Extrait de Nouvelles et Contes, II, H. de Balzac, 1832-1850, Quarto (31 juillet 2014)

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(La maison de Balzac, à Saché,  en Touraine)

­"- Mon Dieu ! Quel délice qu’une semblable maison de campagne ! s’écrie Caroline en se promenant dans les bois admirables qui bordent Marne et Ville d’Avray.

Et de courir comme une biche, et de redevenir la jolie, naïve, petite, adorable pensionnaire qu’elle était !... Ses nattes tombent ! elle ôte son chapeau, le tient par les brides.

     - Ça te plairait donc bien, ma chérie, une maison de campagne ? dit Adolphe en tenant Caroline par la taille et la sentant qui s’appuie comme pour montrer sa flexibilité.

- Oh ! tu serais assez gentil pour m’en acheter une ?...

La maison de campagne est une maladie particulière à l’habitant de Paris. Cette maladie a sa durée de guérison.

Adolphe achète donc la campagne, et il s’y installe avec Caroline, redevenue sa Caroline, sa Carola, sa biche blanche, son gros trésor, sa petite filles, etc.

Voici quels symptômes alarmants se déclarent avec une effrayante rapidité.

La viande est moins chère à Paris. Les fruits sont hors de prix. Avant de pouvoir récolter les fruits chez soi, où il n’y a qu’une prairie suisse environnée de quelques arbres verts qui ont l’air d’être empruntés à une décoration de vaudeville, les autorités rurales, consultées, déclarent qu’il faudra dépenser beaucoup d’argent et – attendre cinq années !... Les légumes s’élancent de chez les maraîchers pour rebondir à la Halle, mais les légumes du jardin venus sous les bâches à force de terreau coûtent deux fois plus cher que ceux achetés chez la fruitière qui paie patente.
Les primeurs ont toujours à Paris une avance d’un mois sur celles de la campagne.

De huit heures du soir à onze heures, les époux ne savent que faire, vu l’insipidité des voisins, leur petitesse et les questions d’amour-propre, soulevées à propos de rien. Alphonse remarque, avec la profonde science de calcul qui distingue un ancien notaire, que le prix de ses voyages à Paris, cumulé avec les intérêts du prix de la maison de campagne, avec les impositions, les réparations, les gages du concierge et de sa femme, etc., équivaut à un loyer de mille écus !

On convient qu’une maison de campagne, loin d’être un plaisir, est une plaie vive…

- Je ne sais pas comment on ne vend que 5 centimes à la Halle un chou qui doit être arrosé tous les jours, dit Caroline.

- Mais, répond un petit épicier, le moyen de s’en tirer, à la campagne, c’est d’y rester, d’y demeurer, de se faire campagnard, et alors, tout change…

Caroline en revenant, dit à son pauvre Adolphe :

-Quelle idée as-tu donc eu là, d’avoir une maison de campagne ?... Ce qu’il y a de mieux en fait de campagne, est d’y aller chez les autres !

Adolphe se rappelle un proverbe anglais qui dit : « N’ayez jamais de journal, de maîtresse, ni de maison de campagne ; il y a toujours des imbéciles qui se chargent d’en avoir pour vous… »

Signé : Honoré de Balzac

Balzac, saché, Touraine, écrivain

16:01 Écrit par Claudine | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer | |