18 janvier 2006
Les aventures de Polycarpe - 3ème épisode
Chaque mercredi et chaque dimanche,
retrouvez vos héros préférés dans un nouvel épisode de la série policière :
LES AVENTURES DE POLYCARPE HOULE !
Résumé des épisodes précédents :
Polycarpe Houle, veuf inconsolable a changé de vie. Il a déniché dans Rochebourg, un des plus beaux villages de France, un vieux logis délabré qu'il entreprend de retaper et il embauche un jeune gars du pays, Luc Verpré dit Petit-Lu, pour défricher son jardin. Il a déjà fait connaissance avec les "doux dingues" du patelin : le cafetier-instituteur Basile Bot, la nourrice antillaise et artiste-peintre Marie Bulu surnommée Mama Boubou et la marchande de miel, psy à ses heures, Imogène Cordet... Jaco, le fils adoptif de Mama vient de trouver une mystérieuse montre à gousset portant les lettres L et C entrelacées...
LES AVENTURES DE POLYCARPE
Chapitre Trois
Les consommateurs de la veille tenaient à nouveau le comptoir quand Polycarpe entra au café. Berouette buvait sa pression quotidienne, perché sur un grand tabouret du bar. Mis en confiance par l’amical bonsoir de la veille, le cantonnier interpella Polycarpe comme une vieille connaissance.
- A fait plus chaud aujourd’hui, hein ?
- Sûr ! fit Polycarpe, l’air pénétré.
- Remarquez, pour les plâtres, c’est mieux, ça sèche plus vite.
L’homme-hérisson cherchait à nourrir sa curiosité.
- Aujourd’hui, j’ai fait relâche. Je suis allé en ville...
- Alors, monsieur Houle ? lança Basile, calé au bar en bras de chemise.
- Encore une histoire de Jaco.
Polycarpe s’adressa à Berouette.
- Est-ce vous qui autorisez ce petit à venir dans votre jardin ?
- Ben, j’empêche personne de cueillir un bout de persil ou de ciboulette.
Il prenait tout le monde à témoin :
- Je suis pas regardant tant qu’on m’esquinte pas mes plates-bandes.
- Jaco a trouvé quelque chose d’insolite dans votre jardin, dans le tas de branchages : une grosse montre à gousset en or massif.
- Une montre en or ! Dans mon jardin ! Ah ben ça ! Ah ben ça ! C’est quoi cette histoire encore...
Il était comme électrisé.
Basile lui envoya une bourrade par-dessus le comptoir.
- Hé, calmos !
- Un oignon en or aux initiales L C.
- À tous les coups, c’est Bibi qui va trinquer, qu’on va traiter de voleur, comme la fois que ma pauv’mère s’est fait chourer sa caisse, c’est tout juste si c’était pas moi le coupable, tu te rappelles, Basile ?
Berouette secouait la tête comme un hochet. Basile relata l’incident dont Chimène avait été victime.
- Quelqu’un s’est introduit chez elle, un soir, et lui a dérobé le pécule qu’elle planquait dans une boîte de galettes bretonnes.
Il était déjà venu à la connaissance de Polycarpe - via Basile - que Chimène, avait depuis longtemps reconverti le commerce de ses charmes dans celui des tarots de Marseille, ce qui lui permettait de vivoter.
- Ça remonte à quand exactement, Berouette, le cambriolage de Chimène ? demanda Basile.
- Un an pile à la Toussaint ! Je m’en rappelle, bon sang ! Vu que c’était l’avant-veille du jour que j’ai retrouvé le Léonard Cornu clamsé !
Basile, qui vérifiait dans le contre-jour l’absence de traces sur le verre qu’il essuyait, ajouta :
- Forcément, c’est quelqu’un qui connaissait les habitudes de Chimène, mais qui ? On a jamais su. Et puis, pas question de porter plainte, vu que c’était du black.
Berouette, calmé, se cramponna de nouveau à sa chope comme si, scellée au bar, elle représentait le seul écueil stable dans ce monde bouleversé.
- On me dira ce qu’on voudra, moi je dis que c’est depuis ce temps-là qu’elle tourne plus rond, la mère.
