accord ?
— D’accord. Je vais voir si Tom dort encore, c’est un gros dormeur... Une cuiller de Nopron et il roupille douze heures !
« Mon Dieu ! » pense Romane tandis que Rita, satisfaite d’elle-même, file vers un couloir sombre, suivie de la mini chienne de salon qui trotte comme un jouet mécanique.
à suivre...
Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
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Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)
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