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Place du Palais, feuilleton : épisode n° 8

maison de Calder au bord de l'Indre.jpg
La maison de Calder à Saché au bord de l'Indre dite "maison de François 1er 
Où j'ai situé Armelle et François Chamotte...

Place du Palais
Episode n° 8

 Les personnages principaux sont trois copines tourangelles :

- Pénélope Forest, 34 ans, célibataire, elle a des petites amourettes mais son cœur bat en secret pour un beau Québécois, à peine entrevu, Jonathan. Elle habite Quartier Velpeau, elle travaille au Musée des beaux-arts ; ses parents habitent aux Prébendes.
- Armelle Chamotte, 36 ans, est potière d’art, mariée avec François, musicien, fils d'un people gay. Ils ont une fille, Lou, 11 ans. Ils habitent à la campagne, près de Saché.
- Romane Franjeux, 40 ans, divorcée, est psychothérapeute, son cabinet se situe rue Bernard Palissy, elle a un fils Alex, 19 ans, mannequin, une fille, Laura, 16 ans, boulimique et rebelle, une mère bigote ; sa demi-sœur, Floriane, maman d’un petit Tom, perdue de vue de puis des années, vient de refaire surface, mal en point.

 Résumé : Armelle héberge Floriane après sa tentative de suicide. Romane doit ramener Tom à sa maman. Jonathan vient dîner...

   — Notre invité surprise s’appelle Jonathan, chérie ! dit Armelle, en réponse à Lou qui écrit les cartons de table pour le dîner.

La chaleur du four, la cuisson du potage au potiron et le bourguignon qui mijote, produisent de la buée sur les vitres.
   — Tu veux bien allumer, ma puce, il fait sombre et j’ai les mains dans la farine...
   Lou bondit jusqu’à l’interrupteur. Éclairée par la suspension d’opaline, la grande pièce se transforme illico en image de conte : les meubles et les objets sont bordés d’un fil de lumière dorée, les carreaux du sol ont l’air caramélisés et les rideaux, le tapis, se parent de couleurs de pâtes d’amande. Lou pense que l’ombre, sévère et acariâtre, a perdu la bataille et se cache, honteuse, dans les recoins.
   Armelle recouvre le moule à tarte avec sa pâte sablée dont elle décroche les bordures avec une dextérité qui hypnotise Lou : elle se demande si elle sera aussi experte que sa maman quand elle sera grande. À quel moment, s’inquiète-t-elle, sait-on faire les choses avec cette maîtrise ? Quand on a eu ses règles ? Quand on a des seins ? Quand on a des enfants ou un amoureux ? Elle se demande aussi si elle a vraiment envie d’être grande, parce qu’elle n’a pas envie d’avoir des règles, ni des seins, ni un fiancé, ni de quitter papa et maman, elle veut habiter avec eux toute sa vie.
   Armelle perçoit l’amour filial dans les yeux de Lou mais, quand elle la regarde à nouveau, tout en disposant les quartiers de poires sur la pâte, elle devine aux sombres éclats de ses prunelles que sa fille chérie a déjà conscience de la fugacité de son enfance – de l’innocence et du bonheur... Alors elle lui parle tendrement, sur un ton enjoué et rassurant :
   — Jonathan est un chercheur scientifique, une sorte de savant, qui vient passer une année en France et il ne connaît personne, nous allons lui faire rencontrer des gens, tu comprends ?
   — Est-ce qu’il sera comme Doc, l’inventeur fou de Retour vers le futur, avec les cheveux ébouriffés...
   — Mais enfin, chérie ! Tu le fais exprès ou quoi ? Tu le connais, tu l’as déjà vu... C’est le jeune homme qui accompagnait nos voisines de plage, cet été.
   — C’est lui ! Eh ben ! ça se voyait pas qu’il était savant ! éclate-t-elle de rire.
   Elle décore la table avec les serviettes en papier au motif de saison (champignons et châtaignes) et dispose des bougies sur des feuilles de vigne vierge rouges ramassées dans la cour. Elle pose ses cartons devant les verres et annonce à sa mère son plan de table :  
   — Donc... je mets papa à côté de toi. Et Romane entre toi et tante Floriane. Tom, le petit garçon de Floriane, je le place entre tante Floriane et moi. Ensuite, Pénélope, entre papa et Jonathan, et Doc-le-Savant se retrouve à côté de moi ! Voilà... Ça tombe pile poil !
   — Parfait, Chérie. Monte voir Floriane, demande-lui si tout va bien pour elle... Tom et Romane ne vont pas tarder, maintenant.

                                                                             *

    Au premier, dans la chambre d’amis, Floriane est repliée en chien de fusil sur son lit, elle a mal au ventre, elle est complètement nouée, presque tétanisée à la pensée de retrouver son petit garçon, de le toucher, de le respirer : être séparée de lui a été une telle torture qu’elle a failli en crever. Maintenant, elle doit se ressaisir, se préparer à le recevoir comme un cadeau du ciel, être bien habillée, bien coiffée, sentir bon le lilas... Tom aimait cette eau de toilette... Titubante d’émotion, elle se rend dans la salle de bain. Elle brosse ses cheveux puis les ébouriffe pour se donner un air vivant, dynamique, malgré ses joues creuses, son teint bistre et ses paupières fripées. « Je reviens de loin, de très loin... » pense-t-elle, en approchant son visage du miroir ; elle met du blush sur ses joues et du rouge à lèvres...

 (...) Elle mourra si ce n’est pas lui.
Elle ouvre la porte, se tient debout, immobile.
Elle attend son enfant, ou la mort (...)
 