Basile envoya le torchon par-dessus son épaule, aligna le verre dans une rangée sur une étagère et s’arquebouta contre le bar.
- Au fait, dit-il, vous avez bien dit que la montre était gravée des lettres L et C. C’était justement les initiales de celui qui vivait au logis avant vous.
Polycarpe se dit que le même cambrioleur aurait pu tout aussi bien s’introduire chez Chimène et chez Léonard Cornu, puisque les faits étaient concomitants… Et Cornu aurait pu faire une attaque !
- Ce Cornu, il était peut-être cardiaque, suggéra Polycarpe. Quel âge avait-il ?
- Je dirais dans les soixante-quinze bien tassés... Cardiaque, on sait pas, mais asthmatique, c’est sûr : Ulysse racontait qu’il ne pouvait pas dormir autrement qu’assis, par petits sommes entrecoupés d’insomnies. D’ailleurs, Ulysse empruntait souvent les bouquins que je mets là, sur le vaisselier, pour Cornu.
- Compte tenu de la faible densité de population et de la théorie des probabilités... commença Polycarpe.
- Comment qu’il cause ! grommela Berouette, dont la tignasse drue rejoignait les sourcils puis refluait sous l’effet d’une laborieuse contention.
Polycarpe prit Basile à témoin du désopilant mouvement du cuir chevelu de Berouette et en rajouta :
- ... Il y a fort à parier que c’est la même personne qui a volé les économies de madame votre mère et la montre à gousset de feu Léonard Cornu.
- Dites, chouravée ou pas, elle était dans mon jardin, c’te montre, et si personne la réclame, dans un an et jour, elle sera à moi.
- Bien dit ! lança Basile. Si ça se trouve, on lui mettra la main au collet à ce cambrioleur, n’est-ce pas, Polycarpe ? Et Chimène récupérera son bien ! Car... Bien mal acquit ne...
Basile lança un coup d’œil de connivence à Polycarpe.
- ... profite jamais. Ben, si vous arrivez à le choper… À c’compte-là, on est d’accord.
Le proverbe et les paroles de Basile avaient calmé le bonhomme. Quand il eût quitté le café en compagnie des autres consommateurs, Polycarpe, indigné, répéta la phrase prononcée par Basile :
- « Si ça se trouve, on lui mettra la main au collet… » Hé ! Vous permettez ! Moi, j’ai rien dit, rien promis.
- Je le connais, dit Basile, il est soupe au lait, il s’emballe, en lui disant qu’on va retrouver le voleur, ça le calme illico.
Ils s’assirent, l’un en face de l’autre, à la même table ronde que la veille.
- Grande nouvelle, annonça Basile de son air toujours mutin, les bras croisés sur la table, en avançant le buste vers Polycarpe. A partir du week-end prochain, je suis en vacance scolaire et je transforme mon café en auberge. Le conseil a accepté mes propositions…
- C’est-à-dire ?
- Quelques équipements aux normes pour la cuisine… Il y a trois grandes chambres au premier à rafraîchir. Je vais refaire la salle de bain sur le palier, je me débrouille en plomberie…
- Avec l’été, vous aurez bien quelques randonneurs égarés, dit Polycarpe, pince-sans-rire.
- Nous amènerons peut-être des gens ici avec les festivités de l’alipa ! On en parle après-demain. Il y a réunion à vingt et unE heures chez Constance Sirre. Vous viendrez ?
- J’ai déjà promis à Imogène. Elle a tenté de me soutirer une adhésion, mais avant, je veux assister à quelques réunions.
Basile semblait oublier l’heure du dîner.
- Qu’est-ce qu’on mange, ce soir, Basile ?
- Nous avons un petit sauciflard, des tomates farcies...
- Et un chèvre garanti parfait, fit Polycarpe, imitant le futur aubergiste. Je me demande qui a cuisiné les tomates.
- Il commence à bien me connaître, le bougre ! Farcies par my girl friend number one. Quand elle prépare des petits plats chez elle, elle en fait un peu plus, pour moi et en l’occurrence pour nous : elle sait que j’ai un client.
- Est-elle prête à assurer la cuisine de la future auberge ?
Basile émit un rire franc.
- Pas vraiment... Vous savez, je vais m’y mettre, et si ça marche, je prendrais quelqu’un !
