27 novembre 2008
Polycarpe, le nombre d'or
Depuis Juin dernier, je n'ai pas écrit la moindre note et pourtant vous êtes plus de 1000 à avoir visité ce blog ce mois-ci. Je vous remercie beaucoup de votre passage.
J'attends quelques visiteurs supplémentaires, ayant donné l'adresse dans des écoles où je rencontre les élèves, ainsi qu'aux adhérents des bibliothèques où je suis invitée. A l'intention de ces lecteurs et de ce public, mais aussi pour tout ceux qui suivent les "Aventures de Polycarpe", je propose ci-dessous quelques réflexions sur mon métier d'écrivain, en réponse aux questions qu'on me pose le plus souvent.
· Les personnages dans les « Polycarpe »
Ils sont totalement inventés même s’ils possèdent certaines caractéristiques physiques ou morales des personnes que je rencontre ou que je croise parfois juste quelques minutes. J’ai une nature empathique qui me permet de comprendre ce que les gens pensent ou ce qu’ils éprouvent. Un écrivain est toujours un peu médium. Et quand je suis frappé par un trait de caractère, une attitude particulière, sans même le vouloir, il se grave dans ma conscience et un jour ça ressort dans un livre.
Pour plagier la célèbre phrase de Flaubert : « Madame Bovary, c’est moi », je crois que Polycarpe Houle, c’est en effet mon alter ego. Il représente certaines valeurs auxquelles je tiens : une sorte de nonchalance caustique, le goût de son prochain, l’idée que le bonheur avec un grand B n’existe pas, qu’il faut savoir apprécier les petits bonheurs simples au quotidien.
[Quand j’ai écrit le Poulpe, j’ai caricaturé les personnages pour les besoins du genre. Je me suis bien amusée mais c’était un peu une BD romancée.]
Étant sociable et assez idéaliste sur la nature humaine, je me retrouve souvent en porte-à-faux avec la réalité souvent décevante et, au final, ça me rend caustique et anticonformiste. Ainsi, dans mes livres, j’aime bien dénoncer les gens trop conventionnels, dominateurs ou matérialistes. En revanche j’épargne les personnes gentilles et pourvues de bon sens, pas forcément belles ni surdouées, car pour moi, ce sont elles qui font progresser l’humanité. Évidemment, pour ne pas tomber dans la guimauve, je compense par l’humour et par le surréalisme de certaines situations.
· Influences et objectifs
Je m’inscris dans la tradition des Gaston Leroux avec son Rouletabille (dans « le mystère de la chambre jaune » ou « le parfum de la dame en noir », surréalistes et même parfois burlesques) des Agatha Christie avec son Hercule Poirot, des Léo Malet avec son Nestor Burma, voire des Maurice Leblanc avec son Arsène lupin, y compris Tintin d’Hergé, à des degrés divers, tous auteurs de séries et créateurs de personnages qui occultent leurs créateur ! Sans oublier le grand Molière. Et Boccace, qui montre une humanité tellement drôle et vraie dans le « Décaméron ». D’ailleurs, dans le dernier Polycarpe, j’inclus trois contes de mon invention qui sont écrit un peu « à la manière » de Boccace. Les noms de mes personnages, dans mes livres, sont un discret hommage à ces maîtres.
Comme chez ces auteurs, je ne me complais pas dans les scènes de crime, le meurtre n’est pas une fin en soi mais l’élément déclencheur d’une petite saga, d’un ballet de personnages pittoresques. L’enquête, plus ou moins aléatoire, est un prétexte à mettre en évidence des relations humaines. Franchement, si je peux faire passer une petite pépite d’humanité dans mes histoires, distraire et amuser les lecteurs, j’aurais réussi mon pari d’auteur.
Tous les auteurs cités se considéraient comme des écrivains mineurs, destinés à l’oubli, or ils font, au contraire, partie de notre culture, de notre inconscient collectif. Ce qui prouve que montrer l’humain au travers d’un comique des situations, d’une apparente « légèreté de l’âme » touche plus que les tragédies et les états d’âmes narcissiques. (Molière a largement supplanté Corneille et, par exemple, à mon humble avis, je ne crois pas que les coucheries de Mmes Angot, Millet ou Castillon, apportent beaucoup à l’humanité et franchiront la postérité)
Mes Polycarpe ne sont pas des polars. Ce sont les éditeurs et les libraires qui classent sous l’appellation « polar » tous les récits avec meurtre. À ce compte-là, « Le rouge et le noir » de Stendhal ou « L’étranger » de Camus sont des polars ! Cette classification a des raisons diverses qui seraient fastidieuses à énumérer mais pour faire simple, on a voulu complaire au public qui lit peu et le pousser à acheter des livres aux relents de faits divers.
Le mot « polar » est péjoratif, qu’on le veuille ou non. Qu’on ne se méprenne pas, je ne critique absolument pas ni les gens qui lisent ces livres ni les auteurs de ces livres que j’écris moi-même (cf. mon Poulpe) et que je lis d’ailleurs volontiers, je conteste seulement les amalgames de genres qui dénient le travail littéraire.
Sans en avoir l’air, dans mes Polycarpe, j’explore certaines techniques d’écriture parfois complexes. Je vous donne un scoop : les Polycarpe sont construits sur 2 niveaux de lecture ! On peut lire les Polycarpe comme des petites chroniques rurales légères ou comme des romans de vraie littérature.
Je fais beaucoup d’efforts pour écrire simplement car je veux être un auteur populaire. Et je suis heureuse de constater que c’est le cas, mes lecteurs n’appartiennent pas à « l’intelligentsia », caste qui me sort par les yeux.
Par ailleurs, même si je fais souvent remarquer que le décor de mes Polycarpe s’inspire de Crissay sur Manse, en Touraine, je récuse l’étiquette d’auteur « régionaliste », très à la mode en ce moment, qui fait l’éloge de son petit trou de campagne ou de son quartier urbain, à l’heure de l’Europe et de la mondialisation. Rangerait-on aujourd’hui Balzac sur le rayonnage « régionaliste » parce qu’il situe « Les illusions perdues » à Angoulême ? C’est un peu ce qui se passe actuellement.
· Le métier d’écrivain
Écrire un livre, c’est un travail qui demande une discipline et une disponibilité d’esprit. Pour concilier l’écriture avec la vie de famille, j’écris aux heures dites « de bureau ». Au plus fort de la création, une fois que je suis vraiment plongée dans mon univers fictif, je ne sais plus quel jour on est, si on est en été ou en hiver, car je suis transportée dans un monde virtuel. Je mets en moyenne un an à écrire un livre (avec les variations dues aux aléas de l’existence). Ainsi un roman qui se passe sur trois ou quatre semaines en été, vous l’écrivez alors qu’il gèle dehors… Il faut donc vraiment se projeter dans une autre dimension pour éprouver les sensations physiques de ses personnages.
C’est un métier qui ne fait vivre qu’1 pour 1000 auteurs. Les écrivains sont obligés d’avoir un job à côté, comme Le Clézio, le prix Nobel. Ou alors, ils sont issus de familles riches et aisées (comme Beigbeder, Dujardin ou même Amélie Nothomb, par exemple).
· Le regard des autres
Plus une personne est instruite, plus elle est consciente et respectueuse du travail d’écrivain. La majorité des gens s’imaginent qu’un livre est en quelque sorte prémâché et qu’il suffit de transcrire un texte qu’on aurait préalablement en tête par la grâce du Saint-Esprit… Pour beaucoup, écrire n’est pas un travail, mais un passe-temps de je-m’en-foutiste qui vous laisse entièrement disponible.
· Pourquoi avoir fondé ma maison d’édition « Tutti Quanti » ?
Je fais court, en trois phrases :
J’ai été publiée à La Baleine-Le Seuil, pour mon POULPE. J’ai signé le contrat classique habituel qui me retire, à moi et mes ayants droit, la propriété littéraire de mon œuvre pendant un siècle, je ne suis pas libre de vendre ce livre ou d’en publier un extrait. Rémunération : 2% !
Mes deux premiers Polycarpe ont été publiés par les Éditions Odin. Même contrat abusif me retirant la propriété littéraire avec cette fois 5% de droits d’auteur et l’obligation d’être présente à tous les salons, dédicaces, rencontres, etc. L’éditeur m’avait dit qu’il attendait quatre ou cinq Polycarpe pour négocier mon contrat avec un plus grand éditeur mais à son seul profit ! Je n’aurais rien gagné et je n’avais rien à dire.
Enfin, le turn-over des publications à l’heure actuelle privilégie les « coups éditoriaux » qui doivent se vendre très vite en grand nombre, au détriment des autres publications, quelles que soient leur qualité littéraire, qui disparaissent des rayons à court terme.
Le pot de terre contre le pot de fer…
J’ai donc rompu mon contrat d’édition et j’ai relevé mes manches. Mais pour ne pas me ruiner, je dois tout faire. Après l’écriture, je relis, corrige, mets les textes en forme, je dessine et compose mes couvertures, j’apporte à mon imprimeur une clé USB qu’il n’a plus qu’à insérer dans sa machine numérique. Je fais ma promo dans les médias, je visite les librairies et les maisons de presse, je vais sur les salons de la région Centre et même au-delà, je fais la comptabilité, établis mes factures, tiens le compte des dépôts de livres, relance les commerçants – qui ne payent que contraints et forcés. Pour être visible, j’ai créé un site Internet moi-même, et j’ai dû me familiariser avec divers logiciels.
A très bientôt...
16:25 Écrit par Claudine dans Livre | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook | | Imprimer | |