   Une élégie qui n’a cessé de tourner dans sa tête une année entière comme un papillon emprisonné, revient à sa mémoire une fois encore et ses lèvres, rouges et brillantes, murmurent les derniers vers à l’attention de son reflet dans le miroir :

Elle berce l’enfant qui sourit,
Qui s'endort.
Sa gorge chante comme l’eau roule les graviers
Comme le vent dans les feuillages.
Elle voudrait que dure à l'infini ce moment arrêté.[1]

   Au moment de quitter la villa de Rita Retors, Tom n’a pas demandé son reste, il s’est agrippé à la main de sa tante, faisant front, comme un petit bélier prêt à foncer. Tandis que Rita leur disait au revoir avec des manières alambiquées et des sourires factices, il tirait le bras de Romane, l’entraînait vers la porte, puis vers la voiture garée dans la cour. Il est soulagé de quitter cette méchante sorcière complètement brèmezingue, qui parle à son chien mort, qui menace de le perdre dans les bois ou de l’enfermer dans la cage aux hamsters...
   — Je ne veux plus revenir chez elle, crie l’enfant.
   — D’accord, Tom, tu n’y retourneras plus jamais.
   Romane a prétendu l’emmener pour l’après-midi en sachant pertinemment que Tom resterait ensuite avec Floriane. Il fallait sauver les apparences et ménager la susceptibilité de Rita afin qu’elle ne se crût pas obligée de retenir l’enfant par gloriole ou prétendue affection.
   Ainsi Rita n’avait fait aucune difficulté, si ce n’est de réclamer le chiot promis. « Je dois trouver coûte que coûte un chiwawa pour l’empêcher de se plaindre à son fils et de compliquer le divorce ! » conclut Romane, prise à son propre piège.
   Sitôt le portail franchi, elle soupire si fort que Tom s’inquiète, du fond de la banquette, ligoté par la ceinture de sécurité qu’il détend pour venir s’accrocher à l’appui-tête. Il n’arrête pas de poser des questions :
   — Où on va ? C’est vrai que tu es la sœur de ma maman ?
   — Je te ramène à ta maman, Tom...
   Puis elle répond à chacune de ses interrogations tout au long du trajet jusqu’à la maison d’Armelle, de Lou et de François ; La grille est ouverte, elle rentre directement sa voiture dans la cour. Tom descend de l’auto. Les sons d’une guitare et d’une batterie électronique parviennent, assourdis, depuis le studio troglodytique où François compose son futur album.
   Les yeux écarquillés, Tom regarde les fenêtres éclairées, découpées dans la vigne vierge pourpre, comme une promesse de bonheur. La porte s’ouvre sur une fillette en salopette et en chaussons-lapins, des tresses comme des queues de rats et barbouillée de chocolat, qui lui sourit.

   Cet instant restera à tout jamais gravé dans la mémoire de Tom. Ce moment fondera l’optimisme dont il fera preuve au cours de son existence, parce qu’il restera persuadé qu’aucune situation n’est désespérée, que le pire peut devenir le meilleur tant qu’il y a sur notre Terre des êtres humains qui font juste un peu confiance à autrui.

   La fille d’Armelle prend la main de Tom avec circonspection et se penche vers lui :
   — Moi, je m’appelle Lou. Je suis ta cousine. Je vais te conduire à ta maman qui est dans sa chambre, en haut. Nous vous laisserons vous retrouver et tu redescendras quand tu voudras. Et ce soir, tu feras la connaissance de mon papa, musicien, et de nos invités, un chercheur du Canada et une gardienne de Musée. On va manger de la tarte aux poires et au chocolat... Tu es content ?
   — Voui, dit le petit garçon, en hochant la tête.
   Armelle glisse sa tarte dans le four. Elle donne un tour de cuiller en bois dans son bourguignon et rejoint Romane sur le canapé au fond de la pièce.
  
   — Je suis morte, soupire Romane, en tirant sur son écharpe et en déboutonnant son gilet. Cette vieille chipie a eu ma peau. C’est une vraie folle ! Son fils et elle, ce sont des nuisibles. Il faut absolument empêcher Floriane et Tom d’avoir le moindre contact avec eux...  Si tu ne peux pas les garder, je prendrai le relai.
   — Ça ira. On travaille tous les deux, François et moi, à la maison, c’est plus facile pour nous de les héberger.
  — Autre chose... J’ai troqué Tom contre un chiwawa...
  — Pardon ?
  — J’ai fait comme j’ai pu, désolée... Il faut absolument que vous m’aidiez à trouver un chien de cette marque, très vite, avant que la vieille aille couiner partout qu’on a enlevé Tom...
  — Ok, ne t’énerve pas. Ah ! Au fait, j’ai eu un appel de Laura, mais elle n’a pas laissé de message... Je suppose qu’elle n’a pas pu te joindre.
  — Oui, j’avais coupé mon mobile pour négocier avec la vioque. Je la rappelle...
  Elle se connecte avec sa fille.

  — Laura, Allo ? Tu as cherché à me joindre ? ... Quoi ! Ô, mon Dieu ! Pourquoi ? Que s’est-il passé ?
  Romane se décompose, ferme les yeux, au bord des larmes. Après la communication, elle laisse passer un moment le visage dans les mains. Soudain, elle se met debout, enfourne son portable dans sa poche, renfile avec énergie son caban, son écharpe, attrape son sac :
  — Je dois y aller...
  Armelle ouvre des yeux interrogateurs.
  — Laura a été ramassée par les flics rue de Bordeaux avec des casseurs, après la manif, cet après-midi... Elle est en garde à vue, amochée, paraît-il...
  — Misère de misère, ma pauvre chérie...
  — Pas d’attendrissement, sinon... je craque.

à suivre...

 Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
Tous droits réservés


[1]  Cf.  L’enfant, poésie inédite en intégralité sur : http://claudinecholletecrivain.hautetfort.com/l-enfant-poesie.html

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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