- Vous la cachez bien, votre petite amie.
- Vous la verrez vendredi !
En rentrant chez lui, Polycarpe pensait à l’occupant du logis dont il venait de découvrir l’existence. Le vieillard n’avait apparemment pas laissé de regrets impérissables. Tout de même, Polycarpe avait méconnu jusqu'à ce jour la personnalité de son prédécesseur, persuadé d’avoir succédé à Ulysse Côme, signataire de l’acte de vente.
Il comprenait bien qu’en qualité d’étudiant, le jeune homme se soit débarrassé du gouffre financier que représentait la restauration du logis. Et vu l’état de décrépitude avancée de la baraque, il fallait en déduire que le testateur n’avait pas de gros moyens, ni de liquidités à léguer. Le règlement des droits de succession avait dû mettre Ulysse Côme dans l’urgence de vendre.
Polycarpe se débarrassait de ses vêtements pour se coucher, lorsqu’il décida d’explorer son grenier sans plus attendre. En caleçon et en tee-shirt, équipé d’une lampe torche, il fouina, recherchant les indices de la vie du dénommé Cornu Léonard.
Une heure plus tard, il n’en pouvait plus de secouer les vieux bouquins répandus parmi des corbeilles vides, des potiches en terres cuites et autres vieilles godasses, et s’apprêtait à fuir la chaleur poussiéreuse du grenier quand il avisa une caisse emplie de codes de procédures et de revues de jurisprudence qui couvraient grosso modo les années 1948 à 1974. Certaines revues conservaient encore des vestiges de bandeaux à moitié déchirés. Aucuns ne conservaient la mention du destinataire, seulement une adresse : 3, rue de la Résistance prolongée, à Chassac. Indiquaient-ils l’ancien lieu de résidence de Léonard Cornu ?
A l’occasion, il y ferait un tour.
Léonard Cornu, homme de loi ? Avocat ? Magistrat ? Si l’homme était décédé à 75 ans, il aurait dû achever sa carrière dans les années 80.
« Que sont devenues les documentations après 1974 ? Pour quelles raisons l’homme avait-il élu domicile à Rochebourg dans cette maison délabrée et sans confort ? Etait-il ruiné ? Avec quels moyens pouvait-il héberger Ulysse ? Est-ce Ulysse qui assurait le viatique ? Pourquoi Ulysse s’était-il rapproché subitement de son grand-père ? Avait-il lorgné l’héritage ? »
Il baladait le faisceau lumineux sous les combles, découvrant un nombre conséquent de cuvettes et de seaux, dont les auréoles successives témoignaient de fuites dans la toiture. Les réparations urgeaient.
En achetant cet édifice miteux les yeux fermés, sans se soucier de son état, il avait fait preuve d’une compulsion à le posséder qui désavouait sa légendaire prudence. Jamais de sa vie, il n’avait acheté quoi que ce soit sans étudier la question à fond, peser le pour et le contre... La perspective des devis de réfection du toit provoqua une panique inopinée. Il se jugeait soudain avec la plus grande sévérité, intrigué par l’inconséquence de son propre comportement.
Mortifié, il descendit pesamment au rez-de-chaussée, ramenant un carton à chaussures « doc. Rochebourg » qui traînait là-haut, et mit de l’eau à bouillir pour préparer une tisane.
Qui connaissait Polycarpe savait qu’il traversait, à cet instant, une très grave crise existentielle : il avait horreur des tisanes. Et pendant que le sachet de verveine teintait l’eau d’un jaune verdâtre, il ouvrit la boîte : parmi des ouvrages d’archéologie se trouvait un fascicule grisâtre en papier vergé, comportant un texte écrit de la main du Père Bellay de Turpin, daté de 1792 et intitulé : « De la fuyte des comtes de Touche à la Révolution. » Il le feuilleta rapidement.
Imogène n’avait-elle pas évoqué une foire aux livres anciens ? Il en ferait don à l’alipa, et profiterait de l’occasion pour liquider les stocks du grenier.
En absorbant distraitement une gorgée du breuvage, il faillit s’étrangler, et dut, pour survivre à la verveine, lamper une rasade de cognac.
à suivre...
11:15 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer | |
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