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30 mai 2006

Les dominants...

      

      La vie en société deviendrait agréable si l'instinct de domination était éradiqué du génome humain ; elle restera infernale tant que les dominants seront majoritaires, guerroieront entre eux et pratiqueront le prosélytisme pour asservir la minorité.

15:00 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (7) |  Facebook | |  Imprimer | |

25 mai 2006

Les aventures de Polycarpe -24ème épisode


LE VIEUX LOGIS
 
CHAPITRE XXIV
 
Terminus ! Tout le monde descend !
Ici s'achève le premier volume de la série des Polycarpe
Sur une petite fiesta amicale…
 
 

Plus tard, chez Basile, Polycarpe s’étonna des aveux inattendus de Chimène. Mais celui-ci brandit une feuille de carnet déchirée, recouverte d’une grande écriture hérissée, tracée au crayon de bois, qu’il tenait de Berouette.

- Après avoir découvert ce mot laissé par sa mère avant son départ en fourgon, Berouette voulait se pendre haut et court ! Je suis arrivé à temps !

Il lut :

 
 Berouette, je me rends. Fais pas d’histoires. T’as qu’à noyer les chats. Apporte-moi des bonbons menthe réglisse la pie qui chante quand tu viendras me voir. Ça sera sûrement pas pire que l’hospice. Et je vais enfin vivre aux frais de la princesse. D’ailleurs, j’en ai marre de me cailler dans les troglos. Ta mère.
 

L’incarcération de Chimène et l’aveu de son forfait, constituaient un événement à l’échelle du canton et resserrait, du moins momentanément, les liens entre les habitants de la commune qui s’interpellaient, discutaient beaucoup.

Il n’était pas rare d’entendre ronfler les tracteurs, aux remorques chargées de paille, arrêtés au point mort en pleine rue, le temps pour leurs propriétaires d’écluser des petits gorgeons en bavardant avec les riverains.

Quelques chaises avaient fait leur apparition sur les trottoirs, dans l’ombre des maisons, propice aux causettes. Si bien que des randonneurs fourvoyés par mégarde à Rochebourg, appréciant cette exceptionnelle convivialité, réservaient un « buffet campagnard » chez Basile pour y amener leurs amis. Lesquels découvraient avec ravissement la boutique d’Imogène, qui vendait maintenant, en sus du miel et du pain d’épices, des bouquets de fleurs séchées et les ouvrages au point de croix de Pélagie Ducoin.

 

Le vendredi qui précéda l’inauguration de sa cuisine, Polycarpe, en pyjama, ses demi-lunes sur le nez, était en train de faire le mot croisé du Nouvel Echo, en buvant son café matinal lorsqu’il reçut la visite à l’improviste de Flora. Regorgeant d’énergie, dans un accoutrement vaguement sportif, encombrée de chiffons et de produits de nettoyage, elle se planta au milieu de la pièce, eut un regard circulaire appréciant les transformations :

- Très réussi. Où planquez-vous votre escabeau ?

- Flora ! Quelle mouche vous pique ?

- Nous sommes le 3 août ! annonça-t-elle, comme si Polycarpe avait perdu toute notion temporelle.

- Et alors ?

- Je suis révulsée par vos carreaux chaque fois que je passe devant chez vous ! Vous n’allez pas recevoir vos amis et votre famille dans cette porcherie !

- Holà ! Minute papillon ! Je petit-déjeune. Un café ?

- Tout à l’heure, à la mi-temps !

Elle se mit à astiquer les vitres. Dans l’impossibilité de traînasser plus longtemps, il alla se vêtir décemment et  entreprit de laver mollement le sol à grands coups de serpillière.

C’est à la mi-temps décrétée par Flora, alors qu’ils étaient assis devant une tasse de café, que Lily appela depuis la gare, avant de prendre l’Eurostar. Elle et Witson avaient prévu de faire étape à mi-chemin chez des amis et d’arriver le lendemain, pile pour la réception.

Il passa le reste de la journée sur un petit nuage, dans la perspective de revoir Lily. Et put enfin s’offrir une grasse matinée, le lendemain, sans aucun risque d’être dérangé par une Flora en mal de nettoyage.

 

Vers quatorze heures, le jour J, Calamity descendit de Bourrache, sa jument pie, et accrocha la longe à l’anneau séculaire du logis.

- Je viens proposer mon aide et prendre les instructions ! lança-t-elle en entrant. Oh !... Je vous dérange ! Est-ce que vous méditez ?

Polycarpe oscillait d’avant en arrière en se tenant la cheville, assis par terre. Il tourna la tête vers la jeune femme et lui décocha une œillade pitoyable.

- Je viens de me tordre la cheville, en ratant la marche du jardin.

- Montrez-moi... Elle enfle à vue d’œil !

Il se mit laborieusement debout et sautilla à cloche-pied vers une des chaises qui entouraient la grande table, en ruminant dans sa barbe.

- Je vais annuler ma réception, soupira-t-il, en paraissant souffrir le martyr.

- Ah, non ! Impossible ! se récria Calamity. Je vais chercher de quoi vous soigner. Pendant ce temps, établissez la liste des choses dont vous avez besoin. Nous viendrons vous donner un coup de main, Imogène et moi. Vous vous contenterez de nous donner des ordres. À tout de suite !

Polycarpe se souvint de la canne qu’il avait aperçue dans le débarras. Il alla la chercher en sautillant puis claudiqua à la recherche d’un papier et nota ce qui lui manquait pour recevoir une quinzaine de personnes. La veille, il avait déjà fait provisions de boissons, d’amuse-gueule, de gobelets, d’assiettes en plastique et de nappes en papier, mais il n’avait aucun produits frais. Il joignit deux billets de banque à la liste.

Vingt minutes plus tard, Calamity arrêtait sa Cherokee devant la porte et brandissait une petite cassette métallique comportant une croix rouge. Avec une dextérité d’infirmière, elle massa la cheville, la banda en épi et consigna le handicapé auprès d’une fenêtre, dans son fauteuil, les jambes reposant sur un guéridon.

- Installé de la sorte, votre canne à la main, vous en imposez ! dit-elle.

Elle avait un irrésistible sourire et il fondit sous son regard d’améthyste.

- Je serai de retour vers seize heures, d’ici là : interdiction de bouger. Tenez, ajouta-t-elle, en lui collant dans les mains la télécommande.

Polycarpe attendit le départ de cette belle fille pleine de vitalité, si amicale, pour asséner un poing rageur sur le bras du fauteuil. Désœuvré, il visionna sans passion la grande migration des gnous dans le sud africain.

Se rappelant qu’il devait appeler le curé de Soutrain, il boitilla à la recherche de l’annuaire et composa le numéro du presbytère. Un voix, légèrement nasillarde répondit immédiatement :

- Démosthène à l’appareil. Que puis-je pour vous ?

Polycarpe se présenta et tenta de résumer son histoire à l’essentiel avant de poser la question cruciale :

- Quelle était l’origine des documents découvert dans les galeries ?

- Il s’agissait de deux lettres. Plutôt récentes, datées des années quatre-vingt, je crois… Voulez-vous confirmation ? Des courriers administratifs apparemment sans intérêt particulier…excepté sans doute pour la personne qui les a cachés ! Je les conserve ici, dans le placard de la sacristie, par acquit de conscience… À l’occasion, passez les examiner !

- Je suis actuellement handicapé par une entorse, précisa Polycarpe.

- Quand vous irez mieux, alors… Je vous ai aperçu devant chez vous l’autre jour, monsieur Houle.

- La prochaine fois, n’hésitez pas, présentez-vous, je vous accueillerai. Mais ne vous faites pas d’illusions : je suis une ouaille définitivement égarée…

- Ça ! J’ai l’habitude, fit-il, avec un fatalisme enjoué.

 

Calamity fit son retour en milieu d’après-midi en compagnie d’Imogène. Il observa leur dextérité à garnir des plats, les recouvrir et les entasser dans le frigo, à disposer le matériel sur les nappes en papier, organisant la réception en deux temps, trois mouvements. Elles se moquaient de son air taciturne qui, soudain, s’effaça lorsque, vers dix-huit heures,  Lily s’encadra dans l’entrée, dans une pose de toréador, une jambe en avant, un bras en l’air.

- Papycarpou ! C’est nous !

Et elle accompagna son exclamation d’un sonore pas de claquettes.

- Voici ma fille ! annonça-t-il, en riant de ses extravagances. Lily, je te présente mes amies !

Lily cingla vers elles, en faisant valser une large jupe à pois tout en dénouant un foulard qu’elle fit claquer. Puis elle se figea,  tourna sur elle-même en admirant la grande pièce d’un œil plissé par une ironie génétique avant de conclure :

- C’est magnifique ! 

Elle picora gaiement les joues des deux femmes, puis fonça ensuite, avec une expression de tendre commisération, vers son vieux papa immobilisé :

- Qu’est-ce que c’est que cette canne ! Et ce bandage ! Ne me dis pas que tu as fait une chute !

- Hélas, si.

Elle lui tapota la main et s’assit sur le repose-pied avec un soupir de théâtre, trahissant une compassion superficielle si drôle qu’il en riait tandis que Zorba et Jacobine entraient en se bourrant de coups.

- Les enfants ! gronda Lily. Ils sont déchaînés. Venez embrasser votre grand-père.

Ils se frottèrent les joues en grimaçant.

- Tu piques, Papycarpou.

- C’est quoi, cette barbe ! s’étonna subitement Lily. Ça ne te rajeunit pas ! N’est-ce pas Witson ?

Witson passait la porte en tenant le petit sac à main de Lily comme un filet à provisions. Polycarpe pensa que son gendre ressemblait de plus en plus à une otarie : il en avait la mollesse, l’ampleur et le côté inoffensif. Mais Polycarpe ne sous-estimait pas sa remarquable intelligence.

- J’ai garé la voiture devant le pub, dit-il, en offrant sa main au blessé. Un problème, Papycarpou ?

- Rien de grave. Salut Witson.

- On peut visiter ? demanda Lily, depuis le hall.

Tandis que Lily et les enfants galopaient de pièce en pièce, Witson s’intéressa aux travaux réalisés, friand de détails techniques, en décapsulant sa première bière. Polycarpe se sentait en harmonie avec son gendre.

Une heure plus tard, Gix fit une énigmatique entrée, en éclaireur, laissant le reste de la troupe des invités massée à l’entrée. Il s’assura que Polycarpe, en patriarche, trônait, entouré de sa descendance, avant de faire entrer la famille Boubou, Basile et Calamity, Pierre et Rosemonde de Touche, Évariste sans sa Félicité, Petit Lu et sa Maryline, les Sarrasin, Imogène, Flora et Jésus. Puis  il aida Mama à poser délicatement sur le sol une grande et mystérieuse chose enveloppée d’un tissu.

- Un. Deux. Trois ! Cadeau ! scandèrent-ils avec un bel ensemble.

Mama dévoila son œuvre. Tous s’exclamèrent de surprise et Polycarpe béa d’admiration.

Le tableau représentait une salle médiévale éclairée depuis le fond par une fenêtre aux larges rebords qui déversait un flot de lumière sur une jeune femme, évanouie sur un carrelage à damiers, dans un bouillonnement de jupons blancs dévoilant le haut de ses bas.

- Ma vision ! Version érotique ! jubila-t-il. Il est vraiment magnifique. Merci à tous et portons un toast à Mama ! Je suis très touché…

- Allons dans le jardin boire un verre, lança Lily.

En s’approchant de Papycarpou, clopinant vers le jardin, elle le questionna avec sévérité, comme s’il passait son temps à faire de séniles excentricités :

- Tu as des visions, maintenant ?

- Il se passe ici des choses fantastiques, dit-il à sa fille en lui décochant un sourire sibyllin, captant Marie Bulu au passage pour une affectueuse  et reconnaissante accolade.

- Mama, c’est somptueux !

 

Witson et Gix transportèrent le fauteuil de l’éclopé sous le cerisier. De son poste d’observation, Polycarpe put détailler la jolie vendeuse du 7 sur 7 de Bux qu’Évariste, en éventuel beau-père, essayait de sonder. Il vit que Witson, passionné de mécanique et de vieilles voitures, avait découvert en Petit Lu, son interlocuteur de la soirée, que Lucie Sarrasin papotait vivement tricot avec Flora en grignotant près du buffet. Calamity, Lily et Mama riaient facilement tandis qu’elles tartinaient des petits sandwichs. Les jeunes enfants Boubou et les petits Witson semblaient se démultiplier, apparaissant et disparaissant, dans une sarabande effrénée. Gix discutait avec Sarrasin et Pierre de Touche des imposteurs infiltrés dans les ONG, tandis que Basile veillait à maintenir un bon niveau de vin dans les verres, escorté de Rosemonde qui présentait des croquembouches avec d’ondulantes attitudes.

Polycarpe se demandait combien de temps Imogène allait naviguer de groupes en groupes, avec cette fébrilité suspecte, avant de venir près de lui. Elle s’approcha enfin, lui apportant une assiette de petits canapés et un verre de pétillant.

- Qu’avez-vous, Imogène ? demanda-t-il. Je vous trouve bizarre.

- J’ai remarqué quelque chose, en allant dans votre salle de bain.

Polycarpe piqua sa canne dans l’herbe, avec contrariété. Il y avait un joli foutoir de vêtements sales et bouchonnés.

- Que faisiez-vous dans ma salle de bain ?

- Une retouche de maquillage.

- Ah ! dit-il, en examinant son visage, sans voir de différence.

- J’ai remis du rouge, précisa-t-elle.

- Mais bien sûr ! s’adoucit-il.

En la découvrant soudain lumineuse, il lui sourit :

- Et que s’est-il passé ?

- Dans la grande chambre, Jésus et Muguette… Ils font l’amour.

- C’est trop mignon ! s’exclama-t-il, soudain joyeux. Voyez-vous, Imogène, parfois, je regrette cet âge-là. Pas vous ?

- Eh ! bien... Auriez-vous forcé sur la sangria, Poly ?

 
                                                                               FIN

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22 mai 2006

Les aventures de Polycarpe - 23ème épisode

LE VIEUX LOGIS

CHAPITRE XXIII

L'avant-dernier chapitre et la vérité éclate !

Deux surprises l’attendaient quand il rentra au logis. Les meubles de cuisine n’étaient pas posés. Mais il n’eut pas le loisir de s’appesantir sur le problème : Imogène sanglotait, la tête enfouie dans ses bras, effondrée sur la table.

- Imogène ! Que s’est-il passé ?

Polycarpe se précipita et lui saisit l’épaule. Elle releva son visage tuméfié avec l’intention de parler mais les sanglots affluèrent.

- Avez-vous mal quelque part ?

Elle fit non puis oui de la tête.

- Il y a eu un problème avec Tradimod, s’inquiéta Polycarpe.

Elle fit oui puis non de la tête.

Il rapprocha une chaise et souleva le menton de la pleureuse.

- Allons ! Expliquez-vous. Pourquoi ce gros chagrin ?

- C’est Anatole, hoqueta Imogène.

Était-elle informée des fredaines du bouilleur de cru ? Embarrassé, Polycarpe se mit en quête de la boîte de Kleenex d’un air affairé et la posa devant son amie.

- Qu’y a-t-il avec Anatole ? Vous a-t-il fait une scène à cause de la boutique fermée ? Est-il venu ici ?

Elle aspira un « Voui » et raconta d’une voix flageolante qu’Anatole avait découvert le carton « Fermé pour congés » sur la porte de la boutique. Interloqué par cette initiative hardie, il avait révolutionné le voisinage pour la retrouver et, pour finir, avait débarqué au logis. En la découvrant au milieu du chantier, il avait piqué un coup de sang.

- Et puis, ajouta-t-elle, bonjour la discrétion, il gueulait comme un âne : tout le pays en a profité ! Je n’ai pas pu en placer une. Si les gens avaient des doutes, ils savent maintenant que je suis dépensière, frivole, fumiste, idiote, une « pauvre fille », une « connasse »… et j’en passe.

- Une bonne explication, c’est ce que vous vouliez, non ?

- Une discussion, pas une engueulade !

Le malotru avait retourné la situation : c’était maintenant elle la coupable.

- Voulez-vous boire quelque chose ?

Il se dirigea machinalement vers l’ancien emplacement du frigo.

- Ils l’ont déplacé contre le mur d’en face, dit-elle, avec un petit rire misérable.

- C’est mieux, dit-il, quand vous riez.

Il décapsula deux panachés et repéra deux chopes parmi la vaisselle en vrac sur la table. Assoiffé depuis des heures, il but d’un trait. Elle avait cessé de pleurer et glissait ses doigts dans ses cheveux en les rassemblant derrière sa tête. Soudain, l’air résolu, elle résuma son infortune :

- Anatole m’a dit qu’il y avait une autre femme dans sa vie, qu’avec elle, c’était un vrai sentiment. Et patati et patata. C’est la perle rare. Il veut divorcer.

- Et l’exploitation, les vignes, les ruches ?

- Pff ! Il laisse tout en plan, sauf les ruches. Il a trouvé un emploi de maître de chai à la coopérative.

- Eh, bien ! Voilà une affaire rondement menée ! Votre plan de secours n°2, réacteurs à fond avec survol acrobatique, a bel et bien foiré, Imogène !

- Je me demande bien qui c’est, cette pouffiasse.

- S’il a trouvé une chaussure à son pied d’égocentrique goujat barbu, plaignez plutôt la nouvelle chaussure.

Elle lui jeta un œil en coin.

Il ne voulait pas s’apitoyer. L’amour-propre d’Imogène était probablement plus froissé que ses tièdes sentiments. Polycarpe en aurait mis sa main au feu : Imogène ne succomberait pas au désespoir.

Et puis, il redoutait les épanchements. Il se rappelait trop bien une certaine réflexion : « Il y a une part d’égoïsme à trouver une oreille attentive » et s’était juré de n’être plus jamais se prêter aux confidences.

- Ne précipitez rien. Vous allez rouvrir votre boutique, continuer comme par le passé à vendre le miel d’Anatole et quand il sera parti roucouler ailleurs, vous réintégrerez votre belle maison. Pour le reste, vous aviserez le moment venu.

Le ton détaché, voire subtilement sec, d’un Polycarpe déterminé à ne pas finir oreille complaisante, décida Imogène à se lever de sa chaise et à se diriger vers la porte. Elle avait l’élégance de ne pas insister : il en fut tout attendri et dut se frotter le nez pour masquer d’intempestives dilatations de narines.

- À bientôt, Poly, dit-elle d’une voix encore enchifrenée par les débordements lacrymaux. Ah, au fait, vos ouvriers seront là demain matin à huit heures trente. Ils ont passé la journée à refaire l’installation électrique. Elle n’était pas aux normes. Vous allez les entendre râler, je vous préviens : vos murs ne sont pas rectilignes et votre sol n’est pas horizontal !

Après le départ d’Imogène, il alla s’effondrer dans son fauteuil-paon, dehors,  épuisé après cette journée mouvementée.  Il était dix-huit heures et la chaleur ne mollissait pas. Il se captiva pour le ballet d’un merle peu farouche qui sautait autour de lui comme mû par un petit ressort et son regard tomba sur une revue, abandonnée par Imogène, à la page d’un test qui portait en bandeau une question fondamentale : « Êtes-vous nymphomane ? ». Il ramassa le journal et se mit en quête de ses lunettes loupes, appâté par le titre, pour lire les petits caractères.

À la question : « De quelle héroïne de roman vous sentez-vous la plus proche ? Madame Bovary ? Mrs Dalloway ? Ou Léa ? » Imogène avait coché Mrs Dalloway. Cette réponse woolfienne lui convenait, révélant le côté à la fois original et racé de sa personnalité. Sa curiosité attisée, il passa à la deuxième question : « Qu’est-ce qui vous fascine d’abord chez un homme : sa beauté  ou son intelligence ? »  Elle avait fait une croix devant « sa beauté » ! Il envoya promener le journal avec mépris.

Il se sentait poisseux et ses vêtements lui collaient à la peau. Il monta prendre une douche, en profita pour rafraîchir ses piteuses bouclettes à coups de ciseaux, étonné du vague look de baroudeur que lui conférait sa barbe qu’il n’avait pas rasée ce matin.

Voulant se sentir à son aise, il enfila des vieux knickers à soufflets et un large tee-shirt. La désobligeante réflexion que Muguette s’était autorisée, un jour, à propos du ridicule des socquettes avec des shorts et des sandales lui revint en mémoire tandis qu’il luttait avec une socquette rétrécie, mais il persévéra, en grommelant que se formaliser des apparences était un signe d’arriération mentale aussi évident que de primer la beauté sur l’intelligence !

 

 Enfin revigoré, évoluant dans la fragrance citronnée de son eau de Cologne,  il descendit la rue du Château sur son Solex, en direction du café de Basile à qu’il voulait raconter les dernières péripéties du fait divers rochebourgeois.

En apercevant les ouvriers agricoles, ceux qui venaient tous les jours boire un bock après le boulot, y compris Berouette, en train de griffonner des feuilles, sur le bar, dans une pose concentrée et dans un silence religieux, il eut un choc.

- Vous tombez bien, Polycarpe, fit Basile à voix basse, en venant à sa rencontre. Aujourd’hui, c’est interro écrite. Un proverbe juste, écrit sans faute : pastis gratis ! Voulez-vous retourner le poulet dans le four et l’arroser ? Je les surveille, ils sont capable de copier !

- Vous êtes un révolutionnaire, Basile ! Ici, le client fait sa bouffe pendant que l’aubergiste alphabétise les masses laborieuses.

Basile eut un rire sonore en se frottant les mains.

Dans la cuisine surchauffée, le poulet grésillait dans le four. Malgré les torchons dont il s’était muni pour attraper le plat, il se brûla. Il retourna la bête sur son bréchet, l’arrosa de son jus, renfonça la lèchefrite et revint dans la salle du café en soufflant sur ses doigts au moment où Basile offrait sa tournée. Ce dernier posa un verre devant Polycarpe. Il félicitait ses troupes.

- C’est bien, les gars. Prochain objectif : les citations ! Contrôle en décembre.

Il trinqua avec Polycarpe :

-  Calamity est partie voir sa famille. Comme il me restait une vieille volaille dans le congélateur...

- La toque au Gault et Millau, c’est pas gagné, Basile.

Ils prolongèrent la soirée dehors, en commentant les derniers événements,  autour d’un vieux Vouxy.

 

Les jours suivants, Polycarpe abattit un travail de romain. Il mettait les bouchées doubles dans la perspective de l’arrivée de Lily et de l’inauguration de sa cuisine restaurée qu’il voulait faire coïncider. En dépit des fenêtres grandes ouvertes et des volets tirés, la chaleur figeait l’atmosphère. Il n’y avait pas un courant d’air. Pendant que les techniciens de chez « Râleurs and Co » montaient et calaient les meubles, dans la partie ouest de la cuisine, intégraient l’électroménager, opéraient les divers branchements, fixaient les éléments de rangement et posaient les roulettes des tiroirs, Polycarpe passait les poutres au Bondex, debout sur son échafaudage, dans l’autre moitié de la pièce.

À la fin de la semaine, les aménagements achevés, les ouvriers partis, Polycarpe put enfin tranquillement juger du résultat hybride, entre rustique et moderne : il en fut satisfait. Les paillasses et les éléments épurés d’un rosé mat s’harmonisaient plutôt bien avec la pierre brute des murs et les anciennes dalles de terre cuite. Les grosses poutres paraissaient soyeuses sous l’enduit chêne clair.

Il entreprit de loger tout le bataclan de casseroles, de cocottes, de poêles et de passoires dans ses nouveaux placards, fonctionnels et spacieux, puis commença à ranger les produits alimentaires  relégués dans le corridor sur des étagères de fortune, lorsqu’il fut interrompu par le téléphone.

Il reconnut instantanément la voix de Mama.

- Poly, avez-vous vu le fourgon de la police passer devant chez vous ?

- Non ! Quand ?

- Il n’y a pas cinq minutes. Il est garé aux troglodytes. Savez-vous ce qui se trame ? Je vois d’ici Chimène sortir de chez elle entre deux flics, ils la font monter dans le panier à salade... Ils démarrent. Ils vont repasser devant chez vous.

Polycarpe s’approcha de la fenêtre.

- En effet, les voici... Ils sont passés.

- La croyez-vous coupable de l’agression d’Iseult ?

- Non, Iseult s’est poignardée elle-même...

- Pas possible !

- Je suis allé la voir à l’hôpital. Elle n’a fait aucune difficulté pour expliquer son geste et décide de retirer sa plainte contre Ulysse. Elle prétend que Chimène l’a manipulée. Il me semble, mais sous toutes réserves, qu’elle était sincère... Par ailleurs,  j’ai découvert que Chimène avait un vieux compte à régler avec le juge, ce qui m’a été confirmé par Sarrasin. Il est probable que Chimène ait voulu se venger du juge et brouiller les pistes en utilisant le dérangement mental de cette pauvre Iseult...

- La vieille toupie est coriace, même si c’est elle qui a assassiné le juge,  ils n’auront jamais ses aveux.

- C’est probable !  En tout cas Ulysse va s’en tirer... Nous avons la preuve qu’il n’y est pour rien.

- Vous avez œuvré en faveur d’un innocent. Félicitations, Poly.

- Il n’y a pas de quoi me décerner la palme, si Jaco n’avait pas retrouvé l’oignon du juge, et si Petit Lu n’avait pas eu peur des fantômes, je n’aurais rien soupçonné de toute cette histoire.

Au moment où Polycarpe prononçait ces mots, son cuir chevelu frémit comme la robe d’un cheval piquée par un taon. Il eut l’impression d’un pétillement à la racine des cheveux. Il n’avait pas approfondi la question des papiers retrouvés dans le souterrain. Il remisa cette question en se promettant s’appeler le curé un de ces jours.

- Allô ! Poly, êtes-vous là ?

Il s’ébroua. Chassa cette question secondaire de son esprit et dit :

- Je pense que nous devrions offrir la montre à Jaco.

- C’est à Ulysse de décider, non ?

- Bien, nous lui demanderons. Mama, avez-vous parlé avec Imogène ?

- Je suis au courant, dit-elle. Imogène connaît maintenant l’identité de sa rivale.

- Gertrude Riboit avait donc vu juste !

- La miss Prêchi-prêcha n’a pas intérêt à se pointer dans les parages, c’est moi qui vous le dit.

- Que pariez-vous ? Tout se passera bien, Constance libère Imogène d’une union boiteuse... d’ailleurs, la séparation était déjà consommée. À mon avis, les choses sont plus claires.

- D’accord, d’accord, mon cher Poly, ce point de vue vous arrange, fit-elle, d’une voix de gorge chargée de sous-entendus.

- Je m’insurge contre ce petit air de ne pas y toucher, Mama !

- Nous en reparlerons, Poly ! Je dois vous laisser, je suis sur une carafe et les reflets changent avec la lumière...

Elle raccrocha. Il fronça les sourcils. Que voulait-elle dire ? Entre Imogène et Anatole, ça ne gazait pas, ça avait cassé, c’était logique, point à la ligne. En quoi ce point de vue l’arrangeait-il ? Il faisait preuve de la plus totale objectivité dans cette affaire.

Il fourra le riz, les pâtes, la farine dans les placards,  en ne cessant de se répéter qu’il était un homme de bon sens, parfaitement objectif et qu’il ne voyait pas en quoi la rupture des Cordet pouvait l’arranger !

- De quoi je me mêle, à la fin ! marmonna-t-il. 

Basile et Mama étaient peut-être de mèche ! L’un n’avait-il pas déclaré qu’Imogène le draguait ? L’autre sous-entendait maintenant que la séparation des Cordet l’arrangeait... Ils étaient, ni plus ni moins, en train de le jeter dans les bras d’Imogène. Il allait faire cesser ces élucubrations à la première occasion.

Imogène était et resterait une amie, en tout bien, tout honneur !

 

Il effectua les dernières retouches au plafond pendant le week-end et le lundi, l’armoire arriva. Il passa une bonne partie de sa journée à la bichonner. Il aspira la poussière dans les moindres recoins, la désinfecta d’un gros chiffon imbibé d’alcool à brûler, la frotta avec une laine d’acier numéro zéro, afin de ne pas l’agresser, fit resplendir les ferrures, l’encaustiqua et la plaqua contre le mur face à la cheminée, les pieds calée sur des planchettes. 

Dès lors, il ne lui restait plus qu’une dernière chose à faire : la cerise sur le gâteau !  Accrocher au centre du plafond le lustre ancestral qui l’avait accompagné sa vie entière.

Il traîna le grand carton où il était remisé, depuis l’autre pièce du rez-de-chaussée puis, l’ouvrit.

 

Cet inclassable machin avait éclairé la salle à manger de ses grands-parents, qui le tenaient eux-mêmes de leurs ascendants,  avant de pendre de façon saugrenue dans l’appartement de ses parents. Quand il s’était marié, il l’avait reçu en cadeau. Mais, trop lourd, trop large, trop haut, trop imposant, trop rococo, il rétrécissait invariablement les pièces où il était suspendu par de grosses chaînes. Sa partie centrale, composée de bronze et de verre soufflé - conçue pour contenir le pétrole  où plongeait une mèche réglable par une manette à vis - semblait le résultat hybride d’un samovar et d’un ostensoir. Il s’ébouriffait de six torsades à breloques dorées dont la fonction originelle, de supports à chandelles, avait depuis longtemps été adaptée à l’électricité et qui comportaient des coupelles de chacune  trois douilles. Jamais de sa vie, Polycarpe n’avait vu briller les dix-huit ampoules ensemble.

Il fora son plafond pour y insinuer un robuste piton bascule et, en apnée, accrocha la baroque suspension.  Dans cette demeure, elle allait étinceler de tous ses feux ; elle retrouvait les volumes pour lesquels elle avait été conçue, à l’instar, sans doute, du fameux fauteuil-paon où il s’enfonça.

Épuisé, éprouvant un fulgurant sentiment de solitude, pour la première fois depuis son arrivée au logis, il se laissa glisser dans une vénéneuse mélancolie.

Dont il fut sauvé in extremis trois quarts d’heure plus tard par des coups frappés aux carreaux. Il reconnut immédiatement la silhouette d’Ulysse Côme derrière les vitres.

- Bonsoir, monsieur Houle, dit-il.

Il avait perdu son « Bonjour-Ça va ? » dans la bataille et son visage était défait.  Il tendit à Polycarpe une grande et lourde boîte enveloppée de papier rouge.

- Vous tombez bien, jeune homme, dit Polycarpe, l’air encore absent. Un bon vieux coup de blues.

Ulysse le regarda avec attention et lui envoya une familière bourrade à l’épaule.

- Il y a belle lurette qu’on m’a dit que je tombais bien, je ne regrette pas d’être passé. Je voulais vous saluer avant mon départ, et vous remercier.

- Alors, mes états d’âme s’accommoderont de vos remerciements et du cadeau.

Il déchira le papier, pendant que, hochant du chef, Ulysse découvrait les nouveaux aménagements. La boîte avait un couvercle à tirette et contenait un jéroboam de saint-émilion.

- Magnifique, Ulysse !

La poche droite de la veste du jeune homme se mit à égrainer les premières notes de Everybody needs somebody.

- Excusez-moi, dit-il, en dépliant son portable. Bonsoir, Aline. 

Polycarpe entreprit la recherche de verres et d’alcool dans ses placards à choix multiples. Soudain, Ulysse émit une joyeuse onomatopée. Puis il échangea quelques paroles sibyllines et de tendres au revoir avec son interlocutrice, avant de refermer son appareil.

- C’était mon avocate, Me Néa-Bonnefoi.

Polycarpe haussa un sourcil intrigué. L’ex-prévenu eut un petit frétillement des jambes, comme pour donner du mou à l’étoffe de son pantalon, et lâcha d’un air blasé :

- Ces quelques jours de détention nous ont permis de... disons : sympathiser. Nous avons des tas d’affinités... Je lui ai confié le dossier juridique de « Manors Planes Export », ma société. Au fait, elle vient de m’apprendre à l’instant que Chimène Crucheau a avoué le meurtre de Cornu.

- Comment ? Déjà ?

Ils trinquèrent à la liberté retrouvée par Ulysse et à la résolution de l’affaire.

 

 

12:02 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

17 mai 2006

Elue à la SGDL...

Je n'ai pas l'habitude de me vanter mais quand même : je suis élue déléguée des adhérents aux AG de la Société des Gens de Lettres ! ça la fait, non ?
Je prendrai bien une autre petite coupe, n'est-ce pas Sin ?
Je vous raconterai...

19:14 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | |  Imprimer | |

16 mai 2006

Entendu sur Europe 1

Si France Inter vous fait avaler votre café de travers (cf. Rony and Co) moi, ce matin, c'était mon thé, sur Europe 1 (oui, c'est beauf et c'est moins chic d'écouter Europe 1 mais en ce moment, c'est ce que j'écoute) donc, commentaire à propos d'une statistique : "les femmes au foyer ont plus de risques de devenir obèses que les wonderwomen (sic) parce qu'elles ont tendances à finir les plats qu'elles servent à leurs maris et leurs enfants" ! Je passe sur les autres détails...
C'est sympa d'opposer les femmes au foyer  - qui lèchent les gamelles ! - aux "wonderwomen"...  supposées efficaces et belles, comme dans les pubs ! 
C'est drôle, on dit pas si les mecs qui boivent de la bière devant le foot à la télé ont plus de chance de devenir obèses que les jeunes cadres dynamiques habillés chez Boss...

18:49 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (10) |  Facebook | |  Imprimer | |

15 mai 2006

Les aventures de Polycarpe - 22ème épisode

 

LE VIEUX LOGIS

CHAPITRE XXII

où le jeu du portrait chinois démaque l'assasin du juge

 

 

Iseult écrivait sur une petite table placée sous la fenêtre quand il entra dans la chambre particulière qu’elle occupait au dixième étage. Elle avait le bras gauche en écharpe et la manche de son peignoir était glissée dans la ceinture. Le renflement, à la hauteur de l’omoplate, indiquait le pansement sur sa blessure. Elle se retourna lentement et laissa tomber de ses doigts le stylo bille sur le bloc griffonné.

- Ce n’est pas vous que j’attendais, dit-elle, hautaine, en déchirant la cellophane d’une boîte de bonbons qu’il venait d’acheter à la boutique de l’accueil.

Polycarpe encaissa la remarque sourire en coin, en faisant du regard le tour de la chambre peinte en vert pâle, aperçut les flèches de la cathédrale par les vitres supérieures qui n’étaient pas en verre dépoli. Il alla respirer l’entêtant parfum d’un lys piqué dans un magnifique bouquet de fleurs sur la table de nuit, en mettant discrètement en marche le dictaphone glissé dans la poche de sa chemisette, puis s’approcha d’elle.

- J’ai quelque chose à vous demander. Je voulais vous parler.

- De quoi encore ? De mon agression ? C’est une épidémie : tout le monde veut l’entendre : le médecin, les flics, Pierre et maintenant vous.

Elle agita au bout de son pied une mule décorée d’une houppette.

- Vous avez porté plainte, c’est normal qu’on vous pose des questions... Au fait, vous accusez Ulysse à tort concernant la mort de Cornu : Ulysse ne l’a pas tué.

Elle fit son museau de petite souris.

- De quoi vous mêlez-vous ?

- J’ai la conviction que vous accusez Ulysse par jalousie ou par dépit. Vous n’acceptez pas son indifférence. Quand vous avez compris que j’habitais le logis et qu’il était définitivement parti, vous avez cherché comment vous venger, le briser. Faire de lui un meurtrier était habile, mais ça ne tient pas debout, Iseult.

Il la provoquait sciemment.

- Ah-ah ! rit-elle, sans gaieté. Que pouvez-vous savoir de mes relations avec Ulysse ? Lisez-vous dans le marc de café ?

