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Place du palais, feuilleton, épisode n° 9

Résumé de l'épisode précédent : Les Chamotte (qui ont recueilli Floriane) ont invité à dîner leurs amies, Pénélope et Romane, ainsi que Jonathan Brûlebois, le physicien québécois. Romane ramène son neveu Tom auprès de sa maman dont il est séparé depuis un an. À peine arrivée, elle apprend que sa fille Laura vient d’être interpellée par la police.

Journal de Pénélope

 « J’ai l’intention de noter dans mon bloc-notes deux trois trucs dont j’aimerais me souvenir plus tard. Ça m’amusera peut-être de me relire quand je serai très vieille. Comme, par exemple, la journée de samedi. Parce que, ce jour-là, qui s’annonçait exceptionnel, ce fut plutôt la cata de chez Cata. Déjà – et d’un – le repas préparé par Armelle a filé en partie au congélo, vu... qu’il n’y a pas eu de dîner ! ;-( 

Pour commencer, sitôt arrivée avec Tom Pouce, Romane a dû faire demi-tour pour récupérer sa fille – mineure – au commissariat. Laura était dans la manif de lycéens qui a dégénéré en castagne, au pont Mirabeau. (On peut la reconnaître sur une photo de la NR, aux Tanneurs, avant les échauffourées). Elle a été interpellée avec huit autres jeunes. C’était la première fois qu’elle avait à faire à la police, d’où l’indulgence de la sanction : on lui a proposé de suivre un stage de citoyenneté. Elle a de la chance, il n’y aura pas de trace sur son casier.
Pendant que Romane battait la semelle dans les couloirs du commissariat, elle a prévenu les Chamotte de ne pas compter sur elle pour dîner – et Armelle a retiré son couvert (un premier couvert... car, ensuite, ça s’est corsé). Après moult interrogatoires, dépositions et tergiversations, où Laura a reconnu que son objectif était : "de montrer qu’on existe quand on est jeune dans un monde de vieux cons". Romane l’a ramenée chez elle par la peau du cou.
Là-dessus Alex, croyant sa mère sortie pour la soirée, avait rameuté ses potes pour une "stup-party" comme ils disent, quand ils se réunissent pour fumer de l’herbe et boire de la bière... Je tiens ça d’Alex lui-même – confidences sur l’oreiller, hum ! – avec cette belle petite gueule de top-modèle, il se comporte parfois comme un zonard.
Alors, Romane a pété les plombs, et on peut la comprendre ! Elle a mis Laura toute habillée sous la douche. Elle a viré les copains d’Alex, l’a obligé à tout nettoyer et lui a demandé de rembourser sur le champ un fauteuil brûlé par une clope. Elle a tellement crisé qu’elle a scotché ses mômes, plus habitués au dialogue, aux négociations et aux compromis.
Après ce coup de Calgon, elle m’a appelée pour me demander comment elle devait s’y prendre avec ses mômes. Quand je lui ai fait remarquer que la psy, c’était elle, j’ai vite compris que je pouvais remballer ce genre d’humour — vaseux, j’en conviens ! Mais j’étais moi-même en galère, comme je vais l’expliquer plus loin, et hyper énervée.
"J’ai seulement besoin d’un conseil de bon sens, me dit-elle. Laura m’a traitée de néonazie tout à l’heure, comment me faire respecter sans être facho, tu vois ? Pénélope, qu’est-ce que tu ferais à ma place ?"
"Bonne question, je lui fais. Tu veux vraiment un conseil de bon sens ? Tu leur confisques leurs téléphones portables une semaine, point barre. Pas de téléphone ? Pas de stup-party et pas de sms de rassemblements... donc pas de commissariat."
Là, Romane a commencé à chipoter.
"T’as raison, Pénélope, mais c’est impossible. Alex a les moyens d’acheter tous les iPod dont il a envie et de payer les abonnements... Et si je fais ça à Laura, elle nous maudira sur les trois prochaines générations"
Et bla-bla-bla. J’ai pas encore d’enfants et c’est toujours plus facile de dire que de faire. En tout cas, j’avais pas d’autre idée en magasin.
Finalement, je crois qu’elle va passer l’éponge, et c’est reparti pour un tour !
Fin du premier bug...

 Comme d’hab, quand j’ai une sortie extra muros, ma mère me prête sa bagnole. Une vieille Clio cabossée qui, vu son âge, bordaille la catégorie "voiture de collection". Nous sommes assez solidaires, ma mère et moi, quand mon père découvre avec un air navré (c’est un comique qui s’ignore !) une nouvelle bosse ou une nouvelle éraflure : on plaide coupable toutes les deux, ce qui lui enlève toute envie de rouspéter ! Enfin, bref, ça ne dérange pas ma mère de me laisser sa voiture, elle s’en sert assez peu et il y a celle de mon père au cas où... je veux dire... si c’est vraiment super grave, parce qu’il n’est pas chaud-chaud pour confier à sa femme ce bijou étincelant, impeccable qui fleure bon le cuir et semble avancer sur coussin d’air, sa super Audi. Bref, quand j’ai besoin de la Clio, je me rends chez mes parents en vélo ou en bus.
Je l’ai donc empruntée pour aller chez Armelle. Je sors du garage en agitant ma menotte pour dire au revoir à ma maman (qui me regarde partir comme si c’était la dernière fois de sa vie qu’elle me voyait — ça m’énerve ! j’en hausse les épaules !) et me voici cahotant sur les belles routes de France, direction Saché, et chantonnant, toute gaie de revoir le beau sherpa des plages.
J’ai fait des efforts vestimentaires. C'est-à-dire que pour moi, ce sont vraiment des efforts parce que je suis plutôt du genre « sport », on va dire comme ça. Je m’habille rarement chic. Je ne supporte pas les chaussures à talons, je déteste les jupes serrées et j’esquive les tops moulants... Aussi, pour cette soirée exceptionnelle, j’avais mis ma tenue « pionnière », un peu western avec des boots Doc Martens, pour être à l’aise. Moi, je m’aime bien comme ça mais les filles, mes copines, n’ont pas l’air emballées par mes goûts personnels. Tant pis. C’est moi qui dois assumer et quand je me sens mal dans mes fringues, j’ai un relationnel lamentable.
Je jetai un coup d’œil dans le rétro pour vérifier ma frange lorsque... l’icône « niveau d’essence » s’est mis à clignoter diaboliquement.
Bien entendu, mother avait zappé la pompe, c’est plus fort qu’elle, elle doit éprouver une sorte de jouissance à frôler la panne, à moins que ça l’embête de s’arrêter, de sortir de l’auto, de manipuler le pistolet...  Et je me suis rappelé tout d’un coup que la jauge de cette vieille auto fonctionnait de façon aléatoire... Grosse panique. Je risquai la panne sèche. J’étais sur la N10, "Pas de souci, je me dis, il y a des stations partout". J’ignorais encore que certaines étaient déjà à sec, que le dépôt de carburant de Saint-Pierre était occupé par des grévistes...
J’avise une station et je m’insère dans une file interminable, en calculant que dans le meilleur des cas, je n’atteindrai pas la pompe avant trois-quarts d’heure. J’attendais depuis une demi-heure, branchée sur radio Luynes (assez rocks, les programmes) quand, après un soubresaut tel un râle d’agonisant, le moteur s’est arrêté.
Et me voici, immobilisée dans l’imbroglio des voitures, comme un cheval mort, les empêchant d’avancer. Coups de Klaxons, engueulades... Le binz, quoi !
J’ai un peu honte parce que j’ai racolé façon pute (moues sensuelles, air coquin, brûler vos beaux yeux d’amour me font...) quelques mecs assez balèzes capables de manœuvrer et pousser ma caisse jusqu’à la pompe.
Quatre Dalton se sont portés volontaires, minaudant en me matant, comme Obélix devant un romain. Le gros tatoué devait sortir tout droit de Fleury-Mérogis. Ils ont déplacé ma voiture comme un carton de plumes.
OK, remplir son réservoir, c’est parfait, mais je n’étais pas encore sortie d’affaire : la Clio n’a jamais voulu repartir. Il y avait des saletés dans le réservoir ou je ne sais quoi... Re-binz ! Trois des Dalton encore disponibles mais beaucoup moins séduits par mes sourires crispés, ont à nouveau dégagé la voie et ont poussé mon auto derrière des cages de bouteilles de gaz.
Il était déjà dix-neuf heures. C’est à ce moment-là que Romane m’a opportunément consulté sur l’éducation de ses enfants. Puis, j’ai appelé Armelle pour prévenir que j’étais en rade dans une pompe à essence.
Elle a enlevé mon couvert.
Fin du deuxième bug...

 Mais ce n’est pas fini.
Armelle m’apprend qu’en retrouvant son fils, Floriane a fait un malaise, que François l’a conduite aux urgences. Dans ces conditions, elle a contacté Jonathan pour repousser le dîner...
Elle explique que Jonathan était déjà en route pour venir et qu’il a fait demi-tour, sincèrement peiné de tout ce qui arrivait ce soir.
Elle a retiré un troisième couvert.

Fin du troisième bug.
C’est alors qu’elle a eu une idée de génie : recontacter Jonathan pour qu’il passe me prendre et me ramène en ville. "Je te donne son numéro et je lui donne le tien, vous vous débrouillerez !"

Et quelques instants plus tard...
Un quatre-quatre Kia (exactement le genre de véhicule qui me donne des boutons, dans d’autres circonstances !) stoppait à ma hauteur, un prince charmant à la tignasse de poney en descendait, ouvrait la porte du passager et m’invitait à m’asseoir dans son carrosse... avec mes boots Doc Martens, pas vraiment des souliers de vair...
"J’ai pris ce char en leasing, il me dit, c’est bien confortable non ?"
Et moi, avec toutes ces émotions et avec son "char", je me suis mise à rire, à rire, à en pleurer... »

 à suivre...

 Place du Palais©Tutti Quanti & Claudine Chollet
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Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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