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11 janvier 2006

Les aventures de Polycarpe - 1er épisode

Ceci est la première page de mon blog... Bonjour à tous !
     Je zappe sur les renseignements perso et la bio : on verra plus tard.
     Pour l'essentiel, sachez que je suis auteur(e) de :
·                     Un POULPE, paru chez La Baleine-Le Seuil, en 2001, sous le n° 228 et intitulé : UN PETIT LAPSUS TRES SUSPECT (toujours disponible en librairie)


·                     Une série à énigmes qui donne son titre à ce blog : LES AVENTURES DE POLYCARPE HOULE. Les deux premiers ont été écrits et publiés en 2003 et 2004 par une petite maison d'édition - que j'ai dû quitter, récupérant tous mes droits.
Cette série comprend à ce jour quatre titres :
1.                  Le Vieux Logis
2.                  Le Pigeon Noir
3.                  Le Nègre en Chemise
4.                  Le nombre d'Or

     Nonobstant, pour causer chic, l'absence de publication papier, je tiens à diffuser mes romans. Ces récits ont eu de bonnes critiques et ont, semble-t-il, réjoui les lecteurs rencontrés ici ou là lors des dédicaces. J'envisage de publier sur ce blog deux chapitres par semaine... en alternance avec de la doc sur cette série (notes, presse, interview, bio, etc)

 Et maintenant, j'envoie le premier chapitre en copier-coller...
 
LE VIEUX LOGIS
 
 
Chapitre Un.
 
Les dalles du sol n’étant pas planes, l’escabeau où il était juché pour lisser le torchis du plafond avait de brusques accès de claudication et Polycarpe assurait son équilibre en agrippant la poutre de la main gauche. Il coinçait entre ses pieds une cuvette de cuisine emplie d’une gâche de néophyte, au plâtre trop liquide, dont la plus grande partie le maculait de dégoulinades et giclait par terre sur les feuilles déployées du Nouvel Echo.
Il avait entrepris de retaper sa vieille demeure, en commençant par la cuisine. Aucun artisan n’avait jugé rentable ce ravaudage de torchis : la chaux s’était délitée et il tombait, n’importe où, des averses inopinées et généreuses de poussières noirâtres, y compris dans son assiette.
C’était exactement l’activité dont il avait besoin en ce moment. Les efforts physiques lui assuraient un quota de sommeil réparateur, le résultat bien visible était encourageant et il formait à nouveau des projets. Pour survivre à son chagrin après le décès accidentel de son épouse, Polycarpe avait décidé de changer d’existence : il avait vendu l’appartement conjugal et cédé son cabinet de vétérinaire, s’estimant suffisamment nanti pour assurer pécuniairement l’intérim jusqu’à la date officielle de sa retraite.
Dans sa quête acharnée d’un nouveau lieu de vie, il avait scrupuleusement écumé la région et découvert, dans une boucle d’itinéraire oublié depuis la construction  d’une rocade, le pittoresque village de Rochebourg  bâti en terrasses sur une colline et dominé par les vestiges d’un château.
Confondu par l’apparition, il avait arpenté les ruelles escarpées, emprunté les escaliers moussus qui les reliaient, s’était fourvoyé dans les cours d’habitations troglodytes, perdant tout sens de l’orientation dans les sentiers en spirale qui contournaient des ruines, bifurquaient vers des entrées de caves et de galeries, passaient sous des arches de pierre d’où pendouillaient des lianes.
Subissant littéralement le charme de ce lieu, contre toute attente et en dépit de l’esprit logique dont il s’était cru pourvu, il avait ressenti dans toute sa personne une vibration irrationnelle. Il lui semblait revenir d’un long voyage et ressentir les effluves d’un bonheur oublié.
Il avait été traversé d’une interrogation subliminale qu’il n’aurait pas avouée sous la torture : n’avait-il pas déjà vécu à Rochebourg dans une existence antérieure ?
 
Le village s’étageait sur un promontoire de roches tendres où subsistaient les restes déchiquetés d’un château renaissance. Au croisement des rues du Château et de l’Église, aboutissaient deux venelles tortueuses, dites rues de la Porte du Nord et de la Porte du Sud. Cette intersection formait, au cœur du village, une sorte de rond-point octogonal, au macadam antédiluvien gondolé par les racines d’un chêne tricentenaire sur lequel ouvrait directement la nouvelle résidence de Polycarpe. La grande double-porte vitrée de la cuisine était encadrée de deux bornes coniques qui protégeaient l’habitation  à l’époque des pataches. 
Avec ses fenêtres à meneaux, ses pignons à gâble et ses lucarnes à clochetons, cette prestigieuse masure lui avait bel et bien tapé dans l’œil, malgré son état lépreux et à deux doigts d’être frappée de démolition.
Heureux propriétaire depuis un peu plus d’un mois, Polycarpe se sentait doucement revivre. En haut de son escabeau, enveloppé d’un grand sac poubelle et coiffé d’un bob, il fredonnait approximativement sur un vieux swing diffusé par la radio.
 
Un toc-toc  timoré  résonna contre une vitre de la porte grande ouverte directement sur la rue. Un petit môme de sept ou huit ans se tenait sur le seuil, encombré d’un grand carton, vêtu d’un short taillé dans un vieux jean, d’un tee-shirt sale et chaussé d’énormes baskets. Devant son  expression tristounette,  Polycarpe lança un : « Bonjour jeune homme ! » plein de bonne humeur. Il descendit de son perchoir et coupa le son du transistor.
- C’est maman qui m’a dit de venir... Elle dit que vous savez soigner les animaux...
- Allons bon, déjà ? rumina le nouvel habitant.
Il se doutait bien qu’un jour où l’autre on profiterait de ses compétences, mais pas si tôt.
- Aujourd’hui, tu vois, je suis plâtrier.
Le gamin pouffa.
- Ben, on l’dirait pas !
Il fit mine de considérer l’enfant d’un air offensé, les sourcils en accents circonflexes.
- C’est bon, tu as raison. Montre voir !
Le gamin posa son carton sur la table et en écarta les rabats.
- Est-ce qu’il va mourir, vous croyez ?
Un hérisson gisait sur le flan, inerte, des fourmis sortaient des soies, couraient sur ses yeux et son museau.
Il gratouilla le ventre gonflé de l’animal qui n’eut aucun réflexe.
- Regarde sa petite truffe, elle brille : ça veut dire qu’il n’est pas mort, d’accord ?
- Oui monsieur, fit l’enfant, un peu rassuré.
- Dis-moi où tu l’as trouvé.
- Dans les fraisiers, au jardin de Berouette.
- Il s’est goinfré de fruits à se faire péter la panse et dans quelques heures, tu verras, il se remettra à bouger. Alors, comment t’appelles-tu ?
- Jaco. Je suis le fils de Mama Boubou.
- Mama Boubou !
Polycarpe l’avait déjà rencontrée à la tournée du boulanger. Il se demanda par quel miracle génétique cette confortable martiniquaise à l’épiderme étincelant avait pu enfanté ce petit pâlichon chétif.
- Je connais ta maman, dis-lui que j’irai prendre des nouvelles du hérisson.
Juste au moment de sortir, Jaco s’arrêta sur le seuil.
- C’est comme Muguette alors, quand elle se couche sans parler et sans bouger, c’est une indigestion.
- Muguette ?
- C’est ma grande sœur. Des fois, on croit qu’elle ne respire plus.
 
Après le départ de Jaco, la gâche était solidifiée. Il était près de dix-huit heures et Polycarpe décida de « débaucher » anticipant le plaisir d’aller s’attabler au café de Basile où il dînait chaque soir en attendant que sa cuisine soit opérationnelle.
  Il se débarrassa de ses hardes, décolla au canif le plâtre séché dans les poils de ses bras et se récura dans un cabinet de toilette au confort sommaire, pourvu d’une douche qui pissotait lamentablement.
Il enfila un pantalon de velours côtelé et un polo sur lequel il arrima sa paire de bretelles. Prévoyant l’éventualité d’une soirée fraîche, il prit un grand gilet sans manche quelque peu gondolé par les lavages. Il passa un coup d’éponge sur ses mocassins et se voûtant pour apercevoir son reflet dans une petite glace accrochée au hasard d’un clou préexistant, il aplatit ses cheveux à l’eau de Cologne : d’un châtain de plus en plus clair, ils frisottaient tristement.
Il ne supportait pas son image et ne regardait dans la glace que les éléments de sa personne qu’il devait entretenir. Il n’avait pas « le visage buriné de profonds sillons expressifs »  mais des joues plutôt mollassonnes, un nez en patate et des poches en formation sous les yeux. Toute la vivacité et la sagacité de son caractère passaient dans l’éclat ironique de son regard - dont il n’était pas conscient puisqu’il n’échangeait avec le miroir qu’un bref coup d’œil rancunier.
Sa silhouette un peu empâtée et des membres courts lui donnaient une démarche involontairement empressée tandis qu’il traversait le village en direction du café, dernière maison à l’ouest du village, avant les champs de tournesol et le méandre languissant de la Gourmette.
Il se savait furtivement observé : son statut de nouvel habitant provoquait une curiosité mitigée. La plupart des rochebourgeois de souche le saluaient en biais, d’un ton aigre. Les autochtones, propriétaires des terres agricoles et des  vignobles se déployant comme une large collerette depuis les pentes du village jusqu’aux confins de l’horizon, manifestaient quelques symptômes de xénophobie face à l’inexorable immigration des « rurbains ». Bien qu’ayant réalisé de confortables plus-values en vendant leurs vieilles pierres aux travailleurs citadins qui voulaient vivre hors des villes, ils éprouvaient à leur égard une méfiance atavique. Ils montraient donc une certaine réticence à accueillir ce veuf presque sexagénaire qui avait déjà sympathisé avec Marie Bulu et Basile Bot, les doux dingues du bled.
C’est en découvrant une anomalie concernant Basile Bot, le cafetier, que Polycarpe avait cessé de croire que tout pouvait être à Rochebourg aussi simple que la dénomination des rues : Le tavernier était instituteur, à quarts de temps alternés dans deux écoles primaires de communes voisines, en remplacement des directeurs occupés aux tâches administratives et ces matinées-là, le café restait fermé.
Basile frisait la trentaine ; il avait les traits fins, la peau très mate et les cheveux bouclés. C’était un homme énergique et joyeux. 
- Les travaux avancent ?
Polycarpe lui rendit sa poignée de main au-dessus de l’antique bar en ronce de noyer et remua ses épaules douloureuses.
 - Doucement... Je ne m’en tire pas trop mal pour un bricoleur débutant.
Basile prit l’air malicieux en désignant du menton un gars, arrimé à son picon-bière, puis ayant attiré son attention, leva l’index.
- On n’a rien sans rien ! dit précipitamment le type en question.
-  Y a mieux, dit Basile : C’est en...
-  …forgeant qu’on devient forgeron  ! s’écria un amateur de muscadet, prenant l’autre de vitesse, lequel, stimulé, lança :
- Petit à petit, l’oiseau fait son nid !
Basile abattit sa main sur un Petit Larousse qui trônait sur le bar et s’adressa à Polycarpe :
- C’est du boulot, mais ça vient : on s’entraîne aux proverbes des pages roses !
Polycarpe s’installa à l’une des tables rondes, près du vaisselier où étaient disposés des petits paquets de brochures publicitaires pour les curiosités environnantes, ainsi que des livres mis à la disposition des habitués.
Basile quitta son bar et s’assit face à son client. Toujours en mouvement, il donna un vague coup de torchon et, semblant contenir une envie de se marrer, replaçant ses lunettes rondes avec une légère grimace, jeta des regards alentours et claqua la table du plat des mains en se basculant contre le dossier de la chaise. Au moment où Polycarpe s’attendait à quelque déclaration d’importance, il annonça le menu sans reprendre son souffle :
- Une soupe tomate une omelette ciboulettes patates vapeur j’ai aussi un chèvre  garanti  parfait ça roule ?
- Épatant, dit Polycarpe.
Basile lui tapota amicalement l’épaule et quitta la table, interpella les clients du bar, reprenant avec eux une conversation sur le match de la veille tout en débouchant un gamay, coupant du pain dans une corbeille qu’il apportait et posait au hasard en regardant par la fenêtre, avant de filer dans l’arrière-salle.
Polycarpe soupçonnait son nouvel ami d’hyperactivité chronique.
 
Les consommateurs quittèrent le café. Le type qui avait bu une bière sortit en dernier. Avec ses cheveux en brosse plantés bas sur le front, une barbe drue et son nez long au bout arrondi, il ressemblait au hérisson de Jaco. Amusé par l’analogie, Polycarpe lui adressa un « au revoir » enjoué.
- À la revoyure ! lança le bonhomme.
Basile revenait avec quatre assiettes, deux verres, six couverts et un rouleau d’essuie-tout.
- C’est le fils de Chimène... Un vieux gars, le cantonnier de Rochebourg qu’on appelle Berouette.
 Basile Bot initiait Polycarpe aux arcanes du pays. Il connaissait tout le monde. Quand le café désaffecté, acquis et restauré par la commune, avait été proposé en location-gérance dans l’intention d’endiguer l’inexorable agonie du village,  la candidature de Basile, qui était originaire des environs et se prévalait d’un revenu stable de fonctionnaire à mi-temps, avait été jugée sans risque par les édiles.
- Je peux vous tenir compagnie ?
- Bien volontiers.
- J’aime pas manger tout seul et vous non plus ?
- Non plus.
Polycarpe remplit leurs verres. Ils burent une gorgée et Basile jeta sur son convive un regard espiègle.
- Alors, quoi de neuf ?
- Rien de spécial... si ce n’est la visite de Jaco. Est-il vraiment le fils de Mama Boubou ?
- Vrai. Marrant non ? Elle l’a adopté. Des parents morts dans un accident de quelque chose... avion, voiture, je sais pas. Il a été recueilli par la DASS, puis confié à Mama, qui est nourrice agréée. Elle a fait une demande d’adoption, ratifiée depuis peu, ça a été longuet.
- Je ne savais pas qu’une mère célibataire pouvait adopter...
- Eh, la preuve ! De toute façon, elle a un agrément de nourrice, on ne peut donc pas dire qu’elle ne sait pas élever des enfants ! Et puis, elle a d’assez bons revenus... de fait... avec sa peinture.
- Sa peinture ?
- C’est une artiste ! Elle fait de chouettes tableaux, vous verrez. À propos, elle signe ses tableaux de son vrai nom : Marie Bulu. On l’appelle souvent Mama Boubou, comme les enfants qu’elle garde !
Il s’éclipsa pour chercher le potage.
« Voilà autre chose » se dit Polycarpe qui parlait avec un cafetier instituteur et découvrait une nourrice artiste peintre.
En rencontrant quotidiennement Marie Bulu qui prenait comme lui son pain à la tournée, ils parlaient du temps et, tout en cherchant la monnaie, il leur arrivait parfois de déplorer les derniers désastres transmis par les ondes.
- Dites-moi, Basile, ma cour derrière c’est la jungle en pire. J’aurais besoin de quelqu’un pour me donner un coup de main. Rémunéré, bien sûr.
- Pour faucher ?
- Dans un premier temps, défricher.
- Faut voir ! dit Basile en remportant la soupière.
Quand il revint avec une omelette appétissante, Polycarpe le relança.
- J’ai bien une petite idée, répondit Basile, mais c’est pas dans la poche : un jeune de quoi : vingt-deux, vingt-quatre ans, au chômage. Parfois, il fait des petits boulots, il s’y tient ou il s’y tient pas, ça dépend : faut avoir de l’autorité sur lui. Ici, on l’appelle Petit Lu. 
Il prit un prospectus sur le vaisselier et inscrivit son adresse.
- Pour le téléphone, les Verpré sont dans l’annuaire.
 
En rentrant chez lui après dîner, Polycarpe fit un petit détour par la rue de la porte du Nord. Il passa devant la maison de Marie Bulu. Les volets étaient clos, les lumières éteintes, tout le monde devait être couché. Il passa son chemin.
- Hep !
Il vit surgir, d’un coin obscur du petit enclos touffu qui prolongeait la maison, la maman de Jaco dans une grande chemise de nuit blanche et froncée.
- Tiens, Bonsoir ! Je vous croyais tous endormis.
- Je prends le frais, dit-elle à voix basse.
Polycarpe étouffa sa voix à l’unisson :
-  Pour frais, c’est frais ! On ne se dirait pas fin juin.
- Moi, ça va, chuchota-t-elle. Je bénéficie de la bonne isolation des mes kilos. Surtout, je profite du calme quand ils sont tous au lit. Je ne sais pas si vous avez eu des jeunes enfants, monsieur Houle, mais c’est véritablement le seul moment de la journée où on peut penser. Oh, vous savez : le hérisson est ressuscité ! Jaco ira vous remercier. J’y tiens, fit-elle d’un ton sévère. Je ne transige pas sur la politesse, monsieur Houle.
- Eh bien, soit. Basile vient de me dire que vous peignez ? J’aimerais beaucoup  voir vos tableaux.
- Quand vous voudrez. Ça me fera très plaisir. Oui, vraiment.
- Bonne nuit,  madame Bulu !
Il entendit en s’éloignant un éclat de rire assourdi en cascade. Il eut l’impression qu’elle se moquait de lui.
 
 à suivre...

17:05 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

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