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18 février 2006

Les aventures de Polycarpe - 11ème éîsode

Résumé du chapitre précédent : Au cours d'une promenade dans les bois avec les enfants Boubou, le petit ratier Biros a disparu : volatilisé ! Et comme par magie, Polycarpe le retrouve dans son logis... Polycarpe découvre ainsi que sa maison est reliée au bois par un souterrain. Ce dimanche, il visite pour la première fois le château de Rochebourg...

CHAPITRE XI

Quand il arriva au château, le lendemain, il déclina son nom dans un Interphone. Les deux battants d’un portail s’ouvrirent lentement. Dès que l’intervalle lui permit de passer de biais, il se faufila. Face à lui, au bout d’une allée montante, s’offrait la désolation de l’aile en ruine dont les vestiges d’étages effondrés laissaient apparaître des cheminées encore accrochées aux parois, et des accès vers des passages obscurs. Il ne savait vers où se diriger.

- Coucou, par ici !

Une créature de rêve, longue et flexible, se tenait en haut d’un petit tertre dominant l’allée principale. Ses jambes et ses bras, fuselés et bronzés, émergeaient d’une robe moulante rouge vif. Sa façon d’être cambrée, d’avancer le genou et d’agiter le bras levé, la rendait provocante. Avec une retenue étudiée, Polycarpe grimpa l’escalier aux marches larges et plates, qui contournait le monticule, vers ce sex-symbol  inattendu.

Il ne regrettait pas d’avoir endossé sa veste de lin caca d’oie, sa plus chic, quand elle lui tendit gracieusement sa main ; il la saisit du plat de sa paume et se pencha au-dessus d’elle, avec une décence tout aristocratique.

- Rosemonde de Touche. Enchantée. Je vous en prie, suivez-moi. Nous habitons les communs... réaménagés, bien sûr.

Polycarpe n’avait qu’une vision latérale et floue de l’environnement tandis qu’il appréciait nettement le déhanchement de la comtesse ; son pas très allongé tendait l’étoffe rouge, ouvrant une échancrure qui révélait les prémices d’une intimité troublante.

Pierre de Touche l’accueillit depuis le seuil dans une tenue simple même si ses cheveux plaqués en arrière et le foulard glissé dans l’encolure de la chemise, son maintien et sa voix trahissaient son rang et portaient les plis d’une éducation stricte. Il fit entrer le visiteur et lui désigna une bergère avant de s’asseoir à son tour, croisant ses jambes et posant sur son genou ses deux mains l’une sur l’autre. Le décor était monastique, les murs chaulés, contre lesquels quelques toiles d’art moderne n’en ressortaient que mieux. Polycarpe apprécia au passage l’exposition en bonne place d’une œuvre signée Marie Bulu ;  quelques antiquités cohabitaient avec un équipement informatique et du matériel vidéo ultra moderne. Un grand écran diffusait en silence une vidéo d’espèces sous-marines. Cet aquarium virtuel était une trouvaille : pas d’entretien, des poissons évoluant parmi des coraux, aux couleurs merveilleuses. Toutefois, l’œil d’un mérou, en gros plan, et les zooms sur la mâchoire d’un requin, s’avérèrent soudain un peu stressants.

- N’y voyez aucune arrière-pensée malveillante, monsieur Houle, mais je vous suppose téméraire et original pour avoir fait l’acquisition de ce logis.

- Et certainement inconscient, aussi.

La conversation effleura leurs professions respectives. Le comte expliqua avec une franchise sympathique qu’il « pantouflait » agréablement dans une grande compagnie d’assurances, friande de nobles patronymes à inscrire sur les cartes de visite et les mailings. 

- Mon épouse s’est associée avec deux amies pour exploiter une petite boutique d’objets à offrir... Elles font un roulement ce qui lui laisse du temps pour...

Il prit un ton flatteur alors qu’elle revenait dans la pièce avec un plateau :

- …sculpter son corps dans un établissement fitness.

Rosemonde apporta des verres ballon et une fiole sur un plateau qu’elle déposa sur un petit guéridon, offrant à la vue de Polycarpe son décolleté vertigineusement échancré et des petits seins dépourvus de lingerie, s’assurant d’un œil innocent mais sagace qu’elle avait produit son petit effet. Confus, il porta précipitamment son attention sur un bahut, remarquant un objet rare, ce qui le sauva d’un autisme foudroyant.

