17 mai 2015
Les Petits Secrets de "POLYCARPE" (9)
D'Alembert
Dans son livre au titre Nothombien : Le Magnétisme des solstices (Flammarion, 2013), Michel Onfray écrit, à propos du style dans le domaine de l’art :
« Ainsi le style. Si l’on nous demande d’y réfléchir, le premier mouvement consiste à convoquer quelques formules apprises jadis sur les bancs de l’école. Surgit alors le pavlovien : « le style, c’est l’homme » inspiré de Buffon qui écrit plus exactement, dans son discours de réception à l’Académie française, le 25 août 1753 : "le style est l’homme même " »
Plus loin :
« Parlant de Fontenelle, [D’alembert] écrit dans ses Mélanges littéraires : "Il a eu, comme tous les bons écrivains, le style de sa pensée." Que peut bien signifier avoir le style de sa pensée ? (…) Le style, en effet, c’est moins l’homme que la façon qu’aura son corps de musiquer son énergie propre. Précisons : les productions intellectuelles ne descendent pas du ciel, elles ne tombent pas toutes faites d’un empyrée où elles se trouveraient en vertu du bon vouloir des dieux qui, sous forme d’inspiration, gratifieraient tel ou tel d’un génie propre. (…) L’inspiration ne tombe pas du ciel, car elle monte d’un corps. »
Parmi les arguments hyper documentés de Michel Onfray développés dans les 38 chapitres de ce bouquin, j’y trouve à boire et à manger.
Je suis d’accord avec cette affirmation que l’inspiration ne tombe pas du ciel, je dirais qu’elle est l’effet du travail, par sérendipité… On travaille, on se remet sans cesse en cause, on recommence, on cherche et on trouve… autre chose que ce qu’on cherchait, mais en mieux… et c’est ce résultat meilleur qu’on est tenté de qualifier d’inspiré alors qu’il n’est que le produit du labeur.
Et contrairement à ce qu’on voudrait bien croire quand on débute, aucun génie n’a pu s’exempter d’apprentissage et de travail acharné.
Là où je ne suis pas d’accord avec Onfray, c’est que cette "inspiration" ne monte pas d’un corps. Certes, elle puise son énergie dans les sensations, ce qu’on voit, entend, touche, etc. Elle vient de l’univers où on vit, mais l’énergie ne fait rien sans l’intervention de la machine qui la transforme, et cette machine c’est le vécu de l’artiste.
N’en déplaise à Michel Onfray qui conteste Freud, c’est notre inconscient (personnel et collectif) qui transforme ce pénible vécu en art. Et cet inconscient n’est pas le corps, même s’il émane de notre cerveau, il est connecté avec notre environnement présent, passé et anticipé, pour ne pas dire futur. Je suis une fervente adepte de la communication des inconscients. Or donc, l’artiste reçoit et restitue autre chose que des sensations corporelles.
Le style, qui reflète l’auteur d’une œuvre d’art, c’est un peu le résultat d’un réglage individuel, en fonction de ce qu’il veut exprimer, de ce qu’il peut exprimer, et de ce qu’il arrive à exprimer.
Car tout l’art de l’art, c’est montrer la réalité humaine de sorte que tout le monde s’y retrouve, mais ce n’est pas toujours possible sauf à se brouiller avec les gens (je pense à Tchékhov, dont son livre de nouvelles La dame au petit chien l’a fâché avec toutes les dames de sa connaissance, et Dieu sait que c’est un chef-d’œuvre intemporel !) Et même dans les cas où il est possible de montrer la réalité, le résultat n’est pas toujours celui qui était prévu.
C’est un sujet sensible, pour moi.
J’accorde en effet beaucoup d’importance à ma "propre authenticité" : je veux écrire au plus près de que j’ai à dire, de ce que je veux évoquer, pour pouvoir me dire dans dix ans que je n’ai nullement honte de ma phrase. J’accorde aussi beaucoup d’importance à la façon dont sera reçu le paragraphe par ceux qui le liront. Je ne veux pas que le lecteur bâille d’ennui, ni me montrer pédante ou me la « jouer » grande écrivaine…
Je jongle sans cesse entre ces deux pôles : authenticité et communicabilité.
Je donne parfois en exemple le deuxième paragraphe de mon dernier Polycarpe aux personnes qui se renseignent sur les techniques d’écriture.
Ce paragraphe, je l’ai réécrit au moins une trentaine de fois, si ce n’est plus.
Je me suis demandé pourquoi cette affaire de style était si importante pour moi. D’ailleurs, les lecteurs passent ce paragraphe sans se rendre compte de quoi que ce soit, et pourtant…
J’ai voulu rendre les perspectives, indiquer le moment de la journée sans donner l’heure, insister sur le contraste dedans/dehors, évoquer la limpidité silencieuse du crépuscule tombant sur la campagne par opposition au charivari de la salle ; Je voulais le son (les criaillements des martinets), la couleur (le coucher de soleil cuivré). Et je voulais que les encadrements de fenêtres forment comme des encadrements de miniatures montrant un paysage de collines avec un chemin s’amenuisant vers le lointain… Or, quand j’arrivais à tout insérer dans mon paragraphe qui faisait une demi-page, j’imaginais le lecteur, abordant un roman dit « policier », pressé d’entrer dans l’action, se moquant comme de l’an quarante de la vue campagnarde miniaturisé dans les ors et les verts pâles du crépuscule… et je biffais. Je poursuivais l’écriture de mon roman… pour revenir le lendemain à la première page, réécrire, rebiffer… et cela jusqu’au paragraphe définitif, où j’ai opté finalement pour une description la plus évocatrice possible dans une sobriété de mots :
Les fenêtres grandes ouvertes encadraient des perspectives champêtres cuivrées par le soleil déclinant. Une escouade de martinets, excités par l’affluence exceptionnelle, passait et repassait devant les embrasures.
19:49 Écrit par Claudine dans les petits secrets de Polycarpe, littérature, roman policier, sens des mots | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer | |
Les commentaires sont fermés.