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25 avril 2006

Les aventures de Polycarpe - 19ème épisode

Me voici de retour, bien contente de retrouver l'herbe verte et les feuillages après ce séjour enneigé...

Allez ! Encore 4 chapitres du Vieux Logis et on passera à autre chose... J'utiliserai ensuite ce blog pour partager mes impressions de vie avec vous.

 

LE VIEUX LOGIS

 

CHAPITRE XIX

où on explore le mystérieux souterrain qui aboutit au Logis,

où on apprend qu'Anatole trompe la marchande de miel avec l'employée des  postes 

et que la pétulante fille de Polycarpe s'annonce pour les vacances...

Attention au stress!!!!

Gix avait fait secrètement don à Jaco des truites qu’il avait attrapées, avant de remballer son matériel et de retourner au logis avec Polycarpe. Ils s’étaient munis de chandails en prévision des douze degrés régnant sous terre et vérifiaient l’état de fonctionnement de plusieurs torches quand Pierre les rejoignit, un rouleau de corde sur l’épaule.

- Emportons des sucres et une bouteille d’eau, on ne sait jamais, dit-il. J’ai pris un cordage de nylon que nous déroulerons par précaution. Et pour commencer, accrochons-la au pied de la rampe.

Il effectua trois demi-clés avec une maestria de loup de mer.

- Tout cela est bigrement encourageant, marmonna Gix.

L’un après l’autre, à reculons derrière leur guide, ils s’enfoncèrent dans le sous-sol par la trappe sous l’escalier. Pierre commentait l’expédition pour ses coéquipiers :

- Ici, c’est très étroit. Quand vous aurez descendu environ la dizaine de marches, vous vous recroquevillerez pour passer sous un plafond bas puis vous vous trouverez dans une sorte de salle ronde, d’un mètre cinquante de large environ, où vous pourrez tenir debout. De là, je vous expliquerai la suite.

Il paraissait jubiler de retrouver des sensations enfouies depuis l’enfance. Une fois réunis dans cette sorte de sas arrondi en dôme, Pierre envoya un faisceau en direction d’une cavité où la lumière se perdit dans les profondeurs obscures.

- Allons-y doucement. Vérifions bien l’état des parois. Au moindre éboulis suspect : demi-tour !

Il déroula plusieurs mètres de corde avant de progresser dans le tunnel, suffisamment haut pour marcher mais pas assez pour se tenir droit. Il y faisait une fraîcheur sépulcrale et l’obscurité qui se reformait derrière eux devenait angoissante. La galerie montait maintenant par paliers qu’ils franchissaient en deux ou trois enjambées. Mais, rapidement, les paliers se rétrécirent jusqu'à devenir de larges marches taillées dans le roc. Depuis sa position en tête, la voix de Pierre de Touche se répercuta en un écho sinistre le long du boyau :

- C’est fabuleux comme cette roche résiste si bien au temps.

- Une merveille de la nature ! fit la voix sarcastique de Gix.

Leurs lampes projetaient des ronds jaunes qui tressautaient devant eux, éclairant parfois quelques objets abandonnés ou perdus lors d’incursions précédentes : un bout de bougie, un chiffon moisi, les vestiges humides d’une boîte d’allumettes. Il y avait même des cadavres de grosses mouches à vers. Polycarpe supputa l’existence de quelque charogne : un animal tombé dans le tunnel comme ce pauvre Bios ?

- Par rapport à la surface, où sommes-nous exactement ?

- Ici, nous nous trouvons sous le petit bois, dans son milieu à quelque chose près. Nous devrions arriver à une sorte de carrefour.

Il baladait son faisceau lumineux de gauche à droite.

- Approchez, regardez...  Nous allons poursuivre par la galerie montante, dans le prolongement d’où l’on vient, pour émerger dans le bois. Sur notre gauche démarre une bifurcation qui redescend vers les troglodytes...

Tandis qu’il redonnait du mou à sa corde, il expliqua :

- Dans le temps, le souterrain qui rejoint la cour des troglodytes passait sous les fondations du château.

« On suppose un effondrement, rue de la Porte du Nord. Savez-vous que la roche des galeries a servi à la construction du village ? Le départ de ce tunnel subsiste encore au château, il s’enfonce pendant quelques mètres sous la cour d’honneur, mais n’aboutit à rien. En revanche…

Ils se tenaient tous les trois pliés sous la voûte dans l’incertaine lueur de leurs torches qui transformait leurs visages en masques grotesques, lorsque Pierre envoya un faisceau sur leur droite vers une excavation qui formait une bifurcation avec la galerie montante, s’enfonçant à l’horizontal dans les ténèbres.

- …en revanche, disais-je, ce tunnel n’a pas été bouché et donne dans la sacristie de l’église de Soutrain… mais il fait plusieurs kilomètres…

Polycarpe comprit que Gix s’impatientait, aux jets de vapeur qu’il soufflait par le nez. Il interrompit le comte :

- Je suggère d’avancer, nous serions plus à notre aise à ciel ouvert, pour deviser.

- Il n’y en a plus pour longtemps, maintenant, nous sommes à cinq minutes de la sortie. Je voulais aussi vous montrer cela.

Sa lampe fit apparaître un cœur naïf où s’entrelaçaient les initiales des amoureux d’antan surmonté de l’inscription maladroite : « Pour la vie ».

- Promesse de gascon, ricana Gix, les nerfs en pelote.

Ils gravissaient la côte, courbés sous la voûte et leurs respirations résonnaient ainsi que le bruit de leurs semelles sur les caillasses, lorsque soudain, la lueur verdâtre du jour leur apparut par une ouverture qui leur paraissait minuscule, en haut d’une sorte d’échelle taillée dans la roche.

- On ne sortira jamais par cette fente ! fit Gix.

- Il y a une astuce : c’est une pierre tournante. Ah, vous comprenez maintenant la nécessité d’être accompagnés !

- Plus jamais tu ne m’entraîneras dans ce genre de traquenard à la con, Poly, dit Gix.

Se hissant sur les encoches, leur guide appliqua son poing à un endroit précis, incurvé en forme de coquille, et la pierre bascula sur le côté, comme un vulgaire décor en carton-pâte, révélant une issue assez large pour s’extraire du gouffre.

- Ce rocher de schiste repose sur une arête effilée et comporte une masse égale de part et d’autre... La moindre poussée le fait basculer. Et il ne s’enfonce pas en terre ayant été disposé sur un bloc que les concepteurs du souterrain ont creusé d’une rigole. Astucieux, mais il faut connaître...

Ils s’extirpèrent du souterrain avec des soupirs de soulagement et se débarrassèrent de leurs pulls, surpris par la chaleur de l’air. Gix s’affala sur le sol les bras en croix :

- Ouf... Je viens de me découvrir claustrophobe ! 

- Voilà comment Biros est arrivé chez moi, l’autre jour : il est tombé par la fente en gratouillant sous la pierre... Je distingue des traces, ici...

Pierre attrapa une branche et fit levier : le rocher bascula de nouveau sans que son aspect moussu n’en soit détérioré.

- Et pour le faire basculer depuis l’extérieur, comment faites-vous ?

- Il suffit de passer le bras ou un bâton dans la fente et d’exercer une pression modérée. C’est bien conçu : même si quelqu’un s’assied dessus, le rocher ne bronche pas... Eh bien, messieurs, vous venez d’être initiés au « Passage des Huguenots » dont les de Touche se sont transmis le secret de père en fils.

Pierre prit un air mutin :

- J’ai monnayé impudemment ce noble secret quand j’étais gamin, mon père étant d’une rare pingrerie. J’imagine que, de bouches à oreilles, le souterrain est connu de toute la commune.

Courroucé, Polycarpe vint se dresser devant lui :

- Je vous reproche vigoureusement d’avoir omis de m’en parler quand nous nous sommes rencontrés... C’est un accès direct à ma maison. N’importe quel malfaiteur peut s’infiltrer chez moi ! Je ne vous cache pas que je suis profondément choqué par votre désinvolture !

- Tu vas me faire sauter ce passage à la dynamite, Poly !

- Acceptez d’humbles excuses, monsieur Houle. J’admets que l’idée ne m’a pas effleuré : j’étais convaincu qu’il était effondré.

- Hum ! Alors, si vous ignoriez l’état de notre souterrain,  comment savez-vous que le boyau qui mène à la sacristie de Soutrain  est en bon état ?

Polycarpe ne parvenait pas à se faire une opinion sur la bonne ou la mauvaise foi de Pierre de Touche.

- C’est tout bête : je tiens l’info de Démosthène, le petit curé. Il est fondu de spéléo. Il a fait le trajet de la sacristie aux troglodytes, contactez-le, il vous en parlera…

- Mais oui ! Je le savais, Ulysse m’avait parlé de ce petit curé ! fit Polycarpe. Au fait, pourquoi utilisez-vous tous ce diminutif affectueux de «  petit curé » ?

- Ah ! Ne l’avez-vous jamais rencontré ? Quand vous le verrez, vous comprendrez ! s’exclama-t-il, avec un rictus entendu, tout en  s’éloignant.

- Il est curieux, ce type ! constata Gix.

- Quelques unions consanguines auront peut-être abâtardi la race. Quoiqu’en comparaison de sa sœur Iseult, il s’en tire plutôt bien.

- Tout de même, il prend l’agression de sa sœur avec une insouciance surprenante.

- Elle lui en a fait voir des vertes et des pas mûres, il est certainement blindé.

Ils le rejoignirent et tous les trois descendirent à travers le petit bois.

Après que le comte les eût quittés en bas de la ruelle pour regagner sa demeure, Gix s’ébroua en soupirant qu’il se sentait patraque après ce voyage au centre de la terre. Il paraissait d’autant plus pâle et défait que les gens qu’ils croisaient, regagnant maintenant leurs véhicules pour rentrer chez eux, avaient la mine reposée, enluminée de coups de soleil.

- Attention, rangeons-nous !

La calèche attelée à Bourrache les dépassa en brinquebalant le long du sentier. Sous les soufflets de la capote, relevée pour l’occasion, se tenaient Jaco et son copain, pétrifiés de bonheur, à côté de Calamity dans sa robe maintenant fripée, les cheveux défaits, qui les héla avec son sympathique sourire :

- Vous n’êtes plus à cent pieds sous terre !

En parvenant sur le pré, elle lâcha les rênes et arrêta la calèche sous un grand arbre. Bourrache se remit à brouter aussitôt et les deux garçonnets sautèrent sur le pré. Jaco courut en direction de Polycarpe et de Gix qui retrouvaient les bénévoles recrus de fatigue, effondrés sur des chaises dispersées ça et là sur la prairie. Flora les avait rejoints.

- On a gagné le concours, monsieur Houle, dit-il.

- Je ne connaissais pas à mon rejeton ces talents de pêcheur ! dit Mama. Rendez-vous compte, à eux deux, avec son petit copain, ils ont pris plus d’une douzaine de truites !

Gix sifflota en regardant ailleurs, les pommettes contractées par un rire contenu.

- Qu’avez-vous ? Ne me dites pas ce que je crains d’entendre... J’espère que vous n’avez pas favorisé Jaco et qu’il ne s’agit pas d’un coup monté !

- Moi ? Je n’y suis pour rien. J’ai rejeté tous mes poissons dans l’eau.

- D’accord, d’accord, dit-elle, avec un languissant accent créole.

Imogène, accoudée à une table, le menton entre les mains, les apostropha :

- Hé ! les aventuriers, avez-vous découvert l’arche perdue ?

- Voulez-vous parler du graffiti d’amoureux, au milieu du souterrain ?

- Cette expédition a été épouvantable, dit Gix. J’étais venu pour pêcher, je vous signale ! 

Polycarpe, profitant du calme revenu après l’agitation de la journée, voulut prendre quelques nouvelles de Petit Lu et s’approcha d’Évariste. Celui-ci entassait dans une grande bassine divers objets qu’il avait apportés de chez lui, le matin : des éponges, des torchons, un décapsuleur et une agrafeuse.

- Je suppose que vous êtes satisfait pour votre fils. À propos, nous ne l’avons pas vu de la journée.

- Il est probablement chez sa copine.

Il afficha une moue fataliste en saisissant la bassine pour se diriger vers sa voiture qu’il avait ramenée et garée à proximité.

- Je crois qu’il est enfin rentré dans le rang, c’est pas trop tôt ! dit-il, en s’asseyant derrière son volant. Ah ! Au fait, ma femme vous transmet le bonjour !

Il fit un signe amical et démarra. Polycarpe, pris au dépourvu, lança  un « Moi de même ! » en se retournant vers le petit groupe.

- Est-ce que madame Verpré est séquestrée ? Nous ne l’avons jamais vue !

- Vous n’y êtes pas, Poly, répondit Imogène. Madame Verpré, c’est l’anti-Lagardère, elle ne vient pas aux autres, ce sont les autres qui viennent à elle. Félicité est un parangon d’autorité.

Elle s’adressa aux autres :

- Je n’exagère pas, n’est-ce pas ?

- Félicité ? N’est-elle pas infirmière aux Treilles Blanches ?

- L’avez-vous déjà rencontrée ?

Polycarpe fit un signe affirmatif en roulant des yeux stupéfaits. Basile intervint :

- Vous comprenez pourquoi Évariste est tant dévoué à l’association : il a besoin de prendre l’air !

- Son Évariste, elle le fait tourner chèvre ! dit Mama.

Polycarpe s’étonna :

- Avec le fiston, elle est plutôt coulante !

- C’est son beau-fils. Évariste s’est remarié !

- Les mystères de l’amour ! risqua Polycarpe qui avait en mémoire les formes disgracieuses de l’infirmière et ses plaisanteries de corps de garde.

- De l’amour, ah, ah ! Laissez-moi rire, dit Flora. Comme d’hab, entre homme et femme, c’est des rapports de dominant à dominé. À vous dégoûter de vivre en couple hétéro !

- Ne fais pas de prosélytisme, Flora, reprocha Basile.

- Pas de commentaires, mon Baba, rétorqua-t-elle, avec une douce fermeté.

La camionnette des frères Givet fit irruption dans le chemin et fit une manœuvre en marche arrière pour se garer près du chapiteau. Aimé et Clovis chargèrent le gros matériel tandis que tous se mirent à remballer la vaisselle, ramasser les déchets, empiler les chaises, transporter cartons et caisses avec une vivacité et une efficacité époustouflantes.

Et ce fut l’instant choisi par Constance Sirre pour faire son apparition.

- Désolée, dit-elle, j’ai été malade comme un chien toute la nuit dernière et je m’en remets tout juste... Ç’a été ?

Il y eut un court flottement ; ils échangèrent des regards éteints avant de formuler d’évasives réponses. Flora attira Polycarpe et Basile à l’écart et leur chuchota quelques mots.

Exténué, Gix se laissa tomber sur une chaise en attendant la fin du conciliabule.

- Je vais y aller, Poly, lança-t-il.

- Je rentre aussi.

Ils adressèrent de la main un bonsoir collectif et remontèrent le chemin.