Il se leva pour l’examiner.

- C’est un Perfescope ! expliqua Pierre de Touche. Connaissez-vous cet objet ? Il est daté de l’Exposition universelle, en 1900... L’ancêtre des diapos : la vision en relief de photos jumelles...

Le comte installa le carton à double photographie sur le poussoir.

- Réglez-le à votre vision : vous éloignez ou vous rapprochez l’image...

Polycarpe se concentra sur la vision en relief des pyramides d’Egypte pour éviter provisoirement celle, plus émouvante, de Rosemonde de Touche.

- C’est magique, vraiment ! Beaucoup plus saisissant que des diapos !

- Une orthoptiste de nos amies nous l’emprunte parfois.

Rosemonde venait vers les deux hommes debout près du bahut, avec deux verres contenant un fond de cognac. Elle précisa :

- Il a été offert à la sœur de Pierre par un ami à elle. À sa place, je l’aurais gardé, en souvenir. Mais pour elle... les souvenirs... Bref. Elle a réussi à le refourguer à Pierre pour une somme rondelette.

Le comte abaissa les paupières comme un homme déterminé à conserver son sang-froid et justifia son acquisition avec une intonation lasse. Sans doute s’expliquait-il pour la énième fois.

- Iseult ne souhaitait pas le conserver. Et j’étais intéressé étant collectionneur : il était normal que je la dédommage. Savez-vous que je possède un des tout premiers appareils photo Kodak  et un poste de radio à galène ?

Et pour être plus précis, il ajouta :

- C’était aussi une façon de sortir ma sœur d’un mauvais pas, elle avait quelques soucis pécuniaires.

- Pas seulement pécuniaires ! grinça Rosemonde.

De toute évidence, elle ne supportait pas sa belle-sœur.

- Êtes-vous prêt à visiter « la chambre rouge » ? Elle tient son nom de la peinture « sang de bœuf » d’origine qui teintait le plafond...

Tout en traversant une pelouse, avec des enjambées de golfeur que Polycarpe suivait en moulinant, le comte expliquait ce qui l’attendait.

- Il y a quelques coffres, une très belle tapisserie. L’intéressant réside dans les événements qui s’y sont déroulés : au treizième siècle, une de mes ancêtres, Bramabante de Touche, y fut poignardée. C’est une possible interprétation de l’appellation de cette pièce... Une rumeur a franchi les générations : la pauvre Bramabante aurait découvert l’imposture d’un croisé s’étant fait passer pour son mari, au retour d’une expédition de plusieurs années. Et ce fourbe l’aurait assassinée. Toutefois, celle-ci avait déjà mis cinq enfants au monde avant le départ de la croisade et assuré la descendance. On dit que l’un de ses fils, à qui elle avait confié ses doutes, attendit patiemment l’occasion de précipiter l’imposteur dans ce puits... là, vous voyez ?

Depuis l’aile effondrée, ils empruntèrent un escalier à vis qui grimpait à ciel ouvert au deuxième étage du château. Ils longèrent une galerie à moitié effondrée, à peine sécurisée par une rampe de corde, et Pierre de Touche ouvrit la porte de la pièce historique, s’effaçant devant le visiteur qui retrouvait à peine son souffle.

Polycarpe fit un pas et se pétrifia.

Une forme humaine, floue, comme transparente, gisait sur le sol. Elle était allongée dans un long vêtement plissé, la tête enserrée dans une sorte de coiffe…

Pierre de Touche lui saisit l’épaule :

- Hé ! Vous allez bien ? Vous êtes pâle...

La vision s’estompa. Polycarpe regarda le comte.

- Là... Devant nous... un corps allongé...

- Bienvenu au club, fit Pierre de Touche.

Il saisit la main de Polycarpe et lui secoua énergiquement avec reconnaissance.

- Rares sont ceux auxquels Bramabante apparaît... Auriez-vous un soupçon de sang bleu dans les veines, cher ami ?

Polycarpe, pris d’une faiblesse subite, s’assit sur l’un des coffres en cuir de Cordoue. Il se sentait au bord de l’évanouissement. Il n’appréciait pas que le comte se soit moqué de lui, qu’il ait manigancé cette mise en scène ridicule. S’il n’avait pas eu les jambes en coton, il lui aurait volontiers balancé un uppercut. Il extirpa un mouchoir en papier de sa veste caca d’oie et s’épongea le front puis il fit, du regard, le tour de la pièce, en cherchant les projecteurs susceptibles de composer l’image en 3D.

- Vous me soupçonnez de supercherie, n’est-ce pas ? Je le vois bien : vous cherchez le truc...

-  Exact, fit Polycarpe, glacial.

Il entreprit de parcourir la salle, en titubant légèrement, examinant les plafonds, les murs, les anfractuosités des boiseries et grogna :

- C’est forcément une machination...

- Croyez-moi ou non, il n’y a aucune manipulation. Rendez-vous à l’évidence, cher ami, vous avez un don de médium... qui détecte les ectoplasmes !

Le comte arborait un petit rictus narquois..

- Vous vous foutez de moi ?

- Absolument pas, se récria le comte. Ma sœur prétend avoir eu ce genre de vision, plusieurs fois... À cause de ça, Rosemonde la croit cinglée. J’en conviens : il lui arrive de voir des trucs bizarroïdes... Mais, pour ce qui est de l’apparition de Bramabante, vous apportez la preuve que le phénomène n’est pas spécifique à ma sœur. J’adore Iseult et malheureusement... Bref, elle n’est pas vraiment souhaitée dans cette maison.

Polycarpe se sentait nauséeux.

- J’aimerais rentrer...

- Je comprends. Je vous raccompagne.

Il régla son pas sur celui, cotonneux, de Polycarpe, avec l’attention qu’on porte aux grands malades, jusqu’au portail.

- Ça ira, dit Polycarpe, je peux rentrer seul.

 

Dès qu’il fût rentré, il appela Gix qui lui répondit sur son portable, depuis un musée où il tuait le temps, ce dimanche. Il éprouvait le besoin d’entendre l’opinion de quelqu’un de normal, de sensé, qui n’avait pas une femme nymphomane, ni de sœur dingue, et encore moins d’ancêtre assassinée au retour de croisade. Il lui raconta son après-midi chez le comte.

Mais le ton feutré de son ami, docte et distant, l’inquiéta.

- Tu as pris des amphétamines ou du LSD ? Tu dors correctement ? Fais-tu des crises de spasmophilie ?

- Gix ! Tu n’es pas sérieux ? Rien de tout ça, je crois avoir eu une vision. Point.

- OK, dans ce cas : oublie tout. Quand même... je ne te croyais pas aussi impressionnable... Ton veuvage, sans doute... Prends donc un léger anxiolytique.

- Je n’ai pas ça sous la main ! Et je ne vais pas aller voir un toubib en lui racontant mon histoire...

- Bien. Je  t’en apporterai.

Sa voix s’enroua et dit sur un ton d’outre-tombe :

- Ça me fera une bonne raison de venir au concours de pêche, je n’ai pas oublié l’invitation de tes copines.

- Gix, tu vas bien ? Un problème ?

- Oui. Le problème, c’est Véro.

- Véro ? Il est arrivé quelque chose ?

- Elle m’a trouvé un remplaçant : un viril baroudeur dans une ONG en Tasmanie...

- Une passade...

- Macache ! je viens de recevoir de son avocat une demande de divorce !

- Arrête, tu galèjes !

- Hélas !... Salut Poly !

Cette triste nouvelle relégua illico son hallucination au placard des farces et attrapes.

Il tournicota un moment chez lui, désœuvré. Depuis quelques jours Basile, qui effectuait des travaux dans ses chambres, n’assurait plus la demi-pension, et Polycarpe appréhendait un tête-à-tête avec son haïssable personne. Il passa un coup de fil à Mama, lui résuma sa journée navrante et lui fit part de sa furieuse envie de se ressourcer au sein de la petite tribu.

- Décidément, vous jouez de malchance, Polycarpe. Ma tribu est dispersée : Muguette dort chez une amie ; les petites, ce soir, sont chez leur père et je suis seule avec Jaco, cependant... Si j’osais, je ne suis jamais allée chez vous... Nous pouvons, Jaco et moi, venir vous tenir compagnie...

