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21 novembre 2011

LES CONTES DE POLYCARPE : La malédiction de Mortfoudre

Revenons à Polycarpe, après quelques détours...

J'ai extrait du tome IV ( POLYCARPE, LE NOMBRE D'OR) trois anecdotes inventées pour illustrer l'histoire du village, composées sous forme de contes, un peu dans "l'esprit" du Décaméron. C'est à dire de façon imagée et burlesque qui décrit avec empathie les pitoyables humains.
J'en ferai peut-être un livre, mais d'ici là, je les "blogue"...


Premier Conte

La malédiction de Mortfoudre

 

contes, Electre, Decameron, Boccace

Polycarpe s’adressa à Max Ducoin :

— Je projette de recueillir quelques anecdotes vécues par les Rochebourgeois ou des légendes locales pour enrichir une brochure touristique.

— Vous avez raison, il faut attirer les touristes, chevrota Max. C’est une localité pleine de charme qui s’étiole comme une jolie fille sans amour ! Je vous soutiens à cent pour cent.

— Bravo. Vous êtes un centenaire entreprenant.

— Voyez-vous Polycarpe, je me sens concerné par l’avenir, ou alors ce n’était pas la peine de faire des enfants et d’en chier comme un Russe pour les élever, n’est-ce pas ?

— Certes. Avez-vous en tête une histoire intéressante ?

— J’ai bien deux ou trois anecdotes rigolotes, assez personnelles, mais il faudrait commencer par les aventures de Frère Prosper, le moine responsable de l’édification ratée de notre abbaye…

— Comment cela, ratée ?

Ils s’assirent de part et d’autre de la table du séjour. Polycarpe mit le dictaphone en marche.

— Cet édifice n’a jamais été achevé. Voici ce qui est prétendument arrivé. Cela se passait aux alentours de 1460…

Au XVème siècle, un ermite prénommé Prosper vivait dans une caverne creusée dans une falaise de craie qui entoure, encore aujourd’hui, les ruines de l’abbaye de Mortfoudre. L’ermite Prosper menait une existence frugale, priant et cultivant quelques racines potagères. Un jour, un ange lui apparut et proclama :

Tu construiras ici la demeure de Dieu !

D’un trait de lumière, il désigna l’endroit où devait être bâti l’édifice, à l’actuelle croisée du transept.

Avant de disparaître, l’être surnaturel fit une mystérieuse prédiction gravée par le moine lui-même dans les dalles du narthex et toujours visible :

Terrasse le Mal tapi sous la bure,
Si le moine entrevoit sa hure,
Du ciel détonant le feu surgira,
La maison sacrée jamais n’achèvera.

Quand il fut remis de sa grande surprise, l’ermite fit tout son possible pour accomplir le commandement. Il alla trouver Foulques de Touche, alors seigneur de Rochebourg, pour lui proposer d’investir une part de ses richesses dans la construction de l’abbaye. En ce temps-là, on pouvait acheter des places au paradis comme à Roland Garros en se montrant généreux avec l’Église.

Foulques fit des dons substantiels et eut tôt fait de convaincre les nobles seigneurs des environs d’en faire autant. Les fonds réunis, le chantier commença.

De toutes les régions et des pays voisins rappliquèrent des compagnons de tous les corps de métiers, les meilleurs artisans et des artistes. On commença par extraire les pierres de l’abbaye du sol de craie, et l’excavation forme la crypte actuelle.

La rumeur de l’ange venu du Ciel pour désigner ce lieu sacré s’était répandue dans toutes les contrées et attirait déjà de nombreux pèlerins qui mirent la main à la pâte pour mériter le clos et le couvert. Ils contribuèrent ainsi à la construction d’un cloître attenant…

Autour de la future abbaye, s’établirent des ateliers de sculptures et de menuiserie, ceux où l’on fondait le plomb des vitraux, où l’on soufflait le verre, il y avait des maréchaux-ferrants, des auberges, des marchands de vin, car il fallait nourrir, abreuver et coucher les ouvriers et les fidèles, parquer les bêtes, accueillir les visiteurs et leurs chevaux. Le four à pain ne chômait pas et des charrettes portaient les sacs de farine. Le lieu grouillait de vie, de bruits, animé comme ruche.

Après sept ans de travaux, entrecoupés de fléaux, de guerres, de famines et d’épidémies diverses, la magnifique abbaye était presque achevée, il ne restait plus que le clocher à ériger.

L’évêque consacra le gros œuvre avant l’achèvement, tant il devenait urgent d’y célébrer les messes et les cérémonies qu’occasionnait cette vie communautaire. 

Mais entre temps, Frère Prosper avait beaucoup changé. Il avait pris la grosse tête, comme on dit. Il avait acquis l’autorité d’un maître d’œuvre, laissant croire qu’il était investi de la puissance surnaturelle de l’ange annonciateur.

Il imposait les mains pour soulager les douleurs, donnait des consultations médicales, disposait d’une petite pharmacopée d’herbes thérapeutiques extrêmement efficaces, prétendument bénies par l’ange. 

L’ancien ascète s’était ainsi enrichi. Il était devenu gras, jouait aux dés dans un tripot sordide et en cachette, fréquentait des demoiselles. Il obligea même les sculpteurs à représenter des scènes lubriques sur les cordeaux de l’édifice pour l’agrément visuel des passants.

C’est alors qu’il tomba amoureux d’une fille de petite vertu parmi toutes celles qui accordaient leurs faveurs aux ouvriers et compagnons travaillant sur le chantier.

Au lieu de défroquer pour l’épouser, craignant de perdre ses privilèges, il conçut un plan inverse.

Il promit des ponts d’or à la belle si elle acceptait de pénétrer dans le couvent chaque nuit, travestie en capucin, pour le rejoindre dans sa cellule.

Il avait oublié, hélas, le couplet prémonitoire !

Terrasse le Mal tapi sous la bure,
si le moine entrevoit sa hure,
du ciel détonant le feu surgira,
la maison sacrée jamais n’achèvera.

Or, l’été 1475, un 18 août, la prophétie se réalisa.

Un terrible orage et des trombes d’eau dévastèrent toute la communauté. Frère Prosper et quelques autres pêcheurs furent foudroyés, grillés comme des cochons. L’incendie fulgurant ravagea les échafaudages de la voûte, les abris de fortune, les cabanes de bois accolées aux murs de l’édifice.

Le jour suivant se leva sur la carcasse fumante de l’abbaye. On dit qu’apeurés par la violence des intempéries où ils virent la colère de Dieu, tous les survivants s’enfuirent.

Mortfoudre ne fut jamais achevée.

— Voilà, mon cher Polycarpe, ce qui se racontait ici au temps de nos aïeux. 

***

N.B : information à l'attention des professionnels du livre, des libraires et des bibliothécaire : mes livres sont désormais accessible par le réseau ELECTRE.