- Vous saviez que votre belle-sœur avait une liaison avec Ulysse et qu’ils étaient ensemble au moment où Cornu est mort. Si vous maintenez votre plainte, leur liaison sera étalée au grand jour et votre frère sera malheureux. Il vous aime beaucoup. C’est lui, n’est-ce pas, qui vous a apporté ce bouquet ?

Elle poussa un petit soupir plaintif.

Polycarpe se laissa choir sur le bout du lit qui avait l’élasticité d’un trampoline et il rebondit légèrement.

- Je croyais qu’Ulysse m’aimait, geignit-elle.

- Non, vous saviez qu’il ne vous aimait pas, ce qui était intolérable pour une jeune fille capricieuse et gâtée. Et vous n’alliez jamais au logis : quand nous avons discuté tous les deux au Bux’s Truck, vous m’avez menti sur toute la ligne. Vous m’avez raconté que vous faisiez la lecture à Cornu. C’était faux et archi-faux. Le vieillard avait une vue excellente et lisait pendant ses insomnies. Cependant, vous deviez justifier votre présence, ce jour-là, exceptionnellement,² chez le juge après avoir été vue...

- J’étais cachée sous un plaid.

- Je viens vous demandez de retirer votre plainte.

- En quel honneur ? Pour faire libérer Ulysse ? Qu’est-ce qu’il est pour vous ? Comment fait-il pour entortiller tout le monde ?

- Il ne m’entortille pas. Mais on n’envoie pas les gens en prison parce qu’ils ne vous aiment pas. C’est tout.

- De toute façon, il m’a poignardée dans le dos. La preuve, je ne suis pas là par hasard.

« L’expression - poignardée dans le dos - est à double tranchant » ironisa Polycarpe en son for intérieur.

- Seulement blessée. Un acte manqué en quelque sorte. Vos psy auront de quoi faire... Mais laissons cette histoire de poignard... Il était une fois une jeune personne qui se trouvait au logis et qui inventa le prétexte de la lecture pour justifier sa visite. En conséquence, ou bien elle a tué Cornu, ou bien elle protége le criminel, en dénonçant un faux coupable.

- Vous oubliez une troisième alternative : Cornu était peut-être mort naturellement !

Elle lui donna soudain l’impression de vouloir se prêter complaisamment à ce jeu de rôle improvisé.

Il décida de poursuivre l’expérience, en la désignant à la troisième personne, sans la brusquer.

- D’accord, dit-il. Dans ce cas, que faisait-elle au logis et pourquoi, découvrant un cadavre, n’a-t-elle pas appelé des secours ou donné l’alerte ?

Elle pinça les lèvres et tripota son stylo, en réfléchissant.

- Bonnes questions. Sans doute n’aura-t-elle pas remarqué qu’il était mort quand elle est venue relancer Ulysse jusque chez lui, au moment où le bouffon est arrivé avec son Halloween...

- Le bouffon a déclaré ne pas avoir remarqué de traces de pas, alors qu’il pleuvait des cordes : elle était donc là depuis au moins une heure, le temps que les empreintes sèchent.

- Sauf si elle est venue par le souterrain. N’oublions pas qu’elle connaît bien les souterrains.

- Autant pour moi, reconnut Polycarpe. Quelque chose reste cependant obscur : le cadeau du Perfescope. Si elle ne rendait pas service au vieillard en lui faisant la lecture, Cornu n’avait pas de raison de lui offrir cet objet.

- On peut imaginer qu’elle l’ait pris en pensant à la collection de son frère, en sachant qu’elle pourrait le négocier et récupérer ainsi de l’argent de poche, puisqu’elle est sous curatelle et qu’on surveille toutes ses dépenses !

- D’autant que, Cornu étant mort, il ne s’en apercevrait pas.

- Exactement.

- Mais elle ne savait pas qu’il était mort. Le croyait-elle seulement endormi ?

- Elle n’a pas eu le temps de se poser la question, aussitôt dérangée par le bouffon.

- Donc, elle a attendu que le bouffon parte avant de se saisir de l’objet. Qu’a-t-elle fait de la couverture sous laquelle elle se cachait ?

- Cornu n’en avait plus besoin puisqu’il était mort.

- Elle savait donc, à cet instant, qu’il ne respirait plus.

- En effet. Elle a heurté son fauteuil et il a basculé tout d’une pièce comme un macchabée, confirma-t-elle, sans sourciller.

- Et ensuite ?

- Elle est donc repartie par le souterrain, avec le Perfescope, mais n’a pas donné l’alerte de peur d’être accusée d’assassinat.

- Ça se tient, capitula Polycarpe.

Iseult balançait toujours sa houppette au bout de son pied et tortillait une mèche dans sa nuque avec un petit air futé.

Il l’observa tout en se demandant comment l’amener à dire la vérité.

- On peut admettre que Cornu est bien mort naturellement. Et que par la suite, elle a dénoncé Ulysse pour d’autres raisons : jalousie, revanche, désespoir...

- Exactement.

- Elle peut donc retirer sa plainte.

- Elle le pourrait.

Malgré l’incroyable franchise de cette fille, quelque chose troublait Polycarpe, pourquoi jouait-elle au chat et à la souris. Était-elle impliquée, oui ou non ? À quel degré de maladie mentale était-elle atteinte ?

Iseult se leva et vint s’appuyer au bout du lit contre les barreaux et se pencha au-dessus de Polycarpe en plissant les yeux.

 -  Mais on peut aussi se demander quelle mouche l’a piquée, pourquoi elle est venue, le jour de la mort de Cornu précisément, alors qu’elle ne venait jamais au logis. Est-ce qu’on l’y a poussée ?

Polycarpe passa plusieurs fois les mains dans ses cheveux, l’œil brillant. « Ça y est, pensa-t-il, elle se lâche, elle est prête à tout avouer, par orgueil puéril ! »

- C’est une question piège, mais bigrement intéressante, lança-t-il avec fougue. Qui donc serait susceptible de pousser notre jeune personne à pénétrer au logis à ce moment-là et pourquoi ? Si cet individu fomentait l’intention de lui faire découvrir le cadavre, c’était bel et bien dans l’intention machiavélique de la faire accuser d’un meurtre qu’il aurait commis lui-même. Suis-je sur la bonne piste ?

Polycarpe avait soudain très chaud. Sa pression artérielle avait sûrement bondi de plusieurs millibars. Il se rendit dans le cabinet de toilette s’asperger d’eau et déplia un Kleenex pour essuyer son visage apoplectique.

- Voyez ! Quand vous le voulez, vous êtes perspicace ! dit-elle, en se moquant de lui, inversant les rôles, semblant mener l’investigation.

- À vrai dire, j’ai bien des doutes à propos d’une certaine personne, tenta-il, timidement.

- Et laquelle, d’après vous?

À la lueur enfantine de défi qu’il perçut dans le regard de la jeune psychotique, il sut qu’il devait rester dans le domaine ludique, pour obtenir des confidences.

- Ta-ta-ta, vous d’abord. Si c’était un auteur dramatique, que diriez-vous ?

- Trop facile. Corneille.

- Si c’était un personnage célèbre ?

- Madame soleil.

- Si c’était une plante ?

- Une endive ou bien une truffe... quelque chose qui mûrit sous la terre.

- Si c’était un animal ?

-  Je dirais un chat ou une taupe.

- OK. L’individu auquel nous pensons tous les deux, et que nous appellerons madame Bonaventure, aurait donc manipulé notre héroïne pour la faire pénétrer au logis.

- Vous brûlez, monsieur Houle.

-  Il fallait néanmoins un terrain favorable, on ne « pousse » pas les gens sans un minimum de consentement. Il fallait que chacune d’elles ait un mobile à agir. Ou bien que leurs mobiles convergent, s’additionnent. Voyons... Est-il concevable qu’elles se soient liguées pour faire accuser Ulysse qui profite de la mort de Cornu ? J’élimine cette option. Il aura fallu plus d’un an et une déception amoureuse pour que notre jeune personne le dénonce. À mon avis, l’idée d’impliquer Ulysse est survenue plus tard.

- Vous refroidissez légèrement. Mais seulement en partie. Ne croyez-vous pas que la jeune femme aurait pu avoir du ressentiment contre le vieux bonhomme ? C’est plausible, non ? Cornu aurait pu monter le bourrichon d’Ulysse contre elle...

- Alors que madame Bonaventure avait précisément un vieux compte à régler avec le juge.

- Allégation oiseuse ! Qu’en savons-nous ?

- Nous savons. Cependant, cette supposition les rendrait complices ce qui contrecarre l’hypothèse de la manipulation, hypothèse que vous maintenez, Iseult, n’est-ce pas ?

- Je n’entérine pas l’histoire du bourrichon, en effet. J’affirme qu’elles n’étaient pas complices.

- Ah, mais ! Attendez... Sans être complices, il a bien fallu qu’elles se rencontrent ! Imaginons que la jeune personne ait eu envie de connaître son avenir sentimental, elle consulte une cartomancienne...

-  Continuez ! l’encouragea Iseult.

- Elle confie son amertume à madame Bonaventure qui lit dans les tarots le jour et l’heure propices à un « retour d’affection », comme on lit dans les publicités des voyantes. Et qui lui conseille hypocritement d’aller surprendre son amoureux chez lui, par le passage secret, au prétexte que Cornu n’ouvre à personne... Qu’en pensez-vous ?

- Pas mal.

- Notre madame Bonaventure utilise la passion contrariée d’une jeune femme impressionnable et sujette à des hallucinations, pour lui faire découvrir le cadavre et lui suggérer que le coupable n’est autre que celui qui hérite de Cornu.

- Elle attend le retour de la jeune femme à l’entrée du souterrain...

Polycarpe abandonna la fiction pour avoir une explication précise.

- ... Pour s’assurer que vous aviez bien constaté la mort du juge et vous décrire la scène du coussin !

Iseult alla se rasseoir avec une moue boudeuse.

- J’étais sous le choc. Et j’ai gobé les suggestions de Chimène, elle m’a carrément hypnotisée. À force de me raconter la scène dans tous ses détails, j’ai vraiment cru avoir vu Ulysse étouffer Cornu. Il m’arrive encore d’être hantée par cette scène.

- Cependant personne n’a trouvé cette mort suspecte et vous n’avez rien dit.

- J’étais déchirée entre l’idée de la culpabilité d’Ulysse et de son innocence. C’est difficile à exprimer, mais je ne pouvais pas admettre qu’il ait pu tuer dans son propre intérêt, en m’excluant de son plan. Vous allez peut-être me prendre pour une folle …

- Pardi ! murmura Polycarpe.

- …ce n’était pas le fait d’assassiner qui me choquait.

- Ben voyons ! ironisa-t-il.

- C’était le fait d’agir comme si je n’existais pas. J’ai enjolivé le scénario de Chimène : il avait tué Cornu pour hériter et nous en faire profiter tous les deux, pour me soustraire à la curatelle, me libérer et m’emmener avec lui... J’attendais un signe, je suis même allée à l’enterrement du vieil homme pour le voir, pour lui parler. Il m’a évitée, ça m’a cassé le moral et j’ai déjanté. Je me suis retrouvée à Jonques. À ma sortie, le jour où je suis passée devant chez vous, j’ai compris qu’Ulysse était parti sans un mot et qu’il m’avait vraiment laissée tomber. Alors j’ai ressorti la version de Chimène.

- En y ajoutant un épisode mélodramatique : l’agression dans la chambre rouge !

- Il fallait un élément déclencheur pour justifier ma dénonciation tardive.

- Au point de vous mutiler vous-même !

- Ce n’est pas aussi douloureux qu’on croit ! Et j’avais pris des précautions : j’avais désinfecté le coupe-papier.

Consterné par cette intelligence capable d’engendrer les pires inepties, Polycarpe fit quelques pas en rond au bout du lit.

- Chimène va m’étriper si je la dénonce... J’ai peur d’elle, monsieur Houle.

- Ne dénoncez personne. D’ailleurs, vous ne l’avez pas vue faire. Contentez-vous de retirer votre plainte.

Elle brandit le bloc à lettres sous le regard de Polycarpe.

- J’étais en train d’écrire à mon frère quand vous êtes arrivé. Je lui expliquais  que les choses se télescopent dans ma tête. Avec vous, j’y vois plus clair. Vous savez vous y prendre. Un peu comme Zück. D’ailleurs, je l’attends, il doit venir me chercher, je sors de l’hôpital aujourd’hui.

- Zückervit est donc une vraie personne ! Votre frère ne le connaît pas. Il ne sait même pas que vous êtes fiancée !

- Je ne suis pas fiancée ! Qui vous a dit ça ?

La mâchoire de Polycarpe s’affaissa. Il n’eut pas le temps de réagir : une infirmière fit irruption dans la chambre accompagnée d’un personnage costaud, en blouse blanche, aux traits épais dont le sourire semblait indélébile, plaqué sur son visage comme un trait horizontal.

- Zück ! Déjà ! Mais je ne suis pas prête.

- Je vais attendre dans le couloir, dit l’homme. Magnez-vous.

Il s’approcha de Polycarpe et lui donna une poignée de main en souriant d’un seul côté du visage, comme un type rescapé d’une attaque cérébrale.

- Zückervit, infirmier psy à Jonques. Mademoiselle fait de fréquents séjours chez nous.

- Enchanté, Zück ! déclara Polycarpe, en secouant la main de l’infirmier dans un élan de grande sympathie.

Il se sentait euphorique et aurait volontiers embrassé ce sacré vieux Zück, qui tombait à pic maintenant qu’il avait agi pour la libération d’un innocent emprisonné, évité les déballages d’adultère. Il effectua un pas chassé vers la porte.

- Je ne vous retarde pas, je m’esquive ! dit-il.

Il fit un signe de la main à la vicomtesse qui disparaissait dans le cabinet de toilette, empressée de se préparer à partir pour Jonques comme s’il s’agissait d’un lieu de villégiature.

- À très bientôt, Iseult ! N’oubliez pas de retirer votre plainte !

- À plus, monsieur le pyrrhonien ! dit-elle, sur un ton frivole.

 

De retour dans sa voiture, Polycarpe rembobina la cassette, vérifia qu’elle était audible puis l’éjecta du dictaphone. Il appela les renseignements pour connaître le numéro de l’hôtel de police où il obtint un rendez-vous avec Sarrasin.

Les locaux, fraîchement surgi d’un terrain autrefois occupé par un concessionnaire automobile, en périphérie de Chassac, avaient une forme de porte-avions en Plexiglas surmontés d’une visière géante qui semblait avaler les visiteurs. On lui indiqua que l’ascenseur qui desservait les numéros impairs de l’aile C était au milieu gauche de l’axe B. Il se sentit supérieurement intelligent en parvenant sans se perdre devant la porte 1515. « Opération Marignan » pensa-t-il, en frappant.

 

- Salut, vieux ! Quel bon vent ?

Depuis la partie de pêche, Sarrasin était devenu familier. Il avait bondi pour accueillir Polycarpe et lui désigna un des sièges de moleskine à roulettes avant de sautiller derrière son bureau qui supportait un ordinateur, une lampe et une statuette tenant du César et du trophée sportif. Dans un costume crème à fines rayures sombres, chaussé de souliers bicolores, l’inspecteur de police judiciaire, alias Michou, en imposait plus qu’au bord de la Gourmette. Polycarpe lui résuma ses conjectures concernant la mort de Cornu. Il lui remit la cassette et la coupure de presse retrouvée par Petit Lu.

Sarrasin tapota aussitôt sur son clavier et attendit l’apparition des informations, un des sourcils remonté d’un cran en produisant des bop-bop de poisson rouge avec sa bouche.

- À propos, la fille poignardée, la sœur de votre ami de Touche… J’ai jeté un œil sur l’enquête : on a de gros doutes, c’est une récidiviste de l’automutilation…

 Soudain, il tomba en arrêt devant l’écran et lustra ses moustaches du pouce et de l’index.

- Chimène Crucheau. Née en 1931. Condamnée en 1960 pour proxénétisme hôtelier à deux ans de taule. Ah ! ah... Le magistrat était Corbeau. La maquerelle régnait sur une demi-douzaine de filles au Petit Napperon Rouge, hôtel fermé et probablement vendu pour régler une amende de deux cent cinquante mille francs. À l’époque, ça faisait une somme !

Il croisa les doigts et s’accouda sur son sous-main.

- La vengeance est un plat qui se mange froid et souvent avarié. Vous avez bien fait de venir, Polycarpe, la piste Crucheau est intéressante. J’en parlerai aux collègues en charge du dossier. À part ça, quoi de neuf ? Ah, au fait, nous irons prochainement à Rochebourg : c’est un fameux coin de pêche !

- J’envisage de planter ma crémaillère prochainement. Je compte sur vous deux. Et Gix, naturellement !

Ayant refilé à Sarrasin la patate chaude de l’affaire Cornu qui l’obsédait depuis des semaines, Polycarpe prit congé.

- À bientôt, vieux ! dit Sarrasin.

Et ce qualificatif de « vieux » lui vrilla les méninges jusqu'à sa sortie du bâtiment.

à suivre...

09:28 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

06 mai 2006

Les aventures de Polycarpe - 21éme épisode

LE VIEUX LOGIS

CHAPITRE XX
Où les indices s'accumulent sur l'assassin du juge, Imogène décrète le look-out de la boutique de miel, Polycarpe fait l'acquisition d'une vieille armoire aux crapaudines engourdies, Rosemonde avoue sa liaison coupable...

Dès huit heures, le lendemain matin, le téléphone du logis fut saisi d’une frénésie sonnante interrompant à quatre reprises la toilette de Polycarpe, alors qu’au même moment les trépidations d’un marteau-piqueur et le moteur du compresseur perturbèrent la légendaire torpeur du village et firent trembler le logis sur ses fondations.
À chaque appel, Polycarpe essuyait en râlant sa mousse à raser, jetait sa serviette et descendait précipitamment au rez-de-chaussée pour répondre, sans saisir la totalité des propos dominés par les décibels des travaux. Exaspéré, il bâclait les conversations, opinant d’un « oui, oui » distrait aux diverses sollicitations. Quand il se décida à emporter le mobile au premier étage, les appels cessèrent mais, réflexion faite, en présentant à nouveau son menton devant le miroir, blaireau en main, il renonça à se raser.
La première communication provenait du cuisiniste Tradimod qui envoyait ses gars monter les meubles et les plans de travail. Gaspard Charron s’annonçait pour prendre les mesures de la trappe. Gix voulait savoir si la gigantesque armoire bordelaise l’intéressait toujours : il fallait en prendre livraison dare-dare. Enfin, et à sa grande surprise, Rosemonde de Touche lui demandait de passer à son magasin de cadeaux. Elle avait des « choses » à lui confier mais en toute discrétion, ailleurs qu’au village.
Moins de trois quarts d’heure plus tard, les installateurs de cuisine arrivèrent, suivis à quelques minutes d’intervalle d’une Imogène curieuse et sur des charbons ardents depuis qu’elle avait repéré le Peugeot Partner à l’enseigne jaune et rouge de la société Tradimod garé devant chez lui.
- Je viens vous espionner pour savoir quels agencements vous avez choisis ! Oh, c’est infernal, chez vous, Poly !
- Croyez-vous que nous résisterons à ce vacarme durant toute la durée des travaux ? Nous allons demander au maire à être relogés... Allons dans le jardin, nous serons plus au calme.
- Je pourrais vous accueillir. Chez moi, le bruit est nettement plus supportable !
- Comment ça, plus supportable chez vous ! Ils ont commencé à casser le goudron à deux pas de votre maison...
- Je ne vous dirais pas pourquoi. La physique des propagations sonores, moi, vous savez...
Ils s’installèrent sous le cerisier où le ronflement des engins paraissait atténué par le volume de l’immeuble. Il lui montra le croquis des futures aménagement : des lignes et des hachures s’entrecroisaient et se prolongeaient vers un point de fuite virtuel faisant surgir des volumes dépouillés aux proportions futuristes.
- J’ai suivi vos conseils, même si j’ai tenu compte également des suggestions de Mama. Je panache l’ancien et le moderne. Je fais poser ces meubles de résine intégrant l’électroménager, couleur « rosé des prés ». Je disperserai ici ou là un chiffonnier et une bonnetière pour les rangements. Gix m’a dégotté une grande armoire que je prévois de placer en vis à vis de ma cheminée...
- Pas mal. Je suppose que vous héritez d’un oncle d’Amérique...
Un ouvrier apparut sur le seuil du jardin.
- Excusez ! On vous demande...
Gaspard Charron admirait la cheminée. Il tendit à Polycarpe une large main râpeuse et désigna les trous à l’emplacement des pitons qui retenaient la plaque du foyer.
- Dommage, dit-il, qu’on vous ait piqué le contrecœur. Pour en trouver un à ces dimensions...
- On s’en est servi pour boucher la trappe. Faute de mieux !
Il brancha une baladeuse à la prise électrique du couloir qui éclaira le cagibi où l’artisan pénétra, se courbant sous les contremarches. Il fit glisser la plaque de fonte pour dégager l’ouverture.
- C’est quoi, ce boucan ? dit l’homme.
- La commune installe le tout-à-l’égout.
- On dirait que le bruit provient directement de par-là.
Polycarpe s’écarta du cagibi puis s’en rapprocha, enjambant à plusieurs reprises les matériaux posés en travers du corridor et les caisses à outils, pour convenir avec Charron de la singularité du phénomène.
- Vous m’avez bien expliqué, l’autre fois, que c’était l’entrée d’un souterrain, dit l’artisan. Ma parole, il mène directement aux excavatrices qui creusent la route.
Après le départ du forgeron, Polycarpe retourna dans le jardin où Imogène se prélassait dans le fauteuil-paon, jambes allongées, fumant une fine cigarette les yeux clos et le visage offert au soleil, comme si elle avait décidé de s’incruster. Il laissa cette impression de côté.
- Voulez-vous m’accompagner, dit-il. Je veux découvrir la source du raffut qui semble remonter par le souterrain.
Elle ouvrit les yeux.
- Il bifurque là où vous avez vu le graffiti de mon premier flirt. D’un côté, il monte aux bois et de l’autre, il redescend dans la cour des troglodytes.
- Pierre nous a montré l’embranchement.
- Le compresseur est peut-être installé près de la galerie. Je vais avec vous.
Elle marchait à ses côtés, l’air particulièrement détendu. Elle portait une jupe et un petit débardeur qui mettait en valeur ses formes mures. Elle était un peu plus grande que lui, malgré ses souliers plats et avançait d’un pas souple. À mieux la connaître, Polycarpe décelait du félin en elle. Il se décida enfin à la questionner :
- Vous ne travaillez pas ? Vous n’ouvrez pas votre boutique ce matin ?
- Eh, bien : non. Je déclenche la phase 2. C’est à dire : pression maximum, réacteurs à fond, survol acrobatique...
- J’ai dû manquer un épisode, dit Polycarpe, sans émoi, familiarisé avec les réflexions déconcertantes de son amie.
- Avez-vous vu la tête d’Anatole, le jour de la fête ? Il n’a pas eu une parole pour me convaincre de revenir et il m’a, en tout et pour tout, adressé six mots : « bonjour » « tu vas bien » et « au revoir ».
Polycarpe n’était pas surpris, mais il la regarda avec un sourire qu’il teinta d’ironie pour masquer son embarras.
- C’est un taiseux, votre Anatole.
Ils descendaient maintenant la rue du château, encombrée de diverses machines, d’un scraper, d’une pelleteuse, d’un camion à benne, de buses, de raccords en Y, de tuyaux emmêlés et de gars protégés d’œillettes et de gilets fluorescents qui jetaient sur la jeune femme de furtifs regards concupiscents.
- Il n’est même pas resté déjeuner, comme il en avait manifesté l’intention dans un moment de grand relâchement. Je ne l’ai pas vu de l’après-midi, ni de la soirée. Pourtant, il a voulu tenir la boutique toute la matinée... Les petits bénéfices passent avant les grands sentiments. CQFD. Alors, je vais le piéger. En fait, je lui donne une deuxième chance.
Polycarpe grimaça : connaissant la liaison d’Anatole, Imogène pouvait faire l’économie de cette stratégie. Il était dérouté par son acharnement à reconquérir l’infidèle alors qu’elle ne semblait pas languir d’amour… Question d’amour-propre ? Faisait-elle passer la survie du patrimoine foncier avant le goût du bonheur ? Fallait-il supposer qu’Imogène ait tout oublié des émois sentimentaux ? Était-ce possible ? Avait-elle un cœur de granit ?
- Tant que nous n’aurons pas établi un avenant au contrat de mariage, je maintiens le lock-out de la boutique de miel ! ajouta-t-elle, dans un demi-sourire ironique.
Visiblement, c’était un jeu. À moins que… Il détailla ses attitudes « trop » détachées, son profil grave, les traits déterminés de son visage, le voile du regard et le tremblé du sourire : non, ce n’était pas un jeu. Elle ne laissait entrevoir que son être civilisé. Elle s’y arrimait sans y croire, pour maintenir à flot des apparences convenables. Il lui fallait étouffer ses ouragans intérieurs et refuser de voir l’évidence du terrible gâchis de sa vie conjugale. La raison sociale avait régi une grande part de son existence, il s’agissait maintenant d’opérer un triple salto, sans déraper en retombant sur ses pieds de femme plus très jeune, sans enfant, sans amant et délaissée !
Polycarpe se demanda comment ce couple réagirait s’il avait une progéniture. Par association d’idées, il lui annonça que sa fille, son gendre et ses petits-enfants allaient arriver dans une dizaine de jours.
- Aurez-vous terminé votre cuisine ? Je vous suggère de l’inaugurer à cette occasion. Nous ferons la fête avec votre petite famille. J’ai hâte de connaître votre fille !
- C’est une idée excellente. Mon gendre Witson est très sociable, il aime se lancer dans de grandes discussions pourvu qu’on veille à réapprovisionner le bar.
Ils arrivaient à l’embranchement de la ruelle. Chimène était aux premières loges, appuyée sur sa canne, penchée au-dessus d’une tranchée pour observer l’emboutissage des buses. Sa surdité, au demeurant partielle, la protégeait des pétarades assourdissantes du compresseur installé - ainsi que l’avait subodoré Gaspard Charron - à l’entrée de la galerie centrale.
L’entreprise travaillait avec célérité : les tranchées une fois creusées et équipées de buses étaient aussitôt remplies de falun immédiatement damé, avant d’être enduit d’une couche de macadam compressé au rouleau. À ce rythme, les maisons du bourg seraient rapidement raccordées. Une petite semaine d’enfer à supporter, mais c’était un moindre mal.
Ayant confirmation de l’origine du vacarme, Polycarpe s’apprêtait à faire demi-tour, lorsqu’une idée lui vint à l’esprit et le cloua sur place.
- Chimène qui a toujours vécu dans les troglodytes doit connaître parfaitement les galeries !
- C’est probable !
- Et si c’était elle qui avait parcouru le souterrain pour accomplir une vengeance ! Écoutez : dans la boîte que Petit Lu avait chapardée se trouvait l’article du journal avec la photo du juge. N’aurait-elle pu avoir à faire à lui dans une vie antérieure ?
- Tout est possible, dit Imogène. On dit bien qu’elle se prostituait autrefois. « Le juge et la prostituée »... Fable de Polycarpe Houle, dit-elle, en riant.
Ils se retournèrent machinalement et interceptèrent le regard acéré de la vieillarde. Pressentait-elle leurs doutes ? Ils s’éloignèrent en hâte pour fuir le vacarme. Concentré, le poing devant le menton comme s’il parlait dans un micro, Polycarpe exposa son raisonnement à Imogène :
- Elle découvre un beau jour dans la presse, un 4 avril exactement, que le soi-disant Cornu est ce même juge qui l’a condamnée autrefois pour une raison x ; elle nourrit envers lui une haine tenace attisée chaque fois qu’il vient dans la galerie lâcher des chauves-souris ; elle connaît les passages secrets mais se garde bien de le renseigner.
Imogène complète le scénario :
- Sachant que l’homme est vulnérable, par Berouette qui a entendu Ulysse décrire ses crises d’asthme…
- ...elle se faufile dans le souterrain, cahin-caha, avec sa canne, fait irruption dans la maison du juge et, saisissant un coussin...
- ... l’étouffe puis revient chez elle par le même chemin. Puis elle s’arrange pour envoyer Berouette chez le juge…
- J’ai une explication de la bouche même de Berouette : il a vu de la lumière à l’étage, ce qui l’a intrigué…
- Mon œil ! s’exclama familièrement Imogène. Ce gars-là, il connaît à la minute près les habitudes de sa mère. Il cherche simplement à l’innocenter. Mais admettons qu’elle provoque la découverte du corps en manigançant exprès l’histoire des pièces éclairées… Pourquoi n’attend-elle pas tout bonnement qu’Ulysse fasse la macabre découverte à son retour de voyage ?
- Elle sait qu’il est encore dans les parages alors qu’il a annoncé son départ à grand tapage, dit Polycarpe. Peut-être même qu’elle connaît les habitudes d’Ulysse qui ne peut décemment pas compromettre la comtesse. Elle aurait prémédité d’utiliser les mensonges du jeune homme pour attirer les soupçons sur lui. Ne la sous-estimons pas !
– On n’est pas sûr qu’elle connaisse la liaison d’Ulysse…
- Elle serait bien la seule, hormis le mari à n’être pas au courant ! Si seulement nous avions une preuve...
Il pensait aux divers petits déchets aperçus lors de l’expédition :
- Quand bien même, soliloqua-t-il, ça ne signifierait pas qu’elle a tué Cornu ! Il nous manque un élément du puzzle…