- Osez ! Mama ! Vous n’attendiez tout de même pas un bristol ! J’ai d’ailleurs besoin de vos conseils pour l’aménagement de ma cuisine.

- Alors, je suis la personne qu’il vous faut ! dit-elle, avec fougue. J’ai un tombereau d’idées que je ne pourrais jamais réaliser chez moi et j’adore compulser les revues d’ameublement.

- J’ai des œufs et de la salade...

- D’accord. J’apporte peut-être du pain... Vous n’avez pris qu’une baguette au boulanger, hier.

Avant l’arrivée de la conseillère ès cuisine et de son fils adoptif, Polycarpe improvisa rapidement un pseudo salon de jardin  sous le cerisier, en calant une vieille porte sur des étais d’échafaudage. Ils seraient beaucoup mieux, dans la douceur de cette soirée estivale, qu’au milieu du chantier.

Elle arriva tranquillement en tenant la main de Jaco. Il portait un demi-pain et elle calait contre sa taille une pile de magazines de décoration.

- Laissez-moi regarder cette pièce un instant, je n’étais jamais venue ici : c’est grandiose. Nous avons beaucoup de possibilités...

- Imprégniez-vous des lieux pendant que je nous prépare un petit cocktail barracuda...

Le moral était revenu. Il fit sonner les glaçons dans les verres qu’il transporta dehors, emplis d’un breuvage teinté en bleu par le curaçao. Jaco obtint la permission de décapsuler une bouteille de Coca-Cola, boisson à l’index chez les Boubou. Polycarpe leva son verre.

- En l’honneur de votre présence au logis !

Mama entama un vibrant plaidoyer en faveur d’un aménagement de cuisine rustique, « à l’ancienne ». Elle voyait du chêne, de la fonte et du cuivre, des petites faïences artisanales, des bouquets séchés et des nappes à carreaux.

- Imogène penchait pour des volumes épurés, des longs plans de travail en résine rose pâle, des rangements sur glissières, de l’électroménager futuriste : plaque de cuisson à impulsion digitale, frigo avec distributeur de glaçons...

- Et si vous panachiez les deux styles, Polycarpe ?

- J’ai beaucoup de mal à imaginer la synthèse entre un laboratoire et une cuisine de grand-mère.

Ils feuilletèrent les revues mais l’esprit critique de Polycarpe sapait les enthousiasmes de Marie.

- J’ai l’intention de vous commander un tableau, Mama. Essayons de créer l’aménagement autour d’une de vos oeuvres...

- C’est bien gentil, Polycarpe, mais vous ne pensez pas mettre un de mes tableaux dans votre cuisine !

- Est-ce que cela vous choque ? Cette cuisine sera probablement la pièce où je vivrais le plus.

- Pas du tout. Je voulais savoir ce que vous aviez derrière la tête… Mes personnages sont justement pris en tenailles entre deux mondes, entre rêve et réalité, paradis et enfer, passé et avenir... un peu comme vous ici, n’est-ce pas ?

- Comme nous tous, non ?

Elle rit de l’expression concentrée de Polycarpe.

- Je vais repenser à tout cela. Il me semble que la synthèse entre les deux styles est une piste... Allons faire l’omelette, Jaco est un fameux casseur d’œufs...

 

à suivre...

16:10 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |

Commentaires

J'ai remarqué qu'il t'arrivait de jeter un p'tit coup d'oeil sur mon blog, j'aimerais bien que tu me dises ce que tu en penses...

Écrit par : ZIA | 20 février 2006

Ben, Zia, je n'étais jamais allée sur ton blog... je n'ai pas encore fait le tour de toutes les popotes. Est-ce que c'est une stratégie pour m'y envoyer ? J'ai donc jeté un coup d'oeil rapido : pas compris si t'es une fille ou gars ? Si tu racontes ta vie ou si tu inventes ? Bon, je n'ai pas les mêmes goûts que toi en cinoche mais sur le concert à Rio, d'accord.
Au fait, et toi ? Qu'est-ce que tu penses de mon blog ?

Écrit par : claudine | 21 février 2006

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