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06 janvier 2015

Les Petits Secrets de "POLYCARPE" (7)

Crissay sur Manse, village classé, Polycarpe, secrets, roman,

     Un après-midi d’été, nous arpentions les ruelles désertes de Crissay-sur-Manse labélisé « plus beau village de France », patrimoine déserté et figé dans ses vieilles pierres, quand une fragrance dans l’air ‒ que je n’avais jamais sentie nulle part ailleurs en Touraine jusqu’à ce moment‒ me téléportait dans la Charente de mon enfance et j’en ai frémi : des odeurs d’orties et de menthe écrasées, de pierres chaudes, de paille coupées, mêlées aux relents de moisissures arrivant par bouffées de recoins ombreux, d’entrées de chais…

Dans une sorte de rêve éveillé, j’ai superposé les deux villages, mon village d’autrefois plein de bruits, de vie, de malheurs et de joies, tantôt écrasé de soleil, tantôt fondant sous la pluie, et ce village pittoresque mais moribond, et je décidai que ma fiction se déroulerait là, dans cette petite agglomération revitalisée par la perfusion de mon passé charentais.

Comme la silhouette flageolante d’un voyageur venant de l’horizon, mon personnage principal se précisait progressivement : il serait comme nous, plein de défauts et plein d’angoisses, pas beau, pas laid non plus, mais je savais déjà qu’il serait très intelligent sous ses airs de monsieur-tout-le-monde ‒ encombré en quelque sorte de son intelligence comme tous ceux qui sont pourvus d’une lucidité et d’une compréhension hors normes. J’avais exclu de passer mes heures d’écriture avec un type ordinaire.

Il débarquerait de la ville, blasé, déprimé, pour renaître dans une sorte de biotope favorable, soudain effleuré par une utopie d’âge d’or, l’idée d’une petite société où le consumérisme, les apparences, la compétition (l’envie, la méchanceté et l’humiliation) seraient bannis, tout au moins dans un cercle de personnes sachant se reconnaître et devenant amies… J’avais envie de réhabiliter ces valeurs qui passent pour naïves, pour gnangnan disons-le,  dans un monde de gagneurs et de guerriers, j’avais envie de les imposer et je le pouvais puisque je suis maître en mon royaume.

Ainsi ce sont constitués les grands traits de mon personnage et le décor de ma série, dont le premier mot n’était pas encore écrit.

Le menton dans la main, devant le calendrier des postes, je cherchai désespérément le prénom de ce brillant personnage pas très beau. Toutes mes références littéraires défilaient dans ma tête… Il était aussi sympa que Qwilleran, aussi grognon que Nestor, intuitif comme Hercule, intelligent comme Sherlock, etc. Il me fallait un prénom choc comme ceux-là, qui s’incruste dans la mémoire et devienne, par un effet de synecdoque, l’homme lui-même… la série elle-même !

Eurêka : je connaissais un brave homme prénommé Polycarpe, le mari de l’institutrice de mes enfants, ouvrier chez Michelin, un prénom qui nous avait toujours paru mystérieux et, qui plus est, un prénom de pape !

Je me suis surprise moi-même à établir une sorte de story-board avant de commencer cette « suite » romanesque. Je voulais la réussir, ne rien laisser au hasard, c’était mon défi… Il fallait border la fiction de contours précis, fixer les points essentiels, bref, créer une « bible » de critères dont la récurrence serait un confort de lecture, ce confort que j’éprouvais à la lecture de mes auteurs de séries préférés (comme cette chère Lilian Jackson Braun récemment disparue)

Ainsi, dès le départ, je cherchai à sous-tendre ma narration de  valeurs simples comme la gentillesse et le bon sens et la bonne humeur qui sont les fondements du bonheur en société (qui ne sont pas cependant les valeurs les mieux partagées).

Mais fort est de constater qu’un certain nombre d’individus malfaisants s’emploient à rendre la vie des autres impossible, mésestiment et ridiculisent leurs congénères, réduisent en poussière tout acte généreux, bafouent l’intelligence et piétinent l’amour de leurs souliers à clous.

Eh bien, devant ce constat, une évidence s’imposait : dans mes romans, le crime symboliserait toute cette méchanceté et serait révélé puis puni ; mes personnages positifs, drôles, sympathiques, s’uniraient contre le Mal. Je voulais que les gens bien l’emportent sur les nuisibles et les pernicieux.

J’allais inventer un univers où, je l’espérais, mes lectrices et mes lecteurs aimeraient se plonger. Et quand j’ai eu des preuves que je partageais avec plusieurs centaines de lectrices et de lecteurs ce petit monde d’humanité, alors j’ai été baignée de reconnaissance comme d’une eau miraculeuse. Cette connivence littéraire constituait un baume pour mon âme, et permet la résilience qui cicatrise de vieilles plaies encore douloureuses.

Quoi qu’il en soit, j’ai ainsi créé tout un univers, et ça c’est un challenge, croyez-moi.

À suivre…

18:11 Écrit par Claudine dans littérature, publications, roman policier | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |

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