Quand ils arrivèrent à la hauteur de la boutique de miel, Imogène attira l’attention de Polycarpe sur l’écriteau qu’elle avait accroché : « Fermé pour congés »
- Je suis libre comme l’air ! dit-elle. Avez-vous besoin d’une arpète pour vous aider ? Ça m’occuperait...
- Je n’aimerais pas qu’Anatole vous surprenne en train de blanchir mes murs... Et puis je dois aller en ville. J’ai un rendez-vous important...
- Je peux savoir ?
- Oui. Rosemonde veut me parler dans un endroit discret…
Il regarda Imogène froncer les sourcils et le jauger.
- Je vous en prie, dit-il, ne craignez pas pour mon pucelage !
Imogène s’empourpra légèrement.
- Alors je vais superviser vos travaux pendant votre absence ! Dites oui, Poly !
- Très bien. Je vous laisse les clés et je vous délègue mes pouvoirs, à une condition : ne prenez pas d’initiatives farfelues.
Avant de sortir la bétaillère et de confier le logis à Imogène, Polycarpe fit le point avec les techniciens et appela le vendeur de l’armoire bordelaise pour le prévenir de son passage en fin d’après-midi.
Il manœuvrait pour sortir de la ruelle quand une voix aiguë le héla.
- Polycarpe ! Hou hou !
Flora traversait la place sur un vélo hollandais. Des aiguilles à tricoter dépassait du panier fixé sur la roue avant. Elle posa le pied à terre et se pencha à la portière.
- Vos conseils ont fait merveille : mon Godichon a de nouveau l’oreille sémillante !
- À la bonne heure !
- Dites-moi, Polycarpe, ne seriez-vous pas tenté de participer à notre chorale ?
- C’est une manie, dans ce pays, d’embrigader les gens ! Écoutez, Flora, je chante comme une casserole !
- Dommage, il nous manquait un ténor et vous avez le physique !
- Est-ce qu’un ténor a un physique particulier ? fit-il mine de maugréer, tout en appréciant l’art consommé de Flora de déconcerter ses interlocuteurs.
Elle lui envoya un clin d’œil complice, plaça son vélo face à la pente et relança d’un petit coup de pied ses pédales en arrière.
- Nous préparons le Requiem de Mozart pour l’automne, expliqua-t-elle. Nous chanterons dans l’église. Je suis soprano.
- Félicitations ! dit Polycarpe.
Il s’habituait peu à peu aux anomalies de casting : à Rochebourg, une ex-danseuse de cabaret devait fatalement chanter le requiem dans une église !
Cette pensée le fit sourire et il engloba Flora d’un regard amical.
- Je vais chez Mama faire du baby-sitting, lança-t-elle, en s’asseyant sur la selle, filant dans la descente, sa longue jupe faseyant au vent.

Au cœur du vieux Chassac, la boutique « Papillotes » se déversait sur le trottoir comme une corne d’abondance : des paniers remplis de moulins aux ailes multicolores ou de bouquets artificiels, des girouettes, des cale-portes en forme d’escargots, des tire-bottes, des dames-jeannes tandis que des quantités d’objets en fer forgé, en osier, en verre, en bois, accrochés ou empilés, garnissaient l’entrée et l’intérieur du bazar. Sur des tables nappées de madras et dans des armoires vitrées étaient présentées des verres, des vases, des compotiers, des carafes et des aiguières. Derrière le comptoir, Rosemonde emballait un éteignoir dans trois feuilles de papier crépon de couleurs vives, superposées sur une feuille de papier cristal. Elle nouait avec du raphia une des extrémités qu’elle écartelait comme une fleur et qu’elle taillait aux ciseaux à cranter quand elle aperçut Polycarpe.
- Je suis à vous dans une minute, lui lança-t-elle.
Il attendit en furetant au fond du magasin, sous des lustres fantaisie, parmi des batteries de cuisine émaillées et des seaux en zinc ; il regarda le prix d’un valet de nuit, toucha les pétales d’un pavot plus vrai que nature lorsqu’elle le rejoignit, ouvrant une porte en haut de trois marches.
- Mon associée me remplace. Suivez-moi, nous allons dans la réserve.
Elle s’appuya contre le rebord d’une fenêtre. Elle portait une marinière blanche à liserés bleus sur une jupe plissée assez longue et des mocassins. Même si cette tenue vestimentaire métamorphosait presque la séductrice en dame patronnesse, Polycarpe demeurait envoûté par ses grands yeux, ses lèvres charnues et sa voix chaude. Il masqua cette attirance sous un air contrarié.
- Que signifient ces manigances ?
- Je n’ai qu’une personne à qui me confier : vous, monsieur Houle. Pierre ne doit pas être au courant et ma famille ne me comprendrait pas. Quant aux autres, n’en parlons pas... Il s’agit d’Ulysse Côme.
- Je crois comprendre. Mais, continuez...
- Comme vous savez, ma belle-sœur l’accuse d’avoir assassiné le juge Cornu, la veille de la Toussaint... Or, il était chez moi, il est resté tout l’après-midi, toute la soirée et... presque toute la nuit. Pierre ne rentrait que le lendemain d’un séminaire organisé par sa compagnie. Je dois vous l’avouer : Ulysse est mon amant depuis quelques mois.
- Comment disculper Ulysse en épargnant Pierre ? C’est le choix cornélien que vous n’arrivez pas à résoudre, c’est cela ?
- Exactement, dit-elle, en se malaxant les mains.
- Il n’y a pas à tergiverser. Vous devez faire un témoignage sur l’honneur auprès de son avocat. C’est indispensable. En espérant qu’on ne déballera pas vos secrets d’alcôve lors d’un procès et qu’on découvrira auparavant qui a vraiment tué Cornu. Puisque Ulysse n’est pas en cause, avez-vous une idée ?
- Un très, très mince soupçon.
Elle indiqua entre son pouce et son index une hauteur de deux à trois centimètres. Et elle ajouta en fermant à demi les yeux :
- Une fois de plus, je vais avoir le mauvais rôle : on va dire que j’accable Iseult parce que je la déteste. D’ailleurs, je la déteste.
- Mais encore ?
Elle soupira bruyamment.
- Le Perfescope que vous avez vu à la maison, que Pierre a repris à sa sœur : comme par hasard, c’est après le décès du juge qu’il a fait son apparition. Je me rappelle avoir été très étonnée de ce soi-disant cadeau. On n’avait jamais entendu dire qu’elle allait voir le vieux bonhomme. Il se peut qu’il ne lui ait jamais donné, mais qu’elle l’ait pris et quand ? C’est toute la question.
- Ulysse doit savoir si oui ou non, Iseult venait au logis !
- Je vais prendre rendez-vous avec son avocat.
- Parfait.
- Dites, monsieur Houle, ce que je vous ai dit : vous le gardez pour vous...
- Bien sûr, affirma-t-il.
Il lui adressa un petit sourire paternaliste pour atténuer le choc de la révélation :
- Vous savez, chère Rosemonde, tout le monde est au courant. Excepté Pierre, naturellement.
Il vit la jeune châtelaine déglutir de surprise, lui exprima un « Hé ! » fataliste en ouvrant la porte de la réserve, avant de descendre les trois marches.
Il fraya son chemin avec précaution dans le labyrinthe des objets fragiles et, réflexion faite, acheta un bouquet de tulipes blanches lumineuses qu’il aurait sous la main en cas d’invitation à l’improviste. Rosemonde fit un emballage artistique en lui vantant, machinalement, les avantages d’une carte de fidélité. Il réprima un sourire tandis que la volage comtesse tamponnait le coupon.
Il retourna vers le parking, égayé par l’ironie de la situation.

Une heure plus tard, parvenu au cœur de l’aride et caillouteuse champeigne qui se déployait au nord du département, il dénicha la ferme misérable du vendeur d’armoire qui lui montra la désolation d’un poulailler vide.
- La peste aviaire. J’ai besoin de me refaire, fit-il, sans état d’âme.
L’homme fit glisser sur son rail la porte métallique de son hangar.
- Voilà l’engin ! J’l’ai toujours vu là.
Il désignait ainsi une belle et grande armoire abandonnée au milieu d’un fatras de selles, de harnais et de colliers lyophilisés, de socs et de herses rouillés. Menacée par un monceau de vieille paille poussiéreuse, elle paraissait humaine et triste.
Polycarpe passa avec douceur ses doigts sur les montants chantournés, massa les crapaudines engourdies, suivit les cannelures des rosaces et tâta le bouquet sculpté ; il souffla sur la poussière qui occultait la plaque en cuivre oxydé de la serrure et tourna la grosse clé. L’intérieur des battants était encore garni d’une vieille toile provençale et les étagères supportaient des boîtes de bouillie bordelaise, de sulfates, d’engrais, de taupicine, d’herbicides. Des clous, des vis et des rondelles, un détendeur de gaz et différentes pinces encombraient les tiroirs dont l’armoire était pourvue dans sa partie basse, à la manière d’une commode.
Il ressentit l’évidence d’un coup de foudre et sut immédiatement qu’il la sauverait de cet indigne statut de placard à poisons.
- Quand le véto l’a vue, ça a fait tilt ! dit l’homme.
- Combien ? demanda Polycarpe, en s’accroupissant devant les pieds enfoncés dans la terre battue et grattant de l’ongle le bois abîmé.
- Neuf cents euros...
- Sept cents. Il y a du travail pour la restaurer.
- Alors huit cents.
- Sept cent cinquante.
- Affaire conclue.
Polycarpe topa d’une poignée de main avec le vendeur et signa son chèque sur la ridelle d’une vieille carriole. Puis il appela immédiatement le transporteur qui l’avait déménagé au début de l’été pour décider de l’enlèvement du meuble la semaine suivante.
Avant partir, il flatta le flanc de son armoire d’une main attendrie, en marmonnant un « Patience, ma vieille » sous l’œil interloqué du fermier qui réajustait son couvre-chef d’un geste compulsif.
Il regagna Chassac, évita le centre ville, pour parvenir par les boulevards extérieurs dans l’enceinte de l’hôpital Debrousse.

à suivre...

15:06 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (4) |  Facebook | |  Imprimer | |

02 mai 2006

Pour Jean Bouchaud...

...puisque je sais qu'il visite ce blog. Et pour Marie, Sarah et Louis... Gros bisous.

Et pendant que j'y suis, pour leurs collègues du lycée  !

Salut à tous...

Et Bon courage !

15:32 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (8) |  Facebook | |  Imprimer | |

Les aventures de Polycarpe - 20éme épisode

LE VIEUX LOGIS

CHAPITRE XX

 

Comment se poignarder dans le dos tout seul

Le crash-test de la ratatouille

Le mort était photogénique…

 

- Drôle de façon d’attirer l’attention : si vous ne l’aviez pas retrouvée, elle serait morte !
- Je n’en suis pas certain. Tous les week-end, nous organisons des visites dans la chambre rouge. Elle pouvait s’attendre à être secourue... J’ai ruminé cette histoire toute la nuit, il y a des invraisemblances notoires.
Il lampa une gorgée et reprit :
 - Si vous aviez l’envie de me tuer en me poignardant dans le dos et que la lame aurait ripé sur l’omoplate,  vous retireriez le poignard pour m’asséner un second coup... Mais admettons que votre forfait commis, même raté, vous preniez la fuite, alors je réagirais forcément, je n’irais pas m’étendre sur le sol en attendant de me vider de mon sang, un couteau mollement planté dans l’épiderme  !
Basile s’amusa de l’évocation puis émit une hypothèse :
- C’est peut-être une pseudo tentative de suicide, organisée de manière à faire accuser Ulysse qui l’a laissée tomber, comme chacun sait.
- J’en arrive effectivement à cette conclusion.
- Pourtant, n’avait-elle pas trouvé un nouvel équilibre ? N’était-elle pas fiancée avec son psy ? s’étonna Polycarpe.
- Qu’est ce que vous dites ? Fiancée ! Quel psy ?
- Iseult m’a annoncé ses fiançailles avec le Dr Zückervit, qu’elle m’a décrit comme un homme charmant et riche, qui l’emmène dîner en ville...
- Le Dr Comment ? Je ne connais pas de psychiatre de ce nom ! Je veux vérifier immédiatement. Basile, avez-vous un Minitel, un annuaire ?
Pierre feuilleta fébrilement les pages professionnelles  puis les pages des particuliers. Il hocha la tête avec désespoir et se prit le front dans les mains.
- Elle a tout inventé. Ma sœur est complètement folle ! Si vous saviez ! Elle est capable du pire. Accepteriez-vous de m’accompagner pour vérifier dans la chambre rouge s’il n’y a pas un indice quelconque ? Au cas où elle aurait organisé cette mise en scène, je ne peux pas laisser accuser un innocent.
- Elle met également Ulysse en cause dans la mort de Cornu, affirmant l’avoir vu ! fit remarquer Polycarpe. Ce qui fait deux chefs d’accusation, si ce garçon s’en tire, ce sera un miracle.
- Ce qu’elle « voit » passe les limites de la raison, vous savez !
Polycarpe eut une contraction nerveuse et involontaire du cuir chevelu qui fit bouger ses oreilles, en entendant le comte évoquer des visions pathologiques.
- À propos, Pierre, vous deviez me révéler un phénomène d’optique extraordinaire, expliquant les visions !
- C’est exact, mais en ce moment, vous comprendrez que je suis peu disponible pour surveiller ces phénomènes.
 
Les trois hommes se rendirent ensemble jusqu’au château, puis escaladèrent les ruines jusqu’au premier pour pénétrer dans la chambre rouge. Ils la passèrent au crible, ne négligeant aucune possibilité de coincer le manche d’un coupe-papier en argent ciselé, selon Pierre de Touche, dans une anfractuosité de mur ou de boiseries. Ils éliminèrent les intervalles de parquet car le poignard n’aurait pas pu suivre la rotation du corps découvert à plat ventre. Il y avait plusieurs encoches qui auraient pu être utilisées, et une seule à la hauteur de l’omoplate d’Iseult.
- Ici, regardez, dit Pierre, le bois des lambris a travaillé, cette large fente semble dépoussiérée…
- Nous sommes peut-être en train d’affabuler, pour prouver l’innocence d’un gars dont nous ne savons rien ou très peu de choses, après tout, dit Basile.
- Possible. Mais le doute est permis, concernant Iseult, je vous assure. Un jour, elle s’est volontairement brûlée avec un pique-feu en imaginant un stratagème compliqué pour me faire croire que Rosemonde l’avait torturée.
Après ces ahurissantes révélations, toutes les hypothèses paraissaient plausibles.
Polycarpe relança le comte à propos de la fantastique découverte qui « expliquait » les visions.
- Exposez donc votre théorie, Pierre, puisque nous sommes sur place, je suis particulièrement ouvert aux solutions rationnelles…
- Eh ! bien, voici les faits : quand les volets de bois intérieurs sont clos, la pièce devient une chambre « noire » comparable à celle d’un appareil photographique. Par les trous percés dans le bois, dont l’origine est incertaine…
Polycarpe et Basile s’approchèrent de l’ancienne croisée et repérèrent les petits orifices :
- Ils pouvaient permettre de voir sans être vu, dit Basile.
- Ils sont symétriques, dit Polycarpe, on arrimait peut-être les volets grâce à ces encoches !
- Toujours est-il, poursuivit le comte, qu’à certaines heures, certains jours et en fonction d’un certain ensoleillement, ce qu’il y a dehors est parfaitement reproduit à l’intérieur de la chambre, en couleur, et à cause probablement de la symétrie des trous, l’image paraît en relief… J’ai fait moi-même l’expérience de calfeutrer et d’ouvrir alternativement les orifices pour avoir la preuve de ces faisceaux optiques.
- Admettons, dit Polycarpe, intéressé et soupçonneux, cela impliquerait qu’il y ait quelque part, dehors, une jeune femme étendue dont l’image serait ainsi reproduite… Trop de hasards tuent le hasard, si je puis dire !
- Ça n’a pas l’air banal ! fit joyeusement Basile.
- En effet, dit Pierre. Mais… Suivez-moi.
Ils contournèrent l’aile en ruine, trébuchant sur les cailloux, et parvinrent sur un tertre dans des vestiges à ciel ouvert. Un lambeau de paroi restait érigé, à environ cent mètres de l’aile où se trouvait la fenêtre de la chambre rouge.
- La chapelle, annonça Pierre. Il n’en reste quasiment rien, excepté ces traces de fresques du quatorzième siècle. Approchez… Que distinguez-vous ? Ne reconnaissez-vous pas une abbesse étendue, avec sa coiffe… Il s’agirait, d’après les recherches de mon défunt père, des funérailles d’une moniale de Fontevraud !
Les deux roturiers étaient sans voix.
- Et voilà, cher Polycarpe. Vous n’êtes pas médium…Pour constater le phénomène, il faut que le soleil d’ouest frappe la fresque et que le temps soit particulièrement sec…
- Vous saviez très bien l’origine du phénomène lors de ma visite, quand j’ai failli me trouver mal, n’est-ce pas ?
Le profil gauche du comte était agité d’un tic qui faisait frémir sa paupière et remontait la commissure des lèvres :
- J’ai voulu vous impressionner un peu, j’avoue, dit-il.
Polycarpe reniflait à petits coups, indécis sur l’attitude à avoir, lorsque Pierre déclara, avec une certaine candeur :
- Ça marche très bien avec les japonais…
 
Alors que Polycarpe revenait du château, un compresseur fut mis en route et un type attaqua l’asphalte au marteau-piqueur. Il hâta le pas, stressé par les décibels.
Il venait de prendre la décision de remettre en service sa vieille télévision, restée dans sa gangue de polystyrène depuis son emménagement, pour suivre « l’affaire » qui ne manquerait pas d’être évoquée aux actualités régionales. Comme la plupart des maisons de Rochebourg en situation dominante au-dessus des plaines, le logis était dépourvu d’antenne sur le toit. Dès l’après-midi, il irait à Bux s’en procurer une, intérieure et télescopique, chez un marchand d’appareils vidéo.
Par la même occasion, il avait décidé de consulter un des rares forgerons du canton, recommandé par Imogène, pour exposer son problème de trappe, puis de faire un crochet par le « Bol d’Or » avec l’intention de surprendre Petit Lu dans ses nouvelles fonctions.
Le dénommé Gaspard Charron, un gaillard protégé d’un tablier de cuir, qui battait l’enclume devant un feu d’enfer, lui suggéra la pose d’une grille aux barreaux épais comme son pouce, boulonnée sur un support de fonte. Polycarpe imposa son idée de trappe basculante. L’artisan promit de passer rapidement prendre les mesures. Il resta toutefois évasif sur le délai de réalisation, étant, dixit l’homme de l’art : surbooké.
Polycarpe découvrit le « Bol d’Or » dans un faubourg, le long d’une large artère passante. L’établissement comportait une spacieuse boutique claire, dallée de blanc, exposant vélos, scooters, casques et des grands panneaux de pièces détachées, jouxtant un atelier noir de cambouis. Une dame d’un âge plus que respectable tenait la caisse, la mère du patron, probablement : ça sentait son affaire de famille.
- Vous voulez parler au grand Luc ? demanda-t-elle d’une voix fluette et chevrotante.
Ainsi Petit Lu était promu Grand Luc. Hormis sa bouille ronde, il était métamorphosé : avec les cheveux courts, la barbiche rasée, dans sa combinaison grise de mécano, il avait l’air d’un pro qui offrit son poignet à serrer, à défaut de sa main graisseuse.
- Tu as changé de look.
- Ben, dans ce boulot, les cheveux longs, ça le fait pas...
La vieille dame étant occupée avec un client, Petit Lu entraîna Polycarpe auprès de la grande vitrine, pour lui demander s’il avait remis l’argent à Chimène.
- Parfaitement. Désormais, tu es blanc comme neige...
Avec un air extrêmement concentré, Petit Lu farfouilla sous sa combinaison et en ramena un vestige de portefeuille, archi plein de cartes diverses, gonflé de petite monnaie, craqué de partout, miraculeusement fermé par une bande velcro, dans lequel il fit un laborieux inventaire avant de dénicher une vieille coupure de journal qu’il remit à Polycarpe.
- Vous savez quoi ? En rangeant ma chambre pour déménager de chez mes parents, j’ai retrouvé ça dans la boîte de gâteaux qui contenait les économies de Chimène… Tenez, si ça vous intéresse…
Il s’agissait du cliché paru dans Le Nouvel Écho que Polycarpe avait trouvé aux archives. Quel compte Chimène avait-elle eu à régler avec le sulfureux juge ?
La vieille dame toussota.
- Luc, ce client veut raccourcir sa chaîne de vélo, tu veux t’en occuper ? Excusez-moi, dit-elle à Polycarpe, nous avons tellement de travail. Êtes-vous de la famille de Luc ? C’est un bon garçon. Pas très dynamique, mais consciencieux.
Il s’approcha du comptoir et fit un brin de causette, la congratulant pour son extrême cordialité. Elle minauda avec coquetterie en aplatissant sur son front une bouclette argentée.
- Le sourire et la politesse, dans le commerce, ça fait toute la différence, dit-elle. Vous pouvez me croire ! Je suis dans le commerce depuis cinquante ans, mais oui !
Il opina gravement et pour être aimable acheta des manchons de guidon pour son Solex.
De retour chez lui, il transporta le poste et des mètres d’allonges électriques dans tous les coins de la cuisine en tournicotant l’antenne avant de pouvoir capter une image convenable, à peine enneigée, au moment des informations locales.
Elles confirmèrent l’événement. Encadré de deux gendarmes, on voyait Ulysse monter les marches du commissariat sans chercher à cacher un visage serein qui exprimait ou son innocence, ou son machiavélisme.
« Le procureur s’étonnera d’une accusation portant sur des faits aussi anciens que la mort du juge  et il aura connaissance de la mise en curatelle d’Iseult » pensait Polycarpe, prenant parti pour le jeune homme après les graves soupçons d’imposture que Pierre de Touche avait fait porter sur sa soeur.
 
Après les informations, Polycarpe avait éteint la télévision, pour réfléchir aux accusations proférées à l’encontre du jeune homme, délaissant les circonstances de l’agression au poignard, fort bien récapitulées par le comte.
Il arpentait la pièce.
« Même si cette folle a inventé avoir vu Ulysse en train d’étouffer Cornu, le fait est qu’il est bien mort le trente et un octobre ainsi que l’a confirmé le médecin, selon Berouette. Petit Lu et Iseult se sont donc trouvés ensemble au moment approximatif de sa mort, probablement après, Petit Lu le croyant endormi quand il a chipé la montre ».
Il fit un arrêt en posant une fesse sur la table.
« D’autre part, nous savons qu’Ulysse était encore dans les parages et qu’il aurait pu revenir par le souterrain pour supprimer son testateur, se sachant légataire et le sachant asthmatique. Est-ce qu’Ulysse connaissait ce souterrain ? S’en servait-il pour acheminer son cannabis ? »
Il se redressa et se rendit dans le jardin où l’ensoleillement décroissant n’accrochait plus, en oblique, que la partie supérieure des murs.
«  Par ailleurs, Iseult de Touche prétend être restée auprès de Cornu en attendant qu’il se réveille pour lui faire la lecture. »
Il se laissa tomber dans son fauteuil-paon qui était resté dehors depuis la matinée.
«  La lecture... Qu’avait-elle dit exactement à ce propos ? Le vieillard lui avait offert le Perfescope parce qu’il ne voyait plus assez pour s’en servir... Parce qu’il voulait la remercier ainsi de venir lui lire des livres, qu’il ne pouvait plus lire lui-même... C’était les affirmations de la jeune fille, pour le moins dérangée, devait-on la croire ? » 
- Mais voilà  ce qui ne colle pas ! s’écria Polycarpe, en bondissant hors du fauteuil.
Il mit le cap sur son téléphone et fit le numéro de Basile.
- C’est Polycarpe. Êtes-vous toujours en grève ou dois-je me préparer un encas de pain rassis et une soupe en sachet ?
- Tout ira bien, Calamity vient de m’apporter une cocotte de ratatouille et il nous reste quelques saucisses d’hier...
- Parfait. J’arrive. Je vais vous faire part de mes élucubrations  pendant le dîner.
 
Tandis qu’ils couvaient des yeux la cocotte qui réchauffait sur le gaz,  Polycarpe énuméra les étapes de sa réflexion, jusqu'à son interrogation au sujet des séances de lecture.
- Vous rappelez-vous ce que vous m’avez dit un jour à propos des livres qu’Ulysse venait vous emprunter ?
- Pourquoi ?
- Je soupçonne Iseult de m’avoir menti en prétendant que Cornu était à moitié aveugle...
Ils se mirent à table et chacun se servit copieusement.
- Elle vous a dit ça ? C’est bizarre : Ulysse venait chercher des livres à la demande de Cornu qui lisait durant ses insomnies.
- Quel genre de livres emportait-il ? C’était peut-être pour son propre usage !
- Ulysse ne lisait pas, ça j’en suis sûr. D’ailleurs, il s’en vantait : il prétendait que la lecture ramollit l’homme d’action. Mais pour Cornu, n’importe quel bouquin faisait l’affaire, tous ceux que je posais sur le buffet, style prix littéraires, polars, biographies... Ah, ça me revient, Cornu était surtout friand de biographies historiques.
Polycarpe remplit à nouveau son assiette de l’excellente ratatouille, en chargeant Basile de transmettre ses compliments à la cuisinière. Celui-ci réajusta ses lunettes avec componction et dit, ironiquement solennel :
- Calamity fait parti du clan des légumes cuits.
- Pardon ?
- En matière de ratatouille, deux écoles font rage, l’ignorez-vous ?  Deux camps ennemis : celui des légumes crus et celui des légumes cuits, et personne ne plaisante ici sur la question !
Polycarpe posa sa fourchette et repoussa son assiette pour croiser les bras, en fixant sur Basile un regard empreint de la plus grande curiosité pour ce phénomène de chimie culinaire capable d’engendrer une discorde villageoise.
- Dites-moi tout, Basile. Pourquoi tant de haine...
- Je ne suis pas féru de cuisine mais j’ai ouï dire qu’on n’obtient pas le même résultat si on cuit tous les légumes ensemble ou si on fait revenir doucement chacun d’eux dans l’huile d’olive... méthode dite « des légumes cuits », plus goûteuse...
- Et plus indigeste !
- Voilà : c’est exactement le reproche - infondé ! - que font les partisans de la première manière. Je vous donne un bon conseil : choisissez votre camp. Vous serez jugé moins sur vos goûts que sur votre persévérance à pourfendre les tenants du clan adverse.
- J’hésite.
- Je comprends. Mais ne vous avisez pas de dire à Calamity que sa ratatouille est indigeste si vous ne voulez pas dîner d’un jambon sous cellophane-purée Vico tous les soirs.
Basile but son verre de vin à petites gorgées en observant avec malice Polycarpe s’imprégner des saveurs méridionales, hocher du chef, claquer de la langue.
- Voilà, je suis prêt à en découdre avec le parti des légumes crus !
- Bien parlé, amigos.
Après le crash-test de la ratatouille, Polycarpe se carra contre le dossier de sa chaise, l’air repu et satisfait.
- Ce qui m’obsède dans notre affaire Cornu, c’est l’incompatibilité de nos hypothèses. Pour Petit Lu, passons : il s’est avancé pour saisir la montre en or et s’est carapaté vite fait.
- Une petite minute... La montre en or, c’était petit Lu ? Qu’est-ce qu’il foutait chez Cornu ?
- Faites-moi le serment de garder le secret : il en va de la réputation du garçon. Cependant, il est difficile de faire l’impasse sur ses faits et gestes qui ont leur importance pour la reconstitution de ce casse-tête : voici les faits...
Après Imogène et Mama, il mit Basile au courant d’un secret dorénavant plus connu que le loup blanc, et reprit le fil de son raisonnement.
- Cornu était déjà mort si l’on en croit Iseult qui a cru, en entendant Petit Lu, qu’Ulysse revenait pour la tuer « dans un accès de folie meurtrière ». Donc, admettons qu’elle vient d’assister au meurtre et qu’elle s’enfuit de la maison dès le départ de Petit Lu. Qu’aurait-elle dû faire ensuite, en toute logique ?
- Donner l’alerte, non ?
- Elle ne l’a pas fait. Dans les jours suivants, après une de ses crises, elle retourne à Jonques, d’où elle écrit à Ulysse un courrier des plus confus, avouant à Ulysse que, sous l’emprise d’une hallucination, elle l’avait cru meurtrier, lequel ne prend pas la peine de lui répondre.
- Et si c’est une hallucination, Ulysse n’est pas coupable... Le fait qu’il n’ait pas répondu est plutôt une saine réaction... Espérons qu’Ulysse a conservé cette lettre !
- Hallucination ou pas, Iseult se trouvait alors dans la pièce en compagnie d’un mort et ne s’en était pas aperçu, alors qu’elle dit être restée près de lui... Quand même !  Comment ne pas remarquer l’inertie cadavérique ?
- Je vous le concède, Polycarpe, c’est louche.
- Iseult aurait-elle pu tuer Cornu, d’après vous ?
- Ça me paraît bidon. Pourquoi aurait-elle tué ce vieux ?
- Avec une fille aussi barjotte, le pourquoi du comment défie la logique. Vous ai-je dit que JR m’a parlé hier après-midi, en conduisant Godichon ?
- Non.
- Il est formel : Ulysse était à Rochebourg le trente et un octobre et non parti en vacances comme il l’avait annoncé. Son combi était garé au bord du bois des hauts et, par conséquent, non loin de l’entrée du souterrain.
- Ah ? Tiens, tiens...
L’air finaud, un tantinet égrillard, de Basile surprit Polycarpe.
- Qu’avez-vous ?
- C’est un secret de polichinelle, mais bien gardé par la population rochebourgeoise : on peut accéder au château depuis les hauts par un raidillon.
- Et alors ?
- Eh bien, la présence de la camionnette d’Ulysse à cet endroit ne prouve pas nécessairement qu’il a emprunté le souterrain. Il était peut-être au château.
- Après avoir affirmé qu’il partait !
- Dois-je vous faire un dessin ? Disons qu’il est peut-être parti quand même, après une visite de politesse, à Rosemonde.
- Voulez-vous dire : galante ?
- Hé ! Ce qui pourrait innocenter Ulysse et  justifier le comportement passionnel d’Iseult.
- Mais inversement, révéler l’infortune du comte... Aïe, aïe, aïe !

à suivre...

15:10 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |