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13 février 2006

Les aventures de Polycarpe - 10ème épisode

Résumé du chapitre précédent : Dans son chantier, Polycarpe découvre une photo ancienne montrant l'énigmatique Cornu en présence de créatures féminines à l'allure de travelos ou de grenouilles de bénitier qui  constitue peut-être une piste... Plus tard, au cours d'une promenade dans le petit bois de Rochebourg où l'ont entraîné les enfants Boubou, le chien Biros se volatilise étrangement...

Chapitre X

Pendant plus d’une heure et demie, ils arpentèrent le bois. Polycarpe avait assis avec autorité les petiotes en larmes sur ses avant-bras, ne souhaitant pas les voir disparaître à leur tour, tandis que Muguette et Jaco couraient dans tous les sens en hurlant désespérément le nom de leur petit chien. Ils longèrent la clôture qui dominait les troglodytes : le grillage à mouton où grimpaient des herbes et des ronces était en parfait état, tendu entre de robustes pieux d’acacias. Il avait été fixé plusieurs mètres en retrait de la falaise et aucun animal, à supposer qu’il ait franchi le grillage, ne se serait jeté délibérément dans la cour de Chimène. D’ailleurs, les gémissements n’étaient pas venus de ce côté-là, mais depuis les abords de la route où nulle trace ni aucun bruit de moteur ne laissaient supposer un accident.
À croire que Biros s’était envolé ! Après les histoires rocambolesques que Polycarpe avait racontées, tous les fantasmes les plus épouvantables défilaient dans la tête de Jaco, de loin le plus impressionné, qui attribuait le forfait à l’ignoble taupier « Y-a-qu’un-œil » qui - Polycarpe en avait rajouté des louches - fourrait occasionnellement chiens et chats dans son grand sac.
Muguette, oubliant ses fous rires, envoyait vers Polycarpe des regards d’obus et ce dernier appréhendait la légitime désapprobation de Mama. Il décida de réunir une cellule de crise au logis pour calmer les angoisses de la troupe, envisageant de  recruter par téléphone quelques volontaires adultes pour organiser une battue.
- Les enfants, dit-il d’un ton ferme, pas de panique ! Biros n’est  pas mort car nous aurions retrouvé sa dépouille. Personne ne l’a kidnappé. Et il n’est pas pris dans un piège. On va donner l’alerte et discuter devant un bon goûter, d’accord ? Allez, rentrons... Je suis sûr qu’il est sain et sauf.
Il ramait dur et Muguette s’en apercevait mais jouait le jeu :
-  Moi aussi, comme monsieur Houle, je suis sûre qu’on va le retrouver.
Il lui murmura un remerciement qu’elle accueillit d’un œil noir. Cependant, une première bataille était gagnée : les larmes étaient momentanément taries.
Le retour fut morose et silencieux. Polycarpe envisageait l’éventualité d’une chute dans une grotte ou un gouffre, entrevoyant déjà le petit bois envahi de pompiers, de spéléos, de reporters, tout un baroud peu discret et coûteux. Épuisé de porter les jumelles, ce fut avec soulagement qu’il les déposa devant chez lui pour prendre sa clé.
Une sorte de tourbillon se produisit instantanément quand il ouvrit sa porte : Biros  bondissait comme s’il avait des ressorts sous chaque patte, sautait à hauteur de leurs visages en les lèchouillant. Il était sain et sauf, son exultation avait pourtant quelque chose de suspect : ce chien avait eu très peur, il s’était probablement cru perdu pour fêter ses petits maîtres avec autant de ferveur. Que s’était-il passé ? Par quel subterfuge se retrouvait-il ici ? Qui l’avait fait entrer ? Comment ?
- Est-ce que tu es un peu magicien ? demanda Jaco.
- Non, et je suis très perplexe.
Comme promis, Polycarpe offrit le goûter. Avec la même spontanéité que les plus jeunes, Muguette se jeta sur les brioches manufacturées, sous cellophane. Rose et Anna piochèrent à la cuillère dans un pot de confitures, tandis que Jaco beurrait un pain au lait avec des gestes de barbier soucieux :
- C’est quoi, monsieur Houle, quand on est perplexe ?
Les yeux au ciel, excédée par cette ignorance crasse, Muguette fit l’interprète. Profitant de l’inattention du garçon, le petit chien lui chipa sa brioche beurrée, l’engloutit et fila directement, raide comme un automate, vers le corridor d’entrée. Jaco ignora crânement le mépris de sa sœur, glissa de sa chaise et lui emboîta le pas. Quelques secondes plus tard, le garçon revenait, franchissant la porte du corridor et passant sous l’échafaudage dans une glissade  bien contrôlée :
- Venez voir, monsieur Houle, Biros a trouvé quelque chose !
Sous le monumental escalier, les anciens occupants du logis avaient bricolé un innommable cagibi. On y trouvait quelques étagères encore garnies de boîtes en fer rouillées et des patères où pendaient des balais déplumés, des chiffons, ainsi qu’une antique canne à bec en ivoire. Là où le réduit se perdait sous les basses marches de l’escalier, Biros reniflait et griffait le sol avec acharnement. Quand Polycarpe, plié en quatre, réussit à saisir l’animal par l’arrière-train, ce dernier était sur le point de se faufiler par une trappe déboîtée de son socle et de disparaître dans une obscure excavation méconnue du propriétaire des lieux.
Le chien immobilisé sous son bras, Polycarpe, qui commençait à en avoir par-dessus la tête des mioches et de leur clébard, coinça la porte du réduit au moyen de la canne passée dans la poignée et, reportant à plus tard l’exploration de cette annexe souterraine, prétendit que Biros, en bon ratier qu’il était, voulait chasser des rongeurs dans sa cave, même si la cave en question, où il entreposait son vin se trouvait en réalité  ailleurs : sous la grange. Il exhorta la jeune équipe à conclure ses agapes et à regagner ses pénates ; il accrocha lui-même le mousqueton de la laisse au collier de Biros qu’il confia à Jaco et ordonna à Muguette de ne lâcher les bessonnes sous aucun prétexte jusqu'à leur maison.
- Je vous appelle dans un quart d’heure et si vous ne répondez pas j’alerte la brigade. Grosgneugneu.
C’est Marie Bulu qui l’appela dix minutes plus tard, mi-figue, mi-raisin :
- Dites-moi, Polycarpe, si j’ai bien tout saisi...
Il résuma la situation dignement. Elle toussota.
- Jaco retiendra longtemps cet épisode historique qui opposa les révolutionnaires vêtus de peaux de bêtes à une armée de James Bond ! Heureusement, j’ai deux mois de vacances scolaires pour récupérer le désastre !
- Je suis vraiment confus...
- Je plaisantais, naturellement. Je suis cependant très intriguée par cette aventure et le retour de Biros au logis.
- Et moi, donc ! Mais nous éluciderons ce mystère, j’ai déjà ma petite idée.
Polycarpe avait bien l’intention de récupérer les minuscules ossements qu’il avait aperçus dans la pénombre aux alentours de la trappe et qu’ils supposait de la famille des chiroptères puis, à l’occasion, d’entreprendre l’exploration du sous-sol, accompagné de son ami Gix, s’il acceptait cette périlleuse mission d’assistant spéléologue.
Il monta dans une des pièces du premier étage où s’entassait sa documentation professionnelle et réussit sans difficulté à mettre la main sur les planches illustrées des petits mammifères. Il étala le croquis d’un squelette grandeur nature sur la table de la cuisine, s’équipa d’une puissante baladeuse avant de recueillir, au moyen d’une pincette, chacun des petits os qu’il rapportait du cagibi avec des précautions de démineur et qu’il appliquait un à un sur le schéma.
Aucun doute possible, quelques chauves-souris téméraires ayant vaillamment résisté aux atomiseurs d’oxyde de plomb avaient échoué sous l’escalier. En recoupant les informations qu’il tenait de Chimène et d’Ulysse, elles avaient été lâchées depuis les galeries des troglodytes. Il fallait nécessairement qu’une ramification du souterrain provienne des bois d’en haut, le seul accès par lequel Biros avait pu s’infiltrer dans la maison puisque toutes les autres issues étaient closes.

Le sous-sol de Rochebourg était-il un véritable gruyère ? On ne creusait pas ce type de galeries pour les chiens ! Si l’animal avait pu passer, elles n’étaient pas éboulées et il était certainement possible de s’y frayer un chemin. De quelle époque dataient ces souterrains ? Avait-on reconstruit le logis, au XVème, sur l’emplacement d’un édifice plus ancien ? L’imagination débridée de Polycarpe, telle qu’elle s’était exprimée avec les enfants Boubou, évoquait des persécutés s’enfuyant par l’excavation, des amoureux se rejoignant dans la clandestinité, des rendez-vous occultes de sociétés secrètes, des trafics de toutes sortes. Quels  drames s’étaient déroulés dans ces lieux ? Ainsi qu’il l’avait reconnu devant Gix, cette demeure était vraiment « historique » À cet instant, il regretta de n’avoir pas jeté son dévolu sur un de ces pavillons standard construits en trois mois sur une dalle flottante.

à suivre...

 

08:27 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |

Commentaires

J'ai pris beaucoup de retard et je me suis permis des copiés collés pour m'adonner à une lecture plus sereine... j'espère que vous ne m'en voudrez pas. En tout cas l'histoire me fascine par son objet et par votre style, mais je me demande où vous trouvez pareille inspiration. En tout cas, beaucoup de fraîcheur dans vos écrits et cela nous change des sempiternelles introspections stériles qui débordent des rayons des librairies "dans le vent" ! merci à vous.

Écrit par : Rony | 16 février 2006

Merci Rony. Bien sûr vous êtes libre de copier, imprimer, ces chapitre... C'est fait pour. Comme vous, je suis agacée par le narcissisme des écrivains (voir le le prix Goncourt...) Vous savez, alors que pas mal de lecteurs sont de votre avis, les éditeurs renâclent : l'un d'eux m'a demandé d'inclure des scènes érotiques !!! Je livre aujourd'hui quelques réflexions sur l'édition dans mon blog... Pour ceux qui ne connaissent pas bien la situation.

Écrit par : claudine | 16 février 2006

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