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Place du Palais, feuilleton, épisode n°3

Comment devrait-on se comporter quand le fils de votre meilleure amie sonne à votre porte un samedi soir, plutôt éméché, et se jette sur vous avec l’intention de vous embrasser... et plus si affinité ?

Pénélope referma son journal intime et le fourra sous le coussin du canapé : ça servait à rien de disserter sur la question après coup. Elle l’avait fait !

Quand Alex s’était pointé, elle avait soulevé discrètement le store de la salle de bain pour savoir qui sonnait. Elle était allée lui ouvrir, enroulée dans un drap de bain à rayures obliques qui la transformait en berlingot, les cheveux mouillés en vrac, sans la moindre arrière-pensée. D’autant plus qu’elle le connaissait depuis qu’il était petit. Après avoir bricolé tout son samedi pour aménager sa petite maison, elle s’apprêtait à aller voir Happy Few au Studio.

La bande-annonce l’avait branchée, elle était particulièrement attirée par les histoires de rencontres comme écrites par le destin, genre un type fait irruption dans un couple, dans une famille, et toutes les relations se détraquent, parce que sa présence révèle des failles cachées et des désirs mal assumés. Et c’est à cet instant, comme un fait exprès, que le fils de Romane a débarqué.

— Alex ? Qu’est-ce que tu fais là ?

— Ben... J’ai un truc à te demander... Un truc un peu spécial...

— Entre... Excuse-moi, je sors de la douche, je me préparais pour aller au cinoche.

— Ah bon ?

Il avait l’air déçu. Pénélope le rassura :

— J’irai à la séance suivante. Tu veux un coca ? Y en a dans le frigo. Sers-toi pendant que je m’habille.

Petit dialogue anodin, mais déjà, à sa manière de se tenir, de répondre, Alex ne semblait pas très clair. Il avait les yeux brillants, remontait inutilement sa mèche de cheveux entre ses longs doigts et souriait en oblique.

Alex... C’est juste la perfection au masculin. L’année de ses dix-sept ans, sans en parler à sa mère, il s’était présenté à des castings de mannequinat et ça avait marché, il avait été recruté pour défiler avec des fringues de marque. L’autorisation parentale étant requise, Romane et le père d’Alex avaient été confrontés à un vrai cas de conscience : contrarier une vocation ? Ou le sauver malgré lui d’un mode de vie bling-bling, aux relations douteuses ? Ils avaient fini par accepter sous condition d’obtention du baccalauréat... Alex l’avait décroché avec mention, car il était doué, en plus ! Depuis, il partait aux quatre coins du monde (Sénégal, Maroc, Égypte...) pour faire des photos, des défilés, hébergé dans des palaces, emmagasinant un vrai pactole... Ce qui ne l’empêchait pas de rester charmant, spontané, et s’il en tirait orgueil, il ne le montrait pas.

Alors qu’elle filait vers la chambre sur la pointe des pieds pour s’habiller, il l’avait attrapée, l’avait prise dans ses bras et l’avait embrassée avec fougue. Le drap de bain avait glissé. Comme sidéré, il l’avait contemplée, et sans parler, les yeux dans les yeux, (elle s’était sentie fascinée, hypnotisée) ils s’étaient dirigés vers le lit où ils avaient fait l’amour.

Oui, elle avait baisé avec un type qui pose dans Vogue Homme pour Yves-Saint-Laurent ! Pénélope n’en revenait toujours pas, même s’il lui avait avoué que pour une première fois, il l’avait choisie parce qu’il éprouvait pour elle une sorte d’amitié amoureuse ; il savait qu’elle ne se moquerait pas de son inexpérience qu’il commençait à trouver relou, à dix-huit ans ; il la trouvait sympa et... belle ! Il avait dit belle !

 

Et ce lundi matin, après avoir distribué des tickets d’entrée au Musée à tout un groupe de chinois qui s’égaillèrent dans les salles en piaillant comme des hirondelles, elle repensait à sa soirée de samedi avec Alex : ils étaient allés au cinéma puis ils avaient dîné Place Plume, en copains, avant de rentrer se remettre au lit, en amoureux. Peut-être l’étaient-ils quand même un petit peu, sur le moment ? Quelque chose de très doux et de frais s’était passé entre eux, quelque chose de léger, sans serments, sans passion et sans lendemain...

Elle sursauta presque quand son portable émit un « ping ! » d’alerte SMS. 

Pas possible ! C’était justement Romane !

« Oh ! là ! là ! Elle sait déjà... ! » s’affola Pénélope. Elle sélectionna l’option : « lire maintenant »... Gros pb perso. Besoin d’en parler. On peut se voir ?

Pénélope fronça les sourcils. Si Romane avait appris ce qui s’était passé, pourquoi ce mystère ? pourquoi ne pas aller droit au but ? Quoi qu’il en soit, si le gros problème perso de Romane était que son amie avait couché avec son fils, Pénélope était prête à assumer. Alex était majeur, il n’avait pas besoin de l’autorisation de maman pour s’envoyer en l’air et c’était tout à fait naturel et sain... Pénélope refusait de se culpabiliser !

Elle jeta un œil dehors, le soleil de septembre répandait une lumière dorée et le cèdre, aux branches pesantes comme de lourdes draperies royales, semblait brodé de brillants. Pénélope tapota sa réponse : Pause sandwich au square, 12 h 30. Elle en profiterait pour grignoter son repas de midi dehors, sur un banc.

L’ironie de la situation lui arracha un petit sourire, on marchait quand même un peu sur la tête ! Romane était psy et c’était elle qui avait besoin de parler, de s’épancher... Pourquoi pas, d’ailleurs ? Pénélope le comprenait parfaitement : les thérapeutes sont des gens comme les autres !  

Le cabinet de Romane se situait rue Bernard Palissy. Pénélope l’avait consultée quelques années plus tôt pour démêler les relations ambiguës qu’elle entretenait avec ses propres parents et qui la plombaient. Après cela, bossant dans le même quartier elles s’étaient revues et de fil en aiguille, elles étaient devenues amies, leur petite différence d’âge ne posant aucun problème, Romane avait à peine passé la quarantaine... Il arrivait parfois, des jours comme aujourd’hui, que Pénélope se sente la plus vieille des deux, quand sa copine se trouvait désemparée, plus fragile qu’un poussin sorti de sa coquille. Dans ces cas-là, elle se sentait forte, réaliste, positive. Elle aimait bien être celle sur qui on peut compter...

L’indispensable Pénélope... pour la mère... comme pour le fils !

Elle traversa la rue pour entrer dans le square, son sac dans le dos, en pantacourt et longs tee-shirts superposés. Elle foula l’allée à grands pas décidés jusqu’au banc où Romane se trouvait déjà, bras croisés sur sa besace, l’air sombre. Elle semblait totalement indifférente aux gens qui passaient devant elle ou aux collégiens qui bougeaient au rythme de leurs lecteurs MP3...

Le regard vague perdu dans les arbustes en face, Romane évoquait un tableau médiéval qui avait été exposé temporairement au Musée, représentant une femme avec un turban : elle avait entortillé sans manière un foulard de soie fleurie autour de sa tête. Elle était longiligne, maigre, même un peu osseuse, mais une large bouche épaisse et de grands yeux sombres (habituellement attentifs) lui donnaient l’air chaleureux.

Pénélope comprit immédiatement qu’elle ne serait pas sur la sellette, sinon Romane l’aurait observée en train d’approcher avec son œil perspicace de psy, alors qu’elle paraissait au contraire totalement fermée, verrouillée sur elle-même.

— Salut, alors ça va pas ? l’aborda Pénélope en se laissant tomber sur le banc.

Faute de réponse immédiate, elle ouvrit son sac et en extirpa une boîte en plastique contenant son encas de midi.

Romane décroisa les bras et enfouit son visage dans ses mains.

— J’ai un bug avec un patient, je ne sais pas quoi faire... Pénélope, il faut que tu m’aides, implora-t-elle.

Que s’était-il encore passé dans la vie de Romane ? À quoi fallait-il s’attendre après un long divorce hyper conflictuel, les excentricités de son fils top modèle, la boulimie de sa fille, et la culpabilité que faisait peser sur elle une mère confite en dévotion ?

— Tu veux dire un malade ? un pervers ?

— Pire...

— Comment ça, pire ? Il te harcèle ? C’est un fou ? Un criminel ? Va voir les flics... dépose une main courante...

Soudain, Romane saisit les mains de son amie et la fixa d’un regard étrange, la couleur de ses yeux changeait comme sous l’effet d’un variateur de luminosité.

— Pénélope, si tu savais !

A suivre...

Écrit par Claudine Lien permanent | Commentaires (0)

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