- Je serais curieux de connaître le nouveau scoop que vous a confié cette originale sexagénaire. 

- Te rappelles-tu l’incident de l’appel anonyme, le jour du repas créole chez Mama ? Eh bien, le « corbeau » a peut-être dit vrai : la voiture de Constance est restée garée dans la cour d’Anatole toute la journée. Elle n’était pas malade comme un chien, comme elle le prétend.

- Après les agressions et les souterrains, on s’ennuyait un peu depuis quelques heures, fit Gix, atterré. Est-ce que tu envisages sérieusement de te fixer à Rochebourg ?

Polycarpe eut un petit mouvement satisfait des épaules.

- Parfaitement. L’ambiance est stimulante !

 

Dès qu’il ouvrit les yeux, le lendemain matin, il repensa à l’exploration de la veille. La nuit portant conseil, il lui paraissait subitement évident de ne pas condamner définitivement l’accès au souterrain en déversant une toupie de béton par la trappe. Ne serait-ce pas faire preuve d’une certaine barbarie, malgré tout, que de faire disparaître la petite salle ronde sous l’échelle de pierre ? Ne serait-ce pas commettre un acte de vandalisme de massacrer ce patrimoine archéologique, même si la prudence exigeait de se garantir d’une éventuelle intrusion ? Il ferait poser une trappe pourvue d’un système de verrou tournant, inviolable côté souterrain.

Il se sentait complètement anéanti : l’agression d’Iseult, la foule du concours de pêche, l’exploration des galeries, lui avaient pompé beaucoup d’énergie. En pyjama, traînant ses mules, il transporta dehors son fauteuil-paon dans lequel il lézarda sous la caresse d’un soleil encore timide. En fermant les yeux, il eut la douce impression de se fondre dans la lumière dorée qui transperçait ses paupières et, détendu, se rendormit un moment.

Les accélérations et décélérations caractéristiques de la voiture du facteur qui manœuvrait dans la ruelle pour porter son courrier le ramenèrent à la réalité. Dans de bien meilleures dispositions après ce petit somme en plein air, il inséra dans sa chaîne des chants corses a cappella qui agrandirent aussitôt les proportions de la maison, lui donnant l’impression d’entrevoir sa cheminée à l’horizon d’un gigantesque moutonnement de montagnes. Il monta au premier, se doucha énergiquement, enfila des vêtements légers, avant d’aller chercher le courrier sous le porche de la grange.

Parmi diverses paperasses publicitaires, une enveloppe décorée à l’anglaise, de foisonnantes roses enchevêtrées, lui sauta aux yeux.

Une lettre de Lily, enfin !

Sa fille écrivait peu au prétexte qu’elle préférait téléphoner bien elle n’appelât pas souvent. Mais ses courtes lettres lui apportaient un plaisir particulier : il pouvait relire plusieurs fois les mots dont l’écriture lui ressemblait tant. En bref, le panachage du courrier et du téléphone était indispensable à leur relations.

 
Mon cher Papycarpou !
 

Tel était le sobriquet dont l’avaient affublé ses petits enfants, Jacobine et Zorba, aujourd’hui âgés de 7 et 5 ans.

 
Nous venons en France au début du mois prochain pour faire la tournée de nos amis français et nous mourrons d’envie de connaître ton logis. Nous pensons rester quelques jours chez toi, avant d’entreprendre notre périple. Qu’en penses-tu ? Nous sommes tous les quatre en bonne forme, contents d’être en vacances. Witson t’embrasse ainsi que les petits. A bientôt !
 

Polycarpe eut un sursaut de joie, cala la lettre sous le sucrier et fila immédiatement chez Basile pour réserver une de ses nouvelles chambres.

La rue était envahie d’une ribambelle d’engins de travaux publics orange et de véhicules zébrés de bleu à l’enseigne de la Générale des eaux. Des tracés indiquaient déjà l’emplacement de futures tranchées. De nombreux ouvriers déambulaient autour de leurs chefs qui donnaient les instructions. Les travaux d’assainissement étaient imminents.

Le débit de boissons rochebourgeois, fenêtres et portes grandes ouvertes, était dans le même état que la veille, le carrelage n’avait pas été lavé et Basile lisait tranquillement le journal en buvant un café, le cheveu ébouriffé.

- Oh, oh ! La grande forme, à ce que je vois ! dit-il, en voyant entrer Polycarpe. Après une journée comme celle d’hier, je suis en grève et si vous voulez un expresso, Poly, allez vous le faire vous-même...

- Voulez-vous que je vous donne un coup de main ? Je peux très bien laver par terre, si vous voulez !

Il passa derrière le bar, remplit la cassolette du percolateur avec le café contenu dans un petit tiroir en inox et mit la machine en route, sous l’œil intrigué de Basile.

- Que cache cette soudaine serviabilité ?

- J’ai reçu de bonnes nouvelles, ce matin. Ma fille et sa famille vont inaugurer votre auberge, Basile. Ils s’annoncent début Août pour plusieurs jour. Mais je ne peux pas les loger, mes chambres sont sordides... Aussi, je pensais...

- Que je devrais me hâter d’aménager les chambres, c’est cela ?  Eh bien...

Basile laissa durer le suspens.

- L’une d’elles est finie, figurez-vous ! Flora m’a confectionné des doubles rideaux et un dessus de lit en deux temps trois mouvements. J’ai acheté un grand lit, une armoire en pin, des lampes de chevet en laiton et un tapis, qu’on m’a livrés la semaine dernière. Vous voulez la voir ? Venez...

- Ils ont deux enfants, annonça Polycarpe, en montant l’escalier derrière Basile.

- La pièce est suffisamment spacieuse pour loger deux petits lits. Voici la salle de bain.

Il ouvrit une porte dans le couloir sur une petite pièce au confort spartiate, carrelée de blanc.

 - Je vais faire passer un plombier et installer un ballon d’eau chaude. Promis, ce sera prêt pour vos enfants, et voici la chambre : il n’y a plus qu’à cirer le parquet.

La chambre était accueillante avec ses couleurs fraîches : ses boiseries parme, ses murs lavande et ses tissus à petites fleurs bleues. Basile ouvrit la fenêtre qui donnait sur la rue et les champs à perte de vue.

- Je vais aérer tous les jours, pour éliminer cette odeur de peinture... Tenez, d’ici, on aperçoit le moulin de Flora, le petit pont qui passe la Gourmette traverse sa cour. Vous devriez y aller, elle vous montrera sa propriété... et là-bas, en haut de la prairie, c’est le ranch...

Polycarpe reconnaissait la disposition en U des bâtiments.

- Sur la droite, derrière le bouquet d’arbres, au milieu des champs, le petit bout de toiture rouge, c’est la maison des Verpré. Et là-bas, c’est la ferme d’Anatole. C’est de là que Flora a repéré la voiture de Constance dans la cour.

Il eut un grand rire de farceur, en calant les battants de la fenêtre avec le cran de l’espagnolette.

- Je me fais peut-être des idées, Polycarpe, mais j’ai remarqué qu’Imogène vous drague.

- Elle fait pourtant beaucoup d’efforts pour reconquérir son barbu !

- Mouais. Je n’y crois pas.

Soudain, une voix masculine monta du rez-de-chaussée :

- Hou, hou ! Il y a quelqu’un ? Basile, vous êtes là ?

L’intonation leur sembla dramatique et ils dévalèrent les marches. En faisant irruption dans la salle du café, ils découvrirent Pierre de Touche, au milieu de la pièce, qui se soutenait au dossier d’une chaise et se frottait machinalement le visage, l’air ravagé.

- Ulysse Côme est en garde à vue... Iseult l’accuse d’avoir voulu la tuer ! Donnez-moi quelque chose à boire, Basile. Elle affirme aussi qu’il a assassiné Léon Cornu.

Basile s’empressa de lui servir un whisky bien tassé.


 à suivre...

19:20 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |

15 avril 2006

Mes valises sont bouclées...

Une semaine de Ski, Sun & Snow... Bye bye... See you soon !

18:34 Écrit par Claudine dans Loisirs | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |

12 avril 2006

Les aventures de Polycarpe - 18 ème épisode

   LE VIEUX LOGIS 

CHAPITRE XVIII

 où l'on découvre :

un coeur d'artichaut cocu, un franc-maçon homo, un apiculteur grognon,

mais à part ça tout va bien...

Basile alignait les merguez et les saucisses au-dessus des braises qui répandirent rapidement un fumet appétissant tandis que Calamity armée d’une trancheuse à pain remplissait maintenant une manne de grosses tartines. Évariste versait des sacs de frites précuites dans les bacs grillagés de la friteuse. Quelques affamés commençaient à s’agglutiner près de l’étal où se trouvaient les plateaux et les assiettes.

- Quand vous entendrez la cloche, c’est qu’une fournée de saucisses sera cuite à point, lança Basile.

- Si nous allions nous asseoir à l’ombre en attendant Gix et les Sarrasin, Mama ? proposa Polycarpe. Je vais chercher une grande bouteille de limonade. Je meurs de soif...

- Jaco et son copain nous rejoindront aussi pour manger. Je leur ai dit que nous serions dans les parages. Ils ont déjà pêché plusieurs poissons.

- Et Muguette ?

- Elle traîne je ne sais où, avec ses amies,  j’ai rendez-vous avec elle à cinq heures pour lui confier les petites avant la remise des prix...

- Ah... Excusez-moi, dit Polycarpe, je dois dire un mot à Berouette.

Il rejoignit le cantonnier qui descendait le sentier, lui donna une poignée de main et ils échangèrent leurs opinions sur la météo.

- Je voulais vous parler, Berouette. À propos de Cornu. Vous avez bien dit que vous l’aviez découvert mort, le jour de la Toussaint.

- Ouais ! Parce que ?

- Qu’avez-vous fait, quand vous l’avez trouvé ?

- J’ai appelé le docteur de garde qu’a pas traîné pour venir : dix minutes plus tard, il était là. « Crise d’asthme, qu’il me dit, mais c’est pas d’aujourd’hui, vu les marques violettes sous la peau, c’est un décès qui remonte à plus de quarante-huit heures. »  Après quoi, il a écrit le permis d’inhumer.

- Aviez-vous l’habitude de vous rendre au logis ?

- Pas spécialement.

- Et alors, pourquoi cette fois-là ?

- La veille au soir, je suis allé faire le tour du bourg après le film du soir à la télé. Y avait de la lumière à l’étage de ce qui est votre maison maintenant. Voilà-t-y pas que j’ai pensé : « C’est pas normal qu’il laisse flamber les ampoules, ça y arrive jamais, radin comme pas deux ! » Ça m’a turlupiné et, vous me croirez ou pas, mais le lendemain matin en repassant devant, j’ai le réflexe de lever les yeux et je vois qu’une ampoule brûle en plein jour ! J’avais vu juste : de son vivant, il aurait pas gaspillé comme ça, fallait qu’y soye mort. Parce qu’y était : mort de chez mort ! 

- Ça, c’est un scoop, Berouette. Merci !

Polycarpe, reconnaissant, porta trois doigts à sa tempe, dans un geste de salut un peu grandiloquent qui, nonobstant, flatta le cantonnier.

 

Une bouteille embuée de fraîcheur et des verres en plastique à la main, il rejoignit ensuite Marie Bulu sur  la berge où ils s’assirent côte à côte en regardant filer l’eau, tandis que les jumelles caracolaient autour d’eux.

La cloche de Basile retentit et, peu après, transportant leurs plateaux garnis, les gens s’attablèrent ou s’installèrent au pied des arbres. Un grand raffut provenait de la tablée des rugbymen qui échangeaient de viriles plaisanteries.

- Jésus vient de me rapporter une conversation entre Ulysse et Iseult. Celui-ci reprochait à Iseult d’être jalouse...

- Elle l’est probablement de la terre entière, ce n’est pas nouveau ! Quand elle était enfant, du vivant de son père qui la gâtait affreusement, c’était une gamine capricieuse, toujours envieuse, pour tout dire désagréable…

- À ce point ?

- Je ne sais pas vraiment comment elle a évolué ces dernières années. Après le décès de son père, il lui arrivait d’avoir des périodes de mélancolie, mais c’est avec le mariage de son frère et l’arrivée de Rosemonde qu’elle a commencé à avoir de vraies crises... de quoi ? Je ne suis pas spécialiste. Je sais qu’elle devenait enragée.

- Après tout, elle adorait son frère, elle a dû se sentir détrônée de son privilège de première dame du château...

- Ce n’est pas impossible. D’ailleurs, Rosemonde n’a rien fait pour épargner l’amour-propre de sa belle-sœur... La connaissez-vous ?

- Quand j’ai visité la chambre rouge, elle m’a accueilli de façon, on va dire : plutôt sensuelle. Je la qualifierais d’allumeuse.

- C’est aussi mon impression. J’ignore si elle éteint les feux qu’elle allume mais il se pourrait bien que son pauvre mari ait...

Mama fit un arrondi de ses bras au-dessus de sa tête, avec un sourire ironique et murmura :

- ... une ramure impressionnante. Mais cessons ces ragots, Poly. Où en sont vos travaux ?

- J’ai terminé de rafistoler mon plafond entre les poutres que je dois passer maintenant au Bondex, j’ai gratté une grande partie de la cheminée. J’attends incessamment l’entreprise Tradimod, qui m’a fait le meilleur devis…

Polycarpe choisissait quelques cailloux plats qu’il faisait ricocher à la surface de l’eau.

- Savez-vous que nous allons, Gix et moi, tenter de résoudre le mystère de la disparition de Biros, cet après-midi ? On va explorer le passage qu’il a suivi pour revenir au logis, probablement une galerie souterraine qui relie mon cagibi au petit bois... Après cette exploration, on saura peut-être si le ou les assassins de Cornu ont emprunté le souterrain...

- Que dites-vous, Poly ?

- Depuis que nous avons retrouvé la montre de Cornu, et que j’ai identifié le voleur, tout un faisceau de circonstances me fait penser que Cornu a été assassiné...

Mama lorgna soudain son ami d’un air ulcéré, se leva en replaçant l’étoffe de sa tunique et articula à quelques centimètres de son visage  :

- Êtes-vous introverti, Poly ? Vous ne m’avez jamais rien dit... Ni du voleur, ni de cette hypothèse de meurtre...

Elle haussait le ton, les mains à la taille :

- Je crois bien que vous ne me faites pas confiance ! Je suis vraiment déçue ! Ah ! Ça ! Oui, déçue-déçue…

Polycarpe était surpris par ces reproches imprévus et se défendit :

- Quelques présomptions, des idées en l’air... Je n’allais pas battre le tambour… En plus, vous n’allez pas me croire bien sûr, mais j’étais convaincu que vous vous seriez gaussé de mes soupçons…

  - Gaussé ! moi ? Allons donc ! Écoutez, monsieur « Je-me-la-joue-perso », je vous donne une chance et une seule de vous amender, maintenant et tout de suite. Sans quoi, entre nous, ce sera terminé ! Je vous préviens ! Alors ? Racontez !

Polycarpe tendit les bras et enserra les épaules de Mama avec une expression à la fois tendre et ironique :

- Merci, chère Mama, de me donner encore une chance… Bon, voilà : j’ai entendu le témoignage de  Petit Lu qui se trouvait  chez le magistrat le soir de sa mort...

- Chez le magistrat ! Que faisait-il ? Commencez au moins par le commencement !

- Permettez-moi d’être discret à ce sujet, Mama, j’ai promis. Petit Lu est notre voleur de montre.

- Tiens donc !

- C’est également le voleur de Chimène, je suppose que vous avez entendu parler de ce cambriolage. Il avait été surpris par le juge qui l’avait convoqué pour lui donner une bonne leçon, j’imagine. À l’heure qu’il est, l’affaire est réglée, Petit Lu a remboursé.

« En bref, ses déclarations concordent avec les révélations de la vicomtesse poignardée : ils se trouvaient tous les deux chez le vieillard le soir du trente et un octobre à dix-sept heures. Le médecin a délivré un permis d’inhumer, sans avoir le moindre soupçon, certain que le bonhomme était bien décédé d’une crise d’asthme, la veille : Berouette me l’a confirmé, tout à l’heure.

« Ce qui me tarabuste, c’est que le juge est bien mort alors même que Petit Lu et Iseult se trouvaient au logis ! »

- Et moi qui croyais que le logis était un bunker, je m’aperçois qu’on y entrait et qu’on en sortait comme dans une pièce de Boulevard.

- En tout cas, Iseult a dit avoir « vu » et puis « cru voir » Ulysse  étouffer Cornu, elle lui a même écrit et l’a accusé lors d’une altercation que JR a fortuitement surprise. Lequel Ulysse, qui était parti soi-disant en vacances, se trouvait encore à Rochebourg au moment de la mort de Cornu. Vous suivez ?

- Fichtre ! Le jeune affairiste est en mauvaise posture : tout l’accuse ! Et l’agression d’Iseult l’accable : qui d’autre que lui  aurait eu intérêt à la faire taire ? Petit Lu ?

- J’en doute, il est du genre pétochard et voleur de poules… Non, j’avais imaginé le vieillard victime d’un arrêt cardiaque ou tout autre mort subite… mort qui aurait pu être astucieusement exploitée par Iseult pour se venger d’un amour contrarié…

- À condition de ne pas se réveiller un an plus tard, ça fait un peu réchauffé…

- En découvrant le souterrain, Biros nous a peut-être indiqué le chemin emprunté par l’assassin. Nous serons bientôt fixés sur cette possibilité.

- Il doit y avoir des éboulis, c’est dangereux !

En se rapprochant, Gix et les époux Sarrasin  avaient entendu la fin de la conversation.

Polycarpe fit un « chut » discret à l’adresse de Mama. Inutile de ratiociner sur des faits improbables.

- Les téléphones portables ne marchent pas sous terre, alors, si vous n’avez pas de nouvelles de nous à la nuit tombée, lancez l’alerte ! dit Gix, dans leur dos.

- Ne parlons pas de malheur, dit Mama. Nous en avons assez comme ça. Avez-vous fait bonne pêche ?

- J’ai pris trois belles truites, répondit Sarrasin. Mais Lucie m’a battu : elle en a pêché quatre.

Ainsi, madame Sarrasin portait le surnom donné à la célèbre australopithèque. Polycarpe n’aurait pas osé imaginer une telle coïncidence. Il sourit à cette petite femme qui rosissait d’une fierté naïve :

- Ce n’est pas une pêche miraculeuse, dit-elle, le monsieur qui pêchait à côté de nous en a pris huit. Et des comme ça...

Elle montrait la longueur de sa main noueuse et ajoutait celle de son poignet.

Sarrasin prit un air soupçonneux.

- Vous auriez dû fouiller les casiers avant le concours, il y a forcément des gars qui auront apporté des poissons pour gonfler le score.

- Quelle idée, monsieur Sarrasin ! gronda Mama. Et quand bien même ! Pour gagner un tour en calèche, vraiment, ça ne vaut pas le coup de tricher !

- Elle a raison, dit Lucie Sarrasin, en secouant la tête énergiquement avec une moue chagrinée par la réflexion de son mari. Nous sommes ici pour passer une bonne journée, nous n’allons pas chipoter.

Le chipoteur s’écrasa, en effilant les pointes de ses moustaches.

- Et votre progéniture ? demanda Gix.

Lucie répondit précipitamment, en jetant un regard noir vers son époux, avant qu’il ne déballe quelque querelle privée :

- Ils se sont trouvés un autre coin de pêche et ils se débrouilleront pour déjeuner sans nous.

Le son éraillé et insolite d’un cor de chasse leur parvint de l’esplanade centrale, près du barbecue. Un énergumène improvisait un solo et vivait là son heure de gloire, même si l’assistance paraissait subir un préjudice fâcheux et tordait le nez. Le gars, efflanqué, la trogne enluminée, leva soudain son cor en moulinant au-dessus de sa tête puis, achevant son aubade, le plaça sous son bras avant de s’éloigner, seul et en titubant.

- Lui, c’est Fanfan Roberto, dit Mama. Le père de Jésus.

Elle appela les jumelles qui tournaient sur elles-mêmes pour s’étourdir. Elles rejoignirent leur nourrice et Lucie Sarrasin qui se dirigeaient vers le barbecue tandis que les trois hommes, s’apprêtaient à suivre, légèrement en retrait.

 

- Votre Corbeau était fiché franc-maçon, murmura Sarrasin. Il avait été pris deux fois au cours de rafles dans un quartier chaud... Apparemment sans conséquences judiciaires puisque le quidam a démissionné de la magistrature. Il est vrai qu’à cette époque, on préférait fermer les yeux sur les perversités des notables en vue du moment que les apparences restaient sauves. Corbeau a aussi démissionné de la GLNF à la même période, probablement furieux de n’avoir pas été soutenu par ses « frères ». Voilà. C’est tout ce que j’ai.

- Et le gars qui a hérité de lui m’a donné quelques détails croustillants : Corbeau était homo, option sado-maso, dit Polycarpe, l’air faussement détaché.

-  Jolis cocos ! dit Gix.

 

Le couple de Touche approchait. Pierre avançait à foulées lentes, les doigts négligemment glissés dans les poches, les coudes près du corps et les épaules en arrière. On avait l’impression qu’une invisible corde le reliait à Rosemonde, légèrement en retrait, comme halée au niveau de la taille, le bassin projeté vers l’avant et qui ne dépliait pas complètement les genoux en marchant ; elle balançait avec nonchalance une pochette dorée, assortie à ses ballerines. Elle plissa son visage slave d’une expression suave. Celui du comte s’éclaira en voyant Polycarpe qu’il entraîna à l’écart, avec un sourire enjoué, l’œil brillant :

- Votre vision était prémonitoire, n’est-ce pas ?

Polycarpe déglutit de travers. Le comte lui appuya cavalièrement la main sur l’épaule :

- Je plaisantais. J’aurais quelque chose à vous montrer… un phénomène tout à fait surprenant qui vous rassurera sans doute sur votre santé mentale mais qui, hélas, fiche par terre la théorie des ectoplasmes ! Gardons ceci par-devers nous...

Polycarpe suffoqua avant d’articuler péniblement :

- Vous reconnaissez donc une supercherie !

Le comte eut un haut-le-cœur :

- Allez-vous cesser de me prendre pour un imposteur ! Je vous dis que c’est un phénomène optique… J’ai passé des heures et des jours à essayer de comprendre…

- Qu’attendons-nous pour le constater et … le faire constater !

- Que certaines conditions de luminosité, de météo, soient réunies au même instant. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Je vous promets de vous appeler dès que le phénomène se produira.

Le comte s’adressa au groupe :

- J’arrive de l’hôpital où j’ai pu voir Iseult. Malheureusement, son discours est incohérent et elle ne se rappelle rien. Une enquête est ouverte mais je n’ai aucun renseignement. Ce qui m’importe essentiellement, vous pensez bien, c’est qu’elle recouvre sa santé.

- Sa santé physique... rectifia perfidement Rosemonde.

- C’est extrêmement inquiétant, dit Lucie Sarrasin. Je serais morte de peur à votre place, avec un criminel  dans le village.

- Il n’y a aucune raison, trancha son mari. La plupart des agressions sont passionnelles et les gens se font assassiner par le premier cercle... sauf, évidemment, dans les cas de schizophrènes tueurs en série... Je ne vous vise pas, monsieur le comte, ajouta Sarrasin en lissant ses bacchantes.

- Et, qui sait ? rétorqua Pierre.

Son regard étincela d’une énigmatique lueur qui tournait ce commentaire en dérision et Sarrasin toussota en réajustant son col de chemisette.

- Ça suffit ! trancha Mama. Nous n’allons pas faire l’enquête nous-mêmes et il n’y a pas de mort à déplorer. Allons déjeuner.

Le petit groupe s’éparpilla et Polycarpe se rapprocha du comte pour le questionner cette fois à propos des souterrains.

- J’ignore leur état actuel car la roche est calcaire et peut avoir subi des infiltrations. Mais nous en avons exploré quelques uns, autrefois, quand nous étions enfants. C’était une de nos distractions favorites. Nous y allions en cachette, naturellement, car Mère nous couvait affreusement. Ce fut un lieu d’expériences diverses et nous y avons fumé nos premières cigarettes...

« Emploie-t-il le « nous » de majesté ? » se demanda Polycarpe.

- Avec ma sœur, et quelques garnements du village que Mère me reprochait de fréquenter. Certains que voici justement...

Il désignait du regard Imogène qui se dirigeait vers eux, accompagnée d’un Anatole Cordet renfrogné par principe, derrière sa barbe.

- Et que voilà... dit-il, en tendant la main à Berouette.

L’employé communal interrompit sa trajectoire empressée pour saluer le comte avec raideur et, gêné de se compromettre  avec l’aristocratie locale, fila rapidement.

- Je n’étais pas bégueule dans le choix de mes camarades de jeux, dit Pierre.

Imogène lui saisit familièrement l’avant-bras.

- Pierre, te rappelles-tu encore notre petit secret ?

Elle s’adressa aux autres :

- Dans un souterrain, il y a quelque part un cœur gravé avec nos deux initiales...

- « Te souviens-tu de notre extase ancienne ? » cita Pierre, tandis qu’affleurait sur son visage une certaine nostalgie condescendante pour leurs vertes années.

- J’en apprends tous les jours, grommela l’apiculteur.

Rosemonde s’approcha d’Anatole, la bouche en cœur, et susurra :

- Il y a une bonne demi-douzaine de cœurs gravés dans les ruines : mon époux était un véritable cœur d’artichaut.

Pierre agita l’air d’une main souple pour envoyer cette réputation aux oubliettes, tout en gardant sur le visage l’empreinte émoustillée de ces réminiscences.

- Pour en revenir aux souterrains, dit-il, l’un d’eux aboutissait au logis, le saviez-vous ?

- Eh bien, voilà ! C’est précisément ce que je pensais. Mon ami Gix et moi, avons l’intention de l’explorer...

Pierre de Touche se rembrunit.

- Il doit être impraticable à l’heure qu’il est...

- Ce n’est pas certain. Nous voulons vérifier.

- Il serait plus prudent que je vous accompagne, je connais les galeries comme ma poche...

- Eh ! bien, joignez-vous à nous cet après-midi : vous ferez le guide !

- Parfait. Prenez des tenues confortables et des lampes puissantes. Je vous retrouverai vers quinze heures au logis.

20:38 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

08 avril 2006

Il faut lire : "révélations" avec un S... bien sûr !

18:25 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (7) |  Facebook | |  Imprimer | |

Les aventures de Polycarpe - 17ème épisode

LE VIEUX LOGIS
 
CHAPITRE XVII


Où Jésus fait quelques révélation surprenante concernant Ulysse
 
Ils longèrent la berge un moment avant de dénicher un talus inoccupé à l’ombre d’un respectable saule. Et tandis que Gix sélectionnait son matériel, en fonction de l’heure, du temps, de la lumière et de la température, Polycarpe s’adossa contre l’arbre, extirpa son bouquin de sa poche, rechercha la page qu’il avait marquée d’une corne, lut quelques lignes, l’esprit ailleurs, pour finalement refermer Le quartier  de Médora  sur son index.
- Tu sais que, décidément, ma nouvelle vie n’est pas une sinécure, Gix. Je vois des ectoplasmes... La vicomtesse se fait poignarder à l’endroit précis où j’ai eu ma vision... Je crois que ma maison comporte un souterrain qui aboutit dans les bois... Je succède à un juge détraqué qu’on a peut-être assassiné... et à un contrefacteur de demeures anciennes qui est peut-être le meurtrier... Si tu acceptais de m’escorter dans ce souterrain, je voudrais bien l’explorer mais pas seul.
Gix qui coinçait un fil de nylon dans ses dents, lui lança un œil distrait.
- T’es chérieux ?
- Han-han !
Ayant disposé ses plombs avec bien des hésitations, choisi la cuiller idoine, appâté et tenté à trois reprises de lancer son fil à un endroit précis du courant, sans cesser d’épier son bouchon, Gix fut alors en mesure de revenir à la conversation, effectuant un zoom arrière, le ton et l’air moqueurs :
- Tu disais quoi, à propos des assassinats d’ectoplasmes ?
- Gix !
Polycarpe eut un petit hoquet d’hilarité puis fit une brève rétrospective de tous les faits qui le troublaient, depuis le fantôme de Petit Lu jusqu'au passé sulfureux du juge, en passant par la vision du meurtre par Iseult et par l’héritage, survenu étrangement à point dans l’existence d’Ulysse Côme. Même s’il ne savait pas qui était le coupable, il était maintenant convaincu que le vieux magistrat n’était pas mort naturellement. Il y avait trop de nervosité ambiante qui noyait cette disparition dans un flou suspect.
- À t’entendre parler ainsi, dit Gix, on pourrait penser que ton juge a été victime de meurtriers associés... Mais pour quelles raisons et dans quel but ?
Des voix et des piétinements se rapprochaient et ils s’interrompirent.
Une petite femme rabougrie, habillée en marron, la figure farouche tendue vers l’avant et coiffée en pétard - qui faisait indéniablement penser à une créature paléolithique - transportant plusieurs sièges de toile dans une main et une glacière dans l’autre, entraînait dans son sillage deux  grands adolescents ramollis, une fille et un garçon, bras ballants, aux jeans marqués d’un pli de repassage, aux chemisettes amidonnées, suivis d’une sorte de Clark Gabble, à la fine moustache arrogante, l’œil pétillant, à la démarche altière, bien cambré pour compenser sa petite taille, un fagot de gaules sur l’épaule.
- Voilà les Sarrasin, fit Gix, en se mettant debout. Déjà ? lança-t-il ironiquement.
- Nous avons eu un léger contretemps.
Sarrasin fixa de façon insistante ses deux enfants, apparemment coupables d’une dérogation aux lois familiales et visiblement embarrassés. Il parut hésiter entre tout déballer ou traiter l’incident par le mépris. Il opta pour le mépris, ce qui eut l’effet d’un lifting instantané, défroissant les rides de son front, écartant les sourcils et consolidant les commissures de ses lèvres. Avec la perfidie d’un père outragé, il ajouta, par un petit chuintement nasal, un soupçon d’humiliation bien sentie.
Polycarpe tenta une diversion :
- Avez-vous trouvé facilement un endroit pour vous garer ?
Le couple répondit en chœur :
- Ah, ça, parlons-en, c’est foutrement mal organisé, dit le mari.
- Mais oui, sans problème, dit la femme.
Malgré ses airs effacés et modestes, elle haussa le ton et prit l’ascendant, pour imposer une vision consensuelle du problème, visiblement rodée à ce genre d’exercice:
- C’est normal que ça bouchonne : il y a beaucoup de monde. Cet endroit est très agréable, nous ne connaissions pas ce village pourtant si près de chez nous. Vous habitez ici ? C’est vraiment pittoresque. Il y a longtemps qu’on s’est vus, n’est-ce pas, Gilles ? Je le regrette. Comment va votre femme ?
Sarrasin toussa. Informé des déboires de Gix, il n’avait pas transmis l’information à sa femme. il détourna la question.
- Allez Bibiche, dit-il, allons taquiner le goujon.
Il s’adressa à Polycarpe :
- Au fait : j’ai quelques renseignements pour votre gouverne. Pas de quoi se remplir la dent creuse, mais si ça peut vous être utile... On en parlera plus tard, quand les poissons feront la sieste ! Hein ?
- Où allons-nous nous installer, Michou ? demanda la petite femme.
Michou chercha le nord, calcula la course du soleil vers le zénith, prit la vitesse de la brise de son index humide, observa la direction des ombres, l’évolution des cumulo-nimbus égarés dans l’azur - les deux rejetons se lançaient de furtifs regards excédés -  et désigna une petite incurvation sablonneuse à une centaine de mètres :
– Là-bas, ce sera parfait.
Après avoir extorqué de Gix un accord peu enthousiaste pour l’exploration du  souterrain,  Polycarpe effectua, en fin de matinée, sa tournée de contrôle des tickets de participation. Il déambulait sur la berge ombragée, le long de l’eau, échangeant de cordiales considérations météorologiques avec les pêcheurs, quand il vit approcher Jésus qui tenait la longe de Godichon, sur lequel était juché un petit bonhomme peu rassuré mais les yeux brillants d’excitation.
- Alors JR, ça va comme tu veux ?
- Pas mal, dit-il, en tirant sur une cigarette qu’il tenait avec trois doigts, une mèche de cheveux sur l’œil. Il expulsa du fond de la gorge, avec application, trois ou quatre ronds de fumée et arrêta l’équipage.
Polycarpe passa la main sur les naseaux soyeux de l’âne puis souleva la molle lèvre supérieure. La dentition entartrée du bourricot indiquait ses sept ou huit ans. Il rebroussa le pelage de son flanc gonflé comme une baudruche et qui fourmillait de vermine : raison probable du symptôme de l’oreille molle. Il conseillerait à Flora de le doucher avec un jet puissant, de l’étriller avec soin et de le traiter au vermifuge.
L’animal se laissait tripoter avec reconnaissance,  les deux oreilles croisées en arrière dont l’une, en effet, repliait du bout. Il regardait Polycarpe de côté, de sa grosse prunelle à l’éclat soumis.
- Ce n’est pas un malfaisant, dit Jésus. Il est obéissant et puis il me connaît bien. J’ai planté un pieu là-bas, vous voyez ? J’ai accroché un ballon blanc, pour indiquer l’endroit où on fait demi-tour. Vous avez cinq minutes, pour m’accompagner ? Je voudrais vous parler... J’ai surpris une conversation bizarre.
- Allons-y. Je t’écoute.
Jésus tira une dernière bouffée et écrasa son mégot.
- La semaine dernière, j’ai fait une promenade avec la jument de Calamity - Elle m’autorise à monter Camélia ou Diafrane de temps en temps. J’allais tranquillos pépère, et je venais de bifurquer dans un chemin quand j’ai vu des gens : un type arrêté à côté de sa bagnole, et un cheval noir qui portait un cavalier... 
- Hue Cocotte, Yaaa ! cria le jeune enfant, en talonnant le ventre rebondi de Godichon qui donna l’impression de sourire.
- Tout de suite j’ai reconnu Mirador et la nana du château, et puis Ulysse Côme. Les voitures, Camélia, ça la rend nerveuse alors j’ai fait un détour pour les éviter, en passant derrière la futaie.
- Ulysse et Iseult… Tiens-tiens ! Et alors ?
- Ils s’engueulaient quelque chose de bien !
- À quel sujet ?
- Ils parlaient de vous, justement ! Elle disait : « Parfaitement, j’ai dit à Houle que je t’avais vu ce soir-là en train de zigouiller le vieux ! ».  Et lui : « T’es pas un peu à la masse de raconter des trucs pareils ! Quand vas-tu me lâcher à la fin, c’est un vrai harcèlement ! On n’a plus douze ans ! Laisse-moi tranquille ! » Et elle : « Ça me ferait bien mal de sortir avec un  type capable de tuer pour hériter d’un manoir ! »  etc., etc... Monsieur Houle, c’est vrai ça, qu’elle vous a dit qu’Ulysse avait assassiné Cornu ?
- Tu sais, JR, cette fille est assez déséquilibrée.
Si JR rapportait fidèlement l’altercation, Iseult ne démordait pas de ses accusations. Sa tirade au Bux’s Truck, concernant son transfert de culpabilité, n’était que du baratin. Elle persévérait dans sa conviction d’avoir vu Ulysse étouffer Cornu. Info ou intox ?
JR considéra le visage soucieux de Polycarpe, il insista :
- Je me dis qu’il y a peut-être du vrai. Vous savez, maintenant, je me pose des questions, parce que le vieux, quand il est mort, tout le monde a dit qu’il était tout seul et qu’Ulysse était parti en vacances. Mais, moi, Ulysse, je l’ai vu, dans le bois, sur la route de Soutrain. Je prenais ma première leçon de conduite avec l’auto-école de Bux. Le moniteur m’a fait rouler dans les collines et m’a fait passer par Rochebourg. En passant sur la route, là-haut, avant la descente, c’est là que j’ai vu le combi. C’était le sien, ça, j’en suis sûr.
-  Tu as quand même mis un certain temps à te poser des questions.
- Ça vient seulement de faire tilt, depuis que je les ai entendus... et surtout après les événements d’hier, pour la fille du château...
- Admettons, tu l’as vu...
- Pas lui, mais son combi garé au bord de la route. Remarquez, Ulysse, il était peut-être derrière où les vitres sont opaques.
Ils étaient parvenus au pieu signalé par le ballon, le contournèrent et reprirent le sentier en sens inverse.
 - Je me rappelle très bien quel jour c’était : le soir de ma première leçon, j’avais rancart dans un troquet du vieux quartier de Chassac, Au Bouillon de Onze Heures, qui organisait une soirée Halloween, vous comprenez, avec ce nom... Et c’était à la nuit tombante, parce que le moniteur m’a conseillé de passer en feux de croisement.
- Cornu est mort le jour de la Toussaint.
- Le jour de la Toussaint, on l’a trouvé mort chez lui. N’empêche qu’il aurait pu passer l’arme à gauche la veille, qu’est-ce qu’on en sait ?
- Le décès a bien été constaté par un médecin, non ?
- Sûrement. Je connais pas les détails. Ensuite, elle est partie au triple galop et Ulysse a fait demi-tour et a repris la route.
- Dis-moi, JR : qu’est-ce qui te chiffonne ? C’est de l’histoire ancienne après tout.
- Que Ulysse soit plein aux as depuis cet héritage, déjà, je trouve ça un peu fort de café, mais si c’est vrai qu’il a tué Cornu pour hériter, je vous dis franchement : ça serait un comble qu’il se pavane à Rochebourg sans complexe… Je l’ai vu tout à l’heure, au café, il payait la tournée en tripotant un paquet de pognon plus épais que ma paye !
- Tu fais quoi, dans la vie, JR ?
- Je bosse  à la coopérative. Au transport des palettes...
Les silos de la CAT étaient érigés sur le plateau céréalier qui s’étendait entre Rochebourg et Bux, non loin d’une ligne de chemin de fer qui comportait une voie d’accès à un quai de chargement.
- Pour en revenir à Ulysse, tu as raison, JR : on peut se poser des questions. Inversement, soupçonner un innocent, c’est la porte ouverte à toutes les injustices. Je vais me renseigner, d’accord ? Et je te tiendrai au courant. Ah, au fait, ce permis de conduire, tu l’as eu ?
- Du premier coup. Et maintenant, j’attaque le permis Poids lourds. À la CAT, ils ont besoin de chauffeurs.
Polycarpe tapota amicalement l’épaule de Jésus et allongea le pas, préoccupé par ces confidences : on pouvait en effet se demander si Ulysse n’avait pas emprunté le même chemin que Biros pour revenir dans le logis à l’insu de tous, commettre son forfait, sans savoir qu’Iseult était là, et repartir par la trappe sans croiser Petit Lu. Dans cette hypothèse, Iseult disait la vérité. Il avait attiré l’attention de « la moitié du village » au moment de son départ, peut-être intentionnellement... Ulysse n’avait pas caché son goût des affaires, voire des combines astucieuses pour gagner de l’argent... Sans éprouver énormément de sympathie pour le businessman, il ne l’imaginait pas en tueur de vieillard... Quoique, certains tueurs avaient des figures d’anges, ça ne voulait rien dire... Il fallait éclaircir ce mystère du souterrain. Mais, si Ulysse n’avait pas tué Cornu, que pouvait-il bien faire ce soir-là sur la route de Soutrain ?
Malgré tout, Ulysse semblait accumuler les raisons d’être soupçonné. Il allait jusqu’à payer sa tournée en s’exhibant, cousu d’or, sur les lieux mêmes de son forfait !
Polycarpe aurait bien aimé le rencontrer. Il le cherchait des yeux tout en allant à la rencontre de ses amis, afin de se délester du prix des entrées dont les pièces brinquebalaient dans sa poche.
Évariste avait improvisé la buvette entre trois tables en U : il décapsulait des bières ou des jus de fruits vendus au bénéfice de l’alipa, renouvelant au fur et à mesure le stock dans le vieux frigo. Des gens et de nombreux gamins se rassemblaient autour des flammes du barbecue où Basile avait lancé un feu d’enfer qu’il l’alimentait de petit bois.
Il avisa un groupe de quatre individus piqués dans l’herbe : une femme en tailleur rouge, un foulard fleuri jeté hardiment sur l’épaule, et trois hommes en vestons, aux chemises à col ouvert, les cheveux coupés au poil près et le sourire inamovible ; ils offraient une poignée de main chaleureuse aux gens décontractés en shorts et en casquettes passant à proximité.
« Ça sent l’élu à plein nez » pensa Polycarpe.
Il reconnut effectivement le maire, aux sourcils en bataille, à sa mâchoire carrée ainsi que trois membres du conseil municipal. Anatole avec sa grosse barbe n’était pas avec eux, encore dans son commerce de miel. Il fut happé par les édiles, congratulé comme un héros pour avoir choisi de résider sur cette commune « où il fait si bon vivre ». Polycarpe refoula l’impertinent commentaire qui lui venait aux lèvres après l’agression de la veille et profita de cette cordialité débordante pour les entraîner en direction de la buvette :
- Vous prendrez bien un verre au profit de l’association, n’est-ce pas ?
La présence des élus attira obséquieux et curieux, lesquels drainèrent leurs amis et connaissances. Devant cette subite affluence, Imogène et Calamity accoururent au secours d’Évariste pour distribuer les boissons, s’envoyant de temps à autre des signaux complices, satisfaites de cette manne imprévue.
Le maire ne manqua pas l’occasion de prononcer un bref speech sur l’importance et la nécessité du tissu associatif pour ranimer le village déserté. D’autant plus enthousiaste qu’il était fraîchement converti, il « se » félicita de l’initiative, révélatrice du dynamisme des rochebourgeois, encouragea la pérennité de cette festivité ;  il fit la promesse d’une subvention, souhaita longue vie à l’alipa et porta un toast, sous quelques d’applaudissements clairsemés.
- Le maire, c’est Victor Lebastien, qui est aussi le patron de la Coopérative... susurra Mama, en rattrapant Polycarpe qui s’échappait discrètement du rassemblement.
Polycarpe avait déjà entr’aperçu Lebastien entrer ou sortir en voiture d’une maison entourée de grands murs, à l’entrée du bourg : on y entendait souvent gicler l’eau d’une piscine et des vociférations de jeunes baigneurs.
- Il sait très bien tirer les marrons du feu ! ajouta-t-elle.
- Une petite subvention sera la bienvenue, non ?
- Ça, d’accord. Mais je vous parie qu’il essayera de se faire bombarder à la fonction de président d’honneur dans le bureau... Nous ferons barrage, pour conserver notre indépendance !
- C’est bien dit... Et les autres, qui sont-ils ?
Elle tenait Rose par la main et Anna sur sa hanche, laquelle tendit sa petite main vers Polycarpe avec un de ces sourires enfantins parfois diaboliques, dont il ne savait s’il fallait réagir en bêtifiant ou en grondant. Il l’ignora.
 - La femme, c’est Dora Four, elle est intendante à la maison de retraite des Treilles Blanches ; elle habite l’ancien presbytère... Elle s’occupe des affaires sociales et culturelles. Le grand sec, à la peau tannée et au crâne blanc, c’est Virgile Javelle, un vigneron, il est préposé à l’urbanisme... donc au plan d’occupation des sols. Et l’autre, le jeune joufflu propre sur lui, c’est Brice Motte : il travaille à la DDE et il préside la commission des routes et des chemins. Il a fait construire un des rares pavillons de la commune, en descendant sur Bux.
Polycarpe remarquait l’expression renfrognée de Mama, il la provoqua :
- Nous sommes donc magistralement administrés, non ?
- Hum, hum, c’est vite dit. Chacun d’eux tire la couverture en fonction de ses préoccupations professionnelles... Pour ne pas dire ses intérêts. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils se présentent aux élections.
- Soupçonnez-vous quelques fraudes ?
- Oh, je ne dis pas cela, c’est beaucoup plus insidieux… Mais n’allez pas croire qu’ils sont philanthropes...
- Je vous découvre la fibre rebelle, Mama !
Elle eut un grand sourire joyeux, exhibant une magnifique dentition et retira ses lunettes de soleil :
- Ce compliment me va droit au cœur, Poly ! Maintenant, je vous surnommerai Poly, vous faites réellement partie de mes amis !
- J’en suis heureux. À qui dois-je confier la mitraille que j’ai récupérée ?
- La cassette est au bon soin de Basile.
 

A suivre…


 

18:20 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

04 avril 2006

Je partage le printemps de mon jardin

Tout à l'heure,
dans mon jardin,
en touraine
                                                                            

15:07 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |