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Place du Palais, feuilleton, épisode n° 19

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 Les personnages principaux sont trois copines tourangelles :
- Pénélope Forest, 34 ans, célibataire, elle a des petites amourettes mais son cœur bat en secret pour un beau Québécois, à peine entrevu, Jonathan Brûlebois. Elle habite Quartier Velpeau, elle travaille au Musée des beaux-arts ; ses parents habitent aux Prébendes.
- Armelle Chamotte, 36 ans, est potière d’art, mariée avec François, musicien, fils d'un people gay.
Ils ont une fille, Lou, 11 ans. Ils habitent à la campagne, près de Saché.
- Romane Franjeux, 40 ans, divorcée, est psychothérapeute, son cabinet se situe rue Bernard Palissy, elle a un fils Alex, 19 ans, mannequin, une fille, Laura, 16 ans, boulimique et rebelle, une mère bigote ; sa demi-sœur, Floriane, maman d’un petit Tom, perdue de vue de puis des années, a refait surface.

 Journal de Pénélope,
24 décembre, 15 h.

 

Je suis à l’hosto. Je reste auprès de maman qui a voulu mourir. Comme je m’en veux ! C’est terrible. À cause de sa prestance, de son calme apparent, de son éternel sourire et de l’attention qu’elle portait aux autres, je pensais qu’elle était solide, qu’elle saurait encaisser les chocs de la vie. Eh bien, non.
Une fois de plus, ne pas se fier aux apparences.

Je me sens indigne. J’ai été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase déjà plein à ras bord avec la séparation annoncée de son couple. Ma pauvre mère, si dévouée, si entière, qui aimait tellement la vie, se réjouissant d’un rayon de soleil, d’un bourgeon en février, des facéties d’un chaton, avait brusquement basculé dans le désespoir, emportée par un séisme : l’effondrement de son petit monde... 

J’ai hélas ma part de responsabilité. Je me repends tellement de lui avoir porté l’estocade, par égoïsme, par impudence.

Il faut dire aussi qu’avec sa façon habituelle de me cacher ses soucis et ses problèmes, je ne pouvais pas deviner à quel point elle était secouée. Maman m’a toujours épargnée les laideurs de la vie, elle a toujours voulu bâtir pour sa fille chérie un univers douillet, elle échafaudait en permanence une paroi de protection entre le monde et moi, avec ses conseils et ses paroles rassurantes, si bien que j’ai cru, de bonne foi, que c’était elle qui vivait dans une bulle inoxydable.

Ce n’est pas que je me cherche des excuses, mais maman a l’art de vous planter sous le nez l’arbre qui cache la forêt, de monter une bricole en épingle pour esquiver la discussion qui risque de fâcher ; c’est le genre à substituer son verre à moitié vide par un verre à moitié plein le temps que je suis avec elle, pour ne pas me faire de peine. Et ça, je viens seulement de le comprendre, avec mon satané esprit d’escalier ; il a fallu qu’elle manque de mourir pour que j’en aie conscience. Quelle pomme !

Sous l’effet des anxiolytiques, elle s’est endormie. Malgré des cernes couleur d’ardoise, ses lèvres reprennent des couleurs. Le médecin m’a rassurée, elle est hors de danger. Elle rentrera chez elle dès demain si tout va bien. Elle a reçu la visite d’une psychologue et accepté celle d’un diacre et j’ai trouvé que ça l’avait un peu requinquée. Un peu d’humanité et de spiritualité dans son univers en miettes.

Je l’ai câlinée, comme elle faisait avec moi quand j’étais petite, ma joue contre sa joue, je l’ai bercée avec des petits mots apaisants, j’essaie de lui apporter un peu de tendresse, elle en a besoin. Elle m’a souri. Ça m’a fait plaisir.

Malgré tout, une page est tournée. Elle ne sera plus jamais la même après l’annonce de ce divorce auquel elle ne s’attendait pas. Je suis certaine qu’elle ne se cachera plus derrière son petit doigt en refusant d’admettre la réalité. Car elle m’a juré qu’elle n’a rien vu venir. Ça, pour le coup, j’ai du mal à y croire ! C’est insensé ! Il devait bien y avoir des signes, tout de même ! Un homme de soixante ans qui dégotte une fille de trente ans sur Internet, doit présenter quelques symptômes de manque affectif, de distraction, d’insatisfaction !  Maman me jure que non. « Ton père a toujours été accaparé par son travail et son métier est particulièrement prenant. Il n’a pas vraiment de répit, toujours sur la brèche, pas d’horaires fixes. Je m’y étais habituée. Et comme il se montrait particulièrement attentionné ces derniers temps, qu’il m’offrait des fleurs, des sorties, je n’ai jamais imaginé qu’il avait quelqu’un... » 

Ou bien il est très fourbe ou bien elle est d’une naïveté irrécupérable. Ou les deux à la fois. Le doute l’effleure parfois, elle me demande : « Tu crois qu’il culpabilisait, que c’est pour ça qu’il me faisait des cadeaux, qu’il me prodiguait ces petites attentions ? Ce serait complètement idiot ! La vérité n’en est que plus dure à avouer... Mais sans doute as-tu raison, les hommes sont stupides avec les femmes, ils les méprisent ou les idolâtrent, c’est leur sexe qui pense à leur place... »

Elle me fait dire ce que je n’ai pas dit. Mais ça doit se voir sur ma figure ce que je pense des mecs, en ce moment. Passons. J’en reparlerai, plus tard.

J’ai retenu un sourire quand elle a dit de mon père qu’il avait quelqu’un. Ça me rappelle les confidences susurrées à mi-voix entre ma grand-mère et ses amies, quand j’étais môme : « on dit que le père Michaud a quelqu’un... D’après Simone, le mari d’Odette aurait quelqu’un... » accompagnées de hochements de tête, de regards entendus, de rengorgements scandalisés et goguenards à la fois.

Avoir quelqu’un... la formule produisait son lot de clichés vaudevillesques, d’hommes à moustaches, bombant du torse, l’œil en vrille, retrouvant une jolie petite couturière, noyée dans ses jupons ou une bourgeoise encanaillée. Maupassant nous en a campés des inoubliables.

Bon, je vais y aller, maintenant qu’elle est assoupie. Je vais aller chercher quelques petites douceurs pour ce soir de Noël que nous passerons ici, toutes les deux, entre ces murs vert pâle... 

à suivre...

 Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
Tous droits réservés

 

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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