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06 janvier 2018

Les petits secrets de Polycarpe

Crissay sur Manse, village classé, Polycarpe, secrets, roman,

     Un après-midi d’été, nous arpentions les ruelles désertes de Crissay-sur-Manse labélisé « plus beau village de France », patrimoine déserté et figé dans ses vieilles pierres, quand une fragrance dans l’air ‒ que je n’avais jamais sentie nulle part ailleurs en Touraine jusqu’à ce moment‒ me téléportait dans la Charente de mon enfance et j’en ai frémi : des odeurs d’orties et de menthe écrasées, de pierres chaudes, de paille coupées, mêlées aux relents de moisissures arrivant par bouffées de recoins ombreux, d’entrées de chais…

Dans une sorte de rêve éveillé, j’ai superposé les deux villages, mon village d’autrefois plein de bruits, de vie, de malheurs et de joies, tantôt écrasé de soleil, tantôt fondant sous la pluie, et ce village pittoresque mais moribond, et je décidai que ma fiction se déroulerait là, dans cette petite agglomération revitalisée par la perfusion de mon passé charentais.

Comme la silhouette flageolante d’un voyageur venant de l’horizon, mon personnage principal se précisait progressivement : il serait comme nous, plein de défauts et plein d’angoisses, pas beau, pas laid non plus, mais je savais déjà qu’il serait très intelligent sous ses airs de monsieur-tout-le-monde ‒ encombré en quelque sorte de son intelligence comme tous ceux qui sont pourvus d’une lucidité et d’une compréhension hors normes. J’avais exclu de passer mes heures d’écriture avec un type ordinaire.

Il débarquerait de la ville, blasé, déprimé, pour renaître dans une sorte de biotope favorable, soudain effleuré par une utopie d’âge d’or, l’idée d’une petite société où le consumérisme, les apparences, la compétition (l’envie, la méchanceté et l’humiliation) seraient bannis, tout au moins dans un cercle de personnes sachant se reconnaître et devenant amies… J’avais envie de réhabiliter ces valeurs qui passent pour naïves, pour gnangnan disons-le,  dans un monde de gagneurs et de guerriers, j’avais envie de les imposer et je le pouvais puisque je suis maître en mon royaume.

Ainsi ce sont constitués les grands traits de mon personnage et le décor de ma série, dont le premier mot n’était pas encore écrit.

Le menton dans la main, devant le calendrier des postes, je cherchai désespérément le prénom de ce brillant personnage pas très beau. Toutes mes références littéraires défilaient dans ma tête… Il était aussi sympa que Qwilleran, aussi grognon que Nestor, intuitif comme Hercule, intelligent comme Sherlock, etc. Il me fallait un prénom choc comme ceux-là, qui s’incruste dans la mémoire et devienne, par un effet de synecdoque, l’homme lui-même… la série elle-même !

Eurêka : je connaissais un brave homme prénommé Polycarpe, le mari de l’institutrice de mes enfants, ouvrier chez Michelin, un prénom qui nous avait toujours paru mystérieux et, qui plus est, un prénom de pape !

Je me suis surprise moi-même à établir une sorte de story-board avant de commencer cette « suite » romanesque. Je voulais la réussir, ne rien laisser au hasard, c’était mon défi… Il fallait border la fiction de contours précis, fixer les points essentiels, bref, créer une « bible » de critères dont la récurrence serait un confort de lecture, ce confort que j’éprouvais à la lecture de mes auteurs de séries préférés (comme cette chère Lilian Jackson Braun récemment disparue)

Ainsi, dès le départ, je cherchai à sous-tendre ma narration de  valeurs simples comme la gentillesse et le bon sens et la bonne humeur qui sont les fondements du bonheur en société (qui ne sont pas cependant les valeurs les mieux partagées).

Mais fort est de constater qu’un certain nombre d’individus malfaisants s’emploient à rendre la vie des autres impossible, mésestiment et ridiculisent leurs congénères, réduisent en poussière tout acte généreux, bafouent l’intelligence et piétinent l’amour de leurs souliers à clous.

Eh bien, devant ce constat, une évidence s’imposait : dans mes romans, le crime symboliserait toute cette méchanceté et serait révélé puis puni ; mes personnages positifs, drôles, sympathiques, s’uniraient contre le Mal. Je voulais que les gens bien l’emportent sur les nuisibles et les pernicieux.

J’allais inventer un univers où, je l’espérais, mes lectrices et mes lecteurs aimeraient se plonger. Et quand j’ai eu des preuves que je partageais avec plusieurs centaines de lectrices et de lecteurs ce petit monde d’humanité, alors j’ai été baignée de reconnaissance comme d’une eau miraculeuse. Cette connivence littéraire constituait un baume pour mon âme, et permet la résilience qui cicatrise de vieilles plaies encore douloureuses.

Quoi qu’il en soit, j’ai ainsi créé tout un univers, et ça c’est un challenge, croyez-moi.

16:36 Écrit par Claudine dans confidences, e-book, les petits secrets de Polycarpe, littérature, roman policier | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

30 septembre 2017

Confidence de mon carnet

femmes, secrets, almodovar, polycarpe

D’où vient que, lorsque je lis cette phrase ‒ « Les femmes se retournèrent vers le bruit de moteur qui s’approchaient et plissèrent les yeux en raison du soleil » ‒ j’éprouve une grande émotion artistique ?

Cela fait peut-être écho à une image de film d’Almodovar… Un groupe de femmes, trois peut-être, dans un décor méditerranéen inondé par le soleil qui se parlent, se disputent, s’approuvent, rient, pleurent, s’embrassent…  c’est l’évocation d’un matriarcat, d’une entente tacite, d’une fonction relationnelle dont les femmes ont l’exclusivité dans notre société, s’en acquittant plus ou moins bien, reconnaissons-le, mais cela me touche beaucoup.

Je ne veux pas réduire les genres féminins et masculins à des clichés. Mais j’ai une grande tendresse pour l’indicible part féminine enfouie en chacune d’entre nous, qu’on soit belles ou moches, jeunes ou vieilles.

Sans qu’il soit besoin de le dire, il y a en périphérie des regards que nous échangeons les mêmes expériences de la féminité, de nos corps sans cesse en métamorphoses, que nous passons notre vie entière à découvrir,  douloureux, convoité, abusé, jouissant, beau et triomphant, expulsant la vie, rempart protecteur des siens, puis oublié, vieillissant, dépendant, laid… et, à tous ces stades, entre nous, même étrangères, l’échange oculaire muet signifiant qu’au-delà de nos différences, nous sommes sœurs.

19:19 Écrit par Claudine dans confidences, femmes, les petits secrets de Polycarpe | Lien permanent | Commentaires (1) |  Facebook | |  Imprimer | |

29 décembre 2015

POLYCARPE, saint martyr de l’ANTI-BÊTISE (selon Flaubert)

Flaubert, Nadar, Polycarpe, synchronicité

L’auteur de « L’Éducation sentimentale » s’identifie à Polycarpe, évêque de Smyrne, dans les années 100 ap. J.C. mort en martyr de la stupidité des hommes. Flaubert signe nombre de ses lettres : « Polycarpe ».

« La découverte de la parenté spirituelle avec saint Polycarpe date de l’adolescence de Flaubert. Ce saint fit partie des surnoms que ses amis lui attribuèrent, et Flaubert le conserva toute sa vie, comme en témoignent ses signatures. C’est par dizaines d’exemplaires qu’on le trouve dans sa correspondance.
Au point que ses amis organisent pour distraire l’écrivain souvent déprimé une sorte de « dîner de con » le jour de la saint Polycarpe, pour lequel Maupassant rédige la lettre du "cochon de St Antoine" (où le cochon demande la protection de St Polycarpe)… C'est à qui fêtera de la façon la plus digne et la moins recueillie le patron de l’anti-bêtise : déguisements, fleurs, discours versifiés, Champagne, cadeaux, rien ne manque. Le menu est même composé d'après les œuvres de Flaubert. Si ces festivités permettent, d'une façon burlesque, d'évoquer saint Polycarpe, c'est que Flaubert l'invoque toujours devant le spectacle de la bêtise.


Extraits de l’article de Michel Adam,
Bulletin de l'Association Guillaume Budé
Année 1972 Volume 1

Si je regrette d’avoir ignoré cette facette biographique de mon écrivain fétiche quand j’ai conçu ma série des « Polycarpe », je suis encore abasourdie par la synchronicité de cette découverte.

[Synchronicité : « coïncidence temporelle de deux ou plusieurs événements sans lien causal entre eux et possédant un sens identique ou analogue». Selon Jung, les phénomènes synchronistiques se comportent comme des hasards gorgés de sens. Ils sont caractérisés par la coïncidence porteuse d’une signification.]

Toutes proportions gardées, comme madame Bovary est un peu Flaubert, Polycarpe est un peu moi, dans ce que mon personnage central exprime ma détestation de la pensée unique, conformiste, de ceux qui se croient originaux, pertinents et supérieurs ‒ en un mot : bêtes ! D’où le caractère bougon, colérique, de "mon" Polycarpe, pas toujours à prendre avec des pincettes, comme l’était d’ailleurs Gustave Flaubert, que George Sand appelait son « ours ».

20:04 Écrit par Claudine dans confidences, insolite, littérature, sens des mots | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

17 décembre 2015

Critique d'un booktubeur...

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Vidéo de Jules : cliquez ici

 

 

11 avril 2015

Stephen King : confidences d'un romancier...

Stephen King, romancier, confidences, secret

« Ce qu’il y a de plus important, c’est le plus difficile à dire. Des choses dont on finit par avoir honte, parce que les mots ne leur rendent pas justice ‒ les mots rapetissent des pensées qui semblaient sans limites, et elles ne sont qu’à hauteur d’hommes quand on finit par les exprimer. Mais c’est plus encore, n’est-ce pas ? Ce qu’il y a de plus important se trouve trop près du plus secret de notre cœur et indique ce trésor enfoui à nos ennemis, ce qui n’aimeraient rien tant que de le dérober. On peut en venir à révéler ce qui vous coûte le plus à dire et voir seulement les gens vous regarder d’un drôle d’air, sans comprendre ce que vous avez dit ou pourquoi vous y attachez tant d’importance que vous avez failli pleurer en le disant. C’est ce qu’il y a de pire, je trouve. Quand le secret reste prisonnier en soi non pas faute de pouvoir l’exprimer mais faute d’une oreille qui vous entende. »

Stephen King, Différentes saisons, Albin Michel 1986
(Premier chapitre de la nouvelle : « L’automne de l’innocence »)

12:03 Écrit par Claudine dans confidences, littérature, sens des mots | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |