15 février 2008
mes dernières vacances, suite...
17:55 Écrit par Claudine dans Loisirs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : bd, famille, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
14 février 2008
Mes dernières vacances...
19:20 Écrit par Claudine dans Loisirs | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : bd, littérature, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
10 février 2008
saga d'une babyboumeuse (adolescence)
19:56 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : BD, littérature, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
16 janvier 2008
saga d'une babyboumeuse (adolescence)
18:40 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : BD, dessins, littérature, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
22 novembre 2007
Programme du Café Littéraire de LANGEAIS (I&L)
« Le roman criminel » est le thème de la prochaine causerie au café littéraire de Langeais, ouvert à tous, le samedi 26 janvier 2008, à partir de 16 h 30 au Salon de thé du Château. La romancière Claudine Chollet, auteur de romans policiers, propose de répondre, non sans un brin d’humour, à la question suivante : peut-on revendiquer une AOC « romans criminels » dans le vaste champ des littératures ?
Dans cet exposé, elle présentera un panorama de la littérature criminelle depuis le premier opus du genre, paru en 1841 sous la plume d’Edgar Poe, jusqu’à nos jours.
Elle mettra en évidence l’influence du contexte politique et économique, tout au long du 20ème siècle, sur le genre policier qui se subdivise en trois sous-genres : le roman d’enquête, le polar et le thriller. Entre des héros aussi différents que James Bond ou Maigret, entre Hercule Poirot et les psychopathes de Patricia Cornwell, le point commun est certainement une certaine convention d’écriture qui a des règles strictes.
Longtemps considéré comme une sous-littérature, le roman dit « de gare » a trouvé aujourd’hui ses lecteurs, ses salons et ses collectionneurs. Pas moins de 25 sites internet lui sont consacrés.
Claudine Chollet terminera cette intervention en racontant son expérience d’auteur et en situant son œuvre dans l’évolution actuelle. Elle dédicacera des trois premiers tomes de la série « Polycarpe Houle » présentée en détail sur le site éditorial : www.editionstuttiquanti.com.
14:20 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : littérature, polar, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
25 octobre 2007
Ma vie revue et corrigée en BD
18:15 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : société, psychologie, littérature, écriture, dessin, art, artistes | Facebook | | Imprimer | |
24 septembre 2007
"Les Sévignales"
En France, faites 200 km, et vous êtes ailleurs…
Aux confins de la Bretagne, de la Sarthe et de la Mayenne, vous découvrez un pays de rigueur et de labeur, c’est l’impression que j’en ai. Villages endormis aux foirails désaffectés, champs à perte de vue avec ici ou là quelques vaches tenaces, rivières paisibles, constructions historiques massives en pierres marron foncé avec des toits pointus en ardoises et… des églises énormes, mastoc, dominant les modestes habitations. L’autochtone paraît très sain de corps et d’esprit, sans doute est-il loyal et travailleur, mais peu empathique. On ne ressent pas la convivialité extravertie propre à nos régions vinicoles et viticoles, même si nous avons été bien accueillis. Ces manifestations permettent des rencontres enrichissantes. J’ai pu apprécier le talent et la sensibilité de Jean-Pierre Guéno (France-Inter) qui a fait une lecture de lettres authentiques et lu aussi des extraits de textes des lauréats. Et j’ai fait la connaissance d’une jeune femme (mon homonyme : Isabelle Chollet !) qui dirige une compagnie de théâtre à Toulouse, prête à tenter l’aventure de monter un de mes textes… j’adore ce genre de coïncidences.
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24 juillet 2007
J'aurais pu le dire...
« De la foule à nous, aucun lien : tant pis pour la foule, tant pis pour nous surtout… Il faut, abstraction faite des choses et indépendamment de l’humanité qui nous renie, vivre pour sa vocation, monter dans sa tour d’ivoire, et là, comme une bayadère dans ses parfums, rester seuls dans nos rêves. »
(Extrait d’une lettre à Louise Colet, 1852 – Dans « Flaubert» de René Herval, La Bonne Presse, 1942)
(merci à Rony de m’avoir rappelé ces mots de Flaubert)
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08 juin 2007
La vie sur le vif
"Ses doigts firent des gammes de désespoir stoïque"
"Grand spécialiste en surdité insolente"
"les deux rides de la richesse méprisante des narines aux commissures"
"rôdaillait seul, cardant tristement la laine de ses cheveux, Faune banlieusard"
"Les verres de ses lunettes étincelaient de malice"
"sa chaste gorge spongieuse det mollette"
"Le terrible attirail des faibles femmes invincibles"
etc.
"Belle du Seigneur" Albert Cohen
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07 juin 2007
Qui a dit...
"Les chiens, quels braves gens ! "
"des mouettes à l'oeil antisémite volaient en rond et criaient sottement."
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04 juin 2007
Signaux de fumée (cf l'indien ci-dessous)
L'amour, désir de brûler ou désir de durer.
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06 mars 2007
profil n°1
10:15 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : dessins, couleurs, humeurs, journal intime, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
23 décembre 2006
Joyeux Noêl
Vive le vent, vive le vent…
L'air joyeux déferle des haut-parleurs dans la galerie marchande. Elle pousse son chariot dans la bonne humeur générale. Comme dans les téléfilms américains, les gens pleins d'allant et d'entrain irradient de joie, d'amour du prochain, en lançant joyeux Noël à tout va, sous la valse soyeuse des flocons de neige en polystyrène pendus à des fils…
…Les caissières de supermarché ont toutes des bonnets rouges bordés de blanc et dans l'alignement des vingt caisses, tous ces petits capuchons rouges, c'est gai, le pompon va et vient quand elles enregistrent les codes barres. Elles sont souriantes, c'est la moindre des choses, n'est-ce pas ?
On mérite bien un peu de joie, non ?
Mais n'oublions pas tous ces morts partout dans le monde avec leurs cortèges de chagrins ! Tous ces êtres humains fauchés par les séismes, les raz-de-marée mais aussi par les guerres, le terrorisme, les massacres à la machette, les criminels… tous ces hommes tués par d'autres hommes.
Oh là là ! Quelle horreur ! Dire que les humains sont capables de telles cruautés ! Ils ont passé la rétrospective des grands évènements de l'année à la télé… Tous ces cadavres, c'est épouvantable ! Inouï ! On n'a jamais vu ça. Jamais ! On vit une époque insensée. Heureusement, la tradition de Noël, la trêve des confiseurs, ça fait un break. Il faut bien arrêter de souffrir de temps en temps. C'est un peu comme si la main qui tient le sabre contre ta carotide était soudain paralysée par un sortilège… Le monde se met en pause.
Disons qu'on peut enfin souffler.
C'est pour ça, quand on voit toutes ces décorations enluminées dans la galerie marchande, ces rennes tirant des traîneaux, ces guirlandes, ces bonhommes de neige en plastique éclairés de l'intérieur, ces petits automates primesautiers, on se sentirait presque redevenir un enfant, éternel et protégé…
Même si c'est une affaire de marketing et de gros sous, ces décorations lumineuses font oublier l'épouvantable réalité. C'est un peu l'antidote de la souffrance, des guerres, des séismes et des otages bien que, franchement, on ne peut pas vraiment compatir sur tout.
Qu'à force d'en voir, on deviendrait blasé. Franchement… Blasé des horreurs, naturellement, pas des décorations… En voyant ces reportages, on sort de ses gonds. Si on s'écoutait, on fermerait le poste. Mais il faut bien s'intéresser aux autres. On serait bien content que des gens pensent à nous si ça nous arrivait à nous aussi. Enfin, on ne sait pas… Peut-être qu'on n'est pas consolé de son malheur de passer aux infos.
Ce qu'il y a aussi, c'est qu'on a sa vie, ses occupations, ses soucis. Justement, elle a loupé des pans entiers de la rétrospective télé à cause du bruit du batteur. Avec la préparation des blancs en neige pour sa mousseline. Pour le réveillon, elle a prévu des aumônières d'escartefigues flambées et des galinettes aux raisins. Ils en ont marre de la bûche glacée. C'est difficile de trouver un dessert léger quand on est gavé… Une salade de fruits mandarines-kiwis-goyaves, ça passe bien. Avec trois doigts de rhum agricole…
Il faut dire aussi qu'on a déjà trop de problèmes personnels à résoudre pour être complètement disponibles à tout le malheur du monde.
Parfaitement, elle aussi, elle a ses problèmes. On ne s'en douterait pas, elle ne se plaint jamais, elle n'en parle à personne… mais elle en a marre, re-marre et plus que marre…
Elle repère une petite table libre à la sandwicherie, sous le palmier en plastique.
Ouf ! Quelle chaleur dans cette galerie…Un thé citron, merci.
Elle garde un œil sur son caddy plein.
Si seulement elle ne se sentait pas si seule. Chacun a sa vie, d'accord, et les amies, mieux vaut garder certaines distances si on veut rester bien ensemble. Mais chez soi, quand même ! On devrait se sentir écoutée, aimée… Eh bien, non ! Ils sont tous assistés, ils se laissent porter, ils considèrent que son plus grand bonheur à elle c'est de les rendre heureux, ils trouvent tout naturel qu'elle se mette en quatre pour entretenir leur petit cocon et le pire, c'est l'autre jour quand ils lui ont sorti qu'elle vivait par procuration… Non seulement, elle leur consacre tout son temps libre mais on se moque d'elle, on la prend pour une pauvre fille qui n'a d'autres ressources que de vivre à travers eux… et ils ne lèveraient pas le petit doigt, ils ne se rendent pas compte, parfois elle n'en peut plus… Elle est littéralement leur bonniche… La bonniche, oui ! Il n'y a pas d'autres mots. Elle aurait tellement besoin d'être soutenue, comprise, de parler à quelqu'un… Voilà : comprise. Qu'ils reconnaissent ce qu'elle fait pour eux !
En ce moment, elle est complètement déprimée… l'envie de pleurer qui la prend sans prévenir… par exemple, à l'instant, si elle se retenait pas…
Chaque Noël, c'est la même chose, elle en attend tellement… Une vraie gamine… Il n'y a pas de honte à l'avouer, elle ressent toujours une déception, un regret, la fête n'est jamais aussi féerique qu'elle l'avait espérée… Elle tombe de haut… La vérité, c'est qu'elle a tout à assumer, faire plaisir au mari, aux enfants, aux parents, aux beaux-parents, aux grands-parents, ça fait un paquet de monde, ils ont tous besoin d'elle… Pas un seul moment à soi. Ils téléphonent pour trois fois rien, il faut faire toutes les courses, choisir des cadeaux, deviner ce qui fera plaisir à chacun, cuisiner des petits plats, tout bien astiquer pour que la maison étincelle, orner le sapin, accrocher des étoiles, des boules brillantes, acheter les cadeaux, les emballer, aller chercher les uns, conduire les autres, laver ci, repasser ça… Et, au dernier moment, être au mieux de sa forme, pomponnée, lumineuse, parfumée… d'une humeur charmante.
Elle est piégée parce qu'elle les aime et que si elle ne fait pas tout ça, ils ne l'aimeront peut-être plus… Du coup, la joie de Noël, c'est pour les autres. Ce n'est pas étonnant qu'elle ressente une petite frustration…
En somme, le Père Noël, c'est elle !
Ça serait à refaire… Elle n'est pas loin d'envoyer tout balader ! Un jour, c'est sûr, elle enverra tout balader et ils vont voir ce qu'ils vont voir ! Il vont cesser d'y croire au Père Noël ! Ah ça oui ! Ils en feraient une tête si elle annonçait le soir du 24 endives jambon blanc ! Pas de sapin, pas de chocolats, pas de déco… "Désolée mes chéris, mais j'avais un boulot urgent à finir…" Genre de truc qui ne risque pas de se produire, vu qu'elle quitte le bureau à pile moins une pour être là quand ils rentrent, pour que la maison soit éclairée, accueillante.
D'un autre côté…
Leur faire de la peine, un jour de Noël, elle n'a pas le cœur à ça, au fond. Consacrer un peu de son temps aux siens dans ces moments-là, c'est dans l'ordre des choses. Un jour, les enfants seront partis, ça va arriver bien assez vite et elle aura alors tout le temps pour elle. Ce n'est pas à proprement parler un grand sacrifice, faut pas exagérer, elle n'est quand même pas mère Térésa…
Il faut être positif, donner du bonheur aux gens, elle l'a lu, l'autre jour dans une revue, elle était d'accord, ça maintient en forme. Un peu de générosité, c'est une goutte d'eau et les gouttes d'eau font les rivières. L'effet boom-rang du bien : vous le faites et il vous revient pour vous renforcer. Vrai ou faux ? Elle choisit d'y croire cette année encore…
Vive le vent, vive le vent d'hiver…
Quoi ! Déjà cette heure-là ! Allez, debout, cocotte...
Eh ! Qu'aperçoit-elle ? Cette pyramide dans l'allée ? Des Truffes d'Argent... Des truffes d'Argent à ce prix-là ! Ma foi… Elle pourrait en mettre quelques unes sur des coupelles dorées pour décorer la table, sur les jolies coupelles dorées qu'elle a dénichées à La Petite Maison pour trois fois rien. Ça lui fait penser… Il lui manque des bougies torsadées et elle a encore un cadeau à trouver, un vase… une imitation Gallé… Au Patio peut-être… La vitrine est si réussie avec ces ruissellements de lucioles...
Ah ! Noël ! Quelle gaieté !
11:00 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, journal intime, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
04 décembre 2006
Parano
Entre ses sourcils, sur son front, des petites rides entrecroisées forment une grille. Il a le teint brouillé. Sa bouche est amère. Ce n'est pas qu'il n'est pas dans son assiette, ce sont les autres qui le tuent à petit feu. Il estime qu'on l'empêche de respirer, carrément de vivre. En partant, comme en rentrant chez lui, maintenant, il ferme le portail. Il ne veut pas être dérangé. D'ailleurs, il ne veut voir personne. Déjà, la famille, ça vous bouffe suffisamment, et si les amis s'en mêlent, il ne reste pas beaucoup de liberté. Les Machins, c'est tout juste s'ils ne décident pas tout à votre place. Ils s'immiscent dans votre vie, vous devenez leur hochet, vous êtes des bouche-trous quand ils ne savent pas quoi faire de leur peau.
Il n'embrasse pas sa compagne aujourd'hui, il sent venir un herpès. Il abaisse ses grandes paupières et le petit grillage de ses rides est plus accusé. Il incline la tête, il évoque un saint martyr. Puis il argumente longuement, Unetelle est une vraie saloperie. Le mot saloperie revient sans arrêt. Il n'y a pas d'autres mots pour décrire cette saloperie. Sa compagne le laisse vider son sac et quand même, au bout d'un moment, elle stoppe la logorrhée, elle suggère qu'on laisse Unetelle où elle est, qu'on passe à autre chose. Elle en a un peu marre qu'Unetelle soit leur sujet de conversation numéro un. Cette interruption le suffoque. Son regard fixe soudain la perturbatrice, prunelles fouineuses. C'est exaspérant d'entendre une chose pareille. Il hausse la voix, il va changer de pièce. Il est vraiment abattu qu'elle le prenne ainsi, il se sent seul, désespéré. Tellement désespéré qu'il en chialerait. Il change de pièce, il est obligé de forcer le ton, de crier presque… bien sûr, vous, vous vous en fichez, vous vous lavez les mains, plif ! plaf ! Vous folâtrez avec impudence dans les facilités de l'existence mais heureusement qu'il y a des gens comme moi, oui, désolé ! perspicaces, qui voient les choses venir de loin, pour empêcher les catastrophes.
Il vaque à ses occupations et les portes claquent, les objets sont maniés bruyamment, à l'occasion il marmonne. Plus tard, en face de sa compagne, dès qu'il croise son regard, il pousse un petit gémissement puis frotte son visage avec ses mains. Il passe ses mains sur ses yeux tout en parlant. Il explique pourquoi l'ingérence des autres, leur immixtion, est nuisible ; il reprend tous ses arguments, un peu penaud, désolé d'avoir raison et que ça gêne tout le monde qu'il ait raison. Mais il est lucide, tellement lucide qu'il a tort, tort d'avoir raison avant tout le monde. Il fait mine de se débarbouiller avec ses mains, il finit par se décoiffer, ses cheveux sont maintenant hérissés comme ceux d'un savant fou. Peut-être ne s'adresse-t-il pas spécialement à elle lorsque, les mains en visière, il explique que les gens sont tous des ordures. Qu'en ce moment, les gens n'ont qu'un but : abuser de vous. On vous humilie sans arrêt. On exige votre attention, on vous soutire des conseils, on vous bouffe votre temps et après, on ne pense plus à vous, c'est comme si vous n'existiez plus. Les gens sont mauvais. De vraies saloperies. C'est pour cela qu'il est agacé. Il faut le comprendre. Il y a de quoi perdre patience. Et quand il dit ça, il n'invente rien, c'est la vérité ; heureusement qu'il se tient sur ses gardes, sinon qui sait ce qu'ils deviendraient, bouffés aux mites, ruinés, ah.
Elle éprouve l'envie perfide de lui demander s'il met sa main devant ses yeux parce qu'elle l'éblouit ou bien parce qu'elle offre un spectacle trop affligeant. Ce serait de la provocation et ces jours-ci, il n'a pas le sens de l'humour. Elle sait bien que les mains sur les yeux ou pas, en ce moment précis, il ne peut pas la voir. Peut-être même, ne peut-il pas la sentir.
10:37 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, journal intime, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
30 novembre 2006
Les carpistes
Assis sur une banquette automobile de récupe, sous une bâche verte tendue entre les sapins en retrait de la rive, ils sont si bien camouflés dans leurs treillis que je ne les aurais pas vus si je ne les avais entendus, s'il n'avaient échangé, exceptionnellement, quelques phrases.
À cause de la bise d'est, ils se sont éloignés du lac pour se mettre à l'abri du bosquet. Ils ont rabattu leurs capuches sur leurs casquettes polaires, leurs mains protégées de grosses moufles sont glissées dans la poche ventrale de leurs blousons kakis, bruns et noirs. Ils ont de grosses bottes fourrées. Ils restent immobiles et paraissent confortablement frigorifiés.
Ils pêchent.
Leur activité préférée c'est la pêche à la carpe. Et pourtant, aujourd'hui, ils n'ont pas la tête à ça, ils sont déconcentrés, ils parlent et… contre toute attente, ils font bâche commune.
C'est précisément ce que je trouve bizarre, cette promiscuité inhabituelle, cette subite entente. Il y a trois jours, ils s'ignoraient encore… Je n'avais pas prévu cela.
D'habitude, ils se tiennent solitaires, chacun sous son grand parapluie vert foncé. Indifférents aux joggers qui contournent le lac, aux canards colvert et aux mouettes, ils couvent des yeux leur batterie de trois ou quatre gaules ultra légères, équipées des derniers progrès technologiques, alignées sur un chevalet. Ils ont l'air enfermés presque butés chacun dans son silence, ni gais ni tristes, dans l'attente paisible du signal sonore de la carpe mordant à l'hameçon. Quand cela arrive, tous les trente-six du mois, j'ai déjà vu qu'ils la décrochent, la pèsent avant de la rejeter à l'eau, calculant à quel poids ils en sont, combien de kilos de carpes ils ont attrapés depuis le début de la saison… et ils le marquent sur un calepin. Le rouquin costaud m'avait paru plus fiable, à cause de son manque total d'expression, c'était à lui que je projetais de demander s'il se sert quelquefois de la barque amarrée au ponton devant.
En approchant, je perçois mieux le son de leurs voix. Ils parlent tranquillement. Il n'y a aucun énervement, aucune fébrilité dans leur ton, au contraire. Ils dialoguent à voix sourde comme dans une antichambre de grand malade, bien qu'ils soient dehors par 3°. Ils ont une façon de pousser les mots comme ces fermiers d'autrefois qui mâchaient longuement en silence ce qu'ils avaient à dire et n'en laissaient émerger que la partie la plus impersonnelle… Et, à l'instar de ces fermiers d'antan, ils n'ont pas de portables ou bien les ont déconnectés. Ils ne veulent pas être dérangés.
En petite foulée, je passe devant eux. Je n'ai pas l'habitude de courir, je souffle comme une locomotive. Pour quelle raison se parlent-ils aujourd'hui ? Ce sont pourtant bien les deux pêcheurs habituellement distants d'une centaine de mètres et que je vois faire parfois quelques pas pour activer la circulation de leurs jambes. Malgré leurs chauds vêtements, je les reconnais. Pour contacter mon rouquin, je devrai attendre.
Je poursuis mon jogging, en traînant les pieds, en réfléchissant. Ont-ils rompu leur silence à l'occasion d'une grosse prise et décidé de mettre leur matériel en commun ? Ont-ils fondé la première coopérative des moyens de pêche en lac artificiel ? L'un d'eux, subitement ruiné, aura dû vendre son matériel et est accueilli par l'autre ? Ou bien son matériel coûteux a été volé ? On pencherait pour l'hypothèse de la solidarité carpiste de préférence à l'éveil d'une sympathie spontanée si on considère leur totale absence de curiosité pour autrui.
Ces types ont toujours fait partie du paysage, ni jeunes ni vieux, retraités des chemins de fer ou de l'armée, pensionnés ? Il me semble que je les ai toujours vus : j'habite un des pavillons jumelés sur la rive opposée, un petit lotissement séparé du lac par un coin pique-nique boisé, un parking et la route. Pour aller au boulot, à l'usine, je coupe par le pont japonais qui enjambe la partie rétrécie du lac, c'est comme ça que je le ai repérés. Je ne les ai jamais salués faute de croiser le moindre regard, ils sont toujours dans leur bulle, étrangers aux enfants, aux chiens, aux mères guidant leurs poussettes sur le chemin de falun, aux gallinules caquetant dans les roseaux et même aux ragondins qui les narguent…
Ils ont bien une femme, un toit, ces hommes, quand même. Je me suis demandé à quoi ils pouvaient bien penser des heures entières… J'ai mis ça sur le compte de leur paresse, c'est quand même le meilleur moyen d'échapper aux tâches ménagères, au bricolage, au jardinage… Ce n'est pas moi qui leur jetterait la pierre, si j'avais su…
Pour s'incruster là, au même endroit et depuis si longtemps, avec tant de persévérance, je les ai soupçonnés d'être un peu poètes, comme moi (j'écris des poèmes pendant la pause casse-croûte). Leurs regards glissent sur les miroitements de l'eau, sur les bâtonnets scintillant de lumière, ils ont la vision d'un grand ciel tendu de nuages roses comme des draps qui claquent dans la bise… et je me demande s'ils ne sont pas quand même un peu sensibles à la beauté de ce paysage, s'ils ne composent pas des vers derrière leurs grosses figures renfrognées… Ça ne se voit pas sur la tête des gens qu'on est poète.
Mais n'allons pas inventer n'importe quoi… Ils ont plutôt l'air balourds, étrangers aux merveilles de la nature.
Ce regroupement dans les sapins loin des gaules reste une énigme…
Finalement, ça m'a traversé l'esprit qu'il fallait avoir une famille rudement pénible pour passer des après-midi entiers là, quasiment sans bouger, sans fumer, sans picoler…
C'est probablement notre point commun. J'ai décidé d'entrer en contact, de les sonder un peu… Puis d'aborder mon cas. D'abord, ça peut soulager de parler.
Mon cas, c'est simple et c'est compliqué à la fois : c'est ma femme. C'est à dire la Kommandantur… au début, elle m'a appâté, elle a bien choisi ses plombs, elle a utilisé des jolies mouches bien brillantes, elle a fait la mignonne, la gentille, elle m'a asticoté, titillé, elle a joué la pauvre petite mal aimée et moi, j'ai sauté dans le costume du brave grand sauveur… À partir de là, elle m'a habilement convaincu que toutes mes relations étaient néfastes, nuisibles pour notre charmant petit couple… Et elle m'a mis le licol… Je m'éreinte et ce n'est jamais suffisant… Elle se fâche puis pleure, ce qui me fend le cœur et je promets… toujours plus. Je ne sais plus comment faire pour reprendre ma liberté. Maintenant qu'elle me sent rétif, elle emploie les grands moyens… elle me fait peur… Je n'ai pas honte de l'avouer… J'ai peur quand elle me regarde avec ses grands yeux fixes agrandis par ses verres d'hypermétrope, quand elle souffle comme un taureau par ses grandes narines noires et avides, quand elle me foudroie de son regard d'aigle pour me faire prononcer exactement les mots qu'elle veut entendre ou quand elle abaisse ses paupières frémissantes pour signifier que ce que je dis l'insupporte, quand elle fait trop de bruit ou pas assez, quand elle brandit des couteaux, lance des assiettes… Et quand elle dit que si je pars elle me tue…
Au deuxième tour de jogging, je dépasse le bosquet, je ralentis l'allure, épuisé. J'utilise le banc public pour accomplir de pseudos étirements et je tends l'oreille… Simple curiosité… Je veux savoir si je peux compter sur eux… Et, discrètement, je me rapproche pour entendre leur dialogue.
Le gros rouquin explique :
– Une semaine sur deux, elle rentre par le dernier bus qui dessert le quartier, elle descend à l'arrêt Château vert à environ 22 heures et elle coupe par une ruelle où se trouve un ancien puits communal…
– La mienne se rend chaque jeudi à un cours de calligraphie, de 20 à 22 heures. À la demie, elle traverse la voie ferrée par la grande passerelle qui relie le quartier neuf au boulevard Marat.
– J'ai déjà sectionné le cadenas de la plaque de protection du puits cachée sous le chèvrefeuille.
– Il n'y a pas de protections anti-suicides sur la passerelle. Le Paris Toulouse passe à 40.
– Voici un cadenas identique… pour remplacer l'autre. Et ça, c'est son portrait… Vous la reconnaîtrez…
– Les parapets sont hauts mais vous êtes costaud et elle est poids plume… regardez, c'est elle sur la photo…
– Dans la soirée du 8, je me ferai remarquer par mes questions sur le tri des déchets au conseil municipal…
– Le 10, j'anime la soirée loto au profit des orphelins, salle des fêtes…
Je m'en doutais mais je m'en doutais ! Il y a de ces coïncidences, franchement ! J'ai vraiment le chic pour flairer les trucs louches… C'est bon, je reviendrai demain avec la photo de la kommandantur… Ils l'ont peut-être déjà vue puisqu'elle vient lancer du pain dur aux canards. Elle a ses habitudes. Le soir, pendant le téléfilm, elle sort toujours fumer des cigarettes…
Le lac est profond, les alentours sauvages, surtout la nuit… Une barque peut glisser sans bruit sous le pont japonais.
En tout cas, moi, le 12 comme chaque semaine, je serai à la réunion des Poètes Anonymes.
Et personnellement, le puits ou la passerelle, ça m'est égal. On peut se rendre service, ça mange pas de pain.
Demain, ne pas oublier de leur demander si les carpes sont carnivores…
16:13 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, nouvelle, polar, société, psychologie | Facebook | | Imprimer | |
16 novembre 2006
Suzeraine
L'octogénaire descend l'escalier d'un pied princier, une main pendante au bout du bras replié, dans une tunique de soie sauvage, avec ses trois rangs d'ambre, son brushing d'un blanc neigeux et ses extravagantes lunettes d'actrice.
Elle aborde les dernières marches en lâchant la rampe, un peu comme si elle se lançait d'une carlingue pour un saut en parachute, fixant sa fille d'un œil d'aigle, sa fille unique, une rondelette sexagénaire qui paraît craindre sa chute. L'inquiétude de sa fille froisse son amour-propre.
Pendant une fraction de seconde, l'octogénaire vacille sur la dernière marche et sa fille alarmée ébauche un geste pour l'empêcher de se fracasser sur le carrelage. Miracle, sa mère a retrouvé de justesse son centre de gravité. La fille pousse un discret soupir et retourne dans la cuisine.
En retrouvant une hasardeuse stabilité, la mère pince sa fine bouche fardée et allonge le menton entre ses bajoues. Consciente du risque, elle est d'autant plus fière d'être encore si alerte à quatre-vingts ans, moins balourde que sa fille tellement plus jeune ! C'est pénible de lire l'inquiétude dans les yeux de cette fille couarde toujours prête à se faire peur, à croire que sa mère pourrait flancher, une mère si élégante, sans excès de poids, que sa fille devrait bien imiter, ses rondeurs sont tellement vulgaires.
Victorieuse… La fille constate, au maintien rengorgé, que sa mère est victorieuse. Elle applique la méthode Coué. C'est une méthode en vogue chez elle depuis quelques mois. Elle multiplie ces petits défis, montrant sa force ou son habileté. J'y arriverai et j'y arrive. Toute tentative d'assistance est perçue comme une humiliation et foudroyée d'un regard hostile.
Elle n'a aucun point commun avec les octogénaires de sa connaissance, ces vieilles toupies racornies avec leurs cannes qui s'écoutent trop, c'est évident, enfin, voyons, elles se plaignent tout le temps, on dirait qu'elles sont en sucre, mais elle, non. Pas une douleur ! Elle n'est pas bancale comme cette pauvre Lucette, elle peut descendre les marches avec des talons hauts comme à vingt ans.
Ça la chiffonne que sa fille puisse penser qu'elle pourrait s'affaler, perdre son altière allure, affaiblie par l'âge, vieille. Elle va marquer le coup…
Elle tourne à petits pas autour de la table de la cuisine, à l'affût d'une petite mortification. Quelque chose dans l'allongement du nez où glissent imperceptiblement ses larges lunettes tarabiscotées ainsi que le froncement à la fois sévère et ennuyé des sourcils indiquent que madame le procureur cherche des preuves pour étayer son réquisitoire… Il y a bien cette manie de couper trop de pain, de remplir les corbeilles comme dans un vulgaire restaurant pour routiers mais c'est un reproche éculé. Soudain, une opportunité ! De l'inédit ! Elle plonge son regard dans le saladier d'un air offusqué comme si un crapaud y batifolait et lance d'une voix interloquée :
– Et tu mets de la moutarde, maintenant, dans la salade !
La fille se justifie :
– J'ai l'habitude… enfin… c'est automatique, je ne me rappelais plus que tu n'en mets pas, toi.
La mère renverse une de ses mains dans la paume de l'autre, comme pour retourner et aplatir la réponse de sa fille, tout en crispant un coin de la bouche, et elle ajoute :
– Hum… C'est comme cette lubie de vouloir utiliser absolument du vinaigre de vin, vous en faites des histoires, chez toi, avec l'assaisonnement.
Elle soulève un verre :
– C'est propre ou c'est sale, ça ? On avait ces verres-là à l'apéritif ? D'habitude, je mets les autres, les pieds carrés. Ceux-là sont trop fragiles.
– Je les ai essuyés très doucement. J'ai fait très attention, je sais que tu y tiens.
– Peut-être mais l'un d'eux a été ébréché… Il faudra les transporter de l'autre côté, je ne les range pas avec les carrés… Vous surveillez le rôti ? Il faut éteindre le four ! Où avez-vous mis la saucière ? Le rôti sera trop cuit. Qui le coupe ? Il faut le servir maintenant et la purée qui va prendre au fond… Vous me faites du joli travail…
La fille fait la sourde oreille à l'emploi du vous pluriel qui la relègue dans un anonymat dévalorisant puisqu'elle est seule à gérer ce déjeuner ; elle précise malgré tout calmement qu'elle doit distribuer de nouvelles assiettes avant d'emporter le rôti… La mère fait entendre un petit clappement impatient.
– Je croyais que c'était déjà fait…
– Écoute, maman… retourne t'asseoir avec les autres, tout va bien… laisse-moi faire… cesse de te tourmenter…
Cesse de tourner dans cette cuisine, tu me tapes sur les nerfs, poursuit-elle dans sa tête. Elle fait passer son inexprimable message de révolte dans une tonalité légèrement indisposée, juste une pointe de mauvaise humeur, pour recaler leurs rapports sur un chantage tacite : elle restera complaisante et dévouée à condition que sa mère cesse d'être acrimonieuse.
Dans la voix un peu essoufflée de la fille, empesée d'un soupçon d'agacement, la mère sent planer la menace d'être remise en place pourtant, intérieurement, elle s'en amuse… si sa fille croit qu'elle est du genre à obtempérer pour lui faire plaisir, elle se méprend… Entre parenthèse, sa fille est d'une patience ! Jamais elle n'en supporterait le quart. Et cette sotte ne sait pas qu'elle la provoquait délibérément, qu'elle attendait l'avertissement implicite pour suspendre ses remarques. Il n'y aurait nul plaisir à gagner une partie sans résistance. Maintenant, elle retient ses piques à seule fin de garder la main dans le jeu de poker de leurs relations, pour faire le pli grâce à son atout gagnant : les complexes de sa fille, semés dans l'enfance, cultivés au cours de son adolescence… elle sait exactement comment faire réagir sa fille et jouer avec ses sentiments.
La fille s'est décarcassée depuis deux jours, elle est à cran de se faire houspiller comme une vulgaire bonne à tout faire. L'amertume commence sa sourde érosion mais ses minables soubresauts de rébellion ont les relents de la culpabilité. Comme une sauce délicate qu'il faut monter à température sans faire bouillir, la mère sent la limite qu'il ne faut pas dépasser pour préserver l'allégeance filiale… pour garder sa fille-lige dans sa dépendance. Après avoir suffisamment soufflé le froid, elle va maintenant souffler le chaud … En se montrant affectueuse - et ce n'est pas bien difficile de pencher la tête en souriant et en tripotant le col de sa fille, en complimentant son ensemble informe de Monoprix - aujourd'hui comme il y a cinquante ans, elle sait qu'elle abattra toutes les défenses de cette grosse gourde perpétuellement en manque de reconnaissance…
Elle fait réagir sa fille comme une marionnettiste. C'est un pouvoir fantastique qui la plonge dans une euphorie bienfaisante. La mère est persuadée que cette euphorie est un facteur de longévité.
Alors, elle sourit affectueusement à sa grande chérie, elle fait durer le sourire qui fait rebondir ses joues rosies par la satisfaction comme des petits coussinets froncés aux coins de la bouche, en exhibant sa parfaite dentition. Même l'ardoise de ses cernes paraît atténuée et elle regarde sa fille droit dans les yeux. Et la fille si prévisible sourit à son tour, croyant voir frémir le drapeau blanc de la paix, de la gratitude et de l'amour maternel… Elle ne perçoit pas la noire contraction des pupilles.
– Oh ! Si tu savais comme je me sens bien aujourd'hui !
– Tant mieux, maman.
La voix de la fille chante. Elle est ravie du bien-être de sa mère, elle interprète cela comme le remerciement implicite de son dévouement. Elle interrompt le rinçage d'une assiette et regarde sa mère avec tendresse. Elle aimerait tellement la serrer dans ses bras et lui donner un baiser si elle n'était pas toujours si hautaine.
– La seule chose bien embêtante, surtout pour toi, ma pauvre chérie, précise sa mère, c'est que j'ai quelquefois ces coups de barre… Ces jours derniers j'étais tellement flagada, j'ai eu bien peur de ne pas pouvoir profiter de vous tous, mais c'est formidable comme je me sens si bien. Vraiment très bien. C'est incroyable. Quelle chance !
La fille glisse les assiettes sales dans le lave-vaisselle sans entendre le "grâce à toi" qu'elle attendait… En revanche le mot "flagada" s'est déposé dans son tympan comme une alluvion… Elle a de ces mots, sa mère, quand même, elle exagère un peu. Pas étonnant qu'elle soit en forme puisque c'est elle, la fille, qui est venue la veille pour tout préparer, tout organiser, qui l'avant-veille a fait tous les achats… qui surveille les cuissons, découpe le rôti, débarrasse à mesure, récure les gamelles, sert à table
Pour être de bonne foi, objective, ne pas reprocher ses propres actes à sa mère, la fille admet avoir proposé ses services de bon cœur, sachant combien sa génitrice est heureuse de réunir toute la famille sous son toit. C'est si dur pour elle de se voir vieillir, de renoncer à certaines activités surtout quand on a été tellement triomphante, toujours parfaite, classe, au-dessus du lot. Faire plaisir à sa mère est un juste retour des choses… C'est bien le moins qu'elle pouvait faire de se libérer ces derniers jours pour préparer la réunion de famille, ici, sur le territoire maternel.
– Va t'asseoir, maman, ne te fatigue pas inutilement, je suis là pour t'aider.
– Mais tu m'agaces ! Je ne suis pas fatiguée. Je me sens en pleine forme. D'ailleurs, je suis bien contente, tout le monde a l'air heureux, ma table était bien jolie, l'entrée parfaite… Tes frères passent un bon moment, ça se voit, et tes belles-sœurs sont adorables… Ton mari claironne, comme d'habitude, j'ai la tête en compote… Mais ça, on ne le changera pas !
La mère pourrait rester assise parmi les autres puisque sa fille unique s'affaire, emporte les assiettes sales, rapporte les assiettes propres, le rôti tranché, les petites purées de légumes, allume le chauffe-plats, sert les convives et, tout au long du déjeuner, guettant, prête à s'éjecter de sa chaise dès qu'elle perçoit chez sa mère l'intention de se lever. En supervisant le déjeuner, sa mère déprécie son rôle et dénature ses motivations : ce qu'elle fait par amour des siens est réduit au devoir filial, à la tâche d'une servante.
La fille fait pourtant tout ce qu'elle peut. Elle n'a qu'un souhait, voir sa mère contente d'être entourée, secondée, acceptant sa gentillesse simplement, tout simplement... ronronner... Ce serait un petit moment de bonheur… un vrai moment de bonheur de pouvoir partager avec sa mère la complicité de cette réunion, de l'avoir réussie ensemble…
Ensemble ? Quelle idée ! Associer sa fille à la réussite de cette journée serait un coup de canif dans l'embarcation, la voie d'eau du pouvoir absolu, une reddition. Ce serait prendre le risque de lui rendre sa confiance en elle-même, d'être obligée de subir ses conceptions et ses goûts tellement quelconques ! Ici, elle est chez elle, elle est la maîtresse de maison, sa pauvre chérie a beau faire, elle ne lui arrivera jamais à la cheville, elle n'a pas son charisme, le sens des choses, le goût aussi sûr, l'art de recevoir. Toute la famille le reconnaît : c'est ici, sous son toit, sous sa houlette, que les réunions atteignent une sorte de perfection, qu'elles sont le plus réussies. Uniquement parce qu'elle sait organiser et déléguer. D'ailleurs, la seule fois où la famille s'était regroupée chez sa fille - on ne sait plus pourquoi… une idée stupide - on avait eu froid, il y avait des courants d'air partout, on avait attrapé des bronchites, tout le monde avait l'air guindé, même ses frères ne se sentaient pas à l'aise, alors qu'ici, ils sont comme chez eux. Non, il faut le reconnaître, sa fille est très loin de savoir mettre les petits plats dans les grands avec cette élégance… Ils le disent tous, leur mère a le don pour ça, elle a l'œil à tout, rien ne lui échappe.
Comme prise de nausées, la mère a stoppé devant les assiettes sorties à l'avance et pose l'index sur la pile en s'exclamant :
– Qui a sorti ces petites assiettes ? Je ne sais plus qui me les avait offertes ? Ah ? C'est toi ? Je préfère les roses. Ces fourchettes à gâteau en corne ne supportent pas le lave-vaisselle ! Où as-tu mis le plat rond ? Là ? Ce n'est pas sa place…
Les commentaires maternels, les petites sentences, les remarques, sont autant de petites gifles. La fille s'affaisse, elle est lasse. Fatiguée des caprices, des coquetteries, des humeurs de sa mère. Aujourd'hui, elle est dans l'état d'esprit d'envoyer tout promener, sa mère et ces réunions de famille, depuis trois jours qu'elle s'y consacre, qu'elle se fait rabrouer… alors qu'elle aurait pu profiter de ce long week-end pour se changer les idées, partir ailleurs avec son mari qui le lui propose chaque année, à la mer, à la montagne, en vacances.
Mais c'est trop tard, sa mère lui semble un peu trop frêle, si fragile, un peu plus vieille. Ce n'est quand même pas maintenant que la fille va contester ce qu'elle a accepté depuis toujours… Et si c'était la dernière fois ? on ne sait jamais. Remettre sa présence en question, après tant d'années, refuser son aide, reviendrait à commettre un matricide en quelque sorte.
Ou alors, il aurait fallu réagir plus tôt, renoncer aux grandes tablées toujours si bien ordonnancées par une mère en majesté. Il aurait fallu flairer le futur piège, être très tôt consciente que derrière les fastes et les ors des réceptions familiales, il y avait une intention de soumettre ses sujets, de gouverner sa famille d'une poigne de fer, il aurait fallu prendre conscience qu'elle était, la fille, déjà, au service d'une VIP, de son altesse…
Il aurait fallu… rien qu'à penser cela, elle en frémit : il aurait fallu être celle entre tous qui prendrait la responsabilité de briser une famille. Quel prétexte eût été suffisamment valable pour justifier un tel massacre ? Et quel exemple pour de jeunes enfants de voir une famille carrément désossée ! Quel précédent pour leur conduite future ! Ses frères l'auraient regardée comme une pestiférée. Elle ne peut pas aujourd'hui, pas plus qu'autrefois, se rendre coupable d'abandon, de rejet, de trahison.
Maintenant, la fille lève son verre de champagne comme les autres, ils se congratulent tous, se sourient, elle les aiment bien et elle ne fera pas de vagues. Elle a été éduquée comme ça, programmée pour cela, complexée pour cela… Sa présence, son soutien, est un dû. Elle devrait entrer dans son crâne de moineau, une fois pour toute, qu'il ne s'agit pas de son bon plaisir à elle mais de celui de sa mère. Elle devrait s'empêcher de croire qu'elle peut échapper à cette dette.
Assise au bout de la table, l'octogénaire préside sa tablée, le sourcil froncé, l'air impatient, l'exclamation acerbe. Avec un peu de chance, elle deviendra centenaire. Jusqu'à son dernier souffle, chaque année, ils viendront ici, sa fille assurera la réception, la mère présidera et fera tomber le couperet de ses sentences sur sa fille octogénaire. Suzeraine. Jusqu'à son dernier souffle.
© Claudine Chollet, Masques et Bergamasques
20:00 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, nouvelles, société, famaille, psychologie | Facebook | | Imprimer | |