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31 mars 2006

Les aventures de Polycarpe - 16ème épisode


LE VIEUX LOGIS

 

chapitre XVI

 

Enfin arrive le fameux jour du concours de pêche...

Il n’était pas sept heures, le lendemain matin, quand il entendit les beuglements insistants d’un klaxon depuis la rue. Il avait déjà fait sa toilette et boutonnait sa chemisette, au premier étage dans sa chambre.
En dépit de rebutants tortillons bleu violet qui ornaient le papier peint des murs et un carrelage de tomettes ripolinées en rouge vif, il avait choisi cette chambre, désaffectée depuis la Saint-glinglin, pour sa grande fenêtre donnant sur le jardin et sa cheminée qu’il pourrait équiper d’un poêle le moment venu. Il l’avait préférée à celle de l’ancien propriétaire, ouvrant sur la place, et à celle du rez-de-chaussée qu’avait occupée Ulysse Côme.
Il n’avait plus de douleurs et il avait dormi comme un parpaing après avoir reçu, vers vingt-deux heures,  un coup de fil de Basile.  Le vice-président de l’alipa avait pris des nouvelles d’Iseult auprès de son frère.
- L’association m’avait mandaté pour le consulter sur le maintien ou non de la fête, disons par correction, je vois mal comment nous aurions pu refouler et rembourser les gens... Mais tout va bien : le poignard a glissé sur l’omoplate sans atteindre aucune fonction vitale. Elle est encore affaiblie mais elle va s’en tirer.
 
Depuis près de deux heures, les rues de Rochebourg bourdonnaient de moteurs et de voix ; les amateurs de pêche à la ligne, levés avant le jour, débarquaient de tous les points cardinaux, en voitures ou en vélomoteurs, sacoches en bandoulière, tous équipés de cannes télescopiques, de sièges pliants et, parfois, de parasols.
Le champ communal, prévu comme parking, devait être complet car nombreux étaient ceux qui, après être passés une première fois sur la place, refluaient maintenant à la recherche d’un stationnement improbable dans les rues trop étroites et se garaient n’importe comment dans la moindre encoignure et sous le chêne. C’était de bonne augure pour l’association, mais il fallait s’attendre à essuyer dans les prochains jours les récriminations des habitants anti-pêche ou anti-alipa, les rouspéteurs de tous poils, réveillés dès potron-minet par l’invasion du village. Polycarpe recensait déjà les choses à prévoir ou à améliorer dans l’avenir qu’il soumettrait à Imogène : une information préalable des autochtones, une première aire de stationnement dans un pré en amont de Rochebourg afin d’éviter les nuisances de ces va-et-vient sonores, ainsi que des cales à vélos.
Les coups de klaxon se firent entendre à nouveau et Polycarpe se propulsa dans l’autre chambre pour repérer l’agitateur matinal depuis la fenêtre du premier étage. C’était Gix, arrêté en double file devant le logis qui jaillit de sa voiture, au comble de l’exaspération.
- Eh, Poly ! lança-t-il, C’est la panique dans ton bled ! Tu n’as pas une place dans ta grange ?
- J’arrive, mais je t’en prie, cesse de klaxonner.
En manœuvrant la bétaillère, Gix put ranger sa petite Fiesta. Il attrapa son matériel de pêche et suivit Polycarpe dans le jardin où la vieille porte, encore munie de sa serrure, posée à plat sur deux tréteaux, faisait toujours office de table de jardin à l’ombre du respectable cerisier. Polycarpe avait préparé du café dans un pichet Thermos ; Gix fouina dans une sorte de musette qui contenait ses hameçons, ses cuillers et une boîte d’asticots et fit apparaître un pochon de papier de soie contenant des croissants que Polycarpe examina avec suspicion avant d’y plonger la main.
- Je ne suis pas esclave de ma passion pour la pêche : calons-nous l’estomac d’abord.
Polycarpe lui donna une bourrade amicale.
- Tu ne connais pas la dernière ? Notre vicomtesse a été retrouvée poignardée, hier...
- Pas possible !  Est-elle...
- Non, heureusement. Ça va. La lame a ripé.
Il froissa le sac en papier des croissants.
- Tu as petite mine, mon vieux Gix. Tu tiens le choc ?
À demi-assis avec désinvolture sur le bord de la table improvisée, ils trempaient leurs viennoiseries dans leurs mugs de café.
- Je me reproche d’avoir été trop confiant, avec Véro... Je crois que j’ai fait l’autruche pour ne rien voir. J’aurais dû me douter, à la voir partir tous les quatre matins, qu’elle rencontrerait un aventurier au grand cœur, qu’elle ne se contenterait pas d’un type plan-plan comme moi. tu ne crois pas ?
Polycarpe égouttait son croissant au-dessus de sa tasse.
- De là à divorcer, il y a une marge.
- Ce gars, tu comprends, engagé dans une juste cause : il a tout bon et moi, tout faux.
- Il y aurait beaucoup à dire sur les « justes causes »...  Il n’y a pas que des petits saints dans ces organisations humanitaires...
- D’accord... Mais je suppose que Véro et moi, on n’était plus sur la même fréquence.
Il enfourna un demi-croissant.
- Malgré cela, j’étais persuadé que nous étions en quelque sorte complémentaires, je me suis laissé aller, je suis un vieux con.
Polycarpe n’approuvait pas que son ami se remette en question, Gix avait toujours respecté sa femme. Ses torts, s’il en avait, avaient été d’encourager son épouse militante et passionnée à mener les activités de son choix depuis une alerte sérieuse à la dépression quelques années plus tôt.
- Ne réponds pas à son avocat. Que Véro et son amant viennent se traîner à genoux pour implorer ta royale clémence : il faut qu’ils rampent à tes pieds.
- Ce n’est pas mon genre, Poly, tu le sais bien, je ne suis pas hargneux... Le mal est fait, c’est trop tard.
-  « Qui vivra verra... » comme dirait Basile !
-  Bon, on va clore le chapitre Véro. Il t’est arrivé bien pire. Je n’ai pas envie de me faire plaindre. Ah ! au fait, est-ce qu’une immense armoire, à corniche en forme de bicorne, t’intéresserait ? Elle pourrit dans une grange, chez un client qui veut la bazarder. Impossible de la caser dans une maison normale. J’ai pensé que chez toi, elle aurait sa place.
- Pourquoi pas ?  Note-moi le nom du vendeur, j’irai la voir.
Gix termina son café, fit quelques pas dans l’herbe pendant que Polycarpe allait chercher son calepin.
- Tu sais que j’ai eu Mama au téléphone, quand je me suis inscrit au concours ? Je lui ai fait mes lamentables confidences. Elle m’a sacrément remonté le moral...
- Je vais te présenter les autres : Calamity et Flora Bouton... et mon copain Basile... Ils sont déjà tous à pied d’œuvre. Allons-y.
 
Quelques retardataires se dirigeaient encore vers la rivière. Certains avaient fait halte au café où Flora s’affairait. Elle était accoutrée dans une sorte de sari orange en prévision d’une journée qui s’annonçait caniculaire ; son anarchique chevelure poivre et sel et crépue s’échappait d’une grosse barrette en cuir. Elle leur fit un signe amical depuis l’intérieur et sortit sur le trottoir, un plateau dans une main, un torchon dans l’autre :
- On n’a jamais vu tant de monde ici, je vous assure, dit-elle à Polycarpe. C’est une grande réussite pour l’association.
- Nous retiendrons la leçon, Flora : prévoir un petit assassinat les veilles de festivités, c’est une excellente publicité ! Voici mon ami Gilles Alix, dit : Gix.
- Bonjour Gix.
- Enchanté, Flora.
- Je remplace Basile. Il aurait été idiot de fermer le café toute la journée. Vous n’avez pas votre canne à pêche, Polycarpe ?
- Je m’abstiens par expérience : je ne sais faire que des nœuds avec le fil. Mais j’ai prévu de la lecture !
Il tapota la poche de poitrine de sa chemisette, alourdie d’un livre de poche.
- Avez-vous vu notre terrasse improvisée ?
De l’autre côté de la route, y avait une petite aire ombragée de trois peupliers avant les champs de colza d’un jaune éblouissant. Quatre tables égayées de parasols publicitaires multicolores accueillaient déjà quelques consommateurs.
- Et Godichon ?
- JR va guider les promenades.
- JR ?
- Jésus Roberto, mon jeune voisin. Vous ne connaissez pas encore tout le monde, Polycarpe, même si tout le monde vous connaît ! Excusez-moi, je dois servir les clients.
Tandis que la petite route virait vers le nord pour monter dans les collines, un chemin encastré dans les maïs descendait plein ouest vers la rivière jusqu’aux prés communaux où était érigée la guinguette. La Gourmette avait environ quatre à cinq mètres de large à cet endroit et si elle s’était assagie en tortillant dans la vallée, le courant restait vif, couchant les roseaux qui teintaient en vert sombre son eau poissonneuse.
Les pêcheurs s’étaient dispersés par un sentier qui longeait en amont et en aval la rive gauche et s’étaient installés sous les grands saules inclinés, ou dans les petites criques que les eaux avaient creusées pendant les crues de printemps.
Calamity fixait une banderole de crépon rouge vif autour d’une calèche calée sur ses limons, avec l’aide d’un jeune gars sec et musclé, aux cheveux noirs, raides et en vrac, l’œil assassin. Bourrache broutait non loin, la bride sur le cou, ignorant les braiments asthmatiques de Godichon, toutes dents dehors, dont le pelage colmaté par endroit donnait l’impression de muer. Pour la première fois, Polycarpe découvrait Calamity en robe. Mais la robe, vieux rose, longue et froncée à la taille, au corsage ajusté, évoquait d’une certaine manière les pionnières de l’Ouest et ne remettait nullement en cause son petit surnom. Elle avait confectionné une sorte d’instable choucroute avec ses épais cheveux dorés.
- Salut Poly !
Ils s’approchèrent de la jeune femme qui eut le premier réflexe de tendre une joue à Polycarpe avant de se raviser et de tendre la main :
- C’est vrai, j’oubliais, vous n’êtes pas du genre bisous...
- Voici Calamity, la plus charmante fille du canton et Gix, l’ami de trente ans, plaisanta Polycarpe.
Gix enveloppa Calamity d’un regard séduit et elle le lui rendit, en toute simplicité car Gix était bel homme. Il en profita :
- Au contraire de mon ami Poly, moi, je suis volontiers bisous...
Il la saisit aux épaules et l’embrassa plusieurs fois. Elle éclata de rire.
- On va s’arrêter à quatre bises, Gix. Mama m’a parlé de vous. Savez-vous qu’elle vous trouve craquant ? C’est elle qui le dit ! Et voici Jésus Roberto, excellent cavalier et ânier intérimaire, c’est un jeune homme courageux qui me dépanne quelquefois au ranch...
- Appelez-moi JR, monsieur Houle, dit le jeune homme d’une voix précocement grave. Je déteste mon prénom. C’est vous qui avez succédé à Ulysse Côme, au logis, non ?
- Exact. Vous le connaissiez ?
Polycarpe ne définissait pas ce qu’il ressentait et appréhenda subitement une commande de marijuana.
- Ouais ! À l’occasion, j’aurais un truc à vous dire. Mais on est de revue, dans la journée.
Jésus réprimait toutes expressions. Impassible, il avait le regard méfiant et empreint de défi. Certains petits délinquants avaient cette véhémence contenue.
- D’accord, JR.  Quand tu voudras !
- Il doit avoir des gênes de gitan, ce môme, remarqua Gix alors qu’ils s’éloignaient.
À intervalles réguliers, les pêcheurs avaient planté leurs cannes dans la berge, certains veillaient sur un cheptel de plusieurs gaules, d’autres montaient leurs lignes assis sur des pliants ou moulinaient déjà avec vigueur. Les familles qui les accompagnaient déployaient des couvertures, se préparant à une journée de farniente ; et des mamies, bien calées dans des fauteuils de camping, déroulaient leurs canevas.
Là où bifurquait le chemin, Mama se tenait assise derrière une table en plastique, arborant des lunettes de soleil larges comme deux soucoupes, aux montures vert pomme ; elle faisait payer les participants en distribuant des tickets numérotés qui seraient peut-être gagnants. Elle enfermait la monnaie dans une petite caisse en métal gris et leur lançait un mot d’encouragement avant de noter scrupuleusement leurs noms et leurs adresses sur une liste déjà bien fournie.
Elle sursauta quand Polycarpe, en arrivant derrière elle, prit un ton de pandore, roulant les « r » avec l’accent méridional :
- Ne contrevenez-vous pas à la loi pour la protection des libertés, en établissant ce fichier ? 
- Bonjour Polycarpe ! Que je suis heureuse de vous voir ici ! dit-elle à Gix. Vous avez bien mérité de vous détendre. C’est 7, 50 euros, repas inclus. Nous avons un monde fou ! Vous avez su pour Iseult, j’imagine. Dieu merci, elle est sauvée. Avez-vous rencontré les autres ? J’aimerais voir Imogène. Que faire avec les pêcheurs qui sont arrivés avant moi et qui se sont installés sans payer l’inscription ? Quant à ce fichier, j’en ai pris l’initiative, pour contacter tous ces gens quand nous ferons d’autres festivités. Ce n’est pas interdit ! Il me semble que vous n’êtes pas celui qui doit me donner des leçons.
Elle s’adressa à Gix :
- Votre ami a réussi à anéantir en un après-midi des années d’instruction laborieuse, en racontant je ne sais quelles inepties à mes gamins.
- C’est vrai, Poly ? morigéna Gix, l’œil cependant égayé.
Polycarpe regarda ailleurs et fit le sourd, avec un petit rictus néanmoins satisfait, puis tendit quinze euros à Mama.
- J’imagine qu’on peut se permettre de vérifier les tickets des participants en longeant la rivière quand tout le monde sera tranquillement installé. Je me porte volontaire. Faites passer le mot à Imogène.
Gix désigna la liste des inscrits :
- Avez-vous vu passer la famille Sarrasin, Mama ?
- Non, Gix. Pas encore. Voyez, je n’ai pas coché leur nom... Tiens, voici notre présidente.
En dévalant légèrement le sentier, Imogène retenait de la main un chapeau de paille ; elle arborait, avec une opportunité malicieuse, un ensemble marin à rayures bleues et blanches,  transportant une sorte de Vanity en osier. Elle lâcha son chapeau et agita joyeusement le bras en les voyant. Elle les rejoignit, légèrement essoufflée.
- Bonjour tout le monde... Tout va bien ? Je ne suis pas en avance comme d’habitude, dit-elle. Mais j’ai dû longuement briefer Anatole qui tient exceptionnellement le magasin...
Mama réajusta les épaulettes d’une large tunique supposée masquer ses rondeurs, croisa les bras et regarda le ciel :
- Si Anatole se laisse « briefer », le temps va tourner !
- Et je vous signale qu’il nous rejoint pour déjeuner. Mais ne pavoisons pas, il ne s’est pas subitement converti en supporter de l’alipa, il est en mission commandée : délégué par son altesse le maire, annonça-t-elle, exagérant une expression respectueuse pour tourner la nouvelle en dérision. Où en sommes-nous ?
L’immixtion annoncée d’Anatole rendait Polycarpe subitement morose et cette impression l’agaçait : il ne comprenait pas d’où lui venait cette espèce de jalousie absurde, inconvenante, alors que l’homme ne lui était même pas antipathique. Il lui fit mollement part de son intention de contrôler les inscriptions. Elle accepta immédiatement :
- L’un en amont et l’autre en aval, nous nous répartirons la tâche, Polycarpe. Je vais saluer les autres et je vous remplace à l’accueil, Mama.
Elle se dirigea vers le barnum. Polycarpe et Gix lui emboîtèrent le pas.
Évariste et Basile étaient en train de décharger une camionnette et transportaient des cartons, des caisses de boissons, des sacs de bûchettes et de charbon de bois. Leurs chemises étaient trempées : ils n’en étaient pas à leur premier tour. Le grand barbecue prêté par le sporting-club, composé d’un bidon scié en deux, soudé sur des X en fer, était déjà en place, à côté  d’un étal où s’amoncelaient des plateaux, des piles d’assiettes, de couverts et de verres.
- Les pauvres, comme ils ont chaud, dit Imogène, attendant qu’ils posent leurs paquets, pour échanger la bise rituelle.
Elle tripota les bords de son chapeau en expliquant l’organisation à Gix :
- Les gens feront comme au self, ils prendront leurs plateaux, leurs assiettes, leurs couverts et leur part de tarte,  puis ils passeront devant le barbecue et la friteuse où ils seront servis, avant d’aller s’asseoir sous la bâche ou bien à l’ombre des arbres, s’ils le désirent.
- Voici Basile et Évariste... Et voici Gix, dit Polycarpe. On peut vous aider, les gars ?
- Volontiers !
Ils échangèrent des poignées de main et attrapèrent des caisses et des cartons. Tous les quatre eurent rapidement vidé le véhicule pendant que deux hommes aux physiques d’athlètes vêtus de polos à larges rayures, déroulaient des fils électriques pour  raccorder un immense frigo rouillé et une friteuse électrique à une borne EDF. L’un d’eux, le crâne rasé et le nez cassé, étira un sourire qui fit onduler ses muscles faciaux et s’adressa à Basile :
- C’est bon, le matos est en place et ça marche. Vous bilez pas, si le frigo déconne, un coup de latte et ça repart ! Nous, de toute façon, on revient pour manger ici, avec nos potes. Vous inquiétez pas.
- Les frères Givet de Soutrain, dit Basile. Clovis et Aimé. Ailiers de rugby. Connaissez-vous Polycarpe Houle ?
- C’est vous qui retapez le logis, je crois. Salut, dit Clovis.
- Bonjour, dit Aimé.
Les deux rugbymen, qui se tenaient côte à côte comme deux mégalithes, broyèrent les mains de Polycarpe et de Gix, cependant avenants et sympathiques.
- Tout ce matériel est mis à disposition par le club intercommunal, expliqua Basile. On pratique les matchs et les entraînements sur le terrain de Soutrain...
- « On » ? Jouez-vous au rugby, Basile ? persifla Polycarpe.
L’instituteur montra ses avant-bras fluets.
- Avec ça, je vous prends aux échecs, si vous voulez, mais pas au rugby !
Il acheva l’explication :
- Et Rochebourg subventionne le matériel.
Aimé Givet, aux  oreilles en chou-fleur, engoncé derrière ses impressionnants pectoraux comme protégé d’un gilet pare-balles, précisa avec un soupçon de gaillardise :
-  Rochebourg met aussi à notre disposition la cave où ont lieu les troisièmes mi-temps et ce n’est pas le moins important.
Imogène désigna vaguement les lointains :
- Une cave en descendant vers le moulin de Flora...
Gix regarda sa montre :
- Qu’est-ce qu’il fout, Sarrasin !
 

à suivre...

19:10 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

27 mars 2006

Si vous passez ici par hasard...

Pour les nouveaux blogueurs - Bonjour à vous ;-) - qui découvriraient  brutalement le texte ci-dessous, en se demandant de quoi il retourne... J'ai remarqué que quelques personnes étaient parfois surprises...
Explications :
Ce blog diffuse un roman en feuilleton.
Ce roman "POLYCARPE - LE VIEUX LOGIS" est paru en librairie mais est actuellement épuisé.
Il est le premier d'une série qui comporte actuellement 4 volumes qui seront bientôt publiés...
                             Cette série est présentée sur le "mini" site wanadoo qui est cité en référence sur cette page...
                             Il est possible de copier coller les chapitre déjà parus sur ce blog pour les lire à la suite.

   @ bientôt, @mis blogueurs... Je vais cueillir des jonquilles !

19:50 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) |  Facebook | |  Imprimer | |

23 mars 2006

Les aventures de Polycarpe - 15ème épisode

LE VIEUX LOGIS
 
CHAPITRE XV

Où le lait de poule et le tirage en croix n'ont aucun rapport
avec le coup de poignard entre les omoplates  de la vicomtesse barjo…

Il retrouva Imogène dans son arrière-boutique ensoleillée. Pendant cet intermède, elle avait prestement mis leurs couverts face à la baie vitrée, réchauffé le gratin dans le micro-ondes et troqué sa tenue sportive de la matinée pour un pantalon et un débardeur plus ajustés, dans les tons brique. Il remarqua confusément que ces couleurs s’harmonisaient avec les reflets de ses cheveux et son teint qu’elle avait peut-être rehaussé d’un maquillage mais il n’en était pas certain.

Elle l’attaqua immédiatement sur les raisons de sa visite à Chimène. Et tandis qu’ils se passaient le plat de  légumes et avalaient le contenu de leurs assiettes, rompant sans manières la baguette posée entre eux, Polycarpe lui raconta l’épisode ayant amené l’aveu du vol par Petit Lu et le marché qu’il avait conclu avec le jeune jardinier intérimaire.
- Surtout, promettez-moi de ne pas divulguer ce secret. Donnons-lui une deuxième chance.
- Chapeau, dit Imogène. En avez-vous touché quand même un mot à son père ?
- Non, cela restera entre nous. Je fonde de grands espoirs sur Petit Lu... Je mène une expérience à son insu pour démontrer la part de l’inné et de l’acquit chez l’individu lambda.
- So, good luck ! dit-t-elle, en émettant un éclat de rire.
Chimène les attendait près de la grille, lourdement appuyée sur son sceptre, dans une espèce de grande blouse sur laquelle elle portait un gilet élimé.
- Elle est où, l’argent ? demanda-t-elle dans une quinte de toux.
Polycarpe nota le genre féminin donné à « la r’gent ». Trop heureux de pouvoir abréger l’épreuve, il attrapa la liasse des billets pliés dans sa poche, quand Imogène arrêta son geste.
- Permettez Chimène, dit-elle. Cela mérite une récompense...
L’autre fronça, toute sa figure se contracta. Imogène lui sourit avec la même gentillesse qu’elle aurait manifestée envers sa propre grand-mère :
- Pas d’argent, Chimène. Simplement : un tirage en croix. Vous pouvez bien faire ça, non ?
Rassurée, la vieille opina. 
- S’il y a que ça pour vous contenter, venez.
Elle décolla du sol chacune de ses pantoufles pour opérer un demi-tour et fila en direction de son taudis, maîtresse du lancer de canne qu’elle fichait dans le sol en opérant une sorte de torsade du poignet.
Polycarpe, désappointé, se ratatina en maugréant tandis qu’Imogène,  emboîtant le pas de la voyante,  se retournait pour lui adresser des mimiques espiègles.
- C’est franchement déloyal, Imogène, lui lança-t-il.
- Té, fit la mère de Berouette, ce que femme veut...
- Je constate que vous entendez bien quand vous le voulez, grinça-t-il.
- Qu’est-ce que vous dites ?
Polycarpe leva les yeux au ciel.
L’intérieur du taudis était aussi frais qu’une cave et Chimène s’enfouit dans ses frusques dépenaillées avant de sortir son jeu de tarots d’un buffet.
Imogène prit place avec enthousiasme en face d’elle.
- C’est quoi, la question ?
- Je voudrais savoir si Anatole me trompe.
Polycarpe sursauta. Poser ce genre de question à une pseudo-voyante, c’était faire preuve d’une impudence qui le choquait. Si Imogène accordait de l’importance à la situation,  ce n’était pas le lieu ni la manière de l’évoquer ! Il jeta les billets sur la table.
- Chimène voici votre argent. Bonsoir.
Il traversa la cour au pas de charge et rentra chez lui, furibond. Imogène se comportait comme si la question était secondaire, donc superflue. Et si c’était un jeu, alors, qu’elle le dise, nom d’un chien !
Décidément, cette Imogène était impossible.
Comme chaque fois que des circonstances le rendaient mal à l’aise, Polycarpe somatisait : des élancements douloureux martyrisèrent sa rotule gauche tandis qu’une contracture dorsale insoutenable le cloua sur place, lui arrachant une grimace de gargouille.
C’est en traînant la jambe, arque bouté en arrière, la taille prise dans l’étau de ses mains qu’il réussit à atteindre le téléphone dont la sonnerie impérieuse le fit râler : Imogène, encore elle, lui annonçait depuis chez elle qu’elle avait une petite bonne et une grosse mauvaise nouvelle.
- Par laquelle dois-je commencer ?
Il grogna qu’il se contenterait de la première.
- C’est à propos de Petit Lu : il a décroché un emploi, vous ne devineriez jamais où...
- Hou ! gémit Polycarpe que ce genre de faux suspens énervait et qui venait de faire un mouvement malencontreux.
- Au « Bol d’Or » à Bux, c’est un vendeur et réparateur de deux roues. Évariste vient de me le dire.  Tout cela, c’est grâce à vous, Polycarpe. Et la mauvaise nouvelle...
- La mauvaise nouvelle, c’est que je suis immobilisé par une sciatique.
Elle feignit de le plaindre et il en fut agacé.
- Oh, pauvre Poly ! Vous vous êtes refroidi après les efforts de ce matin !
Il saisit avec opportunisme et mauvaise foi la perche inespérée qu’Imogène lui tendait, en lui fournissant un excellent prétexte de se dérober lors des prochaines festivités.
- En effet, je devrais le savoir, bon sang ! Chaque fois que je porte des trucs lourds, c’est la même chose. À l’avenir…
- Et pourtant, s’étonna la fine mouche, je vous croyais en béton !
- N’en croyez rien : je suis souvent obligé de m’interrompre pour faire quelques assouplissements et me reposer. Mais d’habitude, je sens venir la crise.
- C’est dur de vieillir, n’est-ce pas ?
Elle ne prenait nullement au sérieux la gravité de son état, c’était un peu vexant.
- Un remède de cheval s’impose pour l’ex-vétérinaire. Je suis extrêmement douée pour la confection du lait de poule, savez-vous ?
- Eh ! bien... hum... Est-ce une potion magique pour guérir les sciatiques.
- Disons que c’est bon pour le moral !
La perspicacité d’Imogène était flagrante, sa propension à l’ingérence également. Mais tout mal léché qu’il soit, l’ours polycarpien appréciait cette amicale intrusion.
- Eh ! bien, soit. J’accepte de tester votre placebo.
- C’est comme si c’était fait ! Le temps de battre le jaune d’œuf avec le sucre et le rhum et je suis chez vous dans une demi-heure... avec ma grosse mauvaise nouvelle !
Elle coupa instantanément la communication et Polycarpe resta coi devant le mobile qui diffusait des bip-bip de ligne coupée.
Il alla vaille que vaille jusqu’à son fauteuil-paon dont il tapota les gros coussins flasques et s’y installa avec des contorsions. Dans la perspective d’être l’objet d’attentions personnalisées, il souffrait déjà moins. Il allongea ses jambes sur un repose-pied, renversa la nuque en arrière et agrippa les accoudoirs, grimaçant sans excès, dans la pose attendrissante d’un homme surmontant stoïquement sa douleur.

 Vingt minutes plus tard, Imogène entrait comme un typhon dans la cuisine, déposait un petit panier sur la table basse, se penchait au-dessus de l’homme handicapé avec un air illuminé et, à trois centimètres de son visage, lui souffla :
- Pierre de Touche a retrouvé Iseult inanimée, un poignard dans le dos, dans la chambre rouge, il y a moins d’une heure. Elle avait déjà perdu énormément de sang. L’agression se serait produite au moment du déjeuner. Elle est entre la vie et la mort à l’Hôpital Debrousse.
Polycarpe émit un râle pathétique sous l’effet d’une contracture involontaire.
Elle extirpa de son panier le pot contenant le breuvage qu’elle avait confectionné, elle alla attraper une cuillère sur l’évier puis les lui plaça dans les mains. Et tout en remontant un coussin dans son dos, elle poursuivit :
- C’est en revenant de chez Chimène que j’ai croisé Évariste qui m’a dit pour Petit Lu et qui m’a appris pour Iseult, ce qu’il tenait de Basile qui a vu l’ambulance entrer au château et qui a parlé avec Rosemonde au moment où les gendarmes sont arrivés et...
- Stop !...
Polycarpe fit un geste d’arbitre avec la petite cuillère signifiant « carton rouge », avec l’air exaspéré.
Imogène s’immobilisa, outrée.
- Eh bien, vous n’êtes pas commode !
- Commode, je ne sais pas, mais visionnaire, certainement. Vous ai-je déjà raconté ce qui m’est arrivé, lors de ma visite de la chambre rouge ?
Il lui fit le récit de sa vision, tout en avalant la potion veloutée.
- C’est extraordinaire, cette coïncidence... Avez-vous raconté cela à quelqu’un ?
- Oui : à Iseult et à Pierre.
- Un criminel aurait pu se servir de votre histoire pour brouiller les pistes...
- Écoutez ! Je suis formel : les prémonitions, c’est de la foutaise !
- Alors, là...
Elle s’interrompit car, disant cela, Polycarpe venait de se redresser, de quitter le fauteuil et de faire quelques pas, sans souffrance manifeste.
- M’avez-vous joué toute cette comédie, Polycarpe ?
- Je vous jure que j’étais complètement bloqué. D’ailleurs, je suis le premier surpris ! Sans blague ! Supposons qu’il ne s’agissait que d’un blocage psychologique... L’aveu de ma vision vient de me décoincer. Je vous ai parlé d’une sciatique, pour faire court...
Elle le toisa avec réprobation.
- Je n’en crois pas un mot. La vérité, c’est que vous êtes d’une susceptibilité de Diva et que ma question concernant Anatole vous a rendu un peu jaloux !
- Moi ! Qu’allez-vous encore inventer ? Je ne suis jaloux de personne !
- D’ailleurs, le tirage en croix ne m’a pas donné la réponse à ma question.
- Bien fait ! Ouf ! Ça fait du bien quand ça ne fait plus mal !
- Preuve de l’efficacité du lait de poule !
- Admettons, sourit-il. Nous devons donc nous attendre à être interrogés... Dois-je faire l’aveu de cette vision ? On va me prendre pour un fou...
Imogène fit un geste d’impuissance.
- Mais, au fait... Figurez-vous que Chimène s’est prétendue incapable de lire ses cartes... Elle prétendait que sa concentration était brouillée... C’était peut-être les événements qui se produisaient au même instant au château...
- Allons, ne soyez pas naïve ! Chimène ne « voit » rien du tout et s’est débarrassée de vous comme elle a pu... Avec raison ! ajouta-t-il, l’œil fâché.
Polycarpe se mit à arpenter sa pièce. Quelque chose ne collait pas dans l’agression d’Iseult, mais il n’arrivait pas à cerner quoi : il y avait quelque part une invraisemblance… L’agression  correspondait trop bien à la vision qu’Iseult lui avait racontée et qu’elle avait eue : le poignard, la mare de sang...
- Les visions... mais...
Polycarpe se frappa le front.
-  Mais bien sûr ! Le poignard, moi, je ne l’ai pas « vu » ! J’ai eu l’impression fugace d’apercevoir une jeune femme couchée, dans une sorte de robe froncée... mais sans le poignard ! Et il n’y avait pas de sang !
- Et alors ? Qu’est-ce que ça change ? Je ne saisis pas bien.
Il s’approcha d’Imogène,  dans une gestuelle convaincante :
- L’agression d’Iseult n’est qu’un copié-collé de son fantasme, comprenez-vous ? Elle a manigancé son coup pour mêler réel et surnaturel, allant jusqu’à prétendre que le Père Bellay de Turpin a mentionné cette vision ! Alors que le manuscrit de l’ecclésiastique n’en fait  nullement mention, ça, j’en suis certain !
Désemparé, il ajouta :
- Elle est complètement folle !
Déjà peu enclin à admettre son propre don médiumnique, Polycarpe ne croyait pas du tout aux blessures paranormales. Il poursuivit son cheminement dans la pièce et son raisonnement, sous le regard attentif d’Imogène qui s’était assise en biais dans le fauteuil en croisant les bras et les jambes.
- Et si quelqu’un a voulu tuer Iseult suivant une mise en scène identique à sa vision, c’est forcément une personne qui a entendu son récit : son frère ou sa belle-sœur, Ulysse ou moi, comprenez-vous ?
S’il s’excluait d’emblée, il était aussi tenté d’innocenter le frère qui aimait  a priori beaucoup sa sœur.
- Le doute, ajouta-t-il, peut donc légitimement se porter sur Rosemonde qui la déteste, et sur Ulysse Côme qu’elle accuse du meurtre de Cornu. 
- Ainsi, c’était Ulysse qu’elle avait vu étouffer Cornu avec un coussin ! Vous auriez pu me le dire plus tôt, Polycarpe.
- Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu l’impression qu’Iseult me manipulait... Je n’avais aucune envie de crier ces élucubrations sur les toits...
-  Ce ne sont pas des élucubrations...
- Ça, dit-il, en bougeant les mains comme les plateaux d’une balance, c’est encore à prouver. Mais de deux choses l’une concernant Ulysse : si l’accusation du meurtre du juge est une affabulation d’Iseult, Ulysse n’a pas un mobile suffisamment fondé pour la faire disparaître. Par contre, s’il a zigouillé son bienfaiteur, il peut avoir été acculé à commettre un nouveau crime, pour réduire Iseult au silence... Il ferait preuve d’un sang-froid peu commun, s’il était l’agresseur d’Iseult et le meurtrier de Cornu, en s’affichant dans les parages, marmonna Polycarpe.
- Moi, j’ai tendance à imaginer des règlements de comptes familiaux... Je verrais bien Rosemonde un poignard au bout de ses doigts manucurés, elle déteste Iseult... Bon, je dois vous laisser, dit-elle. Attendez-vous à quelques coups de fil. Si j’ai du nouveau, je vous appelle.
- Merci, Imogène... pour l’élixir !

à suivre...

17:41 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

19 mars 2006

Les aventures de Polycarpe - 14 ème épisode

LE VIEUX LOGIS

 Chapitre XIV

Un crachin, qui pulvérisait sans discontinuer ses fines gouttelettes depuis quelques jours, baignait Rochebourg dans une atmosphère de port breton. Comme des pénitents, tête baissée sous leurs capuches, les gens traversaient les rues luisantes ; les lointains semblaient absorbés dans du coton hydrophile et les murs imbibés du château dressaient leurs pans sinistrement déchiquetés au-dessus des noires toitures d’ardoises.

Ceinturé dans une vieille gabardine et coiffé d’un vieux couvre-chef ramolli, Polycarpe sifflotait au guidon de son Solex, en éprouvant un bonheur puéril à zigzaguer sur la chaussée pour prendre de belles flaques bien au milieu et faire habilement gicler deux gerbes d’eau symétriques.

On était maintenant à la veille du concours de pêche ; les membres de l’alipa qui avaient secrètement espéré clouer le bec aux élus en organisant une joyeuse partie de campagne, scrutaient le ciel bouché, quelque peu nerveux avant cette journée décisive. Dans leurs K-way dégoulinants et bottés de caoutchouc, ils attendaient le matériel à installer, repérant l’endroit le plus aplani près de la rivière pour disposer la guinguette, prenant des mesures au sol à grandes enjambées et s’organisant pour le lendemain.

 L’irruption de l’anachronique vélomoteur interrompit une petite altercation : si le groupuscule des optimistes composé de Basile, Calamity et Imogène, prétendait que la truite mordait mieux par temps pluvieux, les pessimistes, Évariste et Constance, prédisaient un échec cinglant. Leur défaitisme ne les rapprochait pas pour autant, ils n’arrêtaient pas de se chicaner :

- Si le trésorier avait eu l’intelligence d’exiger le règlement de l’inscription avant le concours, que les gens viennent ou non, la somme serait restée acquise à l’association, clama Constance d’une voix sèche en fixant avec reproche la cime d’un peuplier.

