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05 avril 2012

Le roman policier, hier et aujourd'hui... (3)

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Pour le troisième volet du petit feuilleton culturel consacré au roman policier, je cite John Curran, l’auteur de l’ouvrage paru en 2009 au Masque : Les carnets secrets d’Agatha Christie. John Curran a été autorisé par Mathew Prichard, petit-fils de la romancière, à découvrir et à exploiter ces carnets  encore inaccessibles au public.

John Curran évoque ainsi l’âge d’or de cette littérature :

« C’était l’époque des week-ends en maison de campagne animés par la présence d’un assassin, de la petite bonne qui témoignait d’une voix nasillarde, de la pelouse enneigée sans la moindre trace de pas et du policier dépassé quémandant l’assistance du détective amateur perspicace. L’ingéniosité atteignit de nouveaux sommets avec l’embolie fatale provoquée par une seringue hypodermique vide, le timbre-poste empoisonné et le poignard glaçon qui s’évapore après usage (...) Les lecteurs en vinrent à connaître intimement les propriétés de l’arsenic, les subtilités des indicateurs de chemin de fer et les arcanes du Legitimacy Act de 1926. Le Collins Crime Club et le Detection Club furent fondés ; Ronald Knox fit paraître les Dix Commandements du Roman Policier et S.S. Van Dine écrivit ses fameuses Règles.

Et Agatha Christie publia La Mystérieuse Affaire de Style (Son premier roman) qui débutait par cette phrase de défi :

« Je parie que tu n’es pas capable d’écrire un bon roman policier. »

Comme l’écrivait jean Cocteau dans sa préface du Mystère de la chambre jaune :

« Il n’y a pas de génie, il n’y a que des preuves de génie »

12:20 Écrit par Claudine dans art, Blog, femmes, feuilleton, langue, langage, littérature, Livre, Loisirs, roman policier | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

07 mars 2012

Le roman policier, hier et aujourd'hui... (1)

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Edgar Alan Poe                            &                    Emile Gaboriau

La littérature criminelle prend chaque année plus d’ampleur. Elle représente 20% des ventes de livres et le « top policier », c'est-à-dire les 200 meilleures ventes de l’année, condense 60% du chiffre d’affaires de la librairie. Selon la revue Lire : « En ce début du XXIe siècle, un peu plus de 60 éditeurs affichent près de 80 collections polar ».

Ce qu’on nomme le « roman policier » réunit plusieurs genres allant du roman à énigmes au thriller en passant par le polar. En fait, l’évolution du roman dit « policier » suit celle de la société, comme toute la littérature.

La naissance du journalisme et celle du roman policier sont concomitantes : les premiers journaux publiaient des feuilletons et ces feuilletons prolongeaient le réel des infos par la fiction. Ainsi la curiosité des lecteurs pour le fait divers trouvait son compte dans les détails inventés par les romanciers.

L’Angleterre, la France et les Etats-Unis sont les pionniers en matière de romans policiers.

Edgar Allan Poe est le premier auteur du genre avec Le double assassinat de la rue Morgue publié en 1841. Dans cette première intrigue, comme chacun sait, le tueur est un grand singe et les témoins parleront d’un dangereux individu baragouinant l’anglais ! Le Britannique Edgar Alan Poe choisit comme par hasard un enquêteur – Auguste Dupin – issu d’une vieille aristocratie française et situe ses investigations en plein Paris. 

En France, Émile Gaboriau inaugure le genre policier avec la non moins célèbre  Affaire Lerouge publiée en 1865, résolue par M. Lecoq, agent de la sureté... personnage inspiré du véritable Vidocq...

L’humour, qui affleure en permanence dans ces récits, constituera un des critères  du genre.

Chercheuse à l’Université de Picardie, Isabelle Casta, a fait une thèse sur le roman policier et met en évidence « l’intertextualité ludique qui donne son cachet, sa griffe inimitable, au genre »

Ainsi, chaque auteur intègre dans son roman, un nom, une technique, inventé par ses prédécesseurs, c’est un clin d’œil aux récits de ses confrères. Rien que les deux premiers exemples cités en fournissent des exemples : Auguste Dupin inspirera le nom d’Arsène Lupin. Gustave Le Rouge, l’auteur du Mystérieux Docteur Cornélius, donnera à Gaboriau le titre de son Affaire Le rouge et à Conan Doyle celui son Étude en rouge. Conan Doyle lui-même vouait un véritable culte à la stratégie énigmatique de Gaboriau et qui ne connaît le personnage d’Herlock Sholmès, ennemi de Lupin, dans l’Aiguille creuse ? Plus près de nous, Fred Kapak réunit avec ironie des nouvelles noires tirées au cordeau sous le titre de Qui a tué Ed Garpo ?

Pour ma part dans mes « Polycarpe » je poursuis non sans jubilation cette tradition : la marchande de miel psychanalyste Imogène Dupin emprunte son prénom à Exbrayat et son nom à Edgar Poe. Bien d’autres clins d’œil émaillent ma série policière... (à suivre...)

10 janvier 2012

LES CONTES DE POLYCARPE : Le Gué Renviens (3e conte)

J'ai extrait du tome IV ( POLYCARPE, LE NOMBRE D'OR) trois anecdotes inventées pour illustrer l'histoire du village, composées sous forme de contes,  dans "l'esprit" du Décaméron. C'est à dire de façon imagée et burlesque qui décrit avec empathie les pitoyables humains...

troisième conte

                                         LE GUÉ RENVIENS

Des dialogues décousus s’échangeaient autour de la table. Un moment, il fut question des sites sacrés et de la légende de Frère Prosper. Basile raconta, pour ceux qui ne la connaissaient pas, la version originale de Max. Des applaudissements saluèrent le conteur et l’inventeur de la légende.
− Vous devriez faire profiter tous nos amis de la légende du Cheval mort, dit Polycarpe.
− Non, non, se défendit le centenaire. C’est trop long, je n’ai pas assez de souffle. Avez-vous écouté celle que j’ai enregistrée sur le magnéto ?
− Le gué de Renviens ! Oui, oui. C’est captivant.
− Raconte, raconte ! implora Zorba.
− Max, s’il vous plait, on adore vos histoires, l’encouragea Lily.
− Allez, Max, ne vous faites pas prier, insista Basile.
− Bon, chevrota Max, si vous y tenez.
− Parle à ton rythme, nous avons la vie devant nous, lui chuchota son optimiste épouse.
Les convives s’accoudèrent, tout ouïe. Zorba se précipita sur les genoux de son grand-père. Le silence n’était interrompu que par quelques stridulations de pipits.

Il faut s’imaginer au début du XVIIIe siècle, commença-t-il. Cette histoire dont la fin étrange ne fut jamais vraiment élucidée, s’est déroulée ici, à Rochebourg. Vous connaissez tous la maison qui porte encore le nom de “L’huilerie” : elle abritait, à ce moment-là, le moulin à huile de la paroisse.


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Maître Jehan Coulefin, patron huilier de père en fils, était flanqué six mois durant d’un commis surnommé Casse-noix, chargé de séparer les amandes des coques, lequel se louait au maréchal-ferrant le reste de l’année. Ce notable aisé avait été séduit par une belle rousse gironde qui lui faisait des yeux de velours mais louchait en réalité sur sa fortune. Une fille, prénommée Anastasie, naquit quelques mois seulement après leurs noces, scellant définitivement une bien malheureuse union.
Les années passant, la fillette devenait de plus en plus gracieuse tandis que l’épouse se métamorphosait en énorme matrone acariâtre. Asthmatique, elle ne pouvait plus dormir autrement qu’assise et son obésité la clouait sur son fauteuil également la journée. Coulefin compensait cette union désastreuse en vouant à sa fille une véritable adoration.
Il s’occupait aussi de quelques fermières des environs, mais passons.
Anastasie était son rayon de soleil, sa joie de vivre, ce que son acrimonieuse épouse, aigrie et jalouse, lui faisait payer en poussant des cris à casser la tête et en lançant des ordres, enrageant de n’être pas obéie au doigt et à l’œil. Elle s’empoisonnait le sang de ne pouvoir obtenir de Coulefin l’allégeance absolue.
L’argent était la seule chose qui la calmait et la consolait, aussi son mari lui confia-t-il les comptes de l’huilerie pour avoir la paix. Elle comptait et recomptait les pièces d’or, les faisait couler dans ses mains, caressait les lingots, entrait en extase à la pensée de sa richesse. Si bien que Coulefin conçut une sorte de siège coffre-fort sur lequel l’épouse trônait, nuit et jour, comme une poule qui couve ses œufs.


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Or, un jour, deux brigands firent irruption dans l’huilerie, saucissonnèrent Coulefin et entreprirent de lui griller les orteils pour lui faire dire où se trouvait sa fortune. Alors qu’il était sur le point de révéler l’astucieuse cachette aux chauffeurs affairés à le torturer, la maritorne quitta son coffre-trône et, saisissant les maillets destinés à casser les noix, leur asséna des coups sur la tête propres à assommer un bœuf. Puis elle les ligota et libéra Coulefin. Avait-elle agi ainsi pour sauvegarder son époux ou son or ? Nul ne le saura jamais car toutes ces émotions lui furent fatales. Le cœur lâcha. Morte, elle se répandit sur le sol comme de la gelée de veau. En attendant, elle avait sauvé la fortune de l’huilier.
Anastasie devint une jeune fille merveilleuse. Riche, jolie et savante, elle savait également tenir une maison à la perfection. De nombreux clients et fournisseurs avaient l’occasion de l’apercevoir, lisant sur le balcon, brodant dans son petit jardin, ou l’entendaient chanter et jouer de la musique. Avec eux, elle échangeait facilement quelques mots, joyeux et candides.

 

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Pour Coulefin, Anastasie était toujours sa petite fille qu’il ne voulait pas voir grandir. Jusqu’au moment où elle fut invitée à son premier bal. Il refusait d’admettre que son adorable trésor était en âge de se marier. Il ne pouvait même pas imaginer la maison sans elle, sans ses rires et son joyeux babil. Il subtilisa les invitations, éconduisit les nombreux partis. Lorsqu’un jeune prétendant, Fortunio Fromentin, auquel il trouva l’air complètement idiot, eut le culot de demander la main de sa fille et d’insister, Coulefin fut pris d’une rage folle et le chassa à coups de bâton. Il ignorait que ce jeune homme et Anastasie se connaissaient depuis plusieurs mois.
En apportant sa cargaison de fruits à l’huilerie, l’automne passé, Fortunio avait aperçu Anastasie et ressenti un vrai coup de foudre. Pour la revoir, il avait proposé à tous les paysans de porter leurs noix au moulin. Les jeunes gens s’étaient parlé et − oh, merveille ! − avaient découvert qu’ils avaient exactement les mêmes goûts, les mêmes avis, les mêmes envies. Et depuis, quand Fortunio venait chercher son contingent d’huile, grâce à la complicité de Casse-noix qui faisait le guet, les jeunes gens flirtaient dans le pailler.
Lorsque Coulefin surprit les amoureux, il cloîtra sa fille dans sa chambre et fit poser des barreaux aux fenêtres. Anastasie, qui avait été une enfant docile et aimante, se mit à détester ce père possessif. Elle inventa un stratagème pour le tromper et retrouver Fortunio. Contre quelques pistoles, elle obtint de Casse-noix qu’il reproduise chez son maréchal-ferrant un double des grosses clés de son appartement. Ainsi, Fortunio se laissait enfermer dans la soue, l’ancien abri à cochons depuis longtemps désaffecté et, muni de la copie des clés, il se glissait la nuit dans le lit d’Anastasie.
Le jour arriva enfin où les jeunes gens décidèrent de vivre leur vie. Anastasie était résolue à quitter cette maison devenue sa prison. Fortunio avait trouvé la chaumière où abriter leur amour et un emploi de palefrenier dans un relais de poste. Anastasie écoula discrètement ses affaires et quelques petits objets auxquels elle tenait beaucoup dans les charrettes des fournisseurs. Elle comptait naïvement sur la complicité de Casse-noix.
Vous vous doutez que ce commis vénal n’avait pas trouvé mieux, pour doubler la mise, que vendre la mèche en prévenant Coulefin. Celui-ci, aveuglé par le dépit d’avoir été trompé, n’éprouvait plus aucune pitié pour cette fille adorée qu’il aurait préféré voir morte plutôt que libre. Il laissa la fuite s’organiser pour les surprendre le moment venu. Il facilita même les choses en graissant la patte de Casse-noix pour “oublier” les clés sur les portes. Le commis reçut une somme aussi élevée de la main d’Anastasie pour la même mission.
La nuit du départ, Fortunio enroba les sabots de son cheval avec des haillons pour arriver silencieusement à l’huilerie. Anastasie, enveloppée d’une cape sombre, sortit dans la ruelle et, soulevée par Fortunio, monta en croupe pour la première fois de sa vie.

 

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Voilà nos deux amoureux en route, au petit trot, vers leur destinée. Ils devaient longer la rivière jusqu’au petit pont de madriers qui se trouve près de chez Flora.
Mais soudain, un bruit effrayant de galopade et de ferraille les alerta. La nuit était assez claire pour distinguer les poitrails brillants de deux montures qui semblaient fondre sur eux à la vitesse de la lumière, chevauchées par des cavaliers noirs et masqués. Coulefin avait engagé deux spadassins pour leur barrer la route et, si nécessaire, les éliminer.
Que faire ? Devant eux la rivière profonde était infranchissable. À cet endroit, le courant était vif. Qu’ils s’enfuient en aval ou en amont de la rive, les hommes à leurs trousses les rattraperaient comme l’éclair. Le cheval de Fortunio se cabrait, hennissait, sentant le danger. Ils étaient perdus.

 

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C’est alors qu’une chose se produisit, vraiment incroyable sous les yeux épouvantés des poursuivants dont les montures pilèrent d’effroi. La foudre venue de nulle part crépita sur la rivière et les eaux se séparèrent. Le cheval de Fortunio fit une volte gracieuse puis caracola dans le lit de la rivière qui, lorsqu’ils furent de l’autre côté, reprit son cours normal.
Qu’à cela ne tienne, les tueurs à gages empoignèrent leurs arquebuses, visèrent les cavaliers, tirèrent. Et là, second miracle, le cheval et les amoureux en selle, comme une bulle qui éclate, disparurent instantanément.
On dit que le soulèvement du fond du lit qui forme à cet endroit comme une minuscule île permettant de passer à gué s’est constitué à cette occasion.  
Les deux sbires ne demandèrent pas leur reste et galopèrent jusqu’aux confins du royaume. Mais la rumeur de cette aventure surnaturelle revint au pays et aux oreilles de Coulefin qui en perdit la raison. Tous les jours, jusqu’à la fin de sa vie, il se rendait à l’endroit de la rivière où sa fille avait disparu et il l’appelait lugubrement :
« Anastasie ! Renviens-toi ! Renviens-toi ! »
Depuis cet endroit fut baptisé le gué de Renviens.
Quant à nos amoureux, la légende prétend qu’ils se sont bel et bien retrouvés sains et saufs à quelques lieues de là, que Fortunio a fait de bonnes affaires et qu’ils eurent une nombreuse descendance. D’après les registres de la paroisse, chaque fille aînée de la lignée se prénomme Anastasie. Et la dernière aurait émigré… à La Réunion.  Dit-on.

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Cette chute sur mesure tira des exclamations ironiques et des applaudissements crépitèrent.
Polycarpe alla chercher de l’eau fraîche pour le centenaire dont les yeux pétillaient de malice. Alors qu’il se penchait vers le conteur pour lui verser de quoi se désaltérer, ce dernier lui susurra :
− Excusez-moi, cher ami, d’avoir renoncé au récit du Cheval mort, mais il y a des détails que Pélagie ignore encore. Elle ne sait toujours pas que j’avais négocié sa reprise et que mon camarade m’avait soudoyé pour que je l’épouse enceinte…  Voyez-vous, je l’ai achetée à ce maquignon de Marcel au prix d’une génisse pleine!
− Il n’était pas question de cela dans votre histoire ! s’indigna Polycarpe, à voix basse.
− Tant mieux. Je n’en suis pas tellement fier. De toute mon existence de minotier, ce fut ma plus mauvaise négociation.
Polycarpe eut un petit instant de doute. Max était-il épuisé par son récit ? Perdait-il les pédales ? Ou bien poussait-il l’humour à un haut degré de sophistication ? Un peu de tout cela probablement. L’ancien meunier n’avait jamais été un grand sentimental, il était tout à fait capable d’avoir monnayé sa femme… Mais il y avait prescription.