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Place du Palais, feuilleton : épisode n°12

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Épisode n° 12


Les personnages principaux sont trois copines tourangelles :
- Pénélope Forest, 34 ans, célibataire, elle a des petites amourettes mais son cœur bat en secret pour un beau Québécois, à peine entrevu, Jonathan Brûlebois. Elle habite Quartier Velpeau, elle travaille au Musée des beaux-arts ; ses parents habitent aux Prébendes.
- Armelle Chamotte, 36 ans, est potière d’art, mariée avec François, musicien, fils d'un people gay.
Ils ont une fille, Lou, 11 ans. Ils habitent à la campagne, près de Saché.
- Romane Franjeux, 40 ans, divorcée, est psychothérapeute, son cabinet se situe rue Bernard Palissy, elle a un fils Alex, 19 ans, mannequin, une fille, Laura, 16 ans, boulimique et rebelle, une mère bigote ; sa demi-sœur, Floriane, maman d’un petit Tom, perdue de vue de puis des années, vient de refaire surface.

 « Il n’y a rien de si trompeur que la mine des gens »
(Marivaux, La double inconstance)

  Nous avons tous dans notre entourage des gens qui ne sont pas ce qu’ils paraissent.
  Certains cachent du mieux qu’ils le peuvent leurs dérèglements psychiques en espérant que jamais personne ne devinera les monstruosités qui leur traversent la tête.
  D’autres se montrent ostensiblement généreux et compatissants en société, fréquentent l’Église ou militent pour l’entraide sociale, alors que leurs proches souffrent terriblement de leur mépris et de leurs humiliations.
  Et il y a bien sûr les mythomanes et les tartuffes de tout poil, tout un petit monde de tricheurs qui posent des pièges sur le parcours de nos vies, bafouent notre confiance et nous dupent avec aplomb.
  Les imposteurs éprouvent un besoin irrépressible de profiter d’autrui, le plus souvent par cupidité mais aussi pour le plaisir de la manipulation. En saccageant nos relations sentimentales ou affectueuses, nos attentes, nos espérances, nos projets, ils jouissent de leur toute-puissance sur les brisures de nos désillusions.
  Ceux-là nous font perdre le nord en jouant avec nos sentiments et nos émotions, nous privent de notre sens critique et nous réduisent peu à peu en dépendance.
  Pourquoi mettent-ils tant d’application à cacher leur vraie nature ? Parce qu’ils savent très bien que s’ils se dévoilaient, s’ils laissaient deviner ce qu’ils (ou elles) sont réellement, nous nous empresserions de passer notre chemin, de les fuir comme la peste – ou comme le diable en personne. Or, ils ont besoin de proies et, pour les capturer, ils doivent leur plaire et les séduire.
  Oui, le Diable avance masqué.
  Il peut même prendre les traits d’un Prince charmant.
  Ou ceux d’un certain Jonathan Brûlebois...

 Souvenons-nous...
 
Jonathan avait occupé un emploi de jeune homme au pair durant l’été dans une famille en villégiature au bord de la mer. Il venait de décrocher son doctorat à Montréal et il avait décidé de voyager, de voir du pays, avant d’embrasser l’austère carrière d’enseignant-chercheur.

  L’opportunité d’un poste d’attaché temporaire d’enseignement se présentant à l’Université de Tours, sous forme d’une vacation d’une année aux horaires allégés, Jonathan avait postulé et il avait été recruté. C’est en voulant nouer des relations sur place, pour se créer rapidement un petit cercle d’amis, qu’il avait été mis en contact avec le couple Chamotte.
  Une cascade de contretemps avaient compromis le dîner de bienvenue, mais Pénélope avait tout de même vu se concrétiser son souhait le plus cher : revoir Jonathan.  Ce même soir, il l’avait récupérée dans une station-service où elle était en perdition, sa voiture refusant de redémarrer...

 Si Pénélope se rappelait parfaitement les circonstances de leur rencontre l’été dernier à Saint-Gilles, en revanche Jonathan ne s’en souvenait pas du tout. En courant sur la plage, elle et Jonathan avaient rattrapé ensemble un parasol emporté par le vent ; leurs mains s’étaient emmêlées et elle avait senti dans son regard appuyé qu’elle lui plaisait, ce qui avait flatté l’ego, largement sous-estimé, de Pénélope.
  Tandis qu’il conduisait, pour la raccompagner chez elle ce fameux soir du dîner raté, elle avait espéré en vain une allusion à cette anecdote, un sous-entendu, un petit clin d’œil, mais il lui parlait de choses et d’autres comme à une parfaite inconnue.
  Elle lui avait rafraîchi la mémoire sur un mode humoristique.
  — Mais oui ! Bien sûr ! s’était-il écrié en tournant la tête vers elle pour lui sourire de toutes ses dents blanches.
  « Plus sexy que lui, tu meurs » pensa-t-elle à cet instant, avec une sensation d’amollissement généralisé. Avec son teint hâlé, sa crinière épaisse, ses yeux enfoncés d’un noir brillant, des sillons virils dans ses joues mal rasées, Pénélope le trouvait irrésistible... Satisfaite de sa réponse, elle avait croisé ses deux mains sur ses genoux avec un petit soupir : quand même, il se souvenait !  
  Malencontreusement, il ajouta un « c’était donc vous ! » qui figea le visage de Pénélope. Elle eut l’impression d’entendre se briser toute une verrière dans sa tête. Elle serra ses poings de rage en fixant la boîte à gants d’un air buté.

  Elle en avait archi marre ! Que devrait-elle inventer pour ne pas être transparente aux yeux des hommes ? Comment se faisait-il que des nanas avec des dentitions de canassons, avec des seins de dix kilos pièce, avec des voix de crécelles et des rires idiots les attirent comme des mouches ? Des filles beaucoup moins jolies qu’elle, vulgaires, chichiteuses, de vraies connasses, les fascinaient littéralement, et elle, rien, nada. On ne la voyait pas. Elle était une sorte d’entité fantomatique errante que même les miroirs ne réfléchissaient pas. Devrait-elle parler pointu comme Speedy Gonzales ? Sortir avec un nez rouge en plastique ? Envoyer une grande mèche de cheveux d’un côté sur l’autre de sa tête avec la main en râteau pour se retrouver merveilleusement décoiffée, si touchante... (Mais bon, elle avait les cheveux courts, ça coûtait combien une chevelure postiche ?)

  Quand il effectuait son job au pair, Jonathan avait remarqué que son employeuse (bourgeoise et âgée, mais impossible à berner !) bavardait volontiers avec une voisine de plage, Armelle, rousse flamboyante, un peu sèche, un peu pâle, mais pétulante et l’œil sagace (trop sagace pour se laisser abuser) qui avait en effet ramené une copine avec elle sur la plage pendant quelques jours : ce n’était pas plus précis que ça dans sa mémoire. Mais l’anecdote du parasol, qu’il avait complètement oubliée, resituait cette nana dans le paysage : ainsi, la copine un peu fadasse d’Armelle était cette bonne fille en jeans et veste à franges (qui se prenait pour Katarina Cross dans Butch Cassidy et the Kid) assise là, à la place du passager, et qui se prénommait Pénélope.
  Tabernacle !
  Il la regarda subrepticement plusieurs fois tout en conduisant, en profitant des passages sous les lampadaires pour mieux la détailler. Tout bien considéré, elle n’était pas mal du tout. Allez ! plutôt mignonne... Elle manquait juste de ce petit quelque chose qui lui donnerait envie de se garer n’importe où pour l’embrasser en glissant la main sous son pull. Peut-être était-elle trop réservée, à l’ancienne ? Et elle ne se mettait pas vraiment en valeur avec ces cheveux en pétard, non maquillée, ces bottes... Elle était peut-être lesbienne...
  Un petit coup d’œil supplémentaire. Et...
  ... « Ah ! Super ! » fit-il pour lui-même, dans sa tête, parce qu’il avait remarqué deux petites choses fort intéressantes : ça commençait bien pour lui.
  En croisant le regard de Pénélope, il venait de surprendre cette lueur involontaire et indéfinissable que sa séduction opérait sur les femmes. Et il avait également repéré dans l’expression résignée de sa passagère qu’elle refoulait cette attirance. Très vite, il enregistra ces deux informations concomitantes : il lui plaisait mais elle était persuadée de ne pas être assez bien pour lui. Elle avait pris l’air « bon copain » des filles laissées pour compte, qui font contre mauvaise fortune bon cœur.
  Une fille pas trop mal mais complexée... c’était du billard pour le Diable masqué !

  Il lui dédia son sourire ravageur, en biais, une étincelle à l’extrémité d’une canine, et l’enroba d’un œil de velours :
  — Et si on dînait quelque part ?
  — Quelle bonne idée !
  — C’est vous qui choisissez l’endroit, vous connaissez la ville.
  Ils s’étaient garés Place de la Résistance, ils avaient marché vers la Place Plumereau, ils avaient poussé la porte d’un restaurant italien.
  — Pénélope, parlez-moi de vous... J’ai envie de vous connaître... dit-il d’une voix grave en dépliant une grande serviette rouge.
  — Comme ça ? fit elle, en riant à moitié. Mais je ne sais pas par où commencer...
  Le serveur approchait avec les cartes.
  — Par la commande de nos plats, plaisanta-t-il...

 à suivre...
 
Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
 
Tous droits réservés

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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