Évariste plaida sa cause :
- C’est pas facile de réclamer l’argent quand les gens s’inscrivent par téléphone.
- Nous ne sommes pas encore rodés, dit Imogène sur un ton conciliant.
- Rodés ou pas, c’est une question de bon sens, renchérit Constance, ravivant la zizanie.

Calamity s’interposa :

- On fera mieux la prochaine fois en se munissant de carnets à souche !

- Il n’y aura peut-être pas de prochaine fois... du moins en ce qui me concerne !

Tous les regards s’orientèrent en direction de Constance, qui extrayait son bottillon d’une taupinière avec un air dégoûté et exaspéré.

- Personne n’est indispensable, fit remarquer le trésorier, un brin piqué.

- On est déjà au bord du clash, ça promet ! commenta joyeusement Basile, en se frottant les mains énergiquement.

Qu’il y ait foule ou qu’il n’y ait pas un chat, que Constance démissionne ou non, Polycarpe campait sur sa position de sympathisant impartial, refusant de se sentir concerné. Il s’estimait déjà assez poire de fournir le coup de main promis.

Le tracteur de la commune arriva enfin vers dix heures, remorquant un plateau chargé de poteaux, de bâches, de tréteaux et de chaises empilées. Il stoppa dans le chemin empierré qui descendait vers la Gourmette. Berouette, en ciré jaune, d’une humeur massacrante, descendit de la cabine.

- Putain, on en a chié pour charger, avec le collègue de Soutrain. Maintenant démerdez-vous, appelez-moi quand vous aurez terminé, je viendrai reprendre le bouzin.

Basile, que l’exaspération des uns et des autres rendait hilare, bondit sur le plateau et distribua le matériel. Les poteaux de soutien et les barres de traverse furent emboîtés. Ils arrimèrent l’ensemble, le recouvrirent de la bâche qu’ils fixèrent par des crochets passés dans les œillets ; ils installèrent de longues tablées en posant les plateaux sur les tréteaux, alignèrent les chaises. En un temps record, le chapiteau fut mis en place. Basile proposa ensuite à toute l’équipe d’aller se requinquer devant un thé ou un chocolat. Il s’approcha de Polycarpe :

- J’ai confié le café à Flora Bouton, je vais vous la présenter. Une mamie charmante qui a été danseuse de revues olé-olé dans sa prime jeunesse. Ma mère et Flora m’ont élevé. Elles ont été concubines, précurseurs en matière de Pacs !

 Polycarpe avait déjà rectifié pas mal de ses idées préconçues depuis son arrivée à Rochebourg  mais il en resta bouche bée. Basile lui bourra les côtes amicalement.

- Hé, c’est la vie !

Polycarpe récupéra son Solex qu’il mit au point mort pour le pousser en avançant aux côtés de l’instituteur, le long du sentier qui remontait vers le village, jusqu’au café.

- Mon père a été un amant d’un soir, dit Basile. Je l’imagine beau, fort et intelligent - Il prit une pose avantageuse - Je crois que je lui ressemble ! 

Alors qu’ils s’ébrouaient,  tapant leurs bottes sur le seuil, se défaisant de leurs imperméables avec des exclamations de galériens exténués, une extravagante personne, que Polycarpe supposa être l’ex-gogo girl, Flora Bouton, continuait imperturbablement de tricoter, une pelote sous le bras, assise sur un des hauts tabourets du bar. Une nébuleuse de cheveux gris s’échappait d’une insolite cloche gondolée qui devait dater de la dernière guerre.  Elle observait toute l’équipe par-dessus ses demi-lunes dont le cordon pendait devant ses joues. Un double menton et une bouche épaisse, le nez fin et l’œil narquois, lui donnaient l’air à la fois serein et perspicace ; les mains qui manœuvraient la laine et les aiguilles avec vélocité, finement striées de plis, évoquaient la patine des bois anciens.

- J’ai fait deux perroquets et un ballon, annonça-t-elle, en tirant un mètre de laine du milieu de la pelote.

- Flora, je te présente Polycarpe, annonça Basile, en attrapant un torchon pour essuyer les verres embués de ses lunettes, les regardant tour à tour, d’un œil myope et réjoui.

Elle déposa son tricot sur le bar et glissa de son perchoir. Elle portait une sorte de tunique couleur de ficelle, sur une longue jupe en tissu d’ameublement qu’elle avait sûrement confectionnée elle-même et elle était chaussée de tennis. Ses formes épaissies contredisaient la finesse de ses poignets et de ses chevilles, vestiges de son enjôlant passé. Elle saisit Polycarpe aux épaules, renversant la tête pour le regarder sous le bord de son chapeau cloche :

- J’ai voulu vous rencontrer, je suis allée au logis hier, mais vous n’étiez pas là, dit-elle, en lui plaquant une fraternelle bise sur chaque joue.

- Vous vouliez me rencontrer !

- Je voulais vous consulter pour Godichon : il a les oreilles molles.

- C’est un signe de carence affective, affirma Polycarpe à tout hasard. Est-ce un âne ?

- Merveilleux : vous avez deviné.

Il eut le triomphe modeste et l’air moqueur.

- Habitez-vous à Rochebourg ?

- Oui, mais je vais, je viens, s’exclama-t-elle, balayant l’espace de grands gestes. Je suis venue pour régler cette histoire d’assainissement, vous comprenez, je dois faire creuser une tranchée... Je ne vais pas piocher moi-même !

- Ne cherchez plus, dit aimablement l’ancien vétérinaire, pendant que vous batifolez sous d’autres latitudes, votre Godichon déprime...

- Je ne batifole pas, monsieur ! Je fais partie d’une chorale qui se produit dans les festivals...

- C’est évident, Flora, dit Calamity. Tout seul dans son grand pré, Godichon se languit.

Ils étaient maintenant assis autour de la table centrale et ceux qui n’étaient pas face au bar, se tournaient pour suivre la préparation des boissons chaudes que Basile tirait du percolateur et que Flora disposait sur un plateau.

- Vous devriez me le confier au Ranch, il se ferait des copains !

- La pension est au-dessus de mes moyens, vous le savez bien, Calamity !

- Ça peut s’arranger, si vous m’autorisez à lui atteler une carriole ou à le bâter pour promener des enfants...

- Par exemple, demain, nous pourrions proposer une petite promenade en âne, dit Imogène. Le problème : qui va tenir les rênes... Polycarpe ?

- Ah, non. Imogène, vous me harcelez ! Trouvez quelqu’un d’autre...

Imogène rosit d’embarras.

- Excusez-nous, Polycarpe.

Basile leva les mains pour se défausser :

- Impossible, je serai au barbecue.

Évariste fit de même :

- Moi, à la buvette et à la friteuse.

- Calamity et moi, nous faisons le service, nous nettoyons les tables et la vaisselle...  précisa Imogène. Et Constance... Mais : où est Constance ? C’est elle qui devait faire l’accueil, le tirage de la tombola et la remise des prix !

- Elle s’est tirée pendant qu’on installait les tables, dit Basile, en posant le plateau et en distribuant les tasses fumantes. Croyez-vous qu’elle viendra demain ? Moi, je suis sûr que non.

Il prit place près de Calamity et lui entoura nonchalamment la taille. Elle rassembla son épaisse chevelure dorée sur le côté et se blottit contre son épaule.

Évariste, encore ronchon, déclara :

- Tant mieux. Pour casser une ambiance, elle détient le pompon !

- Qui prendra sa place, alors ?

Flora s’approcha d’Imogène dans le bruissement de sa jupe et posa la main sur son avant-bras, l’air résolu et concentré :

- Mon petit voisin pourrait guider Godichon demain, pour promener les enfants pendant que je tiendrai le café. Pensez-vous que 2 euros la promenade d’un quart d’heure... ?

- C’est correct, affirma le trésorier. Je ne vous l’ai pas dit, Polycarpe, votre ami Gilles Alix s’est inscrit avec quelqu’un !

- Sa femme, Véro ?

Pendant un instant, Polycarpe espéra que l’histoire triste se terminait par une happy end.

- Un homme, un certain Sarrasin... Vous le connaissez ?

Polycarpe hocha affirmativement la tête lorsque Calamity lança à la cantonade :

- Savez-vous qui est venue plusieurs fois au Ranch cette semaine ?

- Je parie que c’est Iseult de Touche !

- Exact. Je l’ai trouvée très secouée par sa dernière hospitalisation. Et vraiment très bizarre : hier, elle a monté Mirador et l’a ramené dans un état épouvantable, en sueur, la bouche pleine d’écume... complètement affolé. Elle a dû l’éperonner et le cravacher... Ça ne lui ressemble pas.

- Elle m’a rendu visite, au logis. Nous avons ensuite déjeuné au « Bux’s Trucks ».

- Fichtre, pouffa Basile, vous ne lésinez pas !

- C’est elle qui a choisi !

- Cette fille renie ses origines !

- Offrez-vous le restaurant à toutes les personnes qui vous rendent visite, ça m’intéresse ! galéja Flora, en pianotant la table.

- Si le jeu en vaut la chandelle... Non, je plaisante : je voulais qu’elle me raconte ses hallucinations.

Les convives, vivement intéressés, articulèrent en chœur un :

- Et... Alors ?

Une voix joyeuse, depuis le seuil du café, chantonna :

- « Zorro est arrivé » !

 

Marie Bulu se décapuchonnait et déboutonnait un grand imperméable.

- J’ai une bonne nouvelle, dit-elle, le temps se lève, il y a même un petit carré de ciel bleu au-dessus de nous.

Ils se rapprochèrent les uns des autres pour faire une place à Mama et Basile alla remplir une tasse de chocolat en plaisantant :

- Vous savez vous pointer quand le travail est fini.

- C’est vrai. Désolée. Mais à compter de cette minute, je suis à votre disposition : Muguette est suffisamment en forme pour s’occuper des petits. D’ailleurs, Jaco est inscrit au concours...

Évariste soumit une idée :

- Vous pourriez remplacer Constance.

- Si vous voulez. Pas de problème. Est-elle malade ?

- C’est un peu ça...

- Malade du ciboulot ! grogna Évariste.

- Indiquez-moi seulement ce que j’aurais à faire. Que disiez-vous quand je vous ai interrompus ?

Flora regarda Mama au-dessus de ses lorgnons, avec une gravité d’Inquisiteur :

- Nous parlions des hallucinations d’Iseult de Touche, n’est-ce pas Polycarpe ?

Polycarpe trouvait gênant d’être sur la sellette, de divulguer des confidences et de nourrir une rumeur. Il était cependant curieux de recueillir quelques réactions. Il prit une pose détachée, une jambe par-dessus l’autre, en cramponnant sa botte.

- Elle a des visions d’une ancêtre assassinée au château...

Imogène l’interrompit :

- La fameuse Bramabante ! Je pensais que Pierre racontait cela pour épicer la visite de la « chambre rouge ».

- Probablement. Mais Iseult est formelle : elle la « voit » avec un poignard entre les omoplates. Elle a aussi l’impression d’avoir « vu » quelqu’un au logis qui étouffait Cornu avec un coussin.

- Non. Pas possible ! Qui ?

- Hum ! Je me méfie de ce genre de dénonciation, cette fille me paraît un peu dérangée.

 - Vous ne voulez pas nous donner un petit indice, la première lettre de son nom, par exemple ? implora Imogène.

- Non.

- Je vous approuve, dit Flora.

- Moi aussi.

- Vous avez raison.

- Elle est vraiment à l’ouest, cette nana ! décréta Basile, qui rapportait de ses écoles le jargon de la jeunesse.

Il posa un mazagran fumant devant Mama et reprit sa place contre Calamity avant de poursuivre :

- Non seulement personne, excepté Ulysse, ne pénétrait chez Cornu mais le jour où il est mort, il était tout seul. La moitié du village a vu Ulysse partir dans sa camionnette en début d’après-midi.

« Tout seul, sauf Petit Lu, le fantôme d’Iseult de Touche sous son plaid et Ulysse, peut-être » pensa Polycarpe, en épiant furtivement Évariste. Celui-ci avait l’attitude d’un passager en salle d’attente, qui regarde ses congénères d’un œil morne, les bras croisés, peu concerné par les histoires d’hallucinations. Il ne soupçonnait même pas que son fils ait pu avoir à faire avec Cornu pour un cambriolage et soit rentré à l’intérieur du logis. Il ne se préoccupait pas beaucoup de Petit Lu. Sans doute ne s’était-il même pas aperçu de l’absence de la moto.

Cette pensée l’assombrit subitement : il n’avait pas encore remis l’argent dérobé par Petit Lu à Chimène. Il avait repoussé cette corvée jusqu'à maintenant par pleutrerie mais il n’y couperait pas : il prit la résolution de s’en débarrasser dès aujourd’hui.

- Comment ça : « la moitié du village a vu partir Ulysse » ? demanda Mama. Moi, je n’ai rien remarqué !

- Tu n’étais pas dans la bonne moitié, moi non plus d’ailleurs, dit Calamity.

- Moi si, puisque je l’ai dépanné, dit Basile. Son combi n’avait plus de jus et je l’ai démarré avec ma bagnole en branchant des fils de batterie. Il partait chez des cousins à lui pour les vacances de la Toussaint.  Tu viens Calamity ?

Il informa les autres :

- On va à Cash  faire les courses pour demain, si vous pensez à quelque chose qui n’est pas sur la liste, c’est le moment.

Imogène ouvrit le chéquier de  l’alipa et signa un chèque à l’ordre de Cash.

- Nous vous ferons une délégation de signature pour l’avenir, tenez !

- Je m’en vais aussi, j’ai deux ou trois bricoles à faire, dit Polycarpe, en enfilant les manches de sa gabardine.

Imogène se leva :

- Je vous accompagne !

 

- Dites-moi, Polycarpe, puisque nous sommes entre nous...

Les ruses cousues de fil blanc d’Imogène - qui désirait ardemment savoir ce qu’Iseult lui avait confié au « Bux’s Trucks » - laissaient Polycarpe de marbre. Lui-même refusait de prêter foi aux allégations d’une psychopathe. Cependant, il combla en partie la curiosité de son amie en lui apprenant qu’Iseult vivait en concubinage avec l’un de ses psychiatres. Ce n’était pas trahir la jeune fille qui s’était flattée d’accompagner le spécialiste dans les dîners en ville.

Il eut une petite toux dubitative.

- Zückervit la croit guérie. Je le crois bien optimiste.

- Ou amoureux... Mais c’est elle qui se dit guérie... on n’a pas la version du fiancé. Comment avez-vous dit qu’il s’appelait... « Bite sucrée », c’est la traduction, n’est-ce pas ?

Polycarpe la foudroya du regard, à la fois indigné et résigné. Cette femme était incontrôlable. Au moment de la quitter devant sa boutique, une idée soudaine lui traversa l’esprit :

- Si vous aviez une heure à perdre, Imogène, je requerrais volontiers votre soutien dans une rude épreuve.

Elle lui fit face et pencha la tête avec un petit sourire méfiant, pour sonder sa sincérité. Polycarpe tripota le levier d’embrayage de son Solex et avoua, penaud :

- Je suis contraint et forcé de rencontrer Chimène...

Imogène éclata de rire.

- Je ne sais pas ce qui vous contraint, mais comptez sur moi ! Quand y allez-vous ?

- Après le déjeuner...

Elle déverrouilla sa porte qu’elle cala pour la maintenir grande ouverte maintenant que le soleil était revenu et elle s’apprêtait à retirer la petite pancarte : « En cas d’absence, s’adresser au café » quand elle se ravisa.

- C’est d’accord. Et  je laisse ce carton jusqu'à mon retour...

- Merci, Imogène, vous me sauvez la vie !

- J’ai une proposition à vous faire : mangeons un morceau ensemble avant d’aller chez Chimène. J’ai un reste de gratin d’aubergines, du jambon...

 - Je reconduis ma machine au hangar, je me déleste de ma gabardine et je rapporte une barquette de framboises menacées de moisissures dans mon frigo.

 

De chez lui, Polycarpe passa un coup de fil à Berouette, Chimène n’étant pas dans l’annuaire, pour annoncer sa visite.

- C’est à quel sujet ? s’enquit le cantonnier.

- J’ai récupéré l’argent volé. Soyons clairs, Berouette. Je pose comme condition de ne pas dévoiler l’identité de la personne, auteur du larcin. Elle se repent sincèrement et me charge de remettre l’argent à votre mère. Nous en resterons là, c’est d’accord ?

- On a pas le choix, si je comprends bien ?

Il avait le ton nasal et rancunier des insatisfaits.

- Pas vraiment.

 

Il chercha ensuite le numéro de la famille Côme, à Soutrain. Il n’avait nullement l’intention de rapporter directement à Ulysse les accusations d’Iseult, il était seulement curieux d’observer ses réactions concernant la jeune fille.

La personne qui décrocha avait la voix molle et distraite. C’était la mère de son pilleur de plans. Elle posa l’écouteur le temps de chercher son fils : des bruits de télévision et de batterie de casseroles lui parvinrent. En saisissant le combiné, Ulysse mastiquait encore.

- Ah, monsieur Houle ! Salut-ça va ?

Le jeune homme paraissait sans aucune arrière-pensée et ce tic de langage, dans de telles circonstances, parut plutôt sympathique.

- J’ai rencontré une de vos amies, vous savez. Elle vous cherchait. Elle ne savait pas que vous aviez vendu le logis. Je lui ai promis de vous contacter.

- Iseult, sans doute ? Je sais qu’elle me cherche. Comment la trouvez-vous ?

- Mon Dieu... Comme ci comme ça, c’est difficile de juger.

- Cette fille est folle et c’est incurable ! Je ne tiens pas renouer avec elle, je n’ai pas une vocation de saint-bernard.

- Elle désirait pourtant vous annoncer qu’elle est guérie.  Et ses fiançailles.

- Pas possible ! Ce type doit être ou rudement costaud ou suicidaire !

- Il s’agit de son psy, le Dr Zückervit...

- Parfait. Elle va enfin me lâcher la grappe ! Et vous, monsieur Houle, ça boume ?

Polycarpe sourit en lui assurant qu’en effet, ça boumait.

 
A suivre…
 
 
 
 

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14 mars 2006

Les aventures de Polycarpe - 13ème épisode

 

LE VIEUX LOGIS

CHAPITRE XIII 

où Polycarpe rencontre une vicomtesse mytho,
et découvre qu'il n'est pas le seul à avoir eu des visions
dans "la chambre rouge"

Polycarpe en avait enfin terminé avec le torchis et il attaquait le ravalement de la cheminée. Acharné à poncer la pierre depuis le tout début de la matinée, il était entièrement recouvert d’une fine pellicule de poussière. Il avait monté le son de la radio pour ne rien perdre d’une émission prometteuse sur le darwinisme. Malheureusement, c’était un exercice lamentable de vulgarisation et il était franchement déçu : les syllogismes sous-entendus par les intervenants l’exaspéraient : l’espèce humaine avait évolué depuis  le primate originel, donc : le contemporain était « supérieur » à ses ancêtres. Il  n’en ponçait la pierre qu’avec plus d’énergie, et sursauta quand une visiteuse, forçant sa voix, l’interpella pour la troisième fois :

- Monsieur, s’il vous plaît ?  Excusez-moi... Je suis Iseult de Touche.

Elle avait distraitement garé son cabriolet bleu glacier en travers de la place et frappait aux carreaux de la cuisine.

Son visage pâle évoquait le museau d’une petite souris ; son long cou semblait contenir un flexible d’aspirateur tant étaient visibles les anneaux du larynx ; elle avait de grands yeux fiévreux et des cheveux trop courts. Avant de serrer la main décharnée de la jeune fille, il avait procédé à quelques ablutions et lui avait proposé son meilleur fauteuil : celui d’un aïeul ébéniste, situé sur un des rameaux culminants de son arbre généalogique, qui avait conçu ce siège extravagant dont l’immense dossier se déployait en plume de paon.

 Il alla couper le son de la radio et rapprocha une chaise qu’il enfourcha à califourchon, encore sous l’emprise de l’indignation.

- Voyez-vous, mademoiselle, j’ai du mal à gober que je serai un jour un grand singe débile pour mes descendants !

Elle croisa jambes et bras, fronça son minois, subitement rétrécie dans ce grand siège, évoquant une Alice cacochyme aux pays des merveilles.

- Il ne s’agit pas de cela : l’être se transforme pour s’adapter. Logique, non ?

- Ta-ta-ta. Ce n’est pas l’être qui se transforme mais la société. Est-ce que Socrate vous semble plus idiot que notre président de la République ? Les technologies modifient le milieu et nos habitudes, mais l’homme ressent, pense et souffre toujours de la même façon.

- Autrement dit, pour vous, l’homme aurait surgi du chaos, achevé, comme Moïse dans son couffin ?

- Bonne remarque ! C’est un problème insoluble, j’en conviens. Mais le doute doit être assumé. Je suis et demeure un pyrrhonien convaincu !

Une moue ironique chiffonna le visage d’Iseult qui regarda Polycarpe en coin :

- J’imagine déjà la plaque qu’on apposera sur votre logis : « Ici vécut un éminent sceptique, qui eut le doute pour seule certitude »...

- Cela me conviendrait.

Soudain rasséréné, Polycarpe retourna sa chaise et se rassit, s’adossant, cette fois, avec décontraction, allongeant et croisant ses courtes jambes.

- Pardonnez-moi, je suis parfois soupe au lait.

Iseult de Touche étira un petit sourire d’absolution et plissa les yeux avec un air supérieur.

« Cette créature étrange me prend pour un grand singe débile, ma parole ! »

Il éloigna magnanimement cette pensée.

- Eh bien, mademoiselle, que puis-je pour vous ?

- Sauriez-vous où se trouve Ulysse Côme, le jeune homme qui demeurait dans ce logis ? J’étais en cure ces derniers temps. J’ignorais qu’il avait déménagé.

- Je me suis laissé dire que vous étiez, disons, bons amis...

- On se connaît depuis l’enfance et nous avons eu des relations en dents de scie. Avec mon problème, j’ai fait de nombreuses cures de repos, qui ont beaucoup perturbé mes relations sociales.

- Au point que vous ignoriez le déménagement d’Ulysse. Êtiez-vous en cure depuis si longtemps ?

- J’ai fait plusieurs séjours entre lesquels, sous l’emprise des médicaments, il m’était déconseillé de conduire.

En fixant Polycarpe d’un regard convainquant, elle précisa :

- Maintenant, je suis parfaitement bien. Justement, j’aurais aimé lui annoncer ma guérison.

- J’imagine que vous tenez beaucoup à ce jeune homme.

- Je « tenais » à lui. Aujourd’hui, j’ai tourné la page. Je suis fiancée.

- Félicitations.

Elle abaissa les paupières.

- Justement, ça aussi, j’aurais voulu le lui dire, de vive voix. À l’époque où « je tenais à lui », comme vous dites, la terre entière s’est liguée pour nous séparer. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit. Ce que je ne comprends pas, voyez-vous, c’est l’acharnement qu’ils ont à me considérer irresponsable sous prétexte qu’il m’arrive de voir le corps astral de certains défunts.  Ce n’est pas ma faute, je suis convaincue qu’ils m’ont détraquée avec leurs électrochocs.

L’incident de la chambre rouge fit craindre à Polycarpe ce traitement moyenâgeux pour lui-même, il releva un sourcil  :

- Avez-vous un exemple de ces visions ?

- Précisément, un truc bizarre... qui s’était produit ici même, dans votre  maison...

« Le fantôme de Petit Lu, à tous les coups ! » pensa Polycarpe.

Il jeta un œil sur sa montre qui indiquait bientôt midi. Il la fit tourner autour de son poignet et la tritura, en observant son vis à vis. Il désirait entendre la version détaillée de la jeune fille.

- Nous pourrions bavarder en déjeunant...

Elle se concentra sur cette proposition, alternant les enroulements de ses jambes et de ses bras, irrésolue. Il prit son indécision à revers :

- Vous connaissez peut-être une table convenable dans le secteur ?

- Il y a un resto sur la route de Bux, pas cher, sans chichis.

- Parfait. Donnez-moi cinq minutes pour me changer.

Avant de quitter la pièce, il se retourna :

- Au fait, pour répondre à votre première question : J’ai rencontré Ulysse, il est venu ici même... Peut-être est-il encore dans les environs.

 

Le «  resto sans chichis »  était un routier, le Bux’s Trucks, où ils partagèrent une longue table avec trois camionneurs. La salle vitrée, décorée d’une abondance de plantes en plastique poussiéreuses, donnait sur l’esplanade de stationnement remplie de semi-remorques. Polycarpe avait rapporté à Iseult ses conversations avec Ulysse et lui avait confié ses premières impressions de rochebourgeois.

- Dans la vie, vous savez, dit-elle, tout à trac d’une façon énigmatique et quelque peu fébrile, il vaut mieux surfer sur la vague plutôt que de touiller la vase !

Elle éclata d’un petit rire sec, nerveux, déchiquetant la serviette en papier de ses doigts maigrelets. Iseult filait mieux la métaphore qu’elle ne maniait la fourchette, ne prêtant qu’une attention modérée au céleri rémoulade qu’elle laissait ramollir sur son nid de laitue.

- J’ai eu mon frère au fil, dit-elle. Pierre m’a raconté ce qui vous est arrivé dans la « chambre rouge ». En somme, maintenant, il y a deux fous en liberté !

Polycarpe lui décocha un regard sévère sous de broussailleux sourcils.

- Je récuse ces conclusions hâtives.

- Figurez-vous que moi, à cause de ça et de quelques autres broutilles, je me suis tapée sept ans d’analyse et  des séances d’hypnose... en plus des électrochocs !

- Fichtre !

- Diagnostic : la vision de Bramabante est le résultat d’un traumatisme subi dans l’enfance, j’aurais mal digéré un prétendu complexe d’Œdipe, fait un amalgame compulsif entre mon père, qui m’abreuvait de ces histoires, et le croisé meurtrier. Et je passe sur le refoulement d’un fantasme d’inceste avec ce pauvre Pierre... Bref... Eh bien, grâce à vous, je sais que tout cela n’exprime que les délires de mes thérapeutes. Je me sens nettement mieux maintenant : le fait d’être deux à « visionner » Bramabante prouve que je n’ai rien imaginé !

- Ou que le diagnostic n’est pas établi, nuança Polycarpe. Comparons nos hallucinations, voulez-vous ? Qu’avez-vous vu exactement ?

Iseult décrivit sa scène :

- Une femme est couchée sur le ventre ; elle baigne dans son sang : une large tache brune grande comme un tapis. Elle est vêtue d’un vieux brocart à ramages et porte une coiffe. 

D’une voix quasi hystérique, elle ajouta :

- Et je vois nettement le manche du poignard entre ses omoplates !

Un des camionneurs, interrompant net le bobinage de ses spaghettis, jeta sur elle un regard effaré. D’un clin d’œil discret, Polycarpe lui fit comprendre qu’il ne fallait pas s’émouvoir des excentricités de sa partenaire.

- À vous, maintenant. Qu’avez-vous vu ? demanda-t-elle.

Il hésita. Bien que pourvue d’une intelligence exceptionnelle, Iseult avait indéniablement un grain. Il jugea prudent de ne pas lui dire qu’il avait « vu » autre chose, à la façon d’un mirage : une forme humaine, menue, translucide et vêtue d’une façon plus moderne. Il n’avait pas « vu » de poignard. Il avait même l’impression, maintenant, d’avoir « vu »... Iseult elle-même !

- C’est difficile à dire... Je n’ai pas eu le temps de détailler la tenue vestimentaire. Il m’a semblé que...

Il toussa.

- …que la femme était allongée sur le dos, les mains jointes… et… en fait, je ne sais plus !

Il avala un grand verre d’eau de source.

- Normal, fit-elle avec assurance. Moi, je l’ai vue plusieurs fois, c’est plus précis.

L’expression rassérénée de la jeune femme ne le rassura pas, son problème à lui n’était pas résolu. Gix avait probablement raison : c’était le contrecoup des tristes événements survenus dans son existence, son cas n’avait rien à voir avec les dérangements psychotiques d’Iseult de Touche. Il envisagea de se doper au magnésium.

Une serveuse apporta la côte de porc aux pois cassés qu’il avait commandée et substitua à l’assiette de crudités, non entamée par la jeune fille, une côtelette d’agneau aux haricots verts, en entrechoquant la vaisselle.

- Quel est donc ce truc « bizarroïde » que vous avez vu au logis ?

- Le docteur Zückervit...

- ?

- C’est le psy qui m’a aidé à tourner la page et me considère guérie. Il m’a expliqué que j’avais fait un transfert de culpabilité, en reportant ma pulsion thanatos sur Ulysse pour blanchir  a posteriori mon inconscient quand on a appris le décès de Cornu.

- C’est à dire ?

- Aujourd’hui, je sais que j’ai imaginé cette scène : J’ai cru voir Ulysse en train d’étouffer le vieux Cornu avec un coussin.

Polycarpe arrêta de mastiquer et, à nouveau, fit un signe au camionneur qui était pris d’une quinte de toux après avoir avalé de travers : encore une révélation de ce genre et l’homme allait utiliser sa CB pour les faire coffrer.

- Vous étiez entrée dans la maison ? Tout le monde prétend que le vieillard ne voulait voir personne.

- Au début de l’emménagement d’Ulysse au logis, il m’arrivait de lui  rendre visite. Cornu était d’accord. Même quand Ulysse et moi, ça a plus ou moins foiré, je continuais à rendre visite au vieux bonhomme. Il n’était pas aussi désagréable qu’on le dit. À cause de sa mauvaise vue, il me demandait de lui faire la lecture de documents : il adorait les biographies. Il m’avait même fait un cadeau pour le service que je lui rendais : un Perfescope... que j’ai cédé à mon frère pour compléter sa collection. Et d’ailleurs, il ne l’utilisait jamais étant à moitié aveugle. La seule chose qu’il m’imposait était de ne pas ébruiter nos rencontres : il se méfiait de tout et de tout le monde et de ce côté-là, j’en conviens, il n’était pas net, légèrement parano sur les bords.

- Vous vous rendiez au logis en cachette ?

- Pas spécialement, mais je passais par derrière. Quand je suis venue cette fois-là, Ulysse n’était pas dans la maison et  Cornu était assoupi. J’ai décidé d’attendre qu’il se réveille en feuilletant une petite brochure sur les chauve-souris, quand j’ai entendu un léger grincement du parquet. J’ai été surprise. Pas trop rassurée, je me suis glissée dans l’ombre d’une encoignure.

- C’était Petit Lu !

- Non, c’était Ulysse. Enfin, c’est ce que j’ai cru. Il m’a semblé assister à une scène réelle : il a appuyé le coussin contre le visage de Cornu qui s’est assez peu débattu puis, il est reparti très vite. J’ai voulu voir si Cornu était encore en vie, en vérifiant son pouls,  mais j’ai entendu à nouveau des bruits. Paniquée, j’ai attrapé le plaid que Cornu avait sur  les genoux ; je me suis fourrée dessous et, comme des pas se rapprochaient, je me suis enfui dans le couloir. Figurez-vous que j’étais tellement persuadée d’avoir vu Ulysse étouffer Cornu que j’ai eu peur qu’il revienne pour me faire la même chose dans un accès de folie meurtrière. Vous comprenez ? Je croyais qu’il m’avait aperçue. Et puis, j’ai entendu une voix m’interpeller : « Hé ! toi ? Tu fais Halloween ? ». Je suis sûre que ce n’était pas la voix d’Ulysse, ni son pas quand il a déambulé dans la pièce, comme s’il partait et puis revenait... La couverture était trop épaisse pour que je distingue quoi que ce soit.

- Zückervit a eu raison, Iseult. Vous avez fantasmé. Sinon, à si peu de temps d’intervalle, les deux visiteurs n’auraient pu manquer de se rencontrer !

« À moins que l’un des deux ait emprunté le souterrain ! »  Polycarpe garda pour lui cette pensée qui aurait encore compliqué les choses.

- C’est certain. J’ai pris la poudre d’escampette, dès le départ du gars quand j’ai entendu claquer le porte en bas.

Polycarpe considéra l’assiette d’Iseult. Elle avait écarté ses aliments du bout de sa fourchette et ingurgité la moitié d’un haricot vert.

- Vous devriez manger un peu, voulez-vous que je vous commande autre chose ?

- Je n’ai jamais faim. Zück arrive tout de même à me faire avaler des fromages blancs battus avec des fruits et me gave de vitamines. C’est un problème quand nous dînons en ville.

- Vous dînez en ville avec votre psy ?

Elle se redressa fièrement avec un sourire de gamine qui a raflé tous les premiers prix de la classe :

- C’est avec lui que je suis fiancée... Un homme charmant et riche qui prend soin de moi.

« Un substitut de papa, probablement » pensa Polycarpe. Il changea de sujet :

- J’ai aperçu votre cheval au centre équestre, c’est une magnifique monture.

- Je l’ai dressé moi-même, c’était un poulain que mon frère m’avait offert pour mes dix-huit ans.

- À quoi bon vous obstiner à vouloir rencontrer Ulysse... Puisque vous avez « tourné la page », comme vous dites. Contentez-vous de lui téléphoner !

- C’est que je lui dois des explications et des excuses : la scène que je vous ai racontée, je l’ai décrite dans une lettre que j’ai envoyée depuis Jonques.

- Vous l’accusiez de meurtre !

- Je ne l’accusais pas ! Je voulais qu’il me confirme simplement qu’il n’avait tué personne.

- Vous a-t-il répondu ?

- Même pas.

- Évidemment, il était dans une situation délicate : vous répondre y compris par la négative, c’était entériner l’hypothèse d’un assassinat, contre l’avis du docteur qui avait délivré le permis d’inhumer ! Et s’il vous avait reproché cette supposition, il aurait suggéré votre délire ! 

- J’aurais été verte de rage, j’avoue.

Polycarpe suggéra de lever le camp.

« Votre nouveau fiancé a du mérite, vous n’êtes pas une personne simple », s’abstint-il de dire.

à suivre...

19:04 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) |  Facebook | |  Imprimer | |

09 mars 2006

Un petit lapsus très suspect

Voilà, c'est de moi : un polar marrant dont l'action se déroule entre SAVONNIERES (I&L) et PARIS, tenu par l'éditeur soi-même, Antoine de Kerversau, pour "un des meilleurs de la série"... (pardonnez-moi, je ne fais pas dans la fausse modestie!) Je n'avais jamais eu l'idée de vous le signaler, ce qui s'appelle l'esprit d'escalier !
--> UN PETIT LAPSUS TRES SUSPECT, 2001, éditions La Baleine/Le Seuil, n°228, 5 € et des poussières, vendu dans les librairies (et sur Amazon et Alapage...)
Quatrième de couverture :
"Quand une biologiste et un patron de laboratoire pharmaceutique concoctent clandestinement un traitement rajeunissant à bases d'hormones et de morphine et mouillent un producteur de télé pour en assurer une promo discrète, ils comptent bien ramasser un pactole... même si quelques clientes ont le mauvais goût de trépasser! Mais lorsque l'animatrice de la télé en question découvre le pot aux roses, la machine s'enraye... Une semaine d'investigation jonchée de cadavres, menée tambour battant par une Chéryl en grande forme, qui fera des rencontres étonnantes, mettra la main sur un magot, échappera à d'horribles traquenards... Pendant que Lecouvreur, lancé à sa recherche, connaîtra la plus périlleuse de ses enquêtes, avant de la retrouver enfin au "Pied de Porc" dans un sirtaki endiablé..."

14:57 Écrit par Claudine dans Livre | Lien permanent | Commentaires (3) |  Facebook | |  Imprimer | |

07 mars 2006

Le style "sms"...

L'entrée d'une skyblogueuse sur le site "Touraineblogs" m'inspire quelques réflexions que je vous soumets...
J'ai lu sur un site interactif : "par respect pour les lecteurs, évitez le style sms"... ça pose en effet un problème de fond sur l'usage de la langue et la communication qui devient, ainsi, une sorte de code pour initiés et donc antidémocratique malgré les apparences "cool".
 On peut ne pas être d'accord avec ce mode d'échange sur la blogossphère (je ne parle pas du téléphone).  Même si on suppose que les usagers du sms savent très bien s'exprimer autrement dans leurs dissertations et qu' ils s'amusent, on n'est pas obligé d'entrer en connivence. 
Il arrive que la tolérance soit démagogique.
Cet usage du sms est un retour vers un "patois" non plus régional mais générationnel. Ce code nie les nuances de la forme écrite qui rendent compte des subtilités de la pensée et des émotions... il est vrai que les thèmes abordés et les photos des "sms-blogueurs" illustrent de façon ostentatoire cette absence de subtilités (que de photos de langues et de pieds !), mais alors : pourquoi ? J'aimerais bien qu'un smsblogueur nous argumente ses objectifs.
En tout cas, je sais pour l'avoir vécu comme formatrice auprès des apprentis  du CFA (pour la plupart en échec scolaire) que les carences du langage, le manque de mots et de nuances syntaxiques engendrent la violence et réveille un vieil instinct de domination primitive de derrière les fagots. Je m'insurge donc - il faut bien un jour prendre position - contre ce massacre à la tronçonneuse du français dès lors qu'il est revendiqué comme l'apanage d'une certaine jeunesse que, pour ma part, je trouve assez privilégiée, paradoxalement.

12:05 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (11) |  Facebook | |  Imprimer | |

05 mars 2006

Un nouveau site pour Polycarpe...

Après le sinistre qui avait entièrement détruit mon site perso, je l'ai enfin rebâti et, je crois en mieux : tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la série des Polycarpe est clairement expliqué, doublé d'extraits... Certes, ce genre de site "express" n'autorise pas une grande liberté de déco... mais l'essentiel y est.
http://monsite.wanadoo.fr/claudinechollet

 

19:41 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |

02 mars 2006

Les aventures de Polycarpe - 12ème épisode

Résumé des chapitres précédents : PH découvre que l'ancien propriétaire du logis avait falsifié son identité. Misérable et certainement dérangé, il explorait les souterrains de Rochebourg  avec l'espoir de dénicher un trésor. Un certain nombre d'observations laissent  supposer que l'ancien magistrat n'est pas mort naturellement. Parmi les meurtriers possibles : Iseult, une vicomtesse hystérique et mythomane, Ulysse Côme, jeune businessman arriviste, Petit Lu qui a cambriolé une tireuse de tarots... Alors que PH vient de découvrir qu'un souterrain aboutit au logis et juste remis d'une vision paranormale dans la "chambre rouge" du château, il met la main sur une vieille photo montrant le juge avec des amis peu avenants et décide de rencontrer une des femmes dans sa maison de ratraite...

 LE VIEUX LOGIS - CHAPITRE XII

L’imposant manoir, bâti à flan de coteau, dominait la vallée de l’impétueuse Baroude grossie des eaux de la Gourmette. Sa façade de briques ouvrait sur un parc léché : des allées de petits cailloux contournaient des bosquets, des massifs, des tertres de gazon tondu ras autour de cèdres séculaires. Ici ou là, des bancs proposaient d’éventuelles haltes aux résidents, pour l’heure tous réunis au foyer de l’établissement, devant la télévision.
La maritorne à forte poitrine, au visage taillé à coups de serpe, qui se tenait à l’accueil, répondait au prénom inattendu de Félicité, inscrit sur une étiquette épinglée à sa blouse. Accompagnant Polycarpe jusqu’au foyer, elle mima un « chut » en plaçant son index devant sa bouche et  murmura :
- Si ça ne vous fait rien, asseyez-vous et patientez jusqu'à la fin de l’épisode...
Polycarpe reconnut sur l’écran le célèbrissime Inspecteur Derrick qui fixait, placide, la petite assemblée des vétérans. Il suggérait à un acolyte, situé hors du champ, de faire une visite surprise à cette crapule de Hans Forbach. Un plan fixe, s’éternisant sur le loquet d’une porte que l’inspecteur finissait par ouvrir puis refermer avec lenteur,  précédait un autre long plan sur une voiture stationnée dans une rue déserte. L’inspecteur ouvrait la portière sans hâte, avant de s’asseoir, rigide, derrière le volant. Puis, dans un enchaîné ébouriffant, il bouclait précautionneusement sa ceinture de sécurité, mettait le contact et le clignotant, déboîtait tranquillement, tandis que la caméra s’attardait sur son regard impavide dans le rétroviseur.
- À ce rythme, l’épisode va durer trois heures, ironisa Polycarpe.
Félicité eut un sourire de condescendance pour ce visiteur fringant, à l’impatience quasi juvénile.
- Il ne faut pas bousculer leurs petites habitudes... d’ailleurs, c’est bientôt la fin.
Les vieilles dames, dont la plupart arboraient des frisettes aux reflets mauves, occupaient des fauteuils, roulants ou fixes, disposés en arc de cercle devant le poste et semblaient captivées par la série teutonne. 
- Vous avez de la chance : la coiffeuse est venue ce matin.
Polycarpe se composa un air veinard.
-  Laquelle est-ce, Lucette Bourreau ?
- Celle qui porte un cardigan gris, avec des lunettes...
Toutes les mémés portaient un cardigan gris et des lunettes et Polycarpe fixa sur Félicité un œil perplexe.
« Cette femme est une humoriste qui s’ignore.»
Ceux des vieux messieurs qui ne cramponnaient pas leurs cannes sous l’emprise pathétique de la maladie de Parkinson, jouaient au Pissou, indifférents aux rebondissements du téléfilm.
Éprouvant les premiers symptômes d’une neurasthénie galopante, Polycarpe refusa de prendre place dans ce salon et s’installa à l’accueil, échangeant avec la gardienne des lieux un sourire benêt quand elle levait les yeux au-dessus d’un écran d’ordinateur. Dès le générique de fin, Félicité bondit :
- Je vais vous la rouler...
Il eut un léger papillonnement des paupières.
-  Elle ne peut pas marcher... On vous rejoint au parloir : deuxième porte à gauche au bout du couloir.
Lucette Bourreau indiqua, par des gestes d’humeur mal contrôlés, qu’elle voulait prendre place le dos à la fenêtre et montra à Polycarpe le siège face à elle, en pleine clarté.
- « C’est pour mieux te voir, mon enfant »,  grinça Félicité, d’un ton sarcastique, avant de s’éclipser.
La vieille dame prit un air terriblement méchant, en avançant le buste et son menton hérissé de poils follets, puis éructa d’une voix virile :
- C’est quoi, cette histoire de Léon ! Il est mort l’année dernière ! Vous êtes qui, vous ?
Polycarpe toussota et appuya ses coudes sur ses genoux ; il inspecta d’abord ses mains puis affronta la cataracte de l’ancêtre.
- Je comprends votre suspicion. Je sais bien qu’il est décédé. J’habite sa maison. Plus précisément, j’ai acheté la maison à son héritier et j’ai découvert, après coup, l’existence de Léon Corbeau. J’ai envie de savoir qui était l’homme qui habitait le logis avant moi... Pure curiosité... Mon nom est Polycarpe Houle.
- Hum ! Comment m’avez-vous dénichée, monsieur Poule ?
- Pas Poule : Houle. J’ai trouvé une photographie de groupe qui comportait votre nom parmi d’autres ainsi que celui de Corbeau. J’ai cherché votre nom dans l’annuaire. Votre petite-nièce m’a répondu... Une jouvencelle au tempérament joyeux...
Elle changea d’attitude, l’air méchant se résorba à la pensée de la petite-nièce.
- Cette gosse est mon portrait craché.
- Ah ! bon ?
La photographie de Lucette Bourreau jeune, trouvée au logis, n’augurait pas une ressemblance flatteuse.
- J’ai retrouvé quelques reliques dans mes archives personnelles, dit-elle. Tenez, prenez...
Elle étira de ses doigts arthritiques la poche de son gilet d’où Polycarpe extirpa une photo enveloppée d’une feuille de papier jaunie : c’était le portrait du même homme que sur le cliché trouvé sous les planches, au teint d’hépatique,  à la physionomie chafouine.
- Il y a eu un problème avec Corbeau, monsieur Paspoulehoule, dit-elle.
Lucette Bourreau comprima son goitre avec une dignité outragée.
- La feuille pliée, vous pouvez la lire. C’est ce torchon qu’il a adressé au procureur, quand il a été viré de la magistrature.

Vieille pourriture de chancre mou, tu as eu ma peau. Mais tu ne l’emporteras pas au paradis :  Je détiens quelques preuves croustillantes de certains ballets roses... Toi qui te drapes dans l’étendard du droit et de la morale, je te préviens solennellement que  tu peux chier dans ton froc, fils de pute.
 

Polycarpe replia la feuille du bout des doigts, avec dégoût.
- Comment vous êtes-vous procuré ce papier ?
- Sous le talon d’Achille.
- Pardon ?
La voix avait soudain pris une tonalité bourdonnante, Lucette Bourreau s’était affaissée sur le côté, les yeux dans le vague.
Il crut qu’elle lui faisait un petit caprice et tenta une diversion :
- Voulez-vous que je vous promène dans le parc quelques instants ?
- Il m’a répondu qu’il n’avait pas peur des chiens à la grande loge, puis vous prenez 4 œufs, leur poids de beurre et de farine...
Polycarpe agita plusieurs fois sa main devant le visage de la vieille dame qui continuait à marmonner une recette de quatre-quarts. Replaçant précipitamment la lettre et la photo dans la poche du gilet, il s’élança dans le couloir, héla Félicité qui, sans s’affoler, transborda ses masses flageolantes de l’accueil au parloir.
- Je parie que la chaîne a sauté ! dit-elle. Ça rouille du côté des moyeux.

 Abandonnant Félicité à ses calembredaines, il détala de son petit pas empressé vers la sortie, suivant respectueusement les circonvolutions de l’allée alors qu’il aurait pu gagner trois cents mètres en traversant les pelouses. Hors de l’établissement, il inhala une grande goulée d’air qu’il souffla, joufflu comme un angelot, soulagé d’avoir quitté l’hospice. Il se mit au volant de sa bétaillère et décida de prendre un autre itinéraire pour longer les bords verdoyants de la Baroude. Un nouveau pont aux rambardes bleu vif enjambait la rivière avant un rond-point fraîchement éclos d’où rayonnaient les routes de Chassac, de Bux, de Soutrain et les voies d’accès à quelques usines et grandes surfaces. Il ne reconnaissait plus le paysage raviné par les tractopelles ; il fit deux fois le tour du rond-point avant d’opter pour la direction de Bux, qui lui permettrait peut-être d’éviter le grand détour par Chassac et de bifurquer directement vers Rochebourg, quand il aperçut un groupuscule brandissant des pancartes. « Non à la Rocade Ouest ! Arrêtez le massacre ! » lut-il, en se rapprochant.
Il ralentit et stoppa quand un homme en short kaki, barbe de la veille, se détacha du rassemblement et se pencha à la portière en lui tendant un prospectus.
- Pour soutenir notre action, voulez-vous signer la pétition ?
- De quoi s’agit-il ?
- De protéger les derniers spécimens de scarabées coprophages dont l’espèce est menacée par la construction de la rocade de Bux.
Polycarpe connaissait ces superbes bousiers mordorés que les méthodes d’élevage et de cultures menaçaient plus que les routes. Il aurait aimer polémiquer, les titiller sur la sélection idéologique de leurs cibles,  argumenter sur l’épandage de boues d’épuration. Mais il se déroba, ne s’imaginant pas sortir de l’habitacle de sa bétaillère pour les haranguer, ni discuter en position assise de l’autre côté de sa vitre baissée. Il répondit seulement qu’il allait réfléchir et monsieur Pétition émit un rictus crispé en regroupant ses camarades devant son capot par mesure de rétorsion.
Et tandis qu’il roulait au pas dans le convoi en formation, le coude à la portière, il se demandait si dans son délire sénile Lucette Bourreau n’avait pas délivré quelques clés à méditer : « Les chiens de la grande loge »... Hasard ? Réminiscence ? Quels rapports y avaient-ils entre Bourreau et le doyen des juges ? Les allusions dans la lettre à « certains ballets roses » qui désignaient pudiquement les débauches pédophiles, épaississaient le mystère Cornu de ramifications peu ragoûtantes. Il en serait quitte pour revenir questionner Lucette Bourreau et affronter de nouveau l’infirmière badine.

Quand il arriva enfin à Rochebourg, il remarqua une insolite voiture de location garée sous le chêne de la place.  Un jeune type en descendit, vêtu d’un léger costume noir sur une chemise blanche dépourvue de col. Il se dirigeait vers le logis, d’une démarche décontractée, mains dans les poches, pieds nus dans ses mocassins. Les pans de sa veste voletaient. Ce look, dynamique et branché, était inattendu au village où l’on croisait plus de gars harassés, en salopettes terreuses, qu’en ensemble de chez Boss.
Polycarpe rentra sa bétaillère dans sa grange, pénétra dans sa cuisine par le jardin. Derrière les carreaux de la porte, le visiteur attendait en observant quelque détail de la façade. Sitôt la porte ouverte, le jeune homme lui tendit la main avec l’excessive cordialité d’un jeune frais émoulu d’une école de commerce.
- Monsieur Houle ? Je suis Ulysse Côme. Bonjour-Ça va ?
Polycarpe estima justifié d’utiliser la même formule je-m’en-foutiste :
- Bonjour-Ça va ?
- Ouais, super !
- Vous entrerez bien un moment ?
- OK !
Polycarpe s’effaça devant Ulysse.
- Comme vous le constatez, je suis en travaux.
- Géniale, cette cuisine dégagée. Et la cheminée ! Je m’en doutais : elle a une de ces gueules !
Ulysse virevoltait sur lui-même, accrochant du regard chaque parcelle de la pièce, chaque meuble, très à l’aise, tapotant les dossiers des fauteuils, vérifiant les espagnolettes, tâtant les montants des portes. Il sortit tout à coup de la poche arrière de son pantalon un mètre enrouleur et un mini calepin, mesura la cheminée, sa largeur, sa hauteur, la profondeur du foyer, monta sur l’escabeau pour prendre les dimensions du linteau, calcula la distance entre les ouvertures, nota des chiffres, traça des plans, dessina les crémones.
La bougeotte du personnage prenait Polycarpe au dépourvu, planté au milieu de la cuisine, en se frottant lentement les mains, dans l’expectative. Pour un garçon qui avait fait, soi-disant, les plans du logis, ce comportement l’intriguait.
- Vous comprenez, dit Ulysse, à cause des cloisons qui divisaient la pièce, je n’ai jamais eu les mesures précises.
- Ah !
Polycarpe tenta une conversation avec le vibrionnant jeune homme :
- J’ai l’impression que vos affaires marchent bien.
- Le filon est juteux, j’ai fait le bon choix.
Ulysse Côme continuait d’arpenter la pièce, excité comme une puce.
- À savoir ?
- Eh ! bien, les riches yankees adorent se faire construire des maisons historiques... Je me suis pointé avec les plans du logis là-bas...
- Vous êtes allé aux États-Unis ?
- Ouais ! C’est pour ça que vous avez signé sans moi... J’ai battu le fer pendant qu’il était chaud, aussitôt la promesse de vente... J’ai tapé dans la butte, je me suis pointé direct à Wall Street dans les bureaux de la plus importante compagnie de maîtres d’œuvre US. J’ai négocié 30% du prix des maisons reproduites, clés en main. J’ai un contrat en béton... C’est le cas de le dire !
Il s’accroupissait pour mesurer la hauteur du jour sous la porte disjointe de l’entrée.
- Les petits détails qui font vieux, c’est ça le truc...
- Vous voulez dire que vous reproduisez aussi l’usure et les défauts !
- Exact. C’est ce qu’ils veulent, là-bas. Du neuf qui fait ancien, mais de l’ancien usé . Du coup, je suis en cheville avec un ébéniste qui me fabrique des portes et des fenêtres sur mesure, de traviole et patinées, genre patinées avec du ciment frais pour accélérer le processus... quarante pour cent pour moi, soixante pour cent pour lui. On les expédie de France, un label qui épate.
- Pour ce logis, je comprends : il était devenu votre propriété, et je ne conteste pas la reproduction préalable à mon acquisition. D’ailleurs, je m’en fiche. Mais je suppose que vous négociez des plans de résidences qui ne vous appartiennent pas... Ça ne pose pas de problèmes avec le droit de propriété ?
- Fastoche à négocier... La plupart des propriétaires sont éreintés par les impôts, souvent accrochés à leurs baraques mais fauchés. Je deale avec eux un pourcentage sur mon propre pourcentage... C’est selon, je m’adapte à leur situation.
- Ah !
- Si je vous disais... Ils sont hyper flattés. Je pense d’ailleurs mettre en place un projet de jumelage entre les propriétaires des demeures authentiques et ceux des copies, depuis que j’ai vu…
Il insista :
-  …de mes yeux vu : un couple d’outre-Atlantique tomber dans les bras de petits nobliaux français qui lui avaient cédé leurs plans. Ils sont devenus copains comme cochon. C’est un truc qui peut marcher !
- Ah !
- Vous dites souvent : « Ah !» On dirait que ça vous surprend : vous n’êtes pas branché business, monsieur Houle.
- Pas vraiment. Avez-vous pris assez de mesures ? Puis-je vous offrir un verre ?
Polycarpe le vit s’asseoir avec soulagement, mais il rebondit plusieurs fois de son siège, comme éjecté, pour aller vérifier les bulles d’air prises dans les vieilles vitres, le dessin de la plaque de fonte et les ferrures rouillées d’une porte de placard mural.
- OK, dit-il en allongeant ses jambes sur la table basse. Je la reconnais, cette table était dans la grange, vous avez réussi votre coup en coupant les pieds... idée à creuser.
Polycarpe se tenait devant son frigo ouvert.
- Que voulez-vous : coca, bière,  schweeps ?
- Schweeps.
Polycarpe lui tendit une canette et un verre, se décapsula une bière et profitant de la pause boisson, l’attaqua bille en tête :
- J’ai découvert vos plantations de chanvre indien. Vous ne manquiez pas de culot de cultiver ça sous le toit de Cornu.
Il rit à gorge déployée.
- Cornu ? C’était mon premier client ! Je blague : pour lui, c’était gratis. C’est aussi pour ça qu’il m’avait à la bonne. D’accord, asthmatique comme il était, c’était pas vraiment conseillé ! N’empêche, il était salement accro. Mais, moi, je le comprenais, voyez-vous. Ce pauvre vieux en avait tellement bavé dans sa vie ! Il était seul, fauché, toujours à cran... Avec l’herbe, il était devenu plus zen...
- Vous connaissiez son passé ?
- Vaguement : il s’était fait lourder de la magistrature. Remarquez, je vous dis ça maintenant qu’il n’est plus là : j’avais la consigne de garder toutes ses confidences secrètes. Et ça : je l’ai toujours respecté. Il me faisait trop confiance pour que je balance.
- Et la raison de ce « lourdage »... ?- Si je vous la dis, vous allez gamberger salement sur les rapports qu’on avait lui et moi... alors qu’entre nous c’était nickel chrome. Bon... Après tout, vous pouvez comprendre.
Ulysse changea de position et se pencha en avant, au-dessus de son verre, l’air concentré.
- Cornu était gay... Enfin, dans le temps, parce qu’il y a longtemps qu’il était rangé des voitures. Mais pas homo avec un copain attitré, il draguait dans les quartiers chauds... il ramenait ses conquêtes chez lui pour des séances sado-maso pas piquées de vers. Jusqu’au jour où l’un de ses pseudo tortionnaires s’est trouvé mis en examen pour un sale truc et, profitant de sa position de doyen des juges, il a classé la plainte. Une fois, deux fois. Un procu l’a repéré, qui lui a suggéré de faire son petit ménage lui-même, en démissionnant, histoire de pas faire de vagues. Aujourd’hui, ça se saurait peut-être, mais dans le temps, la justice devait rester irréprochable... Personne ne l’a su. Il me disait toujours -  vu qu’il me racontait cette histoire en boucle - en parlant du procu : « Ce Bourreau m’a exécuté, il portait bien son nom. » Voilà toute l’histoire !
- Je vois.
Le torchon que Lucette Bourreau lui avait fait lire était adressé à son propre mari, lequel n’était pas gay mais organisait des « ballets roses » ! Un juge pédéraste, un procureur pédophile, bidouillant des exclusions en sourdine. Polycarpe était sous le choc.
- Au départ, je savais pas, se défendit Ulysse. Il s’est confié par la suite, peut-être sous l’effet de la fumette !
- Au départ, comme vous dites, qu’est-ce qui vous a amené chez lui ?
- Ma famille est originaire des environs. Je connais cette baraque, la vôtre maintenant, depuis toujours. J’étais inscrit en architecture et je glandais pas mal. Et puis, un jour, je tombe sur une émission de télé, style « Envoyé spécial ». On nous montre des amerloques qui se faisaient construire carrément des châteaux forts sur les modèles de chez nous... Ça a fait tilt ! Je me suis dit qu’il y avait un créneau avec les manoirs, plus modestes, pour des ricains moins riches. Et de fil en aiguille, je suis venu voir Cornu, je lui ai parlé de mon projet... Peut-être qu’un vieil instinct pédéraste de derrière les fagots a fait le reste... Toujours est-il qu’il m’a carrément proposé de m’héberger gratos. Vu qu’à l’époque, j’avais du mal à boucler mes fins de mois, j’ai fait une affaire. Il était réglo, j’étais peinard. Je n’ai jamais eu à m’en plaindre.
Là-dessus, Ulysse bondit sur ses pieds.
- Content de vous avoir rencontré. Je file. J’ai ma famille à voir, ils m’attendent... Ah ! Au fait, en échange de l’hébergement, Cornu m’avait demandé d’explorer les souterrains et de l’aider à chercher ce que les ancêtres de Touche auraient planqué !
- Et alors ?
- Que dalle ! J’ai juste trouvé un petit coffret en bois qui contenait de vieilles paperasses écrites à la main… Il était dans une petite niche, pas vraiment caché, du côté de la sortie nord.
- C’est à dire ?
- Le souterrain remonte sur Soutrain et aboutit dans la sacristie de l’église. D’ailleurs, j’ai fait l’exploration avec Démosthène… Démosthène Angoulevent, le petit curé de Soutrain
- Qu’avez-vous fait de ces documents manuscrits ? Les avez-vous parcourus ?
- Vaguement ! Inintéressant ! J’ignore si Démosthène les a conservés !
Il passa la porte dans une dernière virevolte pour englober la salle du regard.
- Je reste quelques jours dans le secteur, on se reverra probablement ! lança-t-il en se dirigeant  vers sa voiture d’un pas élastique.

à suivre...

10:59 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |