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Place du Palais, feuilleton, épisode n°16

 

Après avoir acheté des oiseaux en raku au chalet de noël d’Armelle sur le boulevard, Romane a rejoint sa demi-sœur pour dîner Place du Palais.

 

Dès qu’elle pousse la porte du restaurant, Romane aperçoit Floriane. Elle porte un twin-set tristounet et ses cheveux ternes sont retenus sur la nuque sans coquetterie. Plongée dans ses pensées, ses doigts jouent avec une bague. Son visage semble malaxé de l’intérieur.

Au flouté des traits, à la porosité de la peau qui absorbe la lumière, Romane sait quand une personne vit dans la dévalorisation d’elle-même – au contraire de quelqu’un sûr de soi, porté par la reconnaissance, dont les traits sont nets, finement bordés de clarté. Tout en arrachant ses gants et en déboutonnant son manteau, elle traverse la salle suffocante de chaleur après le froid de la rue ; les conversations produisent le tumulte confus d’un torrent.

Les sœurs se font la bise, échangent un regard appuyé et un sourire retenu où l’affection se mêle à la culpabilité réciproque du fiasco de leurs relations. Depuis longtemps, elles auraient dû vider l’abcès des non-dits, s’unir et se soutenir pour se reconstruire après la révélation du honteux secret de famille. Au lieu de ça, une sorte de rancune avait croupi entre elles, l’une se sentant lâchement abandonnée et l’autre méchamment repoussée...

Souvenons-nous...

Quand Floriane avait révélé les abus sexuels dont elle avait été victime de la part de son beau-père, surmontant la honte qui la submergeait depuis l’enfance, leur mère lui avait porté le coup de grâce en clamant sur tous les toits qu’elle souffrait d’un complexe de persécution, qu’elle affabulait...

Romane n’avait alors pas assez d’expérience pour mesurer à quel point l’hypocrisie et la supériorité bienpensante de leur mère avait complètement écrabouillée Floriane qui, par la suite, était évidemment tombée dans les bras d’un persécuteur, encaissant ses maltraitances comme une punition méritée.

Mais aujourd’hui, sauvée du suicide, hébergée chez les amis de Romane, ayant récupéré son petit Tom, les choses commencent à évoluer. Floriane reprend confiance en elle et dans les autres.

Elle remarque le paquet enrubanné que Romane pose près d’elle.

— Tu as fait des emplettes sur le marché de noël ? demande-t-elle.

Romane pousse le paquet rose enrobé de papier cristal vers Floriane. Sa première intention, l’offrir à sa mère était stupide, elle s’en rend compte à l’instant. C’est à sa sœur qu’elle destinait la petite poterie. Romane n’approfondit pas cet acte manqué, elle sait seulement et confusément qu’elle a prétexté faire un cadeau à sa mère pour être « politiquement correcte », ça se fait, d’acheter un cadeau pour sa mère...

— Tiens, c’est pour toi...

Sourire radieux de Floriane. Regard brillant.

Elle déballe l’oiseau et s’exclame :

— Le rouge-gorge d’Armelle, je le reconnais ! C’est bien ça, n’est-ce pas ? Je l’ai vue le cuire et le recuire... Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir, j’adore les créations d’Armelle, c’est plein de délicatesse, d’amour, de tendresse. Merci, merci ! Ce qui me désole, c’est que je suis fauchée pour vous faire des cadeaux à tous, vous qui êtes si gentils... Mais je me rattraperai... Tu sais que j’ai un projet ?

Floriane s’anime, rectifie sa position, passe une mèche derrière son oreille et croise les doigts :

— J’espère que ça va marcher... Alors, voilà. J’ai l’intention de mijoter des petits plats pour les gens qui n’en ont pas le temps ni l’envie. Tu sais, je cuisine très bien et j’aime ça. Je veux être leur cuisinière d’un jour... "Mijoté Maison", ce sera le nom de ma petite entreprise, qu’en penses-tu ? Et dès que j’aurai des sous, je prendrai un logement avec Tom...

— Excellente idée ! s’enthousiasme Romane. Combien de fois j’ai rêvé d’avoir une sorte de fée qui préparerait les repas à ma demande... Je vais te faire de la pub, je connais des tas de gens qui n’attendent que ça...

— En attendant, Armelle met sa cuisine à ma disposition... Je vais commencer à la Saint-Sylvestre. François a invité cinquante personnes à son concert privé... Il m’a chargée du réveillon... Je ne pense plus qu’à ça... Vous serez là, toi et tes enfants ?

— Oui. J’espère qu’Alex sera rentré d’Égypte. Il fait des photos pour Vogue Homme. Je m’inquiète pour lui, tu sais. Il est jeune, vulnérable, ce milieu est un peu spécial... et tout cet argent... J’ai peur qu’il décroche de la réalité, et puis  je sais qu’il va tomber de haut un jour. On n’est pas jeune et beau et mince à vie. Quand je lui fais part de mes inquiétudes, il se moque, il dit que je suis une mère-poule.

— Je te comprends. Tu devrais faire intervenir François. Un homme ferait passer le message, non ?

— On verra... quand son album sera sorti.

— Tu as raison. Tu sais qu’il est à Londres ? Il a enregistré son album dans les studios Abbey Road avec les musiciens de je ne sais quel groupe à la mode...

— Ah !

— Tu as des nouvelles récentes de Pénélope ?

Petit pincement aux environs du plexus. Quelque chose d’à peine perceptible mais qui s’apparente à de la jalousie... Voilà que Floriane, fraichement débarquée dans sa vie, en connaît plus long qu’elle sur ses amis, devient carrément une intime, fait ses petits plats dans la cuisine d’Armelle, connaît par cœur l’agenda de François et s’enquiert de Pénélope comme si elle la fréquentait depuis la maternelle !

Alors que Floriane prend connaissance du menu, Romane scrute son visage et s’impose la compassion. OK, sa demi-sœur a besoin de ce cocon amical pour surmonter ses épreuves.

« Il faut la comprendre, on est là pour l’aider » se répète Romane intérieurement.

 

Ce que Romane ignore encore, c’est que Pénélope aussi va avoir besoin de son aide, qu’elle est en train de leur faire un coup de Calgon meumeu !

Réfugiée chez ses parents, elle est alitée, inerte...

L’ami médecin des Forest a diagnostiqué une dépression réactionnelle provoquée par plusieurs évènements concomitants : la disparition du Rembrandt au Musée – ou plus exactement sa substitution, celle de Jonathan qui n’a donné aucun signe de vie depuis son départ inexpliqué l’autre soir et... un autre évènement auquel elle ne s’attendait pas du tout en échouant chez papa et maman avant-hier et qui lui a fait l’effet d’un flash-ball en pleine figure : le divorce annoncé de ses parents.

Dur-dur pour une fille joviale !

Elle est enfouie sous la couette remontée jusqu’au menton dans sa chambre d’enfant dont le papier peint représente des nounours qui discutent près d’une barrière et d’un buisson, tandis que passe un gros escargot...

Elle se dit mollement, déjà sous l’effet des médicaments, qu’on n’a pas le droit de faire le coup des nounours sur le papier peint d’une chambre d’enfant parce qu’après l’enfant, il croit que tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau alors que c’est même pas vrai...

Pénélope fond en larmes.

à suivre...

 

Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